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    Remaides 118 : disponible

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    680 000 personnes. Le chiffre frappe par sa taille. De façon sinistre et cruelle, lorsqu’on réalise qu’il concerne les personnes décédées des suites du sida dans le monde en 2020 ! Pas, il y a dix ans, hier !

    Ce chiffre, Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS, et moi-même, l’avions mis en exergue d’une tribune publiée dans Le Monde, à l’occasion du 1er décembre dernier (1). Nous avions alors décidé d’interpeller l’opinion publique et plus largement les décideurs-ses politiques sur cette situation. Comment comprendre, en effet, qu’en dépit des outils complémentaires efficaces de prévention dont nous disposons, le nombre de morts-es reste si dramatiquement élevé ? Ce n’était d’ailleurs pas notre seule interrogation, ni notre unique motif de colère. Comment comprendre qu’aujourd’hui encore, plus de dix millions de personnes vivant avec le VIH sont privées de traitements antirétroviraux pourtant vitaux ? Comment comprendre que plus de six millions de personnes vivant avec le VIH ignorent leur statut sérologique et ne peuvent, de ce fait, avoir accès aux soins dont elles auraient besoin pour elles au premier chef, mais aussi, d’un point de vue collectif, pour limiter la transmission ?

    Qu’on ne se méprenne pas, à travers l’emploi du terme « comprendre » employé dans nos questions, nous posions surtout la question de l’acceptation de cet état de fait. Nous savons — c’est d’ailleurs le cas pour la quasi-totalité de la société civile investie dans la lutte contre le sida — quels mécanismes à l’œuvre expliquent les impasses actuelles. Lors de ce 1er décembre, nous souhaitions interpeller l’ensemble des citoyens-nes : la situation actuelle -680 000 morts-es, dix millions de personnes sans ARV-) est-elle acceptable ?

    Nous pensons que non ! Nous affirmons que non ! Bien sûr, nous sommes bien placés-es pour savoir que la pandémie de Covid-19 a eu un impact fort et très négatif sur la réponse mondiale au VIH, dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord. L’Onusida, comme l’Organisation mondiale de la santé, y ont consacré des travaux édifiants (2).

    Mais pour dramatique qu’elle soit, la crise actuelle ne peut servir d’alibi, les dysfonctionnements dans la lutte contre le sida lui sont antérieurs. Cette dernière a eu pour effet de les amplifier, d’autant que la crise a eu plus d’impact sur les populations clefs, déjà plus fragilisées. Ainsi, la Covid-19 a frappé plus durement les personnes et groupes les plus exposés-es aux risques, les moins armés-es pour y faire face, les moins reconnus-es et soutenus-es par les pouvoirs publics. Leur situation n’était pas pour autant enviable au regard du VIH. La nouvelle pandémie n’a pas remplacé la précédente. Elle s’y est superposée tout en l’aggravant ; façon double peine !

    Alors comment comprendre… En tant que réseaux de lutte contre le sida mobilisant des personnes infectées, affectées et vulnérables au VIH, nous sommes les plus à même de comprendre les causes. Aujourd’hui comme hier, le VIH/sida touche de manière disproportionnée un certain nombre de groupes — gays et hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, travailleuses et travailleurs du sexe, personnes transgenres, personnes usagères de drogues injectables, migrants-es, personnes détenues. Ces communautés représentent d’ailleurs 93 % des nouvelles infections par le VIH (hors Afrique subsaharienne), comme le rappelle l’Onusida (3). Nous connaissons — et certains-es d’entre nous les subissent eux-elles-même — les causes de cette « surreprésentation ». C’est l’attelage des violences sociales, systémiques, institutionnelles et symboliques perpétuant l’éloignement des soins et de la prévention. Un exemple ? « Difficile d’accéder aux traitements antirétroviraux lorsque sa simple présence sur le territoire est considérée comme illégale », expliquions-nous dans notre tribune au Monde. Et les situations de ce genre sont légions, discriminant tel ou tel groupe. Ce constat est posé depuis longtemps, documenté chaque année par les grandes institutions mondiales de santé, dénoncé régulièrement par les ONG. On peut dire que beaucoup est fait (tout ?) pour comprendre le phénomène.

    Pourtant la situation semble figée. Aujourd’hui encore, nous voyons une permanence des blocages et la perpétuation mécanique de leurs effets néfastes pour les personnes concernées, comme pour l’ensemble de la société. Regardez par exemple la Russie et sa faillite dans la réponse au VIH. Ce pays n’est pas le seul à agir de la sorte. La pratique se généralise un peu partout, dès lors que celles et ceux qui sont aux manettes se complaisent dans les « passions tristes ».

    Celles qui démultiplient les inégalités socio-économiques, qui assurent leur renforcement systémique et, comme l’explique si bien la philosophe Cynthia Fleury (4), produisent « des conditions objectives de souffrance, d’érosion de soi ». Nous connaissons le procès habituel qui nous est fait sur ce sujet. La lutte contre le sida, telle que nous le menons, serait le faux nez d’un combat plus large pour les droits humains, bien éloigné de notre objet social : la santé. C’est tout le contraire. Ne pas prendre en compte les droits des personnes, a fortiori ceux des minorités, ne permet pas aux personnes victimes de discriminations de prendre soin d’elles et d’avoir ainsi un effet positif dans la société dans laquelle elles vivent. On comprend bien l’enjeu quand on garde à l’esprit que l’on parle, ici, d’une maladie transmissible,  contrôlable avec les outils actuels de prévention. L’une des conditions est la volonté politique. C’est une des clefs du succès.

    En matière de santé, on semble revivre ce qui a cours avec le climat. Beaucoup pensent qu’il faut faire quelque chose, peu s’y engagent vraiment. Ce n’est pas une critique facile de ma part, juste une évidence. En 2016, des chefs-fes d’État et de gouvernement (certains-es toujours en place) s’étaient engagés-es à investir 26 milliards de dollars dans la riposte au VIH (période 2016-2020). Résultat ? Seuls 70 % de ces montants ont été réellement alloués, démontre l’Onusida. Le gouffre entre les besoins financiers et les engagements réels ne cesse de s’élargir. Y mettre fin est un des grands enjeux de la prochaine conférence de reconstitution des fonds du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, cette année. AIDES, comme d’autres, a bien conscience des enjeux actuels, tant au niveau mondial qu’au plan national : sortir des schémas délétères qui nuisent à la santé des personnes, se donner les moyens de sortir du cercle vicieux actuel en finançant la lutte à la hauteur des besoins et le faire maintenant, obtenir partout la reconnaissance de la démarche communautaire en santé -qui a fait ses preuves- et la conforter. Il y a là des clefs pour avancer vraiment sur la voie de l’élimination du VIH, notre intérêt commun, et s’éloigner des « passions tristes ».

     

    Camille Spire, présidente de AIDES

     

    Notes de bas de page :

    (1) :  « Comment comprendre que malgré tous les outils de prévention, plus de 680 000 personnes sont mortes du sida dans le monde en 2020 », par Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS, et Camille Spire, présidente de AIDES, Le Monde, 1er décembre 2021.
    (2) : Par exemple, ce rapport de l’Onusida, publié en 2021 : https://www.unaids.org/fr/resources/presscentre/pressreleaseandstatementarchive/2021/july/20210714_global-aids-update ou encore ce communiqué de l’OMS sur les difficultés d’accès aux ARV du fait de la Covid-19 : https://www.who.int/fr/news/item/06-07-2020-who-access-to-hiv-medicines-severely-impacted-by-covid-19-as-aids-response-stalls
    (3) : Voir tout particulièrement, la rubrique Atlas des populations clefs de l’institution : https://kpatlas.unaids.org/dashboard#/home
    (4) : « Concentrons-nous sur le droit d’expérimentation démocratique », par Cynthia Fleury, Le Monde, 15 janvier 2022.