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    L'Actu vue par Remaides : Grossesse et VIH : les nouvelles recos françaises

    • Actualité
    • 18.07.2024

     

    grossesse

    © DR

    Par Fred Lebreton 

    Grossesse et VIH : les nouvelles recos françaises

    L'info est passée un peu sous le radar (ni communiqué, ni même un tweet sur le compte de la Haute autorité de Santé ), mais, le 31 mai, le chapitre du Rapport d’experts-es « Grossesse et VIH : désir d’enfant, soins de la femme enceinte et prévention de la transmission mère-enfant » a été mis en ligne sur le site de la HAS. Décryptage. 

    Quand dépister le VIH dans un contexte de grossesse ?

    Les experts-es recommandent de faire un test VIH :
    - Avant la grossesse (pré-conceptionnel) pour les deux partenaires et en début de grossesse chez toutes les femmes ;
    - Chez le futur père (ou partenaire sexuel) pendant la grossesse, si non réalisé en pré-conceptionnel, indépendamment de la sérologie VIH de la femme ;
    - Au 3e trimestre chez les femmes séronégatives exposées (partenaire PVVIH dont la charge virale n’est pas indétectable ou est inconnue, multi-partenariat) ;
    - À l’arrivée en travail (salle de travail…), en urgence à toute femme dont le statut VIH n’est pas connu,
    - D’autre part, chez les femmes séronégatives exposées au VIH, une prophylaxie pré-exposition (Prep) continue est indiquée.

    Antirétroviraux à éviter pendant la grossesse

    Les experts-es recommandent d’éviter les traitements suivants pendant la grossesse :
    - ARV pour lesquels il n’existe pas, à ce jour, de données de sécurité suffisantes pour la grossesse : Biktarvy (bictégravir), Vocabria (cabotégravir), Pifeltro (doravirine), Intelence (étravirine), Rukobia (fostemsavir), Sunlenca (lénacapavir), ainsi que toute molécule en attente d’AMM (Autorisation de mise sur le marché) ;
    - ARV pour lesquels il existe des signaux indiquant un risque de toxicité pour l’enfant : Sustiva (éfavirenz,) et AZT (zidovudine) (sauf perfusion à l’accouchement) ;
    - ARV exposant à un sous-dosage pendant la grossesse sans possibilité d’adaptation de posologie : Stribild (elvitégravir/cobicistat) ou toute autre utilisation du cobicistat ;
    - ARV injectables, faute de données pharmacologiques et en l’absence de données de sécurité concernant le Vocabria (cabotégravir).

    Adaptation de traitement chez une femme déjà traitée

    Chez les femmes vivant avec le VIH enceintes et déjà traitées, les experts-es recommandent de :
    - Poursuivre le traitement, sauf s’il comporte des ARV déconseillés pendant la grossesse, auquel cas discuter l’option de modifier le traitement, sans l’interrompre ;
    - En cas de traitement intermittent (tel que 4 jours/7), l’intensifier en 7 jours sur sept ;
    - Une bithérapie sous Dovato (dolutégravir + lamivudine), Juluca (dolutégravir + rilpivirine) ou Prezista/r + Epivir (darunavir et lamivudine) peut être poursuivie seulement en cas de contrôle virologique soutenu préalable, aux posologies adaptées à la grossesse et en réalisant un suivi pharmacologique des concentrations au 3e trimestre ;
    - En cas de co-infection avec le VHB, le traitement ARV doit comporter du ténofovir (TDF ou TAF) actif sur les deux virus.

    Suivi pendant la grossesse

    Chez les femmes vivant avec le VIH (FVVIH) enceintes, les experts-es recommandent :
    - Un suivi clinique et biologique de l’infection VIH et un suivi obstétrical mensuels ;
    - Suivi obstétrical de grossesse à risque, comprenant le dépistage du risque d’accouchement prématuré (taux élevé de 15 % chez les FVVIH) : toutefois aucune prévention spécifique n’est à ce jour disponible. Il n’est pas nécessaire que la maternité soit de type 3 (unité de réanimation néonatale permettant la prise en charge des grossesses dites à « haut risque » et des nouveaux-nés présentant des pathologies sévères)
    - Évaluation régulière (clinique et biologique) en consultation, ainsi qu’une hospitalisation de jour si la situation obstétricale, les résultats immuno-virologiques, l’observance, ou la situation sociale le justifient ;
    - Préserver la confidentialité du statut VIH, parfois non connu de l’entourage, y compris du père de l’enfant à naître, tout en encourageant et aidant la FVVIH à le lui révéler ;

    Une Prep pour tous les nouveaux nés

    « Une prophylaxie postnatale doit être débutée le plus tôt possible » chez tous les nouveaux-nés de mères vivant avec le VIH recommandent les experts-es.

    Quatre situations sont distinguées selon le risque d’infection :
    1 : Scénario optimal : Mère sous traitement ARV avant la conception ou depuis le début de grossesse, avec une charge virale indétectable (inférieure à 50 copies/mL) depuis au moins six mois ;

    2 : Faible risque d’infection : Mère sous traitement ARV ayant eu une charge virale VIH-1 supérieure à 50 copies/mL dans les six derniers mois, mais qui est inférieure à 50 copies/mL dans les quatre semaines précédant l’accouchement et confirmée à l’accouchement ;

    3 : Risque intermédiaire d’infection : Mère ayant une charge virale entre 50 et 400 copies/mL dans les quatre semaines précédant l’accouchement

    4 : Haut risque d’infection : Mère sans traitement ARV pendant la grossesse ou CV supérieure à 400 copies/mL dans les quatre semaines précédant l’accouchement

    Pour les scénarios 1 et 2, il est préconisé la prophylaxie postnatale suivante pour les nouveau-nés : «  Viramune (névirapine, en sirop) en première intention. En cas d’antécédent de mutation de résistance du virus maternel, le choix d’un traitement alternatif doit se faire en discussion multidisciplinaire ».
    Pour les scénarios 3 et 4, il est préconisé la prophylaxie postnatale suivante pour les nouveau-nés :  Retrovir (zidovudine) + Epivir (lamivudine) + Viramune (névirapine) en première intention.

    VIH et allaitement : des recos très (trop ?) prudentes

    Jusqu’ici en France, l’allaitement était fortement déconseillé pour les femmes vivant avec le VIH, peu importe leur charge virale (lire notre dossier à ce sujet). Les nouvelles recommandations d’experts permettent un assouplissement. Le risque est certes faible, mais il existe. En avril 2023, une prise de position sur le sujet de l'allaitement lorsqu’on vit avec VIH a été rédigé par plusieurs associations de lutte contre le sida (AIDES, le Comité des Familles, TRT-5 CHV, Sidaction, Planning familial, Sol en Si, Dessine-moi un mouton, RSMS : Réseau Santé Marseille Sud, Actions Traitements). Son but : interpeller les experts-es français-es de la prise en charge du VIH qui mettaient à jour les nouvelles recommandations d’experts-es (Rapport Delobel, celui qui est en cours). Les associations espéraient un assouplissement des recommandations en ce qui concerne l’allaitement par les femmes vivant avec le VIH.
    Le moins qu’on puisse dire, c’est que les nouvelles recos concernant VIH et allaitement restent très (trop ?) prudentes : « Le risque de transmission par l’allaitement maternel est élevé en l’absence de contrôle virologique chez la mère. En situation de suppression virale prolongée, le risque de transmission par l’allaitement est très faible, permettant d’envisager l’allaitement sans pour autant pouvoir affirmer à ce jour la notion « indétectable = intransmissible » dans ce cadre », écrivent les experts-es.
    « Le sujet de l’allaitement doit être abordé pendant le suivi de grossesse ; il s’agit d’une décision partagée » affirment les experts-es. « Lorsqu’un allaitement artificiel est décidé : apporter si besoin une aide pour l’achat de lait et accompagner la femme, notamment pour la préparer à répondre aux questions de l’entourage ».

    Conditions requises pour envisager l’allaitement au sein par une mère vivant avec le VIH
    Les experts-es recommandent les conditions suivantes pour envisager l’allaitement au sein par une mère vivant avec le VIH et précisent : « Si l’un des critères n’est pas rempli, l’allaitement au sein est formellement déconseillé » :
    - Traitement ARV débuté avant la conception ou au 1er trimestre de grossesse ;
    - Historique de suivi régulier, d’observance optimale au traitement ARV et aux visites ;
    - Charge virale maternelle indétectable (inférieure à 50 copies/mL) avec au moins six mois de contrôle virologique ;
    - Engagement de suivi renforcé pendant toute la durée de l’allaitement au sein ;
    - Capacité de l’équipe de réaliser l’accompagnement de la mère et de l’enfant.

    « L’allaitement au sein ne modifie pas le choix des ARV chez la mère. La diffusion des ARV dans le lait maternel est variable. Il n’y a pas, à ce jour, de données sur la toxicité potentielle des ARV chez l’enfant exposé par l’allaitement, pour guider des recommandations de choix thérapeutique chez la mère, ou de surveillance particulière chez l’enfant », précisent les experts-es. Par ailleurs, il est proposé de poursuivre la prophylaxie du nourrisson pendant toute la durée de l’allaitement (conseillée par les experts-es de six mois maximum) et jusqu’à 15 jours après son arrêt définitif. La Viramune (névirapine ) est à utiliser en première intention chez l’enfant de mère vivant avec le VIH-1.

    Un manque de données sur le risque de transmission du VIH par l’allaitement au sein chez les femmes en succès virologique

    Pour comprendre les prises de position des experts-es sur allaitement et VIH, il faut se référer à l’annexe argumentaire de ce chapitre. Le document (de 238 pages !) revient en détail sur la littérature scientifique existante à ce sujet. Ainsi page 97 (chapitre 8.1.1), on peut lire : « On ne peut pas affirmer à ce jour (décembre 2023) que l’équation « charge virale indétectable = infection intransmissible » (U = U) soit vérifiée dans le cadre de l’allaitement maternel, comme on peut l’affirmer pour le Tasp dans le cadre de la transmission sexuelle et celui de la transmission verticale au cours de la grossesse et de l’accouchement. Lorsque la mère a débuté le traitement ARV pendant sa grossesse, les méta-analyses [analyses portant sur un ensemble de différentes études scientifiques sur un même sujet) estiment le risque de transmission post-natale chez les enfants à 0,2 % par mois d’allaitement (0,16 % par mois d’allaitement si le traitement était initié avant la grossesse). Le risque potentiel reste similaire du début à la fin de l’allaitement au sein. En multipliant par le nombre de mois d’allaitement, cela pourrait aboutir à un risque de 2 % à un an. Il n’y a pas de données publiées permettant de connaître le risque de transmission par le lait d’une femme en situation de succès virologique au long cours, car il n’y a pas de grande étude de cohorte de mères ayant une charge virale VIH constamment indétectable. 

    De rares cas de transmissions en Afrique sub-saharienne

    Quelques études réalisées en Afrique sub-saharienne ont évalué la transmission du VIH-1 pendant l'allaitement maternel chez des femmes ayant commencé leur traitement ARV au cours de la grossesse et l’ayant poursuivi pendant l’allaitement. Un cas de transmission postnatale chez un enfant dont la mère avait une charge virale inférieure à 37 copies/mL à la fois dans le plasma et dans le lait, au plus près du moment présumé de la transmission, a été décrit. Dans l'étude Mma Bana, deux cas de transmission du VIH via l'allaitement maternel ont été rapportés parmi plus de 500 couples mère/enfant ; dans ces deux cas, la charge virale était inférieure à 50 copies/mL dans le plasma maternel et le lait, un mois et trois mois après l'accouchement. Dans l’essai PROMISE, qui a inclus plus de 2 400 femmes pour comparer l'efficacité de la prophylaxie ARV prolongée du nourrisson versus le traitement ARV maternel, pour prévenir la transmission du VIH pendant l'allaitement, deux cas de transmission ont été signalés dans le groupe traitement ARV maternel malgré une charge virale maternelle plasmatique inférieure à 40 copies/mL à la date à laquelle les premiers échantillons des nourrissons ont été testés positifs. Dans le suivi postnatal à 72 mois de l’essai DolPHIN-2, un cas de transmission postnatale a été rapporté malgré le contrôle virologique chez la mère sous doravirine (DOR) + lamivudine (3TC) + ténofovir DF (TDF).

    Aucun cas de transmission dans les essais plus récents

    Dans une étude en Tanzanie, les seuls cas de transmission du VIH pendant l'allaitement au sein sont survenus en l’absence de contrôle virologique chez la mère ; il n’y a eu aucune transmission en cas de succès virologique. Très récemment, des chercheues-ses (Nagot et al) ont présenté en congrès une grande étude prospective multicentrique en Afrique où aucun cas de transmission n’a eu lieu en cas de charge virale maternelle maintenue inférieure 50 copies/mL pendant la durée de l’allaitement.
     

    Etats-Unis : les mères vivant avec le VIH peuvent allaiter

    Avancée. Le nouveau rapport de l’Académie américaine de pédiatrie annule les recommandations mises en place depuis le début de l’épidémie de VIH, dans les années 1980 : les femmes vivant avec le VIH sous traitement avec une charge virale indétectable peuvent allaiter. Ce rapport reconnaît que les médicaments couramment prescrits peuvent réduire le risque de transmission du VIH via le lait maternel à moins de 1 %, a déclaré la Dre Lisa Abuogi, experte pédiatrique en VIH à l’Université du Colorado et autrice principale du rapport. « Les médicaments sont si efficaces maintenant et les avantages pour la maman et le bébé sont si importants que nous en sommes à un point où il est important de prendre cette décision », a souligné Lisa Abuogi. Environ 5 000 mères séropositives accouchent chaque année aux États-Unis. Presque toutes prennent des médicaments pour contrôler le virus à des niveaux très bas, a précisé la Dre Abuogi, bien que les niveaux viraux puissent rebondir si elles ne les prennent pas. Avant que les médicaments ne soient largement disponibles il y a dix ans, environ 30 % des infections à VIH transmises de la mère aux bébés se produisaient pendant l’allaitement, a indiqué la Dre Lynne Mofenson, conseillère à la Elizabeth Glaser Pediatric AIDS Foundation. Au début des années 1990, environ 2 000 infections survenaient chaque année chez des nourrissons américains. Aujourd’hui, ce sont moins de 30. Selon des recherches, l’allaitement maternel fournit une nutrition idéale aux bébés et les protège contre des maladies et des affections telles que l’obésité et le diabète de type 2. L’allaitement réduit également le risque de cancer du sein et de l’ovaire, de diabète et d’hypertension artérielle. « L’objectif est d’écouter les patients et non de les blâmer ou de leur faire honte », a expliqué la Dre Lynn Yee, professeure d’obstétrique et de gynécologie à l’Université Northwestern qui a contribué à la rédaction des directives du NIH.
    L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis 2010 aux mères vivant avec le VIH dans les pays en développement d’avoir accès à un traitement antirétroviral et d’allaiter leurs nourrissons. Ces directives ont fait suite à une évaluation du rapport bénéfice/risque entre une transmission du VIH par allaitement et le risque que des bébés meurent de malnutrition, de diarrhée et de pneumonie, dans les endroits où des substituts sûrs au lait maternel ne sont pas disponibles. Dans les pays développés, cependant, les experts-es ont toujours recommandé de ne pas allaiter au sein en raison de la large disponibilité d’eau potable, de préparations pour nourrissons et de lait maternelmère, et du risque résiduel de transmission. 

    Allaitement et VIH : la position des assos

    Le 21 avril 2023, une prise de position sur le sujet de l'allaitement lorsqu’on vit avec VIH était publiée sur le site du TRT-5 CHV.Un texte important qui entendait faire connaître la position de plusieurs associations de lutte contre le sida (AIDES, le Comité des Familles, TRT-5 CHV, Sidaction, Planning familial, Sol en Si, Dessine-moi un mouton, RSMS : Réseau Santé Marseille Sud, Actions Traitements) et interpeller les experts-es français-es de la prise en charge du VIH. Extrait : « Nous sommes ainsi convaincus-es de la nécessité d’un accompagnement de toute mère allaitante vivant avec le VIH et de leur implication dans toutes décisions relatives à leur grossesse et à l’allaitement de leur enfant. Par l’actualisation de leurs recommandations, les experts-es américains-nes honorent les Principes de Denver, affirmés par les premiers activistes de la lutte contre le sida, il y a 40 ans : « Les personnes atteintes du sida ont le droit à une qualité de traitement médical et de soutien social ; […] à des informations complètes […] et ont le droit de prendre des décisions averties sur leur vie ».

    Trois ans d'attente pour avoir ces recos

    La patience est une vertu. Plus de trois ans après l’annonce de sa commande, l’actualisation des recommandations d’experts-es concernant la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, les hépatites virales et la prise en charge des IST commence à être rendue publique. Pour rappel, la commande a été passée par l’ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, le 16 avril 2021. Ce sont les professeurs Patrick Yeni (alors président du Conseil national du sida et des hépatites virales) et Yazdan Yazdanpanah (ANRS | Maladies infectieuses émergentes) qui avaient été mandatés pour cela. La coordination globale du nouveau rapport d’experts-es a été confiée au professeur Pierre Delobel (chef du service des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Toulouse). Ce dernier coordonne également tous les chapitres du rapport consacrés au VIH. Les chapitres consacrés aux hépatites virales sont coordonnés par la docteure Françoise Roudot-Thoraval (Hôpital Henri Mondor, Créteil). Le Pr Nicolas Dupin s’occupe, lui, des chapitres consacrés aux IST. Comme auparavant, chaque chapitre a son propre groupe de travail. Outre des cliniciens-nes et des chercheurs-ses, des experts-es associatifs-ves (TRT-5 CHV, AIDES, etc.) ont participé aux travaux. À noter que le ministère de la Santé et de la Prévention avait demandé que les recommandations soient élaborées en concertation avec la Haute autorité de santé (HAS).