Je fais un don

    Remaides 116 : disponible

    • Remaides

    remaides 116 magazine information vih sida hépatites santé sexuelle préventionPleurer !

    Il n’est pas certain que tout le monde sache aujourd’hui ce que furent les « années noires » (1981-1986), pas même moi alors trop jeune. Le très beau livre Mémoires du sida (1), sorti en 2012, y consacrait un chapitre émouvant. Au fil, des récits individuels qui le composent, se dessinent « des années de guerre, des mois et des mois à attendre des armes qui ne vinrent jamais » ; des visites hebdomadaires au crématorium du Père-Lachaise, le grand cimetière parisien, des « amis morts rapidement, dans un silence total », des médecins démunis-es, etc. Ce chapitre, triste à pleurer, évoque les noms rayés des agendas. Il mentionne la quasi-génération de personnes consommatrices de drogues par injection « balayée dans l’indifférence » des pouvoirs publics, comme de la société. Ce sont encore les discriminations, les difficultés dans chaque domaine de la vie… comme s’il en pleuvait ; des « lâchetés », des « bassesses » dont les personnes touchées disent avoir été victimes. Ce sont les années les plus dures collectivement, en France, même si toutes les difficultés n’ont pas disparu aujourd’hui, loin s’en faut.

    L’ouvrage Mémoires du sida a, aujourd’hui encore, un double intérêt : celui de raconter l’histoire d’une maladie par les personnes qui l’ont vécue ou la vivent encore ; celui d’expliquer en quoi le sida a été et demeure un « événement total » ou plus précisément un « phénomène social total ». Les auteurs-rices en rappellent d’ailleurs la définition proposée par le sociologue Maurice Halbwachs, soit un faisceau d’événements qui agit, bouscule, déplace des politiques, des institutions, des croyances, des pratiques. La survenue du sida dans nos vies, comme événement public et comme événement privé, tient bien de cela : un immense et dramatique chambardement, tous domaines confondus, auquel personne ne s’attendait, ni n’était préparé.

    C’est de cela que ce numéro spécial de Remaides, à son échelle, avec ses limites et ses partis pris, tente de rendre compte à son tour. L’histoire de la lutte contre le sida est si vaste et si complexe que toute ambition d’exhaustivité semble peine perdue, même si on ne peut que saluer le tour de force réalisé par Olivier Maurel et Michel Bourrelly d’y parvenir presque avec leur ouvrage Une histoire de la lutte contre le sida (voir leur interview en page 70).

    Penser !

    Face à un « phénomène social total », il n’y a pas eu d’autre solution que de faire face… et pour cela il fallait penser. La responsabilité face au sida a été rapidement engagée. Enfin, cela dépend de qui l’on parle. L’histoire nous rappelle l’exemplarité de l’engagement des personnes touchées elles-mêmes, de leurs proches, des premiers-ères militants-es, de quelques médecins et chercheurs-ses, etc. La mobilisation est partie de la base. Elle a essaimé dans différents groupes, dans différents pays, pour devenir un combat universel. Elle s’est incarnée dans des structures, dont AIDES dès 1984.

    Elle a parfois connu une course de lenteur chez les décideurs-ses politiques, suscitant la colère légitime de celles et ceux qui vivaient l’urgence et la criaient. Rétrospectivement, bien des erreurs ont été commises. Certaines s’expliquent ; toutes ne s’excusent pas ! Ce combat a été jalonné d’obstacles, dont ce numéro pointe quelques-uns. Ils ont été dans tous les domaines et de toutes natures (pressions politiques ou religieuses, choix économiques, éthiques ou moraux, etc.). Cette histoire nous rappelle ainsi que rien n’aura été épargné aux personnes vivant avec le VIH, à l’instar des déclarations de l’extrême droite lorsque Le Pen appelait, en 1987, à la création de « sidatoriums » pour les « sidaïques ». Je cite cet exemple, à dessein, tant il traduit l’ignominie de certains propos, inédits à l’époque contemporaine concernant une maladie, et souligne le fait que le sida a presque toujours été traité « à part ». Ces propos restent une honte… pour celui qui les a tenus, et le symbole de la sérophobie, un fléau dont nous ne sommes toujours pas débarrassés-es. Une des raisons de ne rien lâcher, aujourd’hui encore.

    Combattre !

    On rappelle souvent cette idée que le présent ne se comprend qu’à l’aune du passé. C’est sans doute vrai, pour partie, mais cela ne suffit pas. Comme le rappelait la sociologue Eva Illouz (2) : « Vouloir comprendre le présent à l’aune du passé, c’est éluder la responsabilité qui nous incombe » aujourd’hui. Et des responsabilités, nous en avons encore. Revenir sur quatre décennies d’histoire, ce n’est pas la clore. D’autant qu’elle se poursuit, car le combat contre le VIH n’est pas fini, même si l’objectif d’une fin de l’épidémie reste potentiellement atteignable. Nous avons tous  les outils pour y parvenir.

    Ce sont les financements qui font défaut. Ils demeurent en deçà des efforts à consentir. Et puis cette absence de volonté politique, quoi qu’en disent les États, risque de nous faire rater l’objectif. Et ce d’autant que l’arrivée de la Covid-19 a tout bouleversé. Nous assistons peut-être là à un nouveau « phénomène social total », dont les effets se surajoutent aux conséquences du VIH. Il est d’ailleurs alarmant de voir que face à cette nouvelle pandémie, nous tombons collectivement dans nos vieux travers : discriminations, recherche d’un-e coupable, contraintes sur les libertés, égoïsme médical, primat de l’économie sur la santé mondiale, etc. Comme si ces quarante années de douleurs et d’espoirs, d’avancées scientifiques et de modestes progrès des droits ne nous avaient rien appris pour faire face aux enjeux d’aujourd’hui. Nous avons encore beaucoup à apprendre en relisant le texte-phare de Daniel Defert, le président-fondateur de AIDES : Un nouveau réformateur social : le malade (3). Nous y trouverons encore des clefs utiles pour combattre efficacement contre ces deux pandémies.

    En revenant sur ces quarante ans et plus… ce numéro spécial de Remaides se regarde lui-même. Pas par nombrilisme, mais parce que ce journal a, depuis sa création, fait partie de cette histoire. Il l’a vécue et en a rendu compte. On retrouvera dans les pages qui suivent la parole des personnes concernées et les grandes avancées que le journal a suivies, qu’il a fait mieux connaître dans l’intérêt de ses lecteurs-rices (4). Il n’a pas été le seul, mais sans doute celui qui incarne le mieux ce triptyque : Pleurer ! Penser ! Combattre !

     

    Sources :

    (1) : Mémoire du sida. Récit des personnes atteintes, France, 1981-2012, par Philippe Artières et Janine Pierret, Éditions Bayard, 2012
    (2) : Tribune, dans Le Monde, 17 juillet 2019
    (3) : On le trouve dans les annexes de Daniel Defert, une vie politique. Entretiens avec Philippe Artières, Éric Favereau et Joséphine Gross. Éditions du Seuil, 2014
    (4) : Des sujets comme le Tasp, la Prep, l’allègement thérapeutique ont été largement poussés dans les colonnes de Remaides avec l’appui du comité de rédaction du journal, tout particulièrement Renaud Persiaux, Nicolas Charpentier…

    Pour lire tous les autres numéros de REMAIDES, c'est par 👉 ici 👈

    ABONNEZ-VOUS À REMAIDES

    *Champs obligatoires