L'Actu vue par Remaides : Accros à la ligne dure !
- Actualité
- 07.08.2024
© Fred Lebreton
Par Jean-François Laforgerie
Accros à la ligne dure!
« La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères », appelait Emmanuel Macron, en avril 2021, dans une interview fleuve au Figaro, conçue comme un « véhicule communicationnel » de la vision sécuritaire du chef de l’État, quant à l’usage de produits. Peu importe que ce nouveau positionnement éloigne le président de l’image tempérée qu’il prétendait donner de lui sur le cannabis, lors de sa campagne pour la présidentielle de 2017. Une image qui, il est vrai, s’était vite radicalisée au fil des mois, avant le premier tour. L’interview de 2021 confirmait la radicalité du tournant, assenant des formules du genre : « On se roule un joint dans son salon et, à la fin, on alimente la plus importante des sources d’insécurité ». Des formules supposément frappées au coin du sens, destinées à marquer l’opinion publique ; qui ne craignent pas les raccourcis, les approximations, voire la caricature. En matière d’usages de produits, l’exécutif est désormais accro à la ligne dure. En témoignent les sorties des deux ministres du gouvernement Attal qu’on a le plus entendu sur le sujet : celui de l’Intérieur et celui de la Justice.
« Rien n’est récréatif dans la drogue, tout est mortel », assène, mi-mai sur RTL, Gérald Darmanin, écho récent à cette formule lancée en 2020 : « La drogue c’est de la merde, on ne va pas légaliser cette merde ». Ces derniers mois, le ministre de l’Intérieur a expliqué à de nombreuses reprises son souhait de « harceler » les consommateurs-rices de drogues. C’est sa martingale pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Sa vision est simple : les premiers responsables de la situation seraient les personnes qui consomment, notamment celles des beaux quartiers. Ce registre martial et incantatoire, qui tient souvent de la leçon de morale (une pratique très en vogue chez les décideurs-es politiques à propos de l’usage de produits) n’est pas l’apanage du seul hôte de la place Beauvau. Son collègue de la Justice, Éric Dupont-Moretti, y cède volontiers. En mars dernier, invité de BFMTV-RMC, le Garde des Sceaux expliquait : « Celui qui fume son petit pétard le samedi, ce pétard-là, voyez, il a le goût du sang séché sur le trottoir » Et le ministre de poursuivre : « Si les gens se tuent, si les gens trafiquent, c’est parce qu’il y a quelques bobos, quelques petits bourgeois, quelques gens qui, de façon totalement inconsciente, pensent qu’ils ont le droit de fumer du shit le samedi soir ».
À ces formules d’estrade, l’exécutif associe désormais des opérations de police et justice tapageuses. Des opérations antidrogues format XXL qui ont mobilisé plus de 20 000 gendarmes et policiers-ères, qui auraient permis 1 738 interpellations, la saisie de 150 kilos de drogues et de 2,4 millions d’euros « d’argent sale ». Le gouvernement a voulu marquer l’opinion en concentrant quelque trente-cinq opérations de police en quelques jours et en les médiatisant à outrance (l’une d’elle ayant été annoncée dans les médias… avant qu’elle ne soit lancée sur le terrain !). Le ministre de l’Intérieur a indiqué que d’autres opérations auraient lieu. Comme on le voit, l’exécutif opte pour un discours et une méthode sécuritaires. On pourrait dire qu’il est dans son rôle, même si la méthode répressive a largement montré ses failles. La France est l’un des pays européens qui sanctionne le plus les usagers-ères et, paradoxalement, le pays européen où la consommation reste la plus élevée. Bien entendu, on nous explique que si la répression était moindre, plus grave encore serait la situation. Le discours de l’exécutif entretient cette vieille lune ; oubliant qu’il ne suffit pas de hausser le ton pour produire le changement. Si la prohibition fonctionnait, cela se saurait ! L’inefficacité de cette stratégie saute aux yeux — cela ne marchait déjà pas sous Richard Nixon avec sa stratégie de « guerre totale contre les drogues illicites », pas plus avec l’adoption de la loi de 70 chez nous. Le choix délibéré de laisser la RDR dans l’angle mort du discours politique et de la stratégie face à l’usage de drogues (dites « dures ») est à la fois une erreur et une faute.
Faute car en matière d’usage de produits, il n’est jamais question de santé dans la bouche des ministres ou si peu… même chez ceux et celles dont c’est pourtant la fonction. La priorité donnée à la sécurité fait qu’on oublie celle qu’on doit aux personnes consommatrices pour éviter les sanctions judiciaires répétées dans le cas de la consommation de cannabis, pour éviter les infections au VIH ou au VHC, les abcès, les surdoses, les décès, etc. Un outil existe pourtant : la RDR. Elle est même inscrite dans la loi. Pourtant, elle peine à faire son entrée dans les prisons (voir notre reportage en page XX). Sur elle pèse toujours le poids du soupçon. Où est le discours officiel qui défend la RDR (dont l’efficacité est pourtant démontrée par la science) ? Quel-le ministre monte au front pour elle ? Pas étonnant dans ce contexte que les arbitrages soient toujours en faveur de celui qui crie le plus fort, en faveur du répressif. Pas de salle de consommation à moindre risque (on parle de halte soins addictions ou HAS, depuis 2021) à Lille parce que le ministère de l’Intérieur a fait part de sa « ferme opposition » au motif que Gérald Darmanin pense que la « drogue ne doit pas être accompagnée, mais combattue ». Mais la RDR, ce n’est pas « accompagner » la drogue, c’est faire de la santé publique ! Blocage aussi pour la salle de Marseille du fait de l’État. Résultat : il n’existe en France que deux salles (Paris et Strasbourg) depuis leur autorisation à titre expérimental en 2016, et l’expérimentation s’achève l’année prochaine. En amalgamant les sujets, en caricaturant la RDR et ses acteurs-rices, le discours officiel dominant actuel mène à l’échec et joue avec la vie des consommateurs-rices. Qui donnera le sursaut pour que décrochent les accros à la ligne dure ?
Cet article est publié dans le Remaides 128 (été 2024)