L’Actu vue par Remaides : « Pénalisation du VIH : les militants-es canadiens-nes montent au front »
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 - 04.11.2025
 

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Par Jean-François Laforgerie
Pénalisation du VIH : les militants-es canadiens-nes montent au front
Grogne, impatience, colère, déception, lassitude, etc., les termes et notions varient mais tous traduisent un sentiment de ratage dans la réponse politique à une question majeure pour les personnes vivant avec le VIH au Canada : celle de l’obligation de révéler son statut sérologique à ses partenaires sexuels-les. Récemment, la présidente de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV), Muluba Habanyama, est montée au front pour dénoncer l’inertie des libéraux, actuellement au pouvoir.
Un long combat
« Cela fait dix ans qu’on se bat, rappelle la présidente de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV), Muluba Habanyama, dans les colonnes de La Presse canadienne (23 août). Nous commençons à être épuisés. » Il faut dire que l’organisation n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir un changement législatif dans ce domaine. Aujourd’hui, les Canadiens et Canadiennes vivant avec le VIH peuvent être poursuivis-es en justice s’ils ou elles ne dévoilent pas leur séropositivité au VIH à leurs partenaires sexuels-les. Et cela même si leur charge virale est indétectable et qu’ils et elles vivent sous la protection du « I = I » et, par voie de conséquence, leurs partenaires également. Cette situation atypique est l’objet de revendications anciennes pour que la loi soit désormais en phase avec les avancées de la science et les preuves qu’elle a apportées ces dernières années sur les bénéfices du Tasp.
Un véritable enjeu et un impact sur les personnes vivant avec le VIH
Le Réseau juridique VIH, une importante ONG canadienne, qui est d’ailleurs membre de la Coalition, mène depuis des années un combat pour une modification de la loi dans le champ de la « criminalisation du VIH ». Sur son site, le Réseau rappelle que dans « plusieurs pays, dont le Canada, des personnes vivant avec le VIH ont été déclarées coupables de graves infractions criminelles et condamnées à des peines d’emprisonnement considérables, pour n’avoir pas divulgué leur séropositivité au VIH — même lorsqu’il n’y a pas eu transmission et qu’elles ont pris des précautions très efficaces pour réduire le risque de transmission à zéro (ce qui est le cas du Tasp). Dans d’autres cas, des personnes font l’objet d’accusations discriminatoires encore plus graves, simplement parce qu’elles ont le VIH — même en l’absence de risque de transmission. » Ce mésusage du droit criminel est souvent exercé en invoquant la santé publique. « Pourtant, il n’y a pas de données probantes démontrant l’efficacité de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité au VIH et des personnes vivant avec le VIH pour prévenir la transmission de l’infection », constate l’ONG. Mais des chiffres existent concernant les poursuites engagées au nom des dispositions légales actuelles. Le Réseau juridique VIH affirme « qu’au moins 206 personnes ont été accusées au Canada de ne pas avoir révélé leur séropositivité, dans le cadre d’au moins 224 affaires criminelles depuis 1989 », souligne La Presse. Une autre donnée frappe les esprits : celle de l’impact sur les personnes vivant avec le VIH. Une étude, réalisée en 2022 auprès de 600 personnes vivant avec le VIH canadiennes, révélait que 20 % d’entre elles subissaient des violences verbales, physiques ou sexuelles à cause de la criminalisation du VIH. « Cela affecte véritablement les gens vivant avec le VIH. Certains cessent de se soigner », déplore Muluba Habanyama.
Les atermoiements du milieu politique
Comme l’explique La Presse (23 août), l’ancien gouvernement de Justin Trudeau (qui a annoncé sa démission en janvier 2025) avait promis de réformer les lois canadiennes, mais il n’y était pas parvenu. « Il avait rejeté la responsabilité de son échec sur l’obstruction parlementaire des conservateurs. Reste que l’impatience gagne car les libéraux au pouvoir promettent de régler ce problème depuis 2016. Le gouvernement Trudeau avait d’ailleurs transmis un avis aux procureurs-es en 2018, afin de les empêcher de déposer des accusations criminelles lorsqu’il n’existait aucune possibilité réaliste de transmission », pointe La Presse. Mais ce n’est manifestement pas ce qui se passait sur le terrain. Ainsi, les organisations membres de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV) constatent que « des recours [plaintes, ndlr] sont entrepris chaque mois ». Ces poursuites sont hautement préjudiciables, d’autant qu’une personne accusée d’agression sexuelle pour ne pas avoir signalé sa séropositivité peut voir son nom être inscrit au Registre national des délinquants sexuels avec toutes les conséquences que cela implique. « Nous sommes diabolisés, déplore Muluba Habanyama (née avec le VIH), interrogée par Dylan Robertson pour le compte de La Presse. « La science a grandi avec moi, mais les lois sont demeurées les mêmes (…)  La criminalisation peut entraîner la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH, ce qui peut souvent les dissuader de se faire tester ou traiter (…) Les gens se disent que s’ils ne savent pas qu’ils sont séropositifs, ils ne peuvent pas être accusés, développe la militante. Si aucun document ne prouve qu’on a subi un test des dépistages, les autorités ne peuvent pas prouver que l’on savait. »
Que fera le gouvernement de Mark Carney ?
C’est l’enjeu du moment. Du côté de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH, on constate que certains pays ont modifié leurs lois avec la reconnaissance du « I = I » en constatant, entre autres, que la crainte des poursuites empêchait l’atteinte de certains objectifs, dont le « 95-95-95 » (Au moins 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut VIH. Au moins 95 % des personnes qui connaissent leur statut VIH suivent un traitement ARV. Au moins 95 % des personnes sous traitement ont une charge virale indétectable). Les autorités de santé canadiennes souhaitent que 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur séropositivité, ce qui ouvre la voie à une prise en charge médicale. Au Canada, ce taux était de 89 % en 2022 ; un objectif non atteint. Du côté du nouveau gouvernement, en place depuis mars 2025, c’est aujourd’hui le silence radio. L’actuel gouvernement dirigé par Mark Carney n’a donné « aucune indication sur ses intentions » sur cette question. « Le ministre fédéral de la Justice, Sean Fraser, n’était jamais disponible pour accorder une entrevue à La Presse Canadienne, malgré des demandes répétées pendant plusieurs semaines », déplore le journaliste Dylan Robertson. D’ailleurs, à ce jour, le ministre a refusé de rencontrer la Coalition, laissant des membres de son équipe à la manœuvre. À suivre.
La Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH
La Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV) est une coalition nationale de personnes vivant avec le VIH, d’organismes communautaires, d’avocats-es, de chercheurs-euses) et d’autres intéressés-es. Elle a été formée en octobre 2016 et est dotée d’un comité directeur dont la majorité des membres vit avec le VIH. La CCRCV a été formée en 2016 à partir d’un groupe de personnes et de représentants-es d’organismes canadiens qui se sont rencontrés-es à l’académie de formation HIV Is Not A Crime : 2 (HINAC) tenue en Alabama, aux États-Unis. La réunion comprenait des représentants-es du Réseau canadien des personnes séropositives (RCPS), de l’Afro-Canadian Positive Network of BC (ACPNet), de Positive Living BC, du Réseau juridique VIH (anciennement le Réseau juridique canadien VIH/sida), de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA), de la HIV/AIDS Legal Clinic of Ontario (HALCO), du Conseil canadien de surveillance et d’accès aux traitements (CCSAT), de la Communauté internationale des femmes vivant avec le VIH (ICW), de Women’s Health in Women’s Hands (WHIWH) ainsi qu’un éventail d’avocats-es, de personnes vivant avec le VIH et d’universitaires qui étaient déterminés-es à mettre sur pied une vaste coalition nationale pour contrer les poursuites de plus en plus nombreuses à l’encontre des personnes vivant avec le VIH pour cause d’exposition, transmission et/ou non-divulgation. Cette structure a un objectif : « Travailler pour la réforme progressive, ou l’abandon et/ou l’abolition des lois et pratiques pénales et de santé publique discriminatoires qui réglementent de manière punitive l’exposition, la transmission et la non-divulgation liées au VIH au Canada, et/ou limiter leur portée et leurs préjudices. »
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