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    L'Actu vue par Remaides : Ciarra et Masonia : mères, militantes et femmes vivant avec le VIH

    • Actualité
    • 30.08.2024

    POZ SEPT

    © Poz magazine

    Par Fred Lebreton

    Ciarra et Masonia : mères, militantes et femmes vivant avec le VIH

    Désormais, on assiste à une plus grande visibilité des personnes vivant avec le VIH. C’est une très bonne chose qui permet de montrer la réalité des parcours, la diversité des personnes qui vivent avec le VIH et de sortir des caricatures. Cette visibilité assumée (qui doit rester un choix individuel et ne pas être une contrainte) contribue grandement à lutter contre les stéréotypes qui créent et entretiennent la sérophobie. Aujourdhui, voici les parcours, mis en avant par la revue POZ, ceux de Ciarra « Ci Ci » Covin, Masonia Traylor, deux mères, militantes et femmes vivant avec le VIH, et celui de Stacey S. Latimer, Noir, gay, séropositif et… évêque !. Remaides fait les présentations.

    Ciarra et Masonia : mères, militantes et femmes vivant avec le VIH
    Premier décembre 2023, journée mondiale de lutte contre le sida. C’est le grand jour pour Ciarra « Ci Ci » Covin et Masonia Traylor. Ce jour-là,  les deux meilleures amies présentent le film Unexpected, en avant-première. Ce documentaire de 22 minutes sur les femmes noires vivant avec le VIH dans le Sud des États-Unis a été produit par Sheryl Lee Ralph, l'actrice et militante récompensée par un Emmy. « Je n’ai pas les mots pour dire à quel point on peut se sentir épanouie lorsqu'une autre femme vivant avec le VIH dit qu'elle s'est enfin sentie visible », déclare Masonia Traylor, 37 ans, originaire d'Atlanta, dans une interview à Poz magazine. Le film offre aux spectateurs-rices un aperçu de la vie de Ciarra et Masonia en tant que mères, militantes et femmes vivant avec le VIH. On y voit les deux amies préparer et livrer des colis à des femmes vivant dans les zones rurales de Géorgie, nouvellement diagnostiquées avec le VIH, tout en se soutenant mutuellement. « C'est une véritable démonstration de notre amitié, du travail que nous faisons et des personnes que nous aidons », explique Ciarra, 36 ans, originaires de Philadelphie. Mais leurs histoires vont bien au-delà de cela.

    Le parcours de Ciarra Covin avec le VIH a commencé en 2008, pendant l'été précédant sa dernière année à l'Université de Géorgie. Ciarra, âgée de 20 ans, s'était rendue dans une clinique pour obtenir une contraception ; là-bas, on lui a proposé un test de dépistage du VIH. « C'est à ce moment-là que j'ai découvert que j'étais séropositive. J'ai pleuré pendant trois jours », se souvient-elle. « J'ai pris la décision que le VIH ne serait pas ce gros nuage noir qui me suivrait. J'allais prendre le pouvoir sur ce que signifiait : vivre avec ce virus ».

    Masonia Traylor, quant à elle, était une étudiante de 23 ans, élevant un jeune fils et essayant de joindre les deux bouts lorsqu'elle a été diagnostiquée séropositive en 2010. « Je faisais des tests annuels par choix. La seule façon de savoir si vous avez le VIH, c'est de vous faire tester. Le VIH pourrait vivre dans votre corps pendant des années sans que vous le sachiez », souligne la militante. Deux semaines plus tard, avant même qu'elle ait pu « digérer » son diagnostic, elle apprenait qu'elle était enceinte. « Il m'a fallu six ans pour accepter que je n'allais pas mourir et que je n'avais fait que gérer le deuil et le syndrome de stress post-traumatique pendant toutes ces années », déplore t-elle.
    Après des années d’errance thérapeutique et d’arrêts et reprises des traitements VIH en raison d’effets indésirables trop lourds, les deux femmes sont aujourd’hui en bonne santé, avec un traitement efficace, un VIH contrôlé et une charge virale indétectable. Elles ont toutes les deux des enfants nés-es séronégatifs-ves et en bonne santé.

    « Ci Ci est devenue l'une de mes meilleures amies », déclare Masonia. « Je ne sais pas comment je ferais sans elle. » Les deux femmes se sont rapprochées en 2018, avant de se rencontrer en personne l'année suivante. Masonia affirme que son lien avec Ciarra n'est pas fondé sur les traumatismes liés au VIH. En fait, elles n'ont vraiment commencé à parler de leur parcours respectifs avec le VIH qu'après le documentaire. « Nous ne réalisions même pas que nous ne parlions jamais du VIH », affirme Masonia. Les deux femmes se retrouvent autour de la maternité, de leur condition de femmes noires et de leur engagement commun. Elles sont toutes deux impliquées dans The Well Project, une organisation dédiée au VIH, axée sur les femmes exposées ou vivant avec le virus. « Être si fortement impliquées dans ce travail crée une connexion et une compréhension que la plupart des gens ne comprennent pas », explique Ciarra.
    « Vivre avec le VIH a été le contraire de tout ce que je pensais. Je ne pensais pas que la vie pouvait encore être belle. Je ne pensais pas que quelqu'un m'aimerait encore ou que je pourrais avoir des enfants », affirme Ciarra. De son côté, Masonia reste optimiste pour l’avenir : « Ma vie a toujours été pleine de sens, avec ou sans le VIH. C'est une vie géniale, quoi qu'il arrive. J'ai le VIH, mais cela ne m’empêche d’accomplir mes rêves et mes projets de vie ».

    Noir, gay, séropositif et… évêque !
    En 2007, quand Stacey S. Latimer fait la Une de Poz magazine, c’est un révérend de 47 ans, noir, séropositif et gay. Il effectue alors un travail ministériel religieux lié au VIH et au sida au sein de l'Église noire et mène des actions de plaidoyer dans la communauté au sens large. Son parcours spirituel a été tout un périple. Stacey S. Latimer a grandi dans une famille baptiste du Sud à Laurens, en Caroline du Sud. Il a également été pentecôtiste indépendant et membre de l'Unity Fellowship Church à Brooklyn, une église qui affirme l'acceptation des personnes homosexuelles. Il a fondé et été pasteur du Love Alive International Sanctuary of Praise Worship Center, puis il est devenu évêque de l'Église du Royaume Éternel.
    Bien qu'il ait été diagnostiqué positif au VIH en 1987 alors qu'il était dans l'armée, en 2007, il était en bonne santé grâce à ses traitements et à l’appui d’un entourage solide. Cependant, comme c'est le cas pour de nombreux « vétérans » du VIH de longue date, d'autres défis de santé l'attendaient. En 2019, Stacey S. Latimer est diagnostiqué avec un cancer de la prostate au stade IV, ce qui signifie qu'il s'était déjà propagé dans tout son corps. Bien que la chimiothérapie ait contribué à réduire les tumeurs, elle a fini par ne plus être efficace. Aujourd'hui, il participe à un essai clinique à l'Université de New York impliquant une radiothérapie ciblée pour détruire les cellules cancéreuses.
    Quatorze ans après sa première couverture de Poz, le militant, aujourd’hui âgé de 61 ans, a accepté de reposer pour le magazine américain dans un numéro consacré au vieillissement avec le VIH. Dans un long entretien accordé au magazine, il évoque sa foi, les essais cliniques, les questions LGBTQ et la sagesse de la vie. Dans son témoignage, Stacey S. Latimer frôle parfois avec le prosélytisme religieux, propre à la culture américaine. Cependant, il reste lucide sur le manque d’ouverture de l’Église : « Même si nous continuons à faire de grands progrès envers les personnes LGBTQIA et les personnes vivant avec le VIH, les défis restants, à savoir la religion, les différences culturelles et coutumes dépassées, ainsi que la cupidité et la haine, continueront probablement à entraver l'éducation sur le VIH et le sida. Cela bloque également les efforts pour mettre fin au sida et résoudre notre crise de santé mentale. Les rouages de l'égalité ont tendance à avancer très lentement. Pourtant, dans ce climat volatile saturé de haine, la voix de chacun est importante. Chaque vote compte. Chaque vie est précieuse ! ».
    Stacey S. Latimer revient également sur les difficultés d’être gay dans une famille très religieuse : « Je savais que j'aimais les personnes du même sexe à l'âge de 6 ans, mais je n'avais pas les mots pour [décrire cette expérience ou mon identité]. Il n'y avait même pas d'informations pour aider mes parents à comprendre. Ma famille n'était pas parfaite, mais leur amour et leur soutien m'ont permis de grandir librement et de devenir moi-même sans la plupart des préjugés haineux qui remplissent un enfant de blessures et de questions sans réponse ».
    Stacey S. Latimer a réussi à concilier sa foi avec son orientation sexuelle et sa séropositivité : « Je pense à la façon dont ma vie a servi à éduquer l'Église noire sur le VIH, le sida, et maintenant le cancer. Je ressens ce besoin de crier et de faire passer le message parce que les médecins ne nous informent pas sur les choses à propos desquelles nous devons rester vigilants [comme les dépistages du cancer]. C’est finalement un message d’amour de soi et d’estime de soi que l’homme de foi fait passer : « Il n’y a pas de meilleur moment que maintenant [à 61 ans], pour vivre votre vie de la façon la plus intense ! […] En vieillissant, il n’y a plus de temps pour être trop bouleversé, trop déprimé ou tellement brisé. Il faut prendre le temps de s’aimer et de prendre soin de soi. Nous devons être activement impliqués dans notre prise en charge de santé. Nous devons être notre propre meilleur avocat […]. Depuis 2023, la première fois que l’on m’a dit que mon traitement contre le cancer ne fonctionnait plus, ma philosophie a été : « Je refuse de m’inquiéter et de craindre ce qui n’est pas encore arrivé, car cela me privera des joies d’aujourd’hui » […] Nous devons rechercher des options et des solutions à nos peurs, inquiétudes et doutes en planifiant des résultats favorables et une fin glorieuse. Ne laissez rien ni personne vous empêcher de vivre votre meilleure vie ». Amen !
    Pour lire l’entretien dans son intégralité (en anglais).

    POZ SEPT 2024

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