L'Actu vue par Remaides : « La lutte contre le VIH en Afrique, impensé colonial ou vision décoloniale avant l’heure ? »
- Actualité
- 03.02.2025
© Fred Lebreton
Par Jean-François Laforgerie
La lutte contre le VIH en Afrique : impensé colonial ou vision décoloniale avant l’heure ?
Le 30 novembre dernier, la Maison des Métallos à Paris réunissait militants-es, chercheurs-ses et personnalités du monde politique et culturel pour célébrer les 40 ans de l’association AIDES. Entre hommages aux pionniers-ères et réflexions sur les défis actuels, la journée a réaffirmé la nécessité de lutter contre le VIH, en liant avancées médicales et justice sociale ; en France comme ailleurs dans le monde. Une table ronde était d’ailleurs consacrée aux enjeux internationaux de la lutte contre le sida. Elle avait pour intitulé : « La lutte contre le VIH en Afrique, impensé colonial ou vision décoloniale avant l’heure ? » La rédaction de Remaides y était. Troisième épisode.
D’emblée, Marc Dixneuf, directeur général de AIDES, a prévenu. « Concernant l’international, nous n’allons pas faire une table ronde sur l'épidémiologie, les enjeux, les défis, etc. Nous allons vraiment parler de cette histoire commune de la lutte contre le VIH que nos partenaires et nous avons construite. Ces 40 ans sont l'occasion de porter un regard critique au sens positif sur cette histoire-là. C’est aussi une façon de comprendre la manière dont AIDES s'est inscrite dans cette action internationale par la co-construction de différents réseaux (voir encart, ci-dessous), puis de Coalition PLUS. Parler de Coalition PLUS sera une façon de parler de l’avenir, mais nous parlerons aussi de AIDES dans cet avenir des enjeux internationaux. »
« AIDES est une organisation française dont les militants sont très majoritairement français. C'est pour cela que nous avons choisi cet intitulé : « La lutte contre le VIH en Afrique, impensé colonial ou vision décoloniale avant l’heure ? », explique celui qui assure la modération de cette table ronde. « J'ai bien mon avis. Je pense que notre histoire est très décoloniale, mais il est intéressant d’y revenir, notamment avec le regard de nos partenaires, et de situer notre réflexion dans les débats actuels », souligne-t-il.
Une place est vide…
De fait, pas de représentant-e de AIDES dans les panelistes sur scène — certains-es de ceux et celles, militants-es de l’association, qui ont contribué très directement à l’histoire de l’international dans AIDES sont dans le public —, la place, toute la place, a été laissée à des partenaires historiques de l’association : la docteure Bintou Dembele Keita, directrice d’Arcad Santé PLUS au Mali ; la professeure Hakima Himmich, fondatrice et ancienne présidente de l’ALCS au Maroc, et ancienne présidente de Coalition PLUS ; Jeanne Gapiya-Niyonzima, présidente fondatrice de l'ANSS au Burundi et Khalil Elouardighi, ancien directeur du plaidoyer de Coalition PLUS et, aujourd'hui, directeur du think tank Think Equal.
Une place est vide : celle de Martine Somda, présidente de l’association Rev PLUS au Burkina Faso. « Elle est absente parce qu'elle n'a pas eu son visa [pour venir en France, ndlr]. Je veux dire un mot de cela parce que depuis plus de 15 ans, très régulièrement, dans les événements que nous pouvons organiser, des acteurs-rices importants-es de la lutte contre le sida dans le monde n'ont pas leur visa dans les temps pour y participer », dénonce Marc Dixneuf. « C’est aussi vrai désormais dans les conférences internationales… Le résultat ? Ce sont des dizaines de militants, de chercheurs, de soignants qui n'ont pas de visa, même lorsque leur dossier est fait très en avance, avec toutes les assurances que l'hôtel sera payé, les dépenses payées, etc. Les dates des colloques, des conférences sont bien connues. Eh bien concernant Martine, nous avons eu cette réponse : « Vous allez avoir le visa le 4 décembre » ; pour un événement qui se tient le 30 novembre ! C’est un scandale permanent qui empêche, de fait, la construction ou la poursuite de la lutte contre le VIH/sida avec nos partenaires internationaux. Cela me semblait important de le souligner. Martine est évidemment extrêmement triste de ne pas pouvoir être là et nous également parce qu’elle est une figure importante de cette lutte ».
Les débuts d’Arcad Santé PLUS au Mali
Le matin, en plénière, Jeanne Gapiya-Niyonzima, présidente fondatrice de l'ANSS au Burundi, avait longuement expliqué les débuts de son association et les premières relations avec AIDES. La même question a été posée à Bintou Dembele Keita concernant l’association qu’elle dirige aujourd’hui.
« Avec AIDES, nous partageons une histoire qui a trois décennies maintenant, explique-t-elle. Je venais d'avoir 27 ans. Je finissais mes études de médecine. J'ai été recrutée par une dame, Annie Le Palec, socio-anthropologue, qui faisait une étude sur le sida. J'allais dans un quartier très éloigné de Bamako. Je menais, avec elle, des enquêtes auprès des femmes. En parallèle, elle travaillait aussi dans un centre de santé communautaire dans lequel travaillait également le Dr Aliou Sylla (fondateur et Président d'honneur d’ARCAD Santé PLUS). Nous étions une équipe. Nous échangions chaque semaine pour faire le compte rendu des études en cours, pour parler des résultats, des nouveaux projets d’études à mener. L'idée de créer une association est née de nos travaux, de nos échanges, de ces rencontres que nous faisions. Arcad Sida [ARCAD Santé PLUS est le nouveau nom de l’association, ndlr] a été créée en 1994 par les jeunes médecins et chercheurs que nous étions. Arcad signifie association de recherche de communication et d'accompagnement à domicile des personnes vivant avec le VIH. Un nom qui a tout son sens. Entre 1994 et 1996, nous étions des jeunes médecins, considérés, , comme des « rats d'hôpitaux ». On allait à la rencontre des patients hospitalisés qui étaient diagnostiqués avec le VIH. Nous faisions beaucoup d'interventions auprès des hôpitaux où on recrutait les patients et on assurait le continuum des soins. C'est à cette période que nous avons créé un projet qui a été financé par la coopération française. Ces premiers financements nous ont permis d'ouvrir le Centre de soins, d’animation et de conseils pour les personnes atteintes du VIH/sida : le Cesac de Bamako. C’est un centre de traitement ambulatoire qui a été ouvert en 1996. » Un article explique la singularité du Cesac et sa pertinence dans la réponse au VIH au Mali.
« C'était un défi immense parce que le premier traitement efficace venait d'arriver justement au Nord, l’AZT [en association avec d’autres molécules en trithérapie, ndlr] en 1996. Et nous, on avait la prétention de soigner les malades du sida dans un pays du Sud. Nous étions jeunes, très engagés et vraiment persuadés que c’était la solution. Il fallait soigner les gens, mais nous étions à mains nues. Nous n’avions pas grand-chose ; juste un petit financement… Il fallait faire tout le reste. C’est le Dr Aliou Sylla qui prenait son bâton de pèlerin pour aller de ville en ville, trouver des moyens, des solutions. C’est ainsi qu'il est venu à Paris. Il y a rencontré Arnaud Marty-Lavauzelle [président de AIDES de 1991 à 1998, ndlr]. Ce contact a été un déclic. Par la suite, Franck Joucla [responsable d’actions internationales à AIDES en 1996, ndlr] est venu à Bamako, voir comment il était possible de travailler ensemble, de renforcer Arcad. Ce premier contact a été une formidable opportunité pour nous. Il nous a permis non seulement de renforcer la structure, mais aussi d’avoir des médicaments. AIDES se chargeait de nous les envoyer à cette époque-là. »
Et Bintou Dembele Keita d’expliquer : « Cela s’est mis en place à la façon d’un puzzle : les pièces associées entre elles. Cela a permis non seulement à l'association d'avoir une vie politique, de faire beaucoup d'interventions, de multiplier les mobilisations pour l'accès au traitement. Il fallait que les médicaments arrivent au Sud. Et je pense que c'est quelque chose qui a soutenu la création du réseau Afrique 2000, qui était un réseau composé d'associations [de lutte contre le sida, ndlr] d'Afrique de l'Ouest. Ce réseau était un moyen pour nous de nous soutenir mutuellement, de partager nos espoirs, mais aussi de nous donner mutuellement du courage : celui de lutter pour que les médicaments arrivent. Le Cesac a inspiré pas mal d'associations. Les choses se sont un peu faites comme ça. Il y a eu une grande force, une mobilisation des associations de lutte contre le sida de l'Afrique de l'Ouest à travers le réseau Afrique 2000. Et l'objectif était le même que celui de AIDES : apporter le traitement, faciliter l'accès aux soins. Et c’est ce qui nous a liés à AIDES, toutes ces années. »
Des liens plus anciens avec l’ALCS au Maroc
Les liens de AIDES avec le Maroc et plus spécifiquement l’ALCS sont antérieurs à ceux d’Arcad. Le diagnostic de sida est fait pour la première fois au Maroc en 1986 par la Pre Hakima Himmich. La médecin entreprend des démarches auprès du ministre de la Santé pour la création dans le pays d’un Programme national de lutte contre le sida (PNLS). Création de l'ALCS en 1988 à un moment où il y avait moins de vingt cas de sida déclarés au Maroc.
« L’ALCS est créée quatre ans après AIDES. Nous avons été, pendant quand même longtemps, la première association de lutte contre le sida en Afrique de l'Ouest et dans le Maghreb. Nous sommes très longtemps restés les seuls ; et dans un pays qui, à l’époque, n’était pas du tout favorable à la lutte contre le sida. Lorsque nous avons indiqué notre volonté de créer une association de lutte contre le sida, le ministère de l'Intérieur nous a expliqué qu’il n’en était pas question. Nous nous sommes battus et avons réussi à le faire, alors que l'opinion publique ne manifestait aucun intérêt pour la lutte contre le sida. Je me rappelle que le premier article consacré au sida qu'il y a eu dans un grand journal, celui du plus grand parti marocain de l'époque, était titré : « On brûle les prostituées atteintes de sida à la foire de Casablanca ». Cela nous a fait un tort énorme, pendant au moins une dizaine d'années, voire plus, particulièrement chez les Marocains qui vivaient en France et dont certains se retrouvaient au Maroc, expulsés. C’est dans ce contexte que j’ai pensé à la création d'une association de lutte contre le sida. D’abord parce que je suis médecin infectiologue, nul n'est parfait ! Lorsqu’on a commencé à parler du sida dans le monde, j’ai cherché le premier cas dans mon pays ; je l'ai dépisté en 1986. Ce n'était pas la première personne atteinte d'infection à VIH, mais n'empêche que c'était le premier cas diagnostiqué. C'était dans une clinique mutualiste. C'était un monsieur qui était assureur. Il était venu se faire opérer en France où il avait été transfusé. Comme il était connu, nous avions fait le maximum pour assurer le secret médical ; ce qui n’a pas empêché un journal de titrer sur la « mort d’un homme de suites du sida dans une clinique mutualiste ». D'emblée, dès le diagnostic du premier cas, nous étions confrontés à la discrimination, au non-respect de la confidentialité (...) Finalement, nous réussissons à créer notre association. On commence par faire de la prévention dans les lycées, dans les écoles, de façon très classique. Arrive Latifa Imane [militante de la lutte contre le sida et consultante indépendante sur les questions de santé communautaire, ndlr]. Elle était journaliste alors et venait de réaliser une enquête sur l'homosexualité à Marrakech. Elle a fait cette enquête qui a été publiée et la revue qui l’avait fait a été interdite. Lorsqu’elle s'est retrouvée au chômage, elle avait le choix entre un poste sur une chaîne de télévision et venir à l’ALCS pour militer pour la lutte contre le sida. C'est comme cela que nous nous sommes retrouvées toutes les deux à nous battre pour cette association. Latifa a ensuite réalisé le premier travail de terrain auprès des travailleuses du sexe, très populaires, à Casablanca. »
« Voilà pour la création de l’ALCS, mais comment s’est faite la rencontre avec AIDES ? », interroge Marc Dixneuf.
« Le premier contact qui m’a énormément marqué, c'est à la conférence internationale sur le sida de Montréal en 1989. J’écoute religieusement Daniel Defert, [le président fondateur de AIDES, ndlr] parler du malade comme réformateur social », se rappelle Hakima Himmich. « J'étais émerveillée. J'ai été interviewée par une chaîne marocaine. L'interview a été censurée, c’est dire l'ambiance de cette époque. Mais l’élément fondamental reste la rencontre avec Arnaud [Marty-Lavauzelle, ndlr]. Toujours en 1989, Arnaud est invité par un virologue pour parler du sida. Il ne parle pas du tout de virologie aux participants. Il parle de AIDES, des droits des malades. Latifa et moi assistions à son intervention. Nous sommes subjuguées. Il termine son intervention, sort de la salle. On lui courre après. On veut lui parler. Il nous dit : « Oui, mais je prends un taxi tout de suite pour aller à la gare pour rentrer sur Paris ». Nous avons pris le taxi avec lui, sommes restées avec lui en attendant son train. Je me rappelle qu’on lui a dit : « Ce que vous avez dit, c'est vraiment exactement ce qu'on veut faire de notre association. Alors, il faut qu'on travaille ensemble ». À ce moment-là, il était président de la fédération Île-de-France. Les choses s’enchaînent. À sa demande, Latifa fait la formation des volontaires. Elle revient au Maroc. On rédige notre première charte éthique. On commence une formation de formateurs animée par Arnaud. C'est comme ça que cela a commencé. Notre partenariat a beaucoup porté sur les formations (formations spécialisées, formations d’élus-es), avec AIDES Formation d'abord et puis ensuite avec le département des actions internationales de AIDES. L’ALCS est la seule association marocaine de lutte contre le sida, à avoir un programme de formation aussi structuré, et cela grâce à AIDES. Cela nous a permis de grandir sans perdre notre âme, c’est-à-dire de grandir en conservant notre caractère communautaire. Nous devons aussi à Arnaud de nous avoir armés en matière d’accompagnement psychosocial. Il nous a initiés à son importance. »
Dans son intervention, la fondatrice de l’ALCS est revenue sur le rôle des autorités françaises dans l’aide à l’accès aux trithérapies. « Il ne faut pas oublier quand même que c'est avec le président Jacques Chirac, et avec Bernard Kouchner [secrétaire d’État à la Santé et à l’Action sociale, puis ministre de la Santé du gouvernement Jospin, ndlr] qu’il y a eu le Fonds de solidarité thérapeutique international (FSTI), soit le premier programme d'accès aux antirétroviraux, aux trithérapies, dans les pays du Sud », rappelle Hakima. Le 21 novembre 1988, Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action sociale, fait une déclaration importante sur « l'extension de l'épidémie de sida en Afrique, le droit au séjour des immigrés africains en traitement en France, et l'initiative française de création du Fonds de solidarité thérapeutique international (FSTI) » à l’occasion du colloque sur Les Africains subsahariens face au sida, organisé par AIDES. Ce colloque réunit notamment des « associations d'Africains résidant en France. »
« Le principal objectif du FSTI est de permettre, outre la prévention, l'accès aux traitements, y compris aux antirétroviraux, des personnes vivant avec le VIH dans vos pays d'origine, explique Bernard Kouchner. La priorité sera donnée, dans un premier temps, à la transmission mère-enfant et à la prise en charge ultérieure de la mère et du nouveau-né. Il faut, en effet, assurer le renouvellement des générations et donner un avenir au continent africain. D'autres populations seront progressivement concernées. Alors que se met en place la mondialisation de l'économie accompagnée d'une libre circulation des hommes et des idées, notre action s'inscrit dans le refus de la logique d'une épidémie à deux vitesses. Ce fonds de solidarité marque notre volonté de ne pas abandonner les pays en voie de développement à la souffrance et à la mort tandis que les pays du Nord vivent dans une certaine opulence et peuvent bénéficier des soins les plus modernes. C'est un devoir moral. Je veux que cela devienne aussi un combat, à la fois éthique et médical, qui unisse nos deux continents, l'Europe et l'Afrique. Rien ne pourra se faire sans la collaboration de vos associations. » Le FSTI est une avancée importante, qui servira de rampe de lancement pour la création en 2002 du Fonds mondial des Nations unies de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
« Je me suis battue pour que mon pays fasse partie des bénéficiaires du FSTI [Fonds de solidarité thérapeutique international, ndlr], mais c’était compliqué », explique Hakima Himmich. « Le Pr Michel Kazatchkine considérait qu’il n’y avait pas assez de cas au Maroc ; puis, finalement, il a accordé un financement, mais à la condition que l’accès aux ARV soit proposé dans les conditions d'un essai clinique. Michel Kazatchkine est venu avec Arnaud à Casablanca. C’est avec Arnaud que nous avons mis en place un premier essai thérapeutique en quelque sorte, qui a été un grand succès et qui nous a permis de traiter nos 100 premiers patients toujours avec l'aide de AIDES. » Au fil des ans, le partenariat prend différentes formes. Par exemple, deux antennes de AIDES (AIDES Alsace et AIDES Île-de-France) récupèrent les boîtes de médicaments entamées des personnes qui sont décédées et les envoient au Maroc. Cela durera jusqu’en 2000 et la publication d’une circulaire de l'Union européenne qui interdit l'utilisation de boîtes de médicaments entamées. « Cela peut paraître secondaire, mais en dehors d’un traitement générique qui ne coûtait pas cher, nous n’avions rien pour faire face aux maladies opportunistes. Grâce à ces boîtes entamées envoyées par AIDES, on a traité beaucoup d’infections opportunistes. On a probablement permis à plusieurs personnes d'attendre l'arrivée des trithérapies. C'était vraiment extrêmement important. »
Afrique 2000… vous avez du réseau ?
Avec ses partenaires, AIDES a cofondé plusieurs réseaux de réponse au VIH à l’international : Africagay contre le sida (AGCS), le réseau Afrique 2000. Comment les choses se sont–elles construites ? « Cette histoire de réseau a démarré en 1997 », rappelle Jeanne Gapiya-Niyonzima, présidente fondatrice de l'ANSS au Burundi. « Il y avait des traitements qui commençaient à circuler dans les pays du Nord. Un atelier, animé par Aliou Sylla, avait été organisé avec beaucoup d'organisations des pays de l'Afrique de l'Ouest, et l'ANSS, qui n'est pas une ONG d'Afrique de l'Ouest. Cet atelier nous a fait prendre conscience de nos responsabilités en matière d’accès aux traitements dans nos pays. On y a fait des mises en situation avec des journalistes pour travailler nos arguments de plaidoyer. Il y a même un ministre français qui est venu. Plus tard, chaque organisation devait mettre en pratique cela dans son propre pays. Moi, je sais qu'au Burundi, les médias nous ont beaucoup aidés. Je me suis dit : « Je l'ai fait devant un ministre français. Je vais le faire aussi avec un ministre burundais. »
Et cela a marché. Le réseau Afrique 2000 avait comme objectif de renforcer la collaboration Sud-Sud, mais aussi de nous permettre dans chaque pays de nous renforcer. Nous avons importé l'expérience des ateliers d’Arcad. L'ANSS avait commencé avec des conseillers, des personnes vivant avec le VIH. C'était quelque chose qui parlait. Lorsqu'on faisait du counseling, et qu'on rendait les résultats de positivité en disant, je sais ce que vous êtes en train de vivre parce que j’ai moi-même connu cela, c’était très différent de l’approche du médecin, même s'il est compatissant. C’est cette expérience que nous avons apprise d’Arcad ».
« À l’époque, nous avons commencé avec des ateliers culinaires », rappelle Bintou Dembele Keita. « Ils répondaient à une urgence nutritionnelle parce que malheureusement nous avions des croyances socioculturelles, des perceptions socioculturelles qui mettaient beaucoup d'interdits en lien avec les symptômes de la maladie. Je prends un exemple. Quand on a la diarrhée, une croyance dit, chez nous, qu’on ne doit pas manger de viande ni d’œufs ; un interdit qui empêche le patient de manger des aliments qui, au contraire, vont le soulager. Dans ce contexte, nous avions pensé à une solution locale : organiser des ateliers culinaires une fois par semaine, avec comme objectif de lutter contre ces interdits alimentaires. Dans ces ateliers, il ne fallait pas juste préparer un repas, il fallait ajouter aussi de l'éducation nutritionnelle, dans un langage facile, en langue locale. Ces ateliers culinaires ont été financés à l'époque par Sidaction. Un responsable de l’époque de Sidaction, Éric Fleutelot, était d’ailleurs venu au Mali. Nous étions allés au marché ensemble, notamment pour que Sidaction voit comment nous faisions les achats, comment nous justifiions les dépenses… parce qu’il s’agissait d’une aide financière de Sidaction. Cette période m’a laissé de très bons souvenirs. On faisait des recettes, de l’éducation nutritionnelle. Nous avions une responsabilité locale ; nous avions des connaissances locales et tout ce que nous apportions aux patients était réfléchi localement. Et cette offre était accompagnée par la présence de nos partenaires de France. C’était une initiative locale qui était accompagnée, renforcée et cela nous donnait de la confiance. Ce n'est pas quelque chose qui a été apporté du Nord vers le Sud. Au contraire, nos partenaires sont allés voir notre contexte local, comprendre ce que nous faisions et cela nous a encouragés, nous a donné de l'assurance, nous a donnés de l'expertise. Le fondement du partenariat que nous avions avec des organisations françaises s’appuyait sur la confiance et le respect de ce que nous sommes. »
Réseaux et gouvernance
« Je voudrais revenir sur le contexte de la création de AIDES et des réseaux », avance Hakima Himmich. « Les réseaux ont été pensés dans le cadre du département des actions internationales, créé sous la présidence d’Arnaud Marty-Lavauzelle. Arnaud était un French doctor. Il était avec Bernard Kouchner au Biafra [État sécessionniste d’Afrique de l’Ouest entre 1967 et 1970, sur le territoire du Nigéria, qui connaît la guerre avec plus d’un million de victimes et une crise humanitaire et sanitaire de très grande ampleur qui mobilisera des médecins qui vont créer Médecins sans frontières]. Pour lui, c'était très important le caractère mondialiste, les droits humains. J’ai retrouvé une déclaration d'Arnaud aux assises pour les 10 ans de AIDES, en 1994. Simone Veil était présente. Elle était, à l'époque, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville [gouvernement Balladur, ndlr]. Arnaud s’adresse à elle en lui disant : « Une responsabilité nouvelle nous incombe. Comment partager notre savoir-faire, comme nos errements, avec des personnes vivant dans des pays où l'épidémie s'amplifie de manière inquiétante ? Allons-nous longtemps accepter que 80 % des fonds consacrés à la lutte contre le sida dans le monde ne soient destinés qu'à 15 % de la population la plus riche ? » C'est dans la foulée de ces assises qu'il y a eu la préparation du sommet de Paris, organisé par le gouvernement français. Il a constitué un tournant majeur dans la réponse au sida. D'abord, Arnaud a imposé aux organisateurs la présence de représentants-es communautaires. Puis, il y a eu la Déclaration de Paris au cours de laquelle a été adopté le principe GIPA, c'est-à-dire le principe de la participation des communautaires (voir encart ci-dessous). Et puis plus d’une quarantaine de chefs d'État se sont engagés à protéger et promouvoir les droits des PVVH et de ceux qui sont le plus exposés à l'infection. C’est dans ce contexte qu’ont été créés ces réseaux. »
« Venons-en aux choses plus structurelles », propose Marc Dixneuf. « Quel était le type de relations dans ces réseaux ? Qu’est-ce qui était mis en place en matière de gouvernance, de finance, de consolidation ? ». Puis s’adressant à Jeanne Gapiya-Niyonzima, présidente fondatrice de l'ANSS, Marc Dixneuf demande : « J'aimerais bien après que tu nous dises un mot de la création de AGCS (Africagay contre le sida, un des réseaux co-créés avec AIDES) dont tu as longtemps été la porte-parole. »
« Il y a une chose importante que je n’ai pas dite », explique Jeanne Gapiya-Niyonzima. « À l'ANSS, nous n’étions pas des médecins. J'ai eu un médecin belge qui m'a demandé si j'avais les moyens de faire un bilan des CD4. Je suis allée à Nairobi (Kenya). J'ai fait les CD4, mais pour minimiser les coûts, j'ai pris les résultats. Je suis rentrée au Burundi, et je me suis dit, c'est tellement compliqué, il faut que j'aille voir un professeur agrégé pour interpréter ça. Je vais le voir. Il était très humble, très honnête. Il me dit : "Je ne pourrai pas le faire ". J'ai été obligée de prendre encore un autre vol pour retourner à Nairobi pour faire interpréter mon résultat. Avec AIDES, avec la revue Remaides, avec Jérôme Soletti [qui était alors un des responsables du journal, ndlr], j'ai commencé à m'informer sur le thérapeutique, à tout lire. Au Burundi, les personnes qui vivaient avec le VIH, quand les médecins leur prescrivaient quelque chose, elles disaient : "Je vais d'abord aller voir Jeanne". J'étais devenue le "médecin", sans être médecin. Je n’ai évidemment jamais prescrit, mais je prenais les bouquins de AIDES, je lisais tout, et j’appelais Jérôme, chaque fois qu’il y avait un problème. Et lui m’envoyait les informations que j'envoyais à mon tour chez les médecins. Certains étaient humbles face au savoir. Ils acceptaient nos informations, changeaient parfois les dosages qu'on donnait aux patients. Parce qu'à ce moment, il était question de trouver de quoi nous soigner nous-mêmes. »
Des relations de partenariat dans le respect
« Que ce soit avec AIDES ou Sidaction, nous avons toujours eu des relations de partenariat dans le respect. Il n'y avait pas une association qui était au-dessus. On discutait d'égal à égal. AIDES n'a jamais imposé un mode de fonctionnement à l’ANSS », explique Jeanne. « Les évolutions se sont les militants-es de l’ANSS qui, eux-elles-mêmes, y contribuent. En 2008, Georges Kanuma [président de l’Association pour le respect et les droits des homosexuels au Burundi (ARDHO) et également coordinateur à l’ANSS, ndlr] part à la conférence internationale sur le sida de Mexico. Il revient et me dit : « Ça y est, maintenant, on a un cadre. » En fait, les hommes qui ont des relations sexuelles avec les autres hommes dans les pays francophones, ils n'avaient pas un cadre. C'est AIDES qui les a aidés à avoir ce cadre. Et ce cadre permet de faciliter la prévention, mais pas imposer », se rappelle Jeanne.
« Georges est dans mon bureau. Dans ma culture, quand on est jeune on respecte les plus anciens. Lui me dit que je suis à côté de la plaque et éclate de rire. Il me fait comprendre qu’il y a toute une catégorie de gens qui sont hautement vulnérables et que nous avons oubliés ; des gens qui ne savent pas se protéger. Je dis : « Mais, on a des préservatifs ». Alors, il éclate encore de rire et m’explique que le préservatif ne fonctionne bien qu’avec du gel. Ce que je ne savais pas en 2008. C’est comme cela que nous avons commencé encore une fois avec l’accompagnement de AIDES et de Sidaction à prendre en compte de nouvelles personnes, à avoir les médicaments d'une façon officieuse et des préservatifs avec du gel. C'était le début d'une prise en charge des soins et de la prévention auprès des homosexuels. Georges m’explique que je dois m'impliquer et l’association avec moi auprès des publics exposés, qu’il nous faut un cadre d’action. Qu’il faut que les HSH disent tout haut ce qu’ils vivent. C’est comme cela que nous avons pensé Africagay qui est devenu Africagay contre le sida, dont Yves Yomb et moi-même avons été les premiers porte-paroles. Ce qui m'a valu qu'on me mette sur des sites Internet pour dire : « Elle doit être lesbienne », comme si on ne pouvait pas « diriger en peloton, si on n'est pas soi-même militaire ! »
La création du Fonds mondial
« J’aimerai qu’on parle maintenant de la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et du rôle qu’Arnaud [alors président de AIDES] et Hélène Rossert [directrice générale de AIDES de l’époque] ont joué dans cette création », indique Marc Dixneuf, qui donne la parole à Khalil Élouardighi, ancien directeur du plaidoyer de Coalition PLUS et, aujourd'hui, directeur du think tank Think Equal.
« Le Fonds mondial est une institution qui s'occupe de financer les pays en développement pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui a été créée au début des années 2000 par une décision de l’ONU en 2001 et un lancement effectif en 2002 », rappelle Khalil Élouardighi. « Le Fonds mondial est un peu dans la filiation avec le Fonds de solidarité thérapeutique internationale (FSTI), lancé par Bernard Kouchner et Jacques Chirac en 1997. Je le rappelle, le FSTI était peu doté : il y avait à peu près entre 1 000 ou 2 000 places de traitement ARV pour le monde entier avec ce fonds. À l’époque, on se battait sur le principe même qu'il puisse y avoir des traitements dans les pays en développement. On nous disait que c’était les médicaments les plus high-tech du monde, donc que c’était impossible dans les pays en développement, d’autant qu’on avait déjà du mal à les utiliser dans les pays les plus high-tech. On nous disait, de toute manière ils n’ont pas l'eau potable donc ils ne pourront pas prendre des médicaments. C’était notamment des arguments avancés par l'agence de coopération américaine. Pourtant, c’était déjà dans ces pays du Sud qu’il y a avait le plus de malades.
Cette initiative française de Fonds de solidarité thérapeutique internationale a eu pour mérite de briser le tabou et de rendre possible et pensable quelque chose qui, dans le principe, était complètement rejeté. À peu près cinq ans plus tard, la communauté internationale a fini par admettre l'évidence que ça ne va pas être possible d'avoir les traitements uniquement disponibles au Nord et alors se crée le Fonds mondial. Et là, Arnaud [Marty-Lavauzelle, alors président de AIDES] fait tout de suite partie de la petite équipe qui cherche à préfigurer la construction des structures de gouvernance de cette institution à venir.
En 2001, j'étais à l'assemblée générale (AG) des Nations Unies qui va créer le Fonds mondial. Une AG avait été déclenchée spécialement pour cela... C'était la première fois qu'il y avait une AG de l'ONU sur un sujet social. Normalement, les pays ne parlent que de guerre ou de choses comme ça. Cette AG dit : « On va créer un fonds mondial ». Et là, des diplomates, principalement des pays riches, ceux qui allaient payer pour la création de ce fonds, commencent à se réunir. Il y a eu trois réunions entre l'été 2001 et le lancement du Fonds mondial en avril 2002. Et Arnaud fait partie d'une équipe d'une dizaine de personnes qui travaillent à Bruxelles pour appuyer les négociations de ces différents diplomates et préparer concrètement la mise en place du fonds : les statuts, l'administration qui allait recevoir de l'argent et débourser l'argent, qui allait l'envoyer dans les pays en développement, la création d’un compte à la Banque mondiale, etc. »
Un des enjeux était que le Fonds puisse payer les traitements ARV. Des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne y étaient opposés. « On s'est beaucoup battu durant cette période pour que le Fonds puisse payer les traitements ; que ce soit un de ses principes », rappelle Khalil Élouardighi. « Et aussi pour avoir notre place, nous, dans la gouvernance. La gouvernance du Fonds mondial, elle est unique. Je peux vous dire qu'il y a deux ans après la Covid, un autre fonds a été créé spécifiquement pour la préparation aux futures pandémies ; de façon, à ce que nous ne répétions pas le même sketch au niveau mondial avec la Covid. La gouvernance de ce Fonds est sur le même modèle que celle du Fonds mondial. En 20 ans, ça n'a malheureusement pas progressé.
On a essayé de pousser un peu plus loin, mais on n'a pas eu gain de cause en 2022. On a juste obtenu une gouvernance de ce fonds mondial avec, à part égale, les pays riches et les pays en développement, ce qui s'était jamais fait avant. En termes de droits de vote, les pays qui ne peuvent pas mettre d'argent et qui en reçoivent ont autant de droits de vote que les pays qui mettent tout l'argent. Et puis, il y a aussi la société civile. Nous avons notre place. Chacun, au conseil d’administration du Fonds, a un droit de vote. Ça ne s'est pas fait tout seul. Il a fallu beaucoup se battre. Les choses ont commencé à se mettre en place. On a commencé à s’organiser en tant qu'activistes sur la façon dont allait se faire notre représentation, notamment au cœur de l’institution là où se prenaient les décisions sur le montant des allocations, pour quels pays, pourquoi faire. La première personne qui avait siégé était arrivée au terme de son mandat de deux ans était arrivée au bout de son mandat. Hélène Rossert, directrice générale de AIDES [1997 à 2007] à l'époque, s'est lancée, dans un contexte complexe. Elle a remporté la bataille. Et elle s'est retrouvée au bout de quelques mois au poste de vice-présidente du conseil d’administration du Fonds mondial. Et ça ne s'est pas passé souvent dans l'histoire de cette institution que la vice-présidence revienne à la société civile. Elle a partagé la vice-présidence avec le ministre de la Santé américain, qui était un républicain, nommé par Georges Bush. Ensemble, ils ont réussi à se mettre d'accord sur pas mal de choses. C'est là qu'on a gagné, par exemple, le fait que le siège, le « strapontin », qu'on avait réussi à créer en dernière minute, en 2002, pour les personnes vivant avec le VIH, ait, lui aussi, un droit de vote. C’est aussi durant ce mandat qu’a été décidée la création des instances de coordination nationale dans les pays ; soit la réplique dans chaque pays d’une instance décisionnelle d’attribution des fonds où toute personne à la table a un droit de vote. »
La création de Coalition PLUS
« Après ce crochet sur la création du Fonds mondial, j’aimerai que l’on parle de la création de Coalition PLUS (C+) », indique Marc Dixneuf. Créée en 2008, Coalition PLUS est une coalition internationale d'associations communautaires de lutte contre le sida. Elle compte notamment parmi ses membres fondateurs (voir encart sur Coalition PLUS, ci-dessous), l’ALCS et Arcad. L’ANSS rejoindra C+ par la suite. « Lorsque nous avons parlé du Fonds mondial, nous avons mentionné l’enjeu qu’était la gouvernance. Il y a eu notamment une réflexion sur la gouvernance dans les réseaux d'accompagnement, mais avec Coalition PLUS, c'est un changement de la gouvernance qui a été fait, j'aimerais bien que vous en disiez un mot. Bintou, tu as eu cette formule à propos de AIDES : « Coalition PLUS a changé AIDES ». J’aimerai aussi que l’on évoque ce qui a mis le feu pour lancer Coalition PLUS. Je dis le feu dans le sens d'un feu novateur, rénovateur, un peu comme quand on fait un brûlis dans un champ pour que des choses nouvelles y poussent. »
« Coalition PLUS, c'est AIDES à l'international », explique Bintou Dembele Keita. « Nous avons été contactés par Vincent [Pelletier, alors directeur général de AIDES, ndlr] pour parler de la création de Coalition PLUS. Le projet était celui d’une coalition internationale. Il y avait AIDES sur le plan national et comme projet Coalition PLUS sur le volet international. C’est cela qui a changé AIDES. Il s’agissait aussi de créer un nouveau modèle. Car Coalition PLUS s'adressait à des structures communautaires et éminemment politiques qui avaient une très forte voix dans leur pays, des structures qui avaient une gouvernance bien notée, des comptes audités et certifiés. Ce dernier point est important car lorsque le Fonds Mondial est arrivé chez nous, cela a été un avantage important qui nous a permis d’être sélectionnés comme structure sous-récipiendaire du Fonds mondial [voir encart sur le Fonds mondial ci-dessous]. Quand Coalition PLUS a été créée, cela a été un extraordinaire moment de fédération : celui de différentes structures, de différents visages. Par exemple, moi, je ne connaissais pas la COCQ-SIDA [Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le VIH/sida, ndlr], je découvre une autre façon de faire, tout en partageant des valeurs communes. C'était quelque chose d’extraordinaire pour moi. Avec Coalition PLUS, j’ai approfondi les liens avec l’ALCS avec laquelle je n’avais que peu de contacts, alors même que nous étions ensemble dans le réseau Afrique 2000. Ce qui me plaisait aussi, c’était le souhait de C+ de s'agrandir à l'international en incluant plein de gens, plein d'associations, aussi bien dans les pays du Sud que dans les pays du Nord ; c'était tout simplement extraordinaire. On constituait une force incroyable. Tous ensemble, nous avions décidé de nous attaquer à un problème, le sida, sur tous les flancs : localement dans nos pays respectifs et à l'international. De Paris au Canada, du Burundi au Maroc, le même problème était traité par tout le monde et cela avec une vision commune de ce qu’il faut faire et dans le strict respect de l’égalité entre nous. C'est une autre façon de faire, notamment pour AIDES. Je pense que les militants-es de AIDES peuvent être très fiers-ères d'avoir conçu quelque chose qui leur a totalement échappé ».
Des souvenirs de la création de Coalition PLUS, Hakima Himmich (ALCS) en a, elle aussi.
« En 2004, je me trouve à Paris. Vincent Pelletier me téléphone. Il me dit : « Je peux venir prendre un petit déjeuner avec toi à ton hôtel ? ». Je réponds : « Bien sûr ». Il me rejoint et me dit : « Hakima, j'ai une proposition à te faire. Serais-tu d’accord que AIDES aide l’ALCS à mettre en place une gouvernance transparente, professionnelle ? ». Je dis : « Oui, bien sûr ! ». Ce à quoi, il me répond : « Je vais connaître vos finances, votre mode de fonctionnement, mieux que toi. » Je dis : « Alors, vraiment, pas de problème. » C’est à partir de là que des responsables de AIDES commencent à venir trois à quatre fois par an, pour des missions d’une semaine, pour mettre à niveau notre gestion financière, renforcer notre fonctionnement, notre gouvernance. Il n’est pas encore question formellement de Coalition PLUS, mais n'empêche que les deux associations africaines cofondatrices de C+ [Arcad et l’ALCS] sont les deux qui ont bénéficié de cet accompagnement de mise à niveau de la gouvernance et de la gestion. Par la suite, Coalition PLUS nous a donnés chaque année 100 000 euros sans avoir à contrôler leur usage, en toute confiance, parce qu'on avait une comptabilité parfaitement transparente… mise en place avec l’appui de AIDES.
Lorsque Bruno [Spire, président de AIDES de juin 2007 à juin 2015, ndlr] est arrivé à la tête de l’association, il a souhaité renforcer le caractère communautaire de tous les partenaires de AIDES. Et Vincent Pelletier, le DG de AIDES a eu cette idée de génie de coalition. L’idée at été soumise lors d’un conseil d'administration de AIDES qui l'a acceptée. Je dois dire que j’ai été impressionnée de la facilité avec laquelle AIDES a accepté de se départir de son action internationale et de financer cette nouvelle structure qui allait amplifier tout ce que AIDES voulait mettre dans le partenariat avec les associations du Sud ; et de le faire d'une façon extrêmement professionnelle. Pour moi, Coalition PLUS est l'exemple même de la décolonisation des relations Nord-Sud. »
« Je voudrais qu'on prenne quelques minutes sur cette question de la décolonisation à AIDES et revenir sur le Fonds mondial », propose Marc Dixneuf. « Parce que si le Fonds mondial reste une organisation encore très novatrice, sa pratique reste complexe. Vos trois associations sont pour certaines, récipiendaires principales ou sous- récipiendaires du Fonds mondial. Vous connaissez bien les avantages et les inconvénients de cette instance. Pour les années qui viennent, quels sont les enjeux pour Coalition Plus, pour notre action collective au niveau de l'international ? Que doit-on porter comme sujet ? »
« Je dirais la « décolonisation » de l'aide pour les subventions liées à la lutte contre le VIH-sida. J’ai le sentiment que nous sommes un peu maltraités. Notre association est récipiendaire principale de financements du Fonds mondial. Des financements que nous gérons. Dans mon pays, les organisations internationales qui gèrent des subventions du Fonds mondial prennent des frais de gestion pour faire ce travail. Nous faisons aussi ce même travail, mais comme nous sommes une ONG locale, nous n’y avons pas droit dans les mêmes conditions, alors même que notre ONG locale est autant performante qu'une organisation internationale. Qui a pris cette décision-là ; celle de nous pénaliser et de favoriser les ONG internationales ? Je rappelle que nous demandons depuis quatre ans qu’il soit mis fin à cette inégalité de traitement. Nous sommes finalement arrivés à avoir 3 % de frais de gestion, alors que le montant est de 5 % pour les ONG internationales pour une même prestation. Et je ne sais toujours pas pourquoi nous ne pouvons pas avoir la même chose que les autres », explique Bintou. « On a beau dire qu'on est indépendant, mais quand on n'est pas autonome financièrement, on est toujours « colonisé ». C'est le cas pour les financements du Fonds mondial. Notre appartenance à Coalition PLUS fait que nous pesons désormais dans les décisions. Avec du recul, C+ nous apporte un cadre exceptionnel pour notre combat. Il nous permet aussi de bénéficier de la solidarité entre nous lorsque l’un-e d’entre nous est confronté-e à des problèmes. »
ENCART N°1 : AIDES à l’international, quelques repères
- 1987 : Premiers échanges entre Daniel Defert et Hakima Himmich pour la création de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), association marocaine officiellement créée en 1988.
- 1997 : Lancement du Réseau Afrique 2000 lors du premier regroupement d’associations africaines, avec la participation de AIDES.
- 1997 : Lancement du programme Afrique de AIDES. En juin, première formation à l’utilisation aux antirétroviraux à Abidjan (en présence d’Aliou Sylla). Formation pilotée par Hélène Rossert (directrice générale de AIDES Fédération nationale).
- 1999 : Mise en place de jumelages entre des Comités de AIDES et des associations africaines.
- 1999 : Regroupement du réseau Afrique à Conakry.
- 2007 : Premier rassemblement d’Africagay à la demande de certaines associations du réseau Afrique 2000 et de militants-es à Ouagadougou (Burkina Faso).
- 2008 : Création de Coalition PLUS.
- 2018 : AIDES soutient l’association « ARCAD Santé Plus » au Mali pour le financement de son centre de santé sexuelle.
ENCART N°2 : Le principe GIPA (participation accrue des personnes vivant avec le VIH)
« GIPA n’est ni un projet, ni un programme. C’est un principe qui vise à garantir aux personnes vivant avec le VIH l’exercice de leurs droits et de leurs responsabilités y compris leur droit à l’autodétermination et à la participation aux processus de prise de décisions qui affectent leur propre vie. Ce faisant, GIPA vise également une meilleure qualité et une plus grande efficacité de la riposte au sida », résume un document de l’Onusida.
L’idée que des expériences personnelles pouvaient modeler la riposte à l’épidémie a été avancée pour la première fois à la conférence de Denver en 1983 par des personnes vivant avec le VIH. Le principe GIPA a été formalisé lors du Sommet de Paris sur le sida en 1994 lorsque 42 pays se sont engagés à « soutenir une plus grande participation des personnes vivant avec le VIH/sida à tous les niveaux [et] à stimuler la création d’un environnement politique, juridique et social favorable à la lutte contre le sida ». En 2001, 189 États Membres des Nations Unies ont intégré le Principe GIPA dans la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida. La Déclaration politique sur le VIH/sida de 2006, adoptée à l’unanimité par 192 États Membres lors de la réunion de haut niveau sur le sida, encourage également une plus grande participation des personnes vivant avec le VIH.
ENCART N°3 : Coalition PLUS en quelques infos
Fondée en 2008, Coalition PLUS tend à lever les barrières d’accès aux services de santé pour mettre fin au VIH/Sida et aux hépatites virales. C’est à travers trois grandes missions qu’elle poursuit cet engagement : le plaidoyer politique, les services directs aux populations les plus touchées par l’épidémie et la recherche communautaire. Coalition PLUS est un réseau de plus de 100 organisations communautaires. En 2024, Coalition PLUS regroupe quinze organisations adhérentes. Aujourd’hui, Coalition PLUS est administrée par un Conseil d’Administration composé de 24 représentants-es. Les administrateurs-rices, issus-es des associations membres de la coalition, sont élus-es par l’assemblée générale ordinaire pour une durée de deux ans. Elle est présidée par le Pr. Mehdi Karkouri. Médecin et professeur à la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, Mehdi Karkouri a rejoint l’Association de Lutte contre le sida (ALCS) - membre de Coalition PLUS au Maroc - en 1996 en tant que volontaire.
ENCART N°4 : Le Fonds mondial en quelques mots
En 2000, rien ne semblait pouvoir arrêter le sida, la tuberculose et le paludisme. L’idée du Fonds mondial est le fruit de la rencontre entre un plaidoyer politique communautaire et les impératifs des dirigeants mondiaux. Il est possible de prévenir et de traiter le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais pour y parvenir, la participation des dirigeants et des décisionnaires du monde entier est nécessaire autant que celle des personnes travaillant sur le terrain pour soutenir les hommes, les femmes et les enfants vivant avec ces maladies. L’idée a été évoquée lors du Sommet du G8 à Okinawa, au Japon, en 2000. Le véritable engagement a commencé à se concrétiser à l’occasion du Sommet de l’Union africaine en avril 2001, puis s’est prolongé lors de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies au mois de juin de la même année, avant que l’idée soit finalement approuvée par le G8 lors de son Sommet à Gênes, en Italie, en juillet 2001. Un groupe de travail transitoire a été créé afin de définir les principes et les modalités de travail de la nouvelle organisation et le Fonds mondial a vu le jour en janvier 2002.
Depuis sa création, le Fonds mondial a décaissé plus de 65 milliards de dollars à l’appui de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et de programmes de renforcement des systèmes pour la santé dans plus de 155 pays, notamment au travers de subventions régionales, ce qui en fait l’un des principaux bailleurs de fonds dans le domaine de la santé mondiale. Les investissements avisés et efficaces réalisés collectivement dans la santé au travers du Fonds mondial ont sauvé 65 millions de vies et fourni des services de prévention, de traitement et de prise en charge à des centaines de millions de personnes.