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    L’Actu vue par Remaides : « Carte Vitale obligatoire en pharmacie : les soins des plus vulnérables menacés, dénoncent des associations de santé »

    • Actualité
    • 16.10.2025

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    Crédit Photo :DR.

    Par Jean-François Laforgerie

    "Carte vitale obligatoire en pharmacie ; les soins des plus vulnérables menacés", dénoncent des associations de santé

    « Présenter sa carte Vitale – carte physique ou appli carte Vitale – lors de chaque passage en pharmacie est un geste simple qui permet de bénéficier du tiers payant. Il contribue en effet à renforcer la sécurité du parcours de soins et à lutter contre le mésusage et la fraude », explique une communication de la Sécurité sociale, sortie, cet été. Il y a quelques mois, la Sécurité sociale a en effet modifié sa pratique : « Il sera désormais obligatoire de présenter sa carte Vitale en pharmacie pour bénéficier d’une prise en charge. »  Sur le papier, l’initiative pouvait paraître frappée au coin du bon sens. Dans les faits, rien n’est moins sûr puisque médecins et militants-es constatent que la mesure fragilise les personnes les plus précaires et éloigne du soin.

    Une lutte contre les fraudes préjudiciable à la santé
    En juin dernier, la Sécurité sociale publie une communication titrée : « La carte Vitale en pharmacie, indispensable pour sécuriser la délivrance des médicaments et faciliter leur remboursement ». L’objectif, alors affiché, est de « favoriser le bon usage du système de santé », de « sécuriser davantage la délivrance de médicaments sensibles et/ou coûteux », de « limiter la fraude » et « d’améliorer la traçabilité du parcours de soins ». Pour cela, il est « désormais obligatoire de présenter sa carte Vitale en pharmacie pour bénéficier d’une prise en charge. »
    Cette décision semble avoir été prise pour répondre à une préoccupation du moment des pouvoirs publics : « L’augmentation préoccupante des fraudes et des détournements de certains médicaments sensibles ― stupéfiants, antidiabétiques ou traitements coûteux. » La mesure a été décidée par l’Assurance maladie, en accord avec les syndicats de pharmaciens-nes. Il s’agit tout bonnement de « renforcer les règles conditionnant le tiers payant. » La présentation de la carte Vitale devient donc « systématiquement requise pour bénéficier du tiers payant, en particulier pour la délivrance de médicaments à risque ou onéreux. » Ces médicaments sensibles comprennent les stupéfiants ou encore certains antidiabétiques. Sont aussi concernés les médicaments « onéreux » (plus de 300 € TTC la boîte). L’Assurance maladie avancent qu’ils présentent « un risque plus élevé de trafics ou de mésusages ».

    Avec cette nouvelle règle, leur délivrance sans carte Vitale devra donc « être exceptionnelle ― par exemple pour des nourrissons de moins de trois mois ou encore dans le cadre d’un séjour en EHPAD ―, explique le communiqué officiel. Les personnes relevant de l’AME devront quant à elles présenter leur carte AME afin de bénéficier du tiers-payant. « Le bon réflexe à adopter : toujours avoir sa carte Vitale avec soi pour se rendre en pharmacie », entonne la Sécurité sociale.

    À cette occasion, celle qui était alors ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, avait entonné son couplet favori sur la « responsabilité » des patients-es. « Se soigner, c’est aussi agir avec responsabilité. Chacun a un rôle à jouer dans la préservation de notre système de santé. Présenter sa carte Vitale en pharmacie, c’est un geste simple mais essentiel pour un accès équitable, rapide et sécurisé aux soins et pour lutter fermement contre les abus », avait alors défendu la ministre. De son côté, Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance Maladie, avait choisi le registre vie pratique : « La carte Vitale – qu’elle soit physique ou dématérialisée – est un outil essentiel pour garantir la prise en charge rapide des soins et pour faciliter les remboursements. Elle permet par ailleurs un meilleur suivi du patient par les professionnels de santé grâce à l’accès à son Dossier Médical Partagé. »

    Un contrôle renforcé qui éloigne des personnes du soin
    Au cours de l’été, les premiers problèmes apparaissent. Outil de contrôle, la carte Vitale obligatoire livre son revers : « Un risque pour les plus précaires ». Un article du Monde (20 août) explique que « certains médecins alertent sur la possibilité d’une interruption des soins et la surcharge des dispositifs de santé pour les publics vulnérables », du fait de cette mesure. « Les coordinateurs des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et la Fédération Addiction sont inquiets. En cause, la décision de l’Assurance-maladie de rendre obligatoire, depuis le 17 juin, la présentation d’une carte Vitale, physique ou dématérialisée, en pharmacie pour bénéficier du tiers payant, quel que soit le médicament », écrit Le Monde. En juillet, quelques semaines après l’annonce de cette mesure des coordinateurs-rices de PASS ont adressé une lettre à Catherine Vautrin. Ils-elles préviennent « que certains patients risquent de renoncer aux soins s’ils doivent avancer les frais des médicaments avant leur remboursement par l’Assurance-maladie. Une situation particulièrement préoccupante pour les maladies chroniques nécessitant un traitement régulier, comme le VIH, le diabète ou l’insuffisance cardiaque », indique le quotidien du soir. Fin août, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité a demandé à la caisse nationale d’Assurance maladie de revenir sur l’obligation de présentation de la carte vitale. « Cette décision est dangereuse tout autant qu’inutile », explique alors la Coordination.

    Dès le 29 juillet, la Fédération Addiction avait souligné, dans un communiqué qu’avec cette mesure : « Le gouvernement et l’Assurance-maladie [prenaient] le risque de provoquer des rechutes, des hospitalisations, voire des surdoses ». « En effet, depuis plusieurs semaines, les adhérents de la Fédération Addiction (médecins, soignants, travailleurs sociaux…) signalent une multiplication des ruptures de traitement : des usagers ne peuvent plus obtenir leurs médicaments en pharmacie, faute de carte Vitale. Ces personnes, souvent suivies en CSAPA (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) ou par des médecins généralistes, cumulent les difficultés : précarité, isolement social, troubles de la santé mentale, perte de droits, absence de logement ou accès très limité au numérique. La perte ou l’absence de carte Vitale est fréquente et les démarches pour en obtenir une nouvelle sont complexes et longues », développe l’ONG.
    « Ce dispositif, appliqué sans discernement, revient à exclure du soin les personnes les plus vulnérables : c’est un refus de soin inacceptable, contraire à l’éthique médicale et aux principes de santé publique »,  affirme la Fédération Addiction qui indique avoir écrit « aux autorités en demandant que les personnes accompagnées en addictologie, par un CSAPA ou un médecin de ville, puissent bénéficier d’une dérogation claire et systématique. Ces situations doivent être reconnues comme des exceptions, permettant l’accès aux traitements sans carte Vitale, dans le cadre d’un suivi médical et social régulier. »

    Evidemment, au ministère de la Santé et de l’Accès aux soins, on semble avoir beau jeu de rappeler que cette obligation n’est pas nouvelle, mais juste le strict respect du cadre juridique existant. Mais justement, le fait que cela soit strict  pose un problème.
    Le 6 août, Mediapart consacre un article aux conséquences de cette mesure. La journaliste Faïza Zerouala interviewe Marjorie Mailland, coordinatrice du Réseau Santé Marseille Sud. La militante explique au site d’infos que « beaucoup de personnes n’ont pas de carte Vitale, pas par volonté de ne pas l’avoir, mais parce qu’[elles] ne peuvent pas en avoir une ». Et Marjorie Mailland de citer les personnes demandeuses d’asiles, celles en attente d’ouverture de droits bénéficiant de la protection universelle maladie (Puma), de la complémentaire santé solidaire (CSS) ou de l’aide médicale d’État, (AME), celles et ceux qui sont en attente de réception de leur carte Vitale ou AME. Ce qui fait du monde. La mesure a bel et bien des effets délétères pour certaines personnes. Cela met d’autant plus en colère les associations de santé que celles-ci n’ont pas été consultées en amont.

    Dès la mi-juillet, elles sont d’ailleurs plusieurs ainsi que d’autres structures, à l’initiative du Réseau Santé Marseille Sud (RSMS), à adresser un courrier au directeur général de la CPAM des Bouches-du-Rhône pour l’interpeller sur les effets nocifs de cette mesure quant à la santé de certaines personnes. Parmi les signataires : le Comede, Nouvelle Aube, Médecins du Monde, AIDES, le Coress de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le Bus 31-32. « Conditionner le tiers payant à la présentation d’une carte Vitale ou d’une carte AME représente un frein supplémentaire à l’accès aux soins pour un certain nombre d’assurés présentant déjà souvent des vulnérabilités spécifiques dans leur accès aux soins et aux traitements. En ne prenant pas en compte la réalité de ces situations, cette décision ne propose pas de disposition spécifique pour les personnes qui n’ont pas encore de numéro définitif de Sécurité sociale ou qui ont perdu leur carte. »
    Dans leur courrier, les structures signataires pointent plusieurs problèmes et risques. Elles notent une « priorisation d’enjeux administratifs u détriment de la santé publique » qui se manifeste, par exemple, par « une entrée tardive dans les soins et/ou une rupture thérapeutique pour les assurés-es dont le numéro d'inscription au répertoire (NIR) n’est pas définitif ou qui n’ont pas de carte vitale : les assurés-es en demande d’asile, les assurés-es en attente de carte Vitale ou AME, les assurés-es qui ont perdu ou se sont fait voler leur carte Vitale ou AME, les assurés-es qui n’ont pas de smartphone, etc. » Les structures craignent notamment une « rupture d’égalité dans l’accès aux soins entre assurés-es sociaux-les et un renforcement des inégalités sociales de santé, qui « selon l’Insee, sont déjà un peu plus marquées en France qu’en Europe ».
    Les services de la Défenseure des droits (DDD) ont également été saisis de cette question.