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- Remaides
- 18.12.2023
« Poison lent »
Par Jean-François Laforgerie,
Coordinateur de REMAIDES
Annoncé comme explosif, le projet de loi Immigration et Intégration, examiné en séance publique à l’Assemblée nationale, aura tenu toutes ses promesses. Bang ! Il a explosé en plein vol, le 11 décembre dernier, à la suite de l’adoption à cinq voix près d’une motion de rejet du projet. Exit donc la version construite laborieusement en commission des Lois par les députés-es et annulation à la clef des deux semaines de débats prévues où quelque 2 600 amendements devaient être débattus. Une version qui revenait — toutes proportions gardées — sur celle, très coercitive, marquée par la peur et la caricature, imaginée et adoptée par la majorité sénatoriale de droite et du centre. Différentes hypothèses se présentaient pour le gouvernement. Celle qui a été retenue est de convoquer la commission mixte paritaire (CMP). Cette instance, composée de sept députés-es et sept sénateurs-rices, aura la charge de se mettre d’accord (en petit comité, donc) sur une version de consensus du texte. Une version qui pourrait être proche de celle sortie des débats au Sénat, car la CMP penche à droite et au centre. Le calcul est que cette nouvelle mouture pourrait être plus facilement adoptée par la droite parlementaire, le centre et l’actuelle majorité. Voilà pour la cuisine politique. Reste le fond.
Initialement, le texte du gouvernement ne prévoyait pas de traiter de la santé. Mais la créature a échappé au Dr Frankenstein. À l’initiative de la majorité sénatoriale, des articles de loi ont été introduits : l’un supprimant l’aide médicale d’État (AME), remplacée par une aide médicale d’urgence (AMU), préjudiciable aux besoins des personnes et aux enjeux ; l’autre détériorant notablement le droit au séjour pour raisons médicales, qui n’avait nullement besoin de cela. Du côté du gouvernement, le texte est présenté comme un « tour de vis sécuritaire ». Il tombe dans un contexte (attentat terroriste, sondages qui indiqueraient une « demande d’autorité » des Français-es, peur de l’autre, etc.) qui n’échappe à aucune caricature ou amalgame. Du côté de certaines oppositions, on a choisi ce texte pour avancer ses pions et tenter de faire progresser ses marottes, dont la fin de l’AME. Il ne s’agit rien moins que de faire de la santé un mode de contrôle, un moyen de chantage, un mécanisme (de plus) de sélection des étrangers-ères. Chacun-e doit prendre la mesure de ce qui est aujourd’hui en jeu, du sens profond de cette vision.
Ceci est sans doute le résultat d’un long travail de sape entretenu depuis des décennies par certaines formations politiques à droite et l’extrême droite. Exit la fraternité ; balayée l’égalité ; finie la solidarité. De fait, l’immigration n’est plus présentée désormais que comme un « problème », et son arrêt comme une « solution » à tout. Ce texte du gouvernement — comme les vingt-neuf autres qui l’ont précédé en 40 ans sur le même sujet — véhicule un regard suspicieux sur la personne d’origine étrangère. Une personne forcément attirée par des droits et des aides en France qu’elle ne trouverait nulle part ailleurs et qui créeraient ce prétendu « appel d’air » (y compris dans la santé), que toutes les données démentent pourtant. Un « appel d’air » si souvent seriné qu’on en arrive… à manquer d’air quand on entend certaines saillies politiques au Sénat ou à l’Assemblée.
Cette théorie fumeuse a été au centre des attaques contre l’AME, pour limiter le droit au séjour pour raisons médicales. La sortie de route (provisoire ?) du texte gouvernemental n’écarte pas le danger. Les atteintes contre les droits à la santé des personnes étrangères demeurent dans le texte qui devrait servir de base de travail à la CMP. Quant à l’AME, le gouvernement envisage de lui faire un sort dans une loi dédiée, qui pourrait reprendre certaines conclusions du rapport Evin-Stefanini, établissant de nouvelles contraintes (critères d’éligibilité renforcés, etc.). L’AME risquerait ainsi de se trouver amoindrie par calcul gouvernemental alors que le gouvernement prétend défendre bec et ongle ce dispositif, et qu’il n’avait pas prévu de le réformer. Ces derniers mois, la contestation de ces attaques contre la santé des étrangers-ères a été particulièrement forte, rassurante en ce qu’elle va à rebours du climat actuel fait de défiance et d’égoïsme. Reste une énigme. Pourquoi maintenir des dispositions critiquées par les professionnels-les de santé, des organismes officiels (Conseil national du sida et des hépatites virales, Défenseure des droits, Conseil consultatif national d’éthique, etc.) et l’ensemble des ONG de santé ? Pourquoi chercher à les imposer à coups d’arguments mensongers démentis par la quasi-totalité des travaux de recherche ? Pourquoi, comme le fait le gouvernement, épouser la vision punitive, xénophobe et dangereuse de certaines de ses oppositions : le droit au séjour pour soins en est le triste exemple ?
Les personnes étrangères sont ici dans toutes les têtes et pourtant invisibles, voire oubliées. Elles ne sont pas consultées sur un texte où nombre d’entre elles jouent leur (sur)vie, comme le rappelle de façon édifiante un récent article de Mediapart. Au pire, on parle sur elles ; au mieux, on parle pour elles. Elles sont le plus souvent cantonnées à des chiffres et chez certains-es ne sont que la variable d’ajustement d’un délire obsessionnel motivé par une forme de haine de l’autre… un poison lent.
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