L'Actu vue par Remaides : VIH : nouveau cas de rémission en Allemagne
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- 18.07.2024
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Par Fred Lebreton
VIH : nouveau cas de rémission en Allemagne
En amont de la conférence AIDS 2024 qui se tiendra à Munich en Allemagne (voir encart) du 20 au 26 juillet, un nouveau cas de rémission du VIH a été présenté à la presse. Surnommé « le nouveau patient de Berlin », cette personne est en rémission du VIH suite à une greffe de moelle osseuse. Sans traitement antirétroviral depuis plus de cinq ans, on ne trouve plus de trace du VIH dans son organisme. Explications.
Cinq ans sans traitement VIH
Qui est ce nouveau « patient de Berlin » ? Cette personne a choisi, pour le moment, de rester anonyme ; mais nous pouvons dire qu'il s’agit d’un homme de 60 ans vivant avec le VIH depuis 2009 à Berlin. Cette personne a été atteinte d’une leucémie myéloïde aiguë (LMA), une maladie rare qui touche principalement les personnes âgées. Il s'agit d'un cancer du sang et de la moelle osseuse qui évolue rapidement en l'absence de prise en charge thérapeutique. Il a reçu une greffe de cellules souches en octobre 2015. Puis, en septembre 2018, trois ans après sa greffe, il a cessé, en concertation avec l’équipe médicale qui le suit, de prendre son traitement antirétroviral. Environ cinq ans et demi plus tard, le VIH reste indétectable dans le plasma. Cette personne est donc considérée comme étant en rémission du VIH. Pour s’assurer de cet état de rémission, elle a subi des biopsies (examen médical qui consiste à prélever de petits fragments de tissu au niveau d'une anomalie observée lors d'un précédent examen médical). Aucun ADN du VIH n'a été détecté dans ces échantillons et il n'y a eu aucune production virale à partir de cellules T CD4 stimulées. Ce sont des caractéristiques qui ont été observées dans les précédents cas de greffe de cellules souches, en particulier la perte de réponse immunitaire au fil du temps.
Un point clé distingue ce cas des autres cas de rémissions du VIH rapportés précédemment. Habituellement, dans les cas de rémission, y compris celui de Timothy Ray Brown (le premier patient de Berlin), les donneurs de cellules souches avaient hérité de deux copies d'un gène muté du CCR5, une de chaque parent, les rendant immunisés contre le VIH (on les appelle homozygotes). Un homozygote a deux copies identiques d'un gène, tandis qu'un hétérozygote a deux copies différentes.
Dans ce cas, le donneur n'avait qu'une seule copie du gène défectueux (il était hétérozygote). Les hétérozygotes sont plus courants que les homozygotes. Bien qu'ils puissent contracter le VIH, le virus progresse généralement plus lentement sans traitement ARV.
La molécule CCR5 est une des clés d’entrée du VIH dans les cellules. Sa morphologie détermine la propension du virus à infecter l’organisme. Située à la surface des globules blancs, la molécule CCR5 régule les réponses immunitaires de l’hôte contre les pathogènes. Mais, victime de son succès, elle sert également d’ancrage au VIH pour infecter les cellules immunitaires, contribuant ainsi au développement de la maladie. La molécule CCR5 joue donc un rôle clé dans la transmission du virus et le développement de la maladie. Des personnes possèdent une mutation du gène de la molécule CCR5 (connue sous le nom de mutation CCR5 delta 32) connue pour rendre les cellules naturellement résistantes au VIH. Grâce à cette mutation génétique, le virus n’a pas de point d’accroche sur les globules blancs. Le rôle central de ce récepteur en fait donc une cible de choix pour bloquer l’entrée du virus dans l’organisme.
L'étude montre que les chercheurs-ses peuvent envisager un plus grand nombre de donneurs-ses pour ces traitements. Même si cette approche est utilisée pour des personnes ayant des maladies comme la leucémie, elle offre de nouvelles pistes pour la guérison du VIH. En effet, elle suggère qu'il n'est pas nécessaire d'éliminer toutes les copies de CCR5 pour que la thérapie génique soit efficace, ce qui est plus complexe que la greffe de cellules souches.
Une procédure complexe, couteuse et risquée
Point de vigilance : les experts-es estiment qu'un traitement curatif fondé sur une greffe de cellules souches n’est pas transposable aux millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde. C'est une procédure complexe, coûteuse et risquée (potentiellement mortelle). « Il est nécessaire de trouver un donneur compatible au niveau immunogénétique pour éviter le rejet de la greffe », expliquait ainsi le Dr Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, à France Info, en février 2023 en commentant le cas du « patient de Düsseldorf » (voir ci-dessous). « De plus, étant donné que moins de 1 % de la population générale porte cette mutation protectrice du VIH, il est très rare qu’un donneur de moelle compatible ait cette mutation. Au final, il s’agit d’une situation exceptionnelle quand tous ces facteurs coïncident pour que cette greffe soit un double succès de guérison, de la leucémie et du VIH », concluait le chercheur.
Les cas de rémission, de faux espoirs pour les PVVIH ?
Depuis quatre ans, à chaque nouvelle conférence internationale sur le VIH, un nouveau cas de « guérison » du VIH est annoncé aux médias. Souvent, la semaine précédant le début de la conférence ; histoire de générer des articles de presse et de l’intérêt dans l’opinion publique. Cette stratégie de communication est compréhensible tant les médias non spécialisés accordent de moins en moins d’importance au VIH (en dehors du RDV annuel qu’est le 1er décembre). Pour autant, le traitement médiatique de ces cas pose souvent problème quand des médias nationaux titrent, par exemple : « Espoir : un nouveau cas de guérison du VIH » sans expliquer que ces cas ultra rares ne sont pas transposables à grande échelle. Ces opérations de communication ne donnent-elles pas de faux espoirs aux personnes vivant avec le VIH ? Remaides a posé la question en conférence de presse, jeudi 11 juillet. Voici la réponse de la Pre Sharon Lewin, présidente de l'IAS et co-présidente de la conférence AIDS 2024 : « C'est une question vraiment importante et très pertinente car nous comptons vraiment sur les médias pour faire une couverture responsable de ces cas. Sont-ils importants scientifiquement ? En tant que scientifique travaillant dans le domaine de la recherche sur la guérison du VIH : je dis oui, ils le sont. Car dans chaque cas, nous apprenons davantage sur ce qui est possible et donc sur ce qui pourrait être reproduit dans une intervention. Et je pense que le point important, ici, est que vous n'avez pas besoin d'éliminer chaque CCR5 pour atteindre la rémission, ce qui a des implications pour la thérapie génique. Oui, ces cas sont très rares, c'est seulement le septième cas signalé après une greffe. Cependant, ils donnent aux gens de l'espoir, mais nous devons le rendre réaliste. Et l'espoir, pour moi, est qu'une guérison est possible, et c'est ce que ces cas démontrent (…). Nous pouvons travailler en partenariat avec les médias, car je sais que ce sont des cas difficiles à rapporter tant les gros titres dominent souvent l'histoire. Nous pourrons en débattre philosophiquement une autre fois. Nous en parlons souvent en interne à l'IAS et notre politique est d'essayer d'expliquer ces résultats de la manière la plus responsable possible ».
Guérison ou rémission ?
Toujours en conférence de presse, un journaliste a demandé s’il fallait parler de « guérison » ou de « rémission » pour ce nouveau cas. Réponse de Sharon Lewin : « Nous hésitons à utiliser le mot « guérison » parce que nous ne savons pas combien de temps nous devons suivre les personnes. Cependant, cinq ans, cela commence à être une durée suffisante pour considérer quelqu'un comme guéri. Personnellement, je n'aurais pas de problème à le qualifier de « guéri ». Actuellement, les auteurs de l'étude utilisent les termes « rémission » et « potentielle guérison », ce qui est probablement plus réaliste, mais la personne doit encore être suivie. Je pense que les chances de rebond viral après cinq ans sont très faibles. En général, les rebonds surviennent en deux à trois semaines, mais ils peuvent être retardés après une greffe, se manifestant entre cinq à six mois, voire jusqu'à un an dans certains cas. Mais une fois que vous atteignez deux ans, il est rare de voir des rebonds tardifs ». Sharon Lewin fait le choix d’axer sa réponse sur la guérison du point de vue virologique, mais si on adopte une vision globale, une guérison virologique n’effacera pas forcément toutes les conséquences pour la santé d’une infection par le VIH, surtout si elle a duré des années, voire des décennies.
Qui sont les autres cas ?
Nous comptabilisons à ce jour sept cas documentés de rémission du VIH depuis 2008 (en incluant désormais le « nouveau patient de Berlin »). Qui sont les six autres personnes ? Les voici par ordre chronologique de l’annonce publique :
1 : Novembre 2008 : Timothy Ray Brown dit le « patient de Berlin) : En 1995, l’Américain qui vit à Berlin apprend qu’il a contracté le VIH. Il est suivi médicalement. En 2006, on lui diagnostique une leucémie. Pour le soigner de ce cancer, son médecin, Gero Hütter (université de Berlin), lui propose une greffe de cellules souches d'un donneur qui a une mutation génétique rare lui conférant une résistance naturelle au VIH. Timothy Ray Brown décède le 29 septembre 2020, à l'âge de 54 ans, des suites d’un cancer (sans lien avec le VIH qui n’est jamais revenu). Il a longtemps été (parfois malgré lui) le symbole du « HIV cure » (guérison du VIH). Les dernières années avant son décès, il a beaucoup milité pour faire progresser la recherche sur le cure.
2 : Mars 2020 : Adam Castillejo dit le « patient de Londres » : Il vivait avec le VIH depuis neuf ans lorsque ses médecins lui ont diagnostiqué une leucémie en 2012. Adam Castillejo est entré en rémission du VIH après avoir reçu une greffe de moelle osseuse pour son lymphome de la part d’un donneur porteur d'une mutation génétique rare. Grâce à la greffe, son organisme a recréé un système immunitaire résistant au virus. La méthode est similaire à celle utilisée sur Timothy Ray Brown.
3 : Février 2022 : La « patiente de New York » : Dans ce troisième cas présenté à la Croi 2022, il s’agit, pour la première fois, d’une femme vivant avec le VIH (diagnostiquée en 2013) et atteinte d’une leucémie depuis 2017. Cette patiente a subi une greffe de cellules souches du sang du cordon ombilical, qui sont plus largement disponibles que les cellules souches adultes utilisées dans les greffes de moelle osseuse. Les cellules souches des cordons ombilicaux n’ont pas non plus besoin d’être aussi étroitement appariées au receveur que les cellules de la moelle osseuse. Dans le cadre de son traitement contre la leucémie, la patiente avait également reçu un traitement à partir du sang de cordon ombilical pour son cancer d’un donneur partiellement compatible et du sang d’un proche parent. Un an après cette greffe, la patiente de New York était en rémission virale du VIH et plus aucune trace du virus n’a été détectée chez elle depuis. En février 2022, elle n'était plus sous traitement ARV depuis 14 mois, sa charge virale était indétectable, ses CD4 étaient stables et ses anticorps étaient devenus négatifs au VIH. Sa leucémie était également en rémission.
4 : Juillet 2022 : Paul Elmonds dit "le patient de City of Hope : Celui que l’on nomme le « patient de City of Hope » (du nom du centre de cancérologie californien où il est traité) est un homme gay, séropositif et atteint d’un cancer du sang. Comme les autres cas, ce patient a bénéficié d’une greffe de cellules souches qui a renouvelé son système immunitaire. Les cas décrits ont tous un point commun : leur donneur-se présentait une mutation rare d’un gène dit CCR5 delta-32. Elle rend le système immunitaire résistant aux principales souches du VIH. Le patient de City of Hope a ainsi reçu en 2019 une greffe de moelle osseuse. Deux ans plus tard, il cessait de prendre ses antirétroviraux ; le VIH étant devenu indétectable dans son organisme. Ce cas est intéressant dans le sens où ce patient, âgé de 67 ans, vit avec le VIH depuis plus de trente ans. Il est, à ce jour, le patient le plus âgé à avoir été « guéri » virologiquement et cela montre donc qu’une rémission par greffe de cellules souches peut bénéficier à une personne relativement âgée.
5 : Février 2023 : Marc Franke dit le « patient de Düsseldorf » : Le 20 février 2023, la revue scientifique Nature publie un article sur un nouveau cas de « guérison » suite à une greffe de moelle osseuse à partir de cellules de donneurs résistants au VIH. Celui qu’on surnomme le « patient de Düsseldorf » (Allemagne) était séropositif au VIH et souffrait d’une leucémie. Résistant à tous les traitements, ses médecins ont cherché un-e donneur-se de moelle osseuse portant une mutation génétique qui empêche naturellement le VIH d'entrer dans les cellules, la mutation génétique CCR5 delta-32. Cette greffe a été un vrai succès contre la leucémie et contre le VIH. Quatre ans après l’arrêt total de ses traitements anti-VIH, le patient de Düsseldorf n'avait plus aucune trace du VIH détectable.
6 : Juillet 2023 : Romuald dit le « patient de Genève » : Ce nouveau cas a été présenté lors de la conférence IAS le 24 juillet 2023. Romuald vit avec le VIH depuis le début des années 1990 et a toujours suivi un traitement antirétroviral. En 2018, pour traiter une forme particulièrement agressive de leucémie (cancer du sang), il a été soumis à une greffe de cellules souches. Un mois après la greffe, les tests ont montré que les cellules sanguines de Romuald avaient été entièrement remplacées par les cellules du donneur, ce qui a été accompagné par une diminution drastique des cellules qui portaient le VIH. Le traitement antirétroviral a été progressivement allégé et définitivement arrêté en novembre 2021. La particularité de Romuald, suivi à Genève (Suisse), réside dans le fait que la greffe a été issue d’un donneur non porteur de la fameuse mutation CCR5 delta 32. Ainsi, contrairement aux cellules des autres personnes considérées guéries, les cellules de cette personne restent « permissives » au VIH. Au moment de notre interview avec Romuald en décembre 2023, sa charge virale était toujours indétectable deux ans après l’interruption de son traitement antirétroviral.
AIDS 2024 : « Mettre les personnes au premier plan »
Chaque été, tous les deux ans, a lieu la grande conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS. AIDS 2024, se déroule, cette année, à Munich (Allemagne) du 20 au 26 juillet. Au programme, deux jours de pré-conférence, cinq jours de conférences et un grand village associatif avec des activistes venus-es de toute la planète, dont AIDES. Au total, 15 000 personnes ont prévu d’assister à cette conférence en présentiel ou en visio. Le thème de cette 25ème édition est : « Mettre les personnes au premier plan ». Pour les organisateurs-rices, cela signifie penser aux solutions du point de vue des personnes qui sont les plus affectées. « Dans un monde en proie à l'inégalité, mettre les personnes au premier plan dans tous les aspects de la réponse au VIH est une impératif moral et la seule voie viable pour progresser. Que ce soit dans la conception des essais cliniques, l'élaboration des politiques ou tout autre aspect de nos efforts, les personnes vivant avec le VIH et celles affectées par celui-ci doivent être non seulement bénéficiaires, mais aussi les acteurs moteurs de nos actions », souligne la Pre Sharon Lewin, présidente de l'IAS et co-présidente de la conférence AIDS 2024. La rédaction de Remaides sera sur place avec une couverture des moments forts chaque jour dès le lundi 22 juillet sur AIDES.ORG.