« Big ben ! » : décès de l'artiste Ben à l'âge de 88 ans
- Actualité
- 06.06.2024
« J’aime aider AIDES pour pouvoir baiser à l’aise »
Par Jean-François Laforgerie
Big ben !
La nouvelle est tombée mercredi 5 juin. L’artiste Benjamin Vautier, dit Ben, a été retrouvé mort à son domicile de Nice. Il était âgé de 88 ans et se serait donné la mort, peu après la disparition soudaine de son épouse. Grande figure de l’art, « artiste de l’écriture » comme le décrit Le Monde, Ben était un militant doublé d’un artiste, à moins que ce soit l’inverse. En 2005, il s’était engagé aux côtés de AIDES, à l’occasion d’un Congrès de l’association à Nice, sa ville de prédilection.
« J’ai toujours voulu faire quelque chose de nouveau ». Cette phrase, mantra de l’artiste, incarne bien l’œuvre de Ben et sa volonté de marquer son temps. Né en 1935 à Naples d’une mère irlandaise et d’un père suisse, Benjamin Vautier a vécu dans de nombreuses villes (Naples, Izmir, Alexandrie, Nice). Après des études au parc Impérial, Ben a commencé sa carrière professionnelle dans une libraire puis dans sa propre boutique, rue Tonduti de l’Escarène à Nice, où se mêlaient les livres, les papiers, les disques, et les objets les plus divers. Ces objets ornaient la façade de sa boutique, devenant ainsi une œuvre d’art à part entière. Cette façade a d’ailleurs été démontée par l’artiste lui-même pour qu’elle rejoigne les collections permanentes du Centre Pompidou où elle est désormais préservée.
Un héraut de l’école de Nice
Dans les articles d’hommage qui lui sont consacrés (et ils sont nombreux tant l’artiste était connu), on insiste sur le rôle clef de Ben dans l’émergence de l’école de Nice, un mouvement artistique (catégorie Bouillonnant et hors des normes) qui a réuni César, Arma, Martial Raysse ; mouvement largement inspiré des œuvres de Marcel Duchamp et d’Yves Klein auxquels Ben vouait une grande admiration. Au cours d’un parcours artistique riche, dense, marqué par l’innovation et le sens du spectaculaire, Ben a souvent frappé les esprits. En 1959, Ben inventa ainsi les « sculptures vivantes », des passants-es qu’il décrétait œuvres, qu’il signait au hasard. En 1963, l’artiste avait signé l’intégralité des objets du marché aux puces de Nice. À partir de 1965, sa boutique devient un lieu de transmission de son propre travail comme de celui d’autres artistes (Robert Combas, Hervé Di Rosa, Christian Boltanski, Sarkis, Robert Filliou…).
Les mots comme obsession
Si on en croît l’article qui lui est consacré sur Wikipédia, c’est en 1953 que daterait sa première « peinture de mots » : « Il faut manger. Il faut dormir », une « simple affirmation de la vie », dont l’objectif est cependant de véhiculer un concept fort. Ben produit un art de l'idée, bien avant le début de « l’art conceptuel » que les experts-es de l’art date du début des années 60. Ben est donc un précurseur, tant il cherche de nouvelles formes artistiques, pour parler de l’art et du monde de l’art. Il développe alors ses écritures (phrases courtes aux allures de maximes) sur des thèmes d’une grande variété (l’ego, le doute, la mort, le sexe, la nouveauté, l’argent, plus tard le sida…). Les phrases que Ben écrit (le plus souvent en lettres blanches sur fond noir) tiennent de différents registres : vérités, commentaires, invectives, constatations, évidences, idées reçues, conseils avisés ou ironiques. Elles visent à faire réagir, cogiter, parfois sourire. Comme le soulignent plusieurs commentateurs-rices, elles « donnent souvent matière à penser ». Il en va ainsi de la phrase « Nous vaincrons », créée pour la lutte contre le sida.
Car qui est ce nous ? Nous collectivement qui atteindrons cet objectif ? Moi qui regardant cette phrase m’interroge sur mon engagement ou mon inaction ? D’ailleurs, est-ce un ordre, un objectif, une évidence ? C’est en cela sous de fausses allures de simplicité que se dévoile la puissance de la proposition de Ben et cet exemple est loin d’être unique.
En 2005, l’artiste avait réalisé des tee-shirts à l’occasion d’un congrès de l’association AIDES, confirmant, une fois encore, son engagement artistique et militant, dans la lutte contre le sida et son sens de l’humour. On pouvait y lire : « J’aime aider AIDES pour pouvoir baiser à l’aise ».
Des réactions à sa disparition
« Tout est art » ; c’est cette formule de Ben que le Centre Pompidou a mis en avant dans son communiqué : « C'est avec une profonde tristesse que nous apprenons les décès de Benjamin Vautier, dit Ben et de sa femme, Annie. La collection du Centre Pompidou compte une vingtaine d’œuvres couvrant l’ensemble de sa carrière, et plus particulièrement, « Le Magasin de Ben », chef-d’œuvre adoré du public. Un hommage lui sera rendu par le Centre Pompidou », a annoncé l’institution sur X (ex Twitter).
« C'est avec stupeur et vive émotion que nous apprenons la mort de Ben. Il avait illuminé la @trioletaragon lors du vernissage sans pareil de son exposition au moulin. Nous adressons toutes nos condoléances à ses proches. Demeurent les souvenirs. Demeureront les œuvres », a commenté de son côté la Maison Elsa Triolet-Aragon.
Du côté politique, outre les messages de l’Elysée et du ministère de la Culture, c’est le Président du Conseil départemental des Alpes Maritime, Charles Ange Ginésy qui a réagi lui aussi sur X : « Avec la disparition de Ben, c’est un morceau de la culture et de l’art niçois qui s’en est allé. Ses écrits, si reconnaissables, nous ont fait rire autant qu’ils nous ont interrogés. Pour Ben, l’art était tout, l’art était inutile, l’art était partout. Ses œuvres ont habité les murs des plus prestigieux musées, du MoMA de New York au Palais de Tokyo de Paris, en passant bien-sûr par le Musée d’art moderne de Nice. Ben n’est plus, mais son art restera à jamais dans le cœur des Niçois. Mes pensées vont à sa famille et à ses proches en ces instants douloureux ».
Fondateur des Associations Les Petits Bonheurs et Envie, Grégory Bec a également réagi à cette disparition : « L'artiste Ben a mis fin à ses jours, à 88 ans, par arme à feu, quelques heures après le décès de sa femme. Sa campagne de lutte contre le sida, de 1993 « Nous vaincrons », et également l'affiche éditée par la mairie de Paris « Pour la vie », m'ont accompagné dans plusieurs de mes bureaux, à l'hôpital, à AIDES puis à Envie... Merci Ben d'avoir si bien imaginé ce style, et ces mots tout simples qui reflètent et résument l'essentiel... ».