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    Remaides 112 : disponible

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    remaides 111 magazine information vih sida hépatites santé sexuelle préventionLa mort de George Floyd, le 25 mai dernier à Minneapolis, des suites de violences policières (1) a suscité de très vives et légitimes manifestations aux États-Unis et dans de très nombreux pays. Elle a réactivé le mouvement social et politique « Black Lives Matter » (« Les vies noires comptent »), créé en 2013 outre-Atlantique, au sein de la communauté afro-américaine (2). Elle a aussi pointé que le « problème » d’un traitement discriminatoire des Noirs-es ne concernait pas, hélas, la seule attitude des forces de police, mais affectait bien des domaines, dont celui de la santé.

    Ce tragique meurtre aura suscité un choc mondial et, espérons-le, une prise de conscience sincère et durable que le problème d’un traitement différencié et discriminatoire des Noirs-es concerne tous les pays, dont le nôtre, et pas uniquement l’Amérique de Trump. Et qu’il est grand temps d’y mettre un terme !

    Ce problème existe aussi chez nous ! Il prend la forme de violences policières, de discriminations ethno-raciales dont certaines sont systémiques, d’une plus grande exposition aux risques d’infection (VIH, Covid-19, etc.), d’un accès péjoré à la santé, etc. En 2010 déjà, une étude de l’Insee Île-de-France (3) indiquait qu’un quart des personnes immigrées et descendants-es d’immigrés-es franciliens-nes déclaraient avoir subi des discriminations et avoir été la cible d’insultes et de propos racistes au cours de leur vie. Le pourcentage le plus élevé apparaissait chez les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne. Plus récemment, une étude descriptive de l’Insee (4) a constaté une nette augmentation du nombre de décès en France, imputable à la pandémie de Covid-19. Cette enquête (5) a mis en évidence « des différences marquées selon le pays de naissance des personnes décédées ». Ainsi, toutes causes confondues, les décès sur cette période de personnes nées à l’étranger ont augmenté de 48 % par rapport à la même période en 2019, contre + 22 % pour les décès de personnes nées en France. La hausse a été la plus forte pour les personnes nées sur le continent africain, surtout pour celles nées dans les pays du Maghreb, mais aussi dans un autre pays du continent. Pour les personnes nées dans un autre pays d’Afrique (hors Maghreb) : la hausse du nombre de décès est de : + 131 % pour les hommes, + 88 % pour les femmes.

    On pourrait y voir une « anomalie » statistique, si le même constat n’était pas fait ailleurs. En mai 2020, au moment fort de l’épidémie de Covid-19 au Royaume-Uni, l’Office national des statistiques sort des données « montrant que, pour une même classe d’âge et un même environnement socio-économique, les Noirs-es avaient 1,9 fois de risques de mourir de la Covid-19 que les Blancs » (6). Outre-Atlantique, ce sont des travaux publiés par APM Research Lab qui montrent que le taux de mortalité due à la Covid est 2,3 fois plus important chez les hommes noirs américains que chez les hommes blancs et asiatiques. Une étude conduite au Michigan (États-Unis) révèle que les Noirs-es constituent 41 % des personnes décédées de cette maladie, alors qu’ils-elles ne représentent que 14 % de la population totale de l’État (7).

    Ces chiffres attestent d’une surreprésentation des Noirs-es : une des traductions d’inégalités systémiques mal voire non prises en compte. Bien sûr, ces inégalités se manifestent à des degrés divers selon le contexte, le pays, son histoire. Mais on ne peut pas faire comme si, en France, ce problème n’existait pas et que nous étions exonérés, collectivement, de toute réflexion et de propositions pour y faire face. D’autant que la lutte contre le sida et les hépatites virales nous a enseigné l’impact des discriminations et ses conséquences dans le développement des épidémies.

    Récemment, la sociologue Nathalie Bajos et l’anthropologue François Héran commentaient les résultats d’une étude épidémiologique sur les inégalités sociales face à la Covid-19 (8). Ils rappelaient que l’on sait « depuis longtemps que les immigrés qui arrivent en France (…) ce sont ceux qui sont en meilleure santé. Mais, au cours de leurs premières années ici, leur situation se dégrade et leur état de santé devient nettement inférieur à celui de la population d’accueil ». L’étude Parcours (9) l’illustre d’ailleurs en matière de VIH. Elle démontre qu’une part importante (entre 35 % et 49 %) de personnes migrantes d’Afrique subsaharienne séropositives pour le VIH et résidant en Île-de-France ont été infectées après leur arrivée en France. Comment l’expliquer ? Par les conditions de vie, notamment les difficultés du parcours migratoire, et celles-ci sont étroitement liées à la façon dont les personnes sont traitées, considérées, reconnues. L’étude EpiCov indique bien que la couleur de peau est associée à une exposition plus forte aux pathologies : la prévalence de la Covid-19 est de 9,4 % chez les personnes immigrées d’origine non européenne, de 6,2 % chez leurs enfants, de 4,8 % chez les personnes immigrées européennes et de 4,1 % chez celles et ceux dont les parents sont nées en France. Ce n’est pas une opinion, ni une idée reçue, mais un constat, documenté par des études. Froid et désespérant : la couleur de peau a un impact sur l’accès à la santé et la précarité a un lien avec l’appartenance ethnique. Autrement dit, la couleur est un déterminant de santé. Et parfois, hélas, elle est un frein dans l’accès aux soins.

    Ce constat, on le dénonce ailleurs. On s’offusque, à raison, qu’aux États-Unis, l’espérance de vie des Noirs-es à la naissance puisse être jusqu’à quinze ans plus courte que celle des Blancs ; ou encore qu’il faille treize familles noires pour atteindre le niveau de fortune moyen d’une famille blanche (10). Différentes études démontrent clairement qu’on est passé désormais du préjugé au préjudice. Une étude canadienne (mai 2020) explique ainsi que les Noirs sont surreprésentés dans les articles de presse qui ont un traitement dramatisé des affaires de criminalisation de la transmission du VIH. Ils ne concernent que 21 % des affaires, mais 62 % des articles qui leur sont consacrés. Des études américaines ont montré qu’à diagnostic égal les patients-es noirs-es recevaient moins souvent de médicaments antidouleurs que les Blancs-ches et de surcroît des doses moins fortes, surtout de la part de professionnels-les de santé ayant des préjugés raciaux.

    Bien sûr, on peut objecter qu’en France, ce n’est pas pareil. En est-on si sûr ? Chez nous, treize années d’espérance de vie à la naissance séparent les 5 % des plus riches des 5 % des plus pauvres. Et qui comptent parmi les pauvres ? Bien sûr, ici, prévaut le modèle universaliste (tout particulièrement en santé) censé répondre de façon égalitaire à tous-tes. Pourtant des professionnels de santé noirs-es ont souhaité développer une réponse spécifique, communautaire, pour les Noirs-es, mal reçus-es voire discriminés-es ailleurs. Bronca du Conseil national de l’ordre des médecins et de celui des infirmiers qui ont préféré condamner l’initiative plutôt que d’en comprendre la cause. Le problème, ici, n’est pas la réponse, mais le constat.

    La période inédite que nous connaissons qui associe une crise sanitaire d’ampleur mondiale à des mouvements sociaux comme « Black Lives Matter » nous oblige à sortir d’une forme de sidération collective voire d’aveuglement. Chez nous aussi, quoi qu’affirme notre devise nationale, la couleur peut constituer un handicap social, un obstacle à une meilleure santé. C’est un drame pour qui en est victime ; une honte pour qui le laisse faire. Nous savons avec la lutte contre le sida que notre engagement est au cœur de trois champs : la prise en compte des vulnérabilités, la lutte contre les inégalités, et celle contre les discriminations. Nous devons plus que jamais contribuer, avec d’autres, à la transformation sociale que nous défendons depuis notre création. C’est elle qui permettra de surmonter les disparités et d’assurer la reconnaissance égalitaire de tous et toutes. « Tout mouvement social ou politique commence par une colère saine », expliquait récemment la politologue Myriam Benraad (11). « Black Lives Matter » est de ceux-là. Le choix de couverture de ce numéro dit cela : notre soutien et notre engagement. Colères noires !

     

    Aurélien Beaucamp, président de AIDES

     

     

    Notes de bas de page : (1) : Les policiers impliqués dans la mort de George Floyd ont été licenciés de la police. Deux enquêtes ont été ouvertes, dont une par le FBI. Le principal auteur présumé des faits a été inculpé de meurtre au second degré. (2) : Le mouvement a été créé à la suite de la mort d’un adolescent noir, Trayvon Martin, par un vigile blanc, acquitté par la justice. (3) : Institut national de la statistique et des études ; www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/7871/1/fc245.pdf (4) : Cette étude a été menée par Sylvain Papon, Isabelle Robert-Bobée, division Enquêtes et études démographiques de l’Insee. Lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4627049 (5) : voir cahier Gingembre N°43, en page III (6) : Le Monde, 11 septembre 2020. (7) : Tribune du professeur Didier Fassin, Collège de France, 16 avril 2020. (8) : Étude EpiCov : interroger, en période d’épidémie, un échantillon représentatif de 135 000 personnes. Lien : https://presse.inserm.fr/premiers-resultats-des-enquetes-de-sante-publique-de-linserm-sur-la-covid-19-facteurs-de-risque-individuels-et-sociaux/41032 (9) : Étude ANRS PARCOURS, coordonnée par Annabel Desgrées du Loû (Institut de recherche pour le développement/IRD). (10) : Voir l’interview de l’historienne et américaniste Sylvie Laurent dans Libération, 28 septembre 2020. (11) : Libération, 6 octobre 2020.