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    L’Actu vue par Remaides : « Mort de Lionel Soukaz, cinéaste pionnier du cinéma queer »

    • Actualité
    • 19.02.2025

     

    Soukaz credit photo compte Instagram Phillipe Duke.png

     

    Portrait de Lionel Soukaz au Mucem (Marseille),
    capture d'écran du compte photo Instagram de Philippe Duke

    Par Fred Lebreton

    Mort de Lionel Soukaz, cinéaste pionnier du cinéma queer

     

    Lionel Soukaz s’est éteint le 4 février dernier à Marseille, à l’âge de 71 ans. Cinéaste militant, figure incontournable du cinéma d’avant-garde français des années 1970, il laisse derrière lui une œuvre singulière, politique et subversive, qui a marqué l’histoire des luttes LGBT+ et du cinéma underground.

    Une oeuvre radicale, subversive et politique

    Né en 1953, Lionel Soukaz découvre très tôt le pouvoir de la caméra comme outil d’affirmation et de contestation. Dès la fin des années 1970, il s’impose comme l’un des fers de lance du cinéma queer français, refusant la censure et les compromis. Son film le plus emblématique, Race d’Ep, co-réalisé avec Guy Hocquenghem en 1979, dresse un parallèle audacieux entre la répression des minorités sexuelles et celle des peuples colonisés. Subversif, frontal, et volontairement provocateur, le film est censuré à sa sortie, mais devient une œuvre culte pour les nouvelles générations de cinéastes et d’activistes. Dans ses films, Lionel Soukaz explore les identités sexuelles, les désirs marginaux, le sida, mais aussi l’aliénation sociale et politique. Son travail, souvent réalisé en super 8 et en 16 mm, mêle l’expérimentation formelle à un discours engagé, dans une approche profondément libre et indépendante. Cinéaste de l’urgence, il filme la vie queer dans toute sa crudité, à une époque où la visibilité LGBT+ est encore balbutiante et violemment réprimée. Au fil des décennies, son œuvre reste confidentielle, mais influente, nourrissant le travail d’artistes contemporains qui voient en lui un pionnier du cinéma militant et du cinéma du réel. Si la reconnaissance institutionnelle lui échappe longtemps, des rétrospectives et restaurations de ses films, notamment au Centre Pompidou ou à la Cinémathèque française, finissent par lui rendre hommage, ces dernières années.

    Filmer pour ne pas disparaître 

    Sur son compte Instagram, Philippe Mangeot (président d'Act Up-Paris de 1997 à 1999) se remémore sa dernière rencontre avec Lionel Soukaz en 2022, au Mucem à Marseille, face aux images que le cinéaste avait tournées lors des réunions d’Act Up-Paris dans les années 1990. « Nous ne nous étions pas revus depuis plus de vingt ans. Nous avons fondu dans les bras l’un de l’autre. » Lionel Soukaz n’a jamais dissocié son cinéma de la vie de la « race d’Ep. », du nom de son film culte de 1979, coréalisé avec Guy Hocquenghem. « Sous Giscard, c’était considéré comme de la pornographie », rappelle Philippe Mangeot, soulignant que Barthes, Deleuze et Copi avaient dû se mobiliser pour qu’il soit projeté hors des salles X. Lorsque l’épidémie de VIH/sida ravage la communauté gay, Lionel Soukaz renonce aux films classiques et se consacre à Annales, un journal filmé de mille heures qui capte la vie foudroyée : « L’hôpital, les manifs, la trouille des amants, les gestes minuscules, les grands discours et les paroles de rien. » Ces archives, confiées à la BNF, existent comme un « trésor incomparable, pour attester que quelque chose avait eu lieu ». Avec Stéphane Gérard, il entreprend d’en faire des films, un chantier que « la mort de Lionel ne saurait clore » conclut Philippe Mangeot.