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    L'Actu vue par Remaides : Vieillir avec le VIH : le point de vue des professionnels-es de santé.

    • Actualité
    • 28.04.2024

     

    OLD HAND

    © Studio Capuche

    Par Fred Lebreton 

    Viellir avec le VIH : le point de vue des professionnels-les de santé

    Ces dernières années, les initiatives sur le vieillissement avec le VIH se sont multipliées. Le sujet intéresse les personnes vivant avec le VIH, les associations et les soignants-es qui les accompagnent, peu les décideurs-ses politiques. Un projet d’étude, « Vieillir avec le VIH », lancé par MoiPatient et ses partenaires, entend changer la donne. Le 9 avril dernier, un séminaire, organisé à Paris, était consacré à la restitution des résultats de cette étude inédite. La rédaction de Remaides y était et propose un décryptage de ces résultats en quatre articles. Deuxième épisode sur le point de vue des professionnels-es de santé.

    Une bonne connaissance des PVVIH de plus de 50 ans

    La dernière présentation de la journée s’est donc concentrée sur le point de vue des professionnels-es de santé qui accompagnent les personnes qui vieillissent avec le VIH. La Dre Clotilde Allavena (infectiologue au CHU de Nantes) a précisé que par professionnels-les de santé, il fallait entendre toutes les personnes qui sont en contact professionnellement en milieu médical ou au sein d'associations avec les personnes qui vivent avec le VIH. Au total, 89 personnes ont répondu au volet « professionnels-les de santé » de l’enquête, dont 34 médecins, mais aussi des pharmaciens-nes, des psychologues, des travailleurs-ses sociaux-les, des infirmiers-ères et des salariés-es ou bénévoles d'associations (20 % des répondants-es). L’âge moyen des répondants-es était de 45 ans et 20 % avaient plus de 60 ans. Des professionnels-es de santé qui, en très large majorité (91 %), travaillent en milieu urbain (surtout en région parisienne), essentiellement en milieu hospitalier. Seuls, 8 % exercent en milieu semi-urbain et très peu en milieu rural.
    D’après cette enquête, les répondants-es ont une bonne connaissance des personnes qui vivent avec le VIH suivies, y compris celles de plus de 50 ans : 37 % des professionnels-les en ont accompagné plus de 50 en 2022 ; 21 % voient au moins une PVVIH de plus de 50 ans chaque semaine et 30 %, tous les mois. Par ailleurs, 39 % se renseignent très souvent sur la thématique du vieillissement avec le VIH (taux de 50 % chez les médecins). Il faut noter l'importance des Corevih qui constituent la principale source d’information des répondants-es (72 %).

    Un manque de coordination des soins entre professionnels-les

    Des professionnels-les de santé qui rencontrent des difficultés principalement liées à la coordination des soins entre professionnels-les. Ainsi, 77,5 % des répondants-es estiment que ce sont les infectiologues qui coordonnent les soins (taux de 88,2 % pour les médecins). En outre, seuls-les 64,7 % des médecins disent disposer d’un carnet d’adresses d’autres professionnels-les de santé (quid des orientations médicales pour les 35 % restants ?). Les répondants-es orientent les PVVIH majoritairement vers un-e spécialiste en milieu hospitalier (78,4 %). Seuls, 23,6 % disent échanger très souvent avec d’autres professionnels-les sur la thématique des PVVIH de plus de 50 ans. « Les ponts entre la ville et l'hôpital sont largement insuffisants », commente la Dre Clotilde Allavena.

    Les professionnels-les estiment que l’isolement, la fragilité psychologique ainsi que la difficulté à voir un-e professionnel-e sont les difficultés majeures des PVVIH suivies.
    En ce qui concerne la fin de vie, 46,6 % des professionnels-les ont déjà abordé le sujet avec les PVVIH de plus de 50 ans le rôle de la personne de confiance. Seuls, 36,4 % des répondants-es ont déjà abordé la question des directives anticipées avec leurs patients-es. Enfin, la qualité de la prise en charge des PVVIH de plus de 50 est jugée moins bonne que celle de l’ensemble des PVVIH par les professionnels-les qui ont répondu à cette enquête.

    Sujets abordés : discordances entre PVVIH et professionnels-les de santé

    Parmi les sujets abordés entre tous-tes les professionnels-es de santé et les PVVIH de plus de 50 ans, on retrouve : la vie sociale (abordée dans 87 % des consultations), le suivi VIH (86 %), le suivi pour les autres pathologies (83, 7 %) et la vie affective (83, 5 %). Inversement, parmi les sujets les moins abordés : les besoins et démarches administratives (55, 8 %), la stigmatisation et les discriminations (55,4 %) et loin derrière les violences sexuelles (33,7 %). Une donnée qui mériterait d’être discutée collectivement. Est-ce par manque de temps ? Par manque de formation sur le sujet ? Quand cette même question est posée uniquement à des médecins (34 répondants-es sur 89), les résultats diffèrent sensiblement. Les sujets les plus abordés sont : I = I, le suivi VIH et le suivi des autres pathologies (97 %). Les moins abordés sont la stigmatisation et les discriminations (54, 5 %) et les violences sexuelles (35,3 %).

    Quand on met en miroir ces réponses avec celles des PVVIH qui ont répondu (voir notre premier article), on note une discordance importance entre les sujets abordés. D’après les PVVIH, certains sujets importants dans la prise en charge globale d’une personne qui vieillit avec le VIH ne sont JAMAIS abordés avec certains-nes professionnels-les de santé. C’est le cas des stigmatisations et discriminations (29, 7 % des répondants-es n’en parlent jamais en consultation) ; des besoins et démarches administratives (29, 6 %) ; de l’isolement (28,7 %) ; des violences sexuelles (28,2 %), de la vie sociale (27,5 %) ; des démarches pour organiser les aides à domicile (27, 2 %) ou encore de : Indétectable = Intransmissible (16, 3 %). 

    Plus de difficultés à organiser les soins des PVVIH de plus de 50 ans

    Parmi les 34 médecins qui ont répondu à cette enquête, 26 sont des infectiologues. Une nouvelle rassurante pour commencer, 97,1 % des médecins répondants ont connaissance de la signification de I = I. Concernant les échanges avec les professionnels-les, seuls 3,6 % des répondants-es déclarent toujours recevoir les comptes rendus de la part du personnel soignant. Tous-tes les médecins disent faire participer leurs patients-es à leurs décisions médicales (52,9 % de oui et 47,1 % de plutôt oui). Concernant l’allègement thérapeutique, 84,6 % des médecins déclarent avoir souvent diminué les molécules présentes dans le traitement au cours des deux dernières années. Les autres (15,4 %) les ont diminués parfois. Seuls-es 11,5 % des médecins disent avoir parfois déconseillé l’allègement thérapeutique à leurs patients-es PVVIH dans les deux dernières années. Les autres (88,5 %) ne l’ont jamais ou rarement déconseillé. Autre donnée intéressante, seuls-es 19,2 % des médecins déclarent avoir souvent proposé un traitement injectable « long acting » dans les deux dernières années. 65, 4% déclarent l’avoir proposé parfois et 15,4 % ne l’ont jamais proposé.
    Enfin, 30 % des médecins disent avoir plus de difficultés à organiser les soins des PVVIH de plus de 50 ans par rapport à une personne de plus de 50 ans non séronégative au VIH.

    La sexualité des personnes qui vieillissent avec le VIH : un sujet tabou?

    À la fin de cette présentation, une session de questions/réponses était organisée avec la salle. Une personne présente a posé une question clé : « Je parle en tant que personne concernée et je voulais poser une question, sur un point qui m'a beaucoup interpellé : quelle est la difficulté que rencontrent les soignants à aborder la sexualité avec les patients dans une pathologie qui se contracte  le plus souvent via un rapport sexuel ? Les personnes ont exprimé une réelle souffrance quand on a abordé la partie vie affective et sexualité. On a quand même aujourd'hui des sexologues qui sont formés donc des possibilités d'orienter ». La Dre Clotilde Allavena a répondu que, dans son service, la question de la sexualité était abordée principalement par le biais du bilan sur les IST. « Je pense que les patients qui nous connaissent bien arrivent spontanément à en parler. Souvent, ils le gardent pour la dernière minute de consultation : « Oh fait, docteure, j’ai oublié de vous dire un truc ». Et l’infectiologue d’ajouter : « Après peut-être que nous, spontanément, on n'aborde pas le sujet. Je pense qu'on peut mieux faire. Après les personnes très âgées ont moins de demandes, moins de problèmes au niveau sexuel. C'est moins fréquent. Je ne dis pas que ça n'existe pas mais certains me disent d'ailleurs qu'au moins là il n'y a plus de problème : « C'est fini, on passe à autre chose ».

    Et pourtant, la sexualité chez les personnes vivant avec le VIH de plus de 60 ans est loin d’être révolue. Lire à ce sujet une interview récente des membres de l’association Grey Pride à France 3 Régions : « Les vieux sont totalement désexualisés, comme si tout ça disparaissait en vieillissant : le sexe, l'identité de genre, l'orientation sexuelle », s'agace Francis Carrier, fondateur de Grey Pride. Ce constat est partagé par Jacques Thomas : « Quand on parle de vie sexuelle, on évoque la beauté du corps, la séduction, la jeunesse et on oublie les personnes de plus de 60 ans, qui se posent encore des questions sur leur sexualité ». Pour Francis Carrier, ce tabou contribue à susciter la crainte de vieillir dans la société. « On se sent amputés d'une partie de nous ».
    Quelques chiffres donnés par Grey Pride : 10 % des résidents-es de maison de retraite ont une sexualité, 74 % des personnes de plus 60 ans ont encore des relations sexuelles et 71 % des séniors-es estiment qu’ « un corps qui vieillit peut rester désirable ».
    Qu’on se le dise, vieillir avec le VIH c’est avant tout vivre et la sexualité fait partie de la vie.

    Note de la rédaction de Remaides :

    Parmi les limites du volet professionnels-es de santé de cette étude, notons deux biais qui méritent d’être posés : le faible taux de répondants-es (89 professionnels-les dont seulement 28 infectiologues) alors que l’objectif fixé était de 200 répondants-es parmi les professionnels-les ; le fait que les professionnels-es qui ont pris le temps de répondre à ce questionnaire sont, de fait, très investis-es dans l’accompagnement des PVVIH de plus de 50 ans. Un faible échantillon de personnes investies plus que la moyenne et donc des résultats à nuancer et interpréter avec prudence.

    LIRE LE PREMIER EPISODE DE CE DOSSIER

    Les résultats complets de l’étude seront mis en ligne prochainement sur le site MoiPatient.

    Méthodologie de l’enquête

    L'étude est réalisée avec l’appui de :
    - MoiPatient. Constitué à l’initiative de Renaloo, une association de patients-es, avec le soutien des pouvoirs publics, MoiPatient garantit un haut niveau de protection quant au respect de vos données personnelles ;
    - Cemka, entreprise spécialisée dans la recherche clinique, aide à la construction du questionnaire et analyse des données pseudonymisées pour production des résultats ;
    - Le laboratoire pharmaceutique ViiV, soutien institutionnel de l'étude.

    L’étude a été co-construite avec quatorze associations qui accompagnent les PVVIH : Les Actupiennes, Actions Traitements, AIDES, le Comité des familles, Da Ti Seni, Envie, Grey Pride, La Maison de vie, Les Petits Bonheurs, Marie Madeleine, RSMS, Séropotes, Sidaction et Tempo. Éude transversale sur la base de deux questionnaires en ligne et en papier (PVVIH et professionnels-les du champ médical et social qui les accompagnent). Étude lancée le 26 septembre 2023 et clôturée le 09 février 2024. Questionnaires longs (environ 220 questions et 30 à 40 minutes pour le compléter) mais majoritairement bien remplis. Près de 15,9% des répondants-es ont bénéficié d’une aide pour remplir le questionnaire, dont la quasi-totalité (96,3 %) par une association VIH.

    Qui a répondu à cette enquête ?

    Au total, 433 réponses ont été collectées (77 en papier), dont huit questionnaires exclus car très incomplets soit un total de 425 personnes. Population totale PVVIH de plus de 50 ans en France : 88 460 (source : plateforme Data Ameli fournies par l’Assurance maladie en 2021). Âge moyen des répondants-es : 60,7 ans. Une population globalement conforme à celle attendue avec une surreprésentation des PVVIH de sexe masculin (72, 3 %) vivant majoritairement en région parisienne (45, 9 %). Les tranches d’âge les plus représentées sont les 50 à 59 ans (46, 9 %) et les 60 à 69 ans (41, 9 %). Seules, 11, 2 % des PVVIH de plus de 70 ans sont représentées dans cette enquête. Par ailleurs, 36 % vivent en couple et 28 % ont des enfants. Concernant l’orientation sexuelle, 61,8 % des répondants-es déclarent être homosexuels-les, 30,3 % hétérosexuels-es, 3,4 % bisexuels-les  et 2,6 % ne souhaitent pas préciser. Enfin, 81 % des répondants-es sont nés-es en France, 18 % sont nés-es à l’étranger (1 % n’a pas renseigné son pays de naissance).