L'Actu vue par Remaides : Deux millions d’euros pour une campagne anti-drogue jugée inefficace et stigmatisante
- Actualité
- 10.02.2025
© Studio Capuche
Par Fred Lebreton
Deux millions d'euros pour une campagne anti-drogue jugée inefficace et stigmatisante
Dans un communiqué publié le 6 février, la Fédération Addiction critique vivement la nouvelle campagne du gouvernement contre la consommation de drogues, lancée par le ministère de l’Intérieur. Destinée à « culpabiliser », selon les mots du ministre, les usagers-ères, cette initiative est dénoncée comme un gaspillage de fonds publics, inefficace et contre-productive. Selon les experts-es de l’addictologie, la stigmatisation éloigne les consommateurs-rices des dispositifs de soins et va à l’encontre des principes d’une prévention efficace. Explications.
La Fédération Addiction dénonce un gaspillage de deux millions d’euros
Gaspillage d’argent public ? Le gouvernement a lancé le 6 février dernier sa nouvelle campagne : « Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue », une initiative portée par le ministère de l’Intérieur et destinée à « responsabiliser les consommateurs », en les culpabilisant. La Fédération Addiction dénonce cette approche, construite sans concertation avec les professionnels-les de santé. Une campagne qualifiée par le réseau d’associations et de professionnels-les de l’addictologie d’ « énième campagne inefficace qui privilégie la culpabilisation à la prévention réelle. »
« La peur et la stigmatisation ne changent pas les comportements, elles éloignent au contraire les consommateurs des dispositifs de soins », dénonce l’association. Avec des images chocs ― jouets d’enfants en flammes et scènes de violence ―, cette communication dramatique reste déconnectée des réalités des usages et des consommateurs-rices. La Fédération Addiction rappelle que des décennies de recherche ont identifié les critères d’une prévention efficace : des messages ancrés dans la réalité, non moralisateurs, et ajustés aux publics visés. Or, cette campagne ne répond à aucun de ces impératifs. L’association pointe également du doigt l’investissement de deux millions d’euros pour une initiative jugée contre-productive alors que la prévention des addictions manque cruellement de financements pérennes.
Sur Bluesky, Benjamin Tubiana-Rey, le responsable Plaidoyer et Communication de la Fédération Addiction ironise sur le budget de cette campagne : « Deux millions d'euros, une somme qui aurait pu payer 40 chargés-es de prévention expérimentés-es pendant un an ou financer un programme complet de prévention des addictions pour 14 000 collégiens-nes. À la place, le gouvernement se paye une campagne aussi outrancière que ridicule. » « Alors que les structures d’addictologie peinent à recruter et que la prévention reste sous-financée, le gouvernement persiste dans des stratégies de communication inefficaces », regrette la Fédération Addiction. Elle appelle ainsi à revoir les priorités en abandonnant les campagnes culpabilisantes au profit d’une prévention construite avec les professionnels-les de terrain et adaptée aux besoins des populations concernées.
Une campagne qui culpabilise les consommateurs-rices et inquiète les professionnels-les
« Ce n’est pas une campagne de sensibilisation, c’est une campagne de culpabilisation », a déclaré, sans vergogne, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, lors d’une conférence de presse, affirmant vouloir provoquer un « électrochoc » en associant directement les consommateurs aux violences liées au trafic de drogue. Ce changement de paradigme s’inscrit dans une escalade sémantique amorcée depuis plusieurs années par l’exécutif, rappelle Le Monde dans un article publié le 7 février. Dès 2024, l’ancien ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avaient évoqué l’idée que consommer de la drogue revenait à avoir « du sang sur les mains ». Pour Catherine Delorme, présidente de la Fédération Addiction, cette stratégie de culpabilisation est « totalement contre-productive » et risque de « repousser toujours plus les consommateurs de la prévention et des parcours de soins ». Une critique partagée par les professionnels-les de l’addictologie, qui rappellent que la stigmatisation ne permet ni de réduire la consommation ni de favoriser l’accompagnement des usagers-ères rappelle le quotidien du soir. Aux côtés de Bruno Retailleau, Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, a défendu cette initiative en insistant sur la nécessité de « dénormaliser » ces consommations et de lutter contre leur banalisation, notamment face à l’essor de la cocaïne et des stimulants de synthèse, désormais présents « dans tous les territoires ». Ce choix politique, qui repose sur une approche sécuritaire et non sanitaire, fait l’impasse sur les recommandations des experts-es de la prévention et suscite de vives inquiétudes parmi les acteurs-rices de terrain.