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Depuis ses débuts, l'épidémie de VIH/sida n'a cessé de confirmer le lien étroit existant entre le VIH et les droits humains. Dans un document de référence datant de 2006 (1), on rappelle que "la vulnérabilité à l'infection et les conséquences qui en découlent sont directement alimentées par les violations des droits fondamentaux". Elles sont, hélas, légion ! Elles concernent les femmes, les personnes LGBTQI+(2), celles détenues, les personnes consommatrices de drogues, celles qui sont travailleuses du sexe, celles qui ont le malheur d'être pauvres, etc. Le VIH, lui-même, engendre des violations des droits humains — renforçant la discrimination et la violence.
Dans ce domaine, la partie n'a jamais été facile. Elle est loin d'être gagnée. Et cela d'autant que les personnes se trouvent prises dans un effet ciseaux. Il y a d'un côté, le fait d'appartenir à un groupe particulier ou considéré comme tel. Un groupe auquel est appliqué un traitement social différencié. Cette appartenance rend plus vulnérable au VIH. De l'autre, le fait de vivre avec le VIH expose aux discriminations. Ce sont des entraves au travail, dans l'accès aux assurances, à l'entrée ou au séjour dans certains pays, etc. On voit déjà la complexité de ce double phénomène qui s'apparente trop souvent à un cauchemar. Ce n'est pas tout !
Si on peut se féliciter d'une prise de conscience mondiale que le droit à la santé intègre explicitement l'accès à la prévention, au traitement et aux soins en matière de VIH, force est de reconnaître que le décalage avec la réalité actuelle fait froid dans le dos. La santé est un droit humain, mais pour combien de personnes ? Dans le monde aujourd'hui, la moitié des personnes vivant avec le VIH n'a pas accès à un traitement que leur état de santé justifie pourtant. Bien sûr il y a eu des progrès, il y en a encore, mais beaucoup reste à faire. Il y a donc, potentiellement, une triple peine : appartenir à un groupe vulnérable, vivre avec le VIH, et se voir refuser le droit à la santé.
Ce lien étroit entre VIH et droits humains, AIDES le prend en compte depuis des années dans nombre de ses actions et programmes. En France, comme au niveau international. "Plus de droits = moins de VIH". Cette équation, nous l'avons portée lors de cette saison des Marches des Fiertés. Notre façon de réaffirmer ce principe élémentaire et de dénoncer les dérives actuelles. Et elles ne manquent pas. Il y a celles d'une politique migratoire qu'incarne le projet de loi "Asile Immigration". Le gouvernement nous le vend comme un modèle d'équilibre entre humanisme et rigueur. En réalité, il est le fruit de la méthode dure. Il ne fera, entre autres, qu'aggraver la situation des personnes réfugiées LGBTQI+ ; à l'exemple de ce qui se passe pour un de nos militants, Moussa Camara (3). Ce projet dégradera le droit au séjour pour soins. Un droit qui a déjà gravement pâti du passage de l'évaluation médicale à l'Ofii(4), sous la tutelle du ministère de l'Intérieur(5). On le voit aujourd'hui, même un pays comme le nôtre cède. Il cède en choisissant d'ignorer les conséquences du cumul des vulnérabilités. Il cède en protégeant moins, voire en ne protégeant plus les personnes les plus exposées, les plus fragiles. La France décide ainsi que des personnes vivant avec le VIH ne peuvent désormais plus rester ici et qu'elles doivent être renvoyées dans leur pays d'origine, même au risque de ne pas y être soignées. Une parlementaire, députée du Gard, n'hésite pas aujourd'hui à douter publiquement sur Internet de l'orientation sexuelle d'une personne réfugiée pour mieux légitimer la décision judiciaire d'expulsion qui la frappe. Elle n'aura d'ailleurs pas été la seule à oser le faire(6) Nous avons suffisamment d'adversaires pour ne pas alimenter, au sein même de nos communautés, de telles polémiques. Nous avons suffisamment d'ennemis pour ne pas entretenir une opposition des luttes, voire une hiérarchie des victimes. Dans le champ du VIH, beaucoup d'entre nous se trouvent exposés à cette triple peine : l'appartenance à un groupe vulnérable, vivre avec le VIH, avoir un accès difficile à la santé. Une triple peine qui prend de plus en plus l'allure d'une triple menace. Il y a quelques années dans un essai retentissant, le philosophe Gilles Châtelet(7) dénonçait la "triple alliance politique, économique, numérique" qui cherchait, analysait-il, à rendre "rationnelle et même festive", la "guerre de tous contre tous". Y sommes-nous déjà ?
Aurélien Beaucamp, président de AIDES
(1) : "Le VIH/sida et les droits de l'Homme. Directives internationales. Version consolidée 2006. Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme et Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida.
(2) : Lesbiennes, gays, bis, trans, queer et personnes intersexuées.
(3) : Voir article page X dans le cahier Gingembre dans ce numéro.
(4) : Office français de l'immigration et de l'intégration.
(5) : Voir dossier page IV dans le cahier Gingembre dans ce numéro.
(6) : Un responsable d'association LGBT l'a fait également.
(7) : "Vivre et penser comme des porcs", par Gilles Châtelet, Folio Essais.