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Crises de confiance !
Nous sommes entrés-es dans la deuxième année de la pandémie de Covid-19. Le temps passe vite, mais que c’est long ! Et manifestement nous n’en avons pas terminé. Nous sommes à présent dans une période où s’éloigne « la réponse à l’urgence » (même si la pression reste forte) pour une phase de « vie avec ». Les dernières décisions du plan de déconfinement par étapes, décidé par le gouvernement, le font bien comprendre. Il ne s’agit désormais pas tant d’en finir avec la pandémie (le « zéro Covid » paraît plus qu’incertain) que de composer avec lui, en créant les conditions d’une cohabitation subie, mais qui resterait supportable à moyen, voire long terme. Et pourtant, en matière de stratégie contre une pandémie, cette option est la plus difficile à tenir sur le plan sanitaire, social et économique, comme nous l’avons appris depuis quarante ans avec le VIH/sida.
C’est l’évidence que l’exécutif ̶ le Président en tête ̶ s’est lancé dans un pari : préserver l’économie, garantir sa promesse de maintenir les écoles ouvertes, éviter la saturation à l’hôpital, sauver le plus de vies possible. Une des clefs de ce pari tient en la réussite de la stratégie vaccinale. Le vaccin pour tous-tes… mais chacun-e son tour, voilà la martingale ! Reste que cette stratégie ne fonctionne pas aussi bien qu’attendu, du fait d’une accumulation d’obstacles, qui vont des problèmes de livraison à la défiance envers certains vaccins, en passant par des critères peu clairs sur l’accès à la vaccination et des objectifs sanitaires peu lisibles par l’opinion publique. Le pari est donc risqué. Très risqué ! Il interroge d’autant plus qu’il semble être le fruit d’une décision présidentielle solitaire, voire arbitraire.
Nous avons connu la période du primat donné à la parole des experts-es, notamment au sein du Conseil scientifique. Celui-ci semble désormais moins écouté, comme si l’exécutif renonçait à s’appuyer sur le fait scientifique pour légitimer ses choix. « Ce n’est pas une stratégie basée sur la science qui a été choisie », souligne d’ailleurs Dominique Costagliola (1) dans une interview au Monde (5 mai 2021).
Aujourd’hui, l’expertise scientifique semble moins en cour. Celle de la société civile ne l’a jamais été. Depuis le début, malgré nos demandes pour qu’elle soit prise en compte, cette expertise a été sous-estimée, voire complètement ignorée. C’est une sorte de variation de la méfiance, connue, du chef de l’État à l’égard des corps intermédiaires : un doute sur la compétence, la crainte de ne pas pouvoir agir vite. Et la présence d’une représentante des usagers-ères de santé au sein du Comité scientifique (2) ne pallie pas ce déficit.
Écartée donc la société civile. Éconduite aussi la représentation nationale. Il est vite apparu que le lieu du pouvoir décisionnaire était le Conseil de défense sanitaire. Une structure, au mode opératoire délibérement tenu secret, dont la pratique est venue téléscoper avec fracas l’exigence de transparence que notre société réclame aujourd’hui. Le choc a été d’autant plus fort que, pour faire face à la crise sanitaire, ce Conseil de défense exige, depuis des mois, que nous concédions une part conséquente de nos libertés individuelles et collectives. Et que cela n’est pas sans dommage, comme on le voit avec le dernier rapport de la Défenseure des droits concernant les Ephad (3).
Notre rapport VIH, hépatites : la face cachée des discriminations, édition 2020, l’avait également démontré, rappelant que les personnes les plus vulnérables socialement, les plus précaires économiquement étaient plus exposées aux épidémies. Il expliquait aussi l’impact des mesures, souvent coercitivess prises dans la réponse à la Covid-19, bien souvent préjudiciables à certains-es groupes et personnes.
Bien sûr, une société peut souscrire à des efforts, même importants, même contraignants, un temps donné. Nous le faisons depuis plus d’un an ! Elle le fera d’autant plus facilement qu’elle en comprendra l’objectif, qu’elle en partagera la finalité et qu’elle participera à la décision. Elle le fera sans difficultés si cela produit des effets positifs. Mais si ce n’est pas le cas, comme nous le vivons depuis le début de cette crise, que se passe-t-il alors ? Des failles dans le consentement surviennent. L’absence d’une vraie consultation de la société civile, comme celle de la représentation nationale, nous ont conduit au doute et, dans une certaine mesure, à une perte de soutien public. Dès lors, le procés en légtimité devient permanent, la crise de confiance durable. Les exemples sont multiples de décisions qui sont incomprises dans leur finalité comme dans leurs moyens et qui sont contestées, voire contournées. Cela concerne les critères de vaccination, l’achat de vaccins ou de médicaments hors des cadres de l’État, un moindre respect des interdictions, le refus du maintien de l’état d’urgence sanitaire, etc.
La lutte contre le sida, au fil de quatre décennies, nous a conduit à repenser les relations entre les individus, celles des malades avec l’État. En l’absence d’une réaction à la hauteur de l’enjeu ̶ du moins, les premières annnées ̶ c’est la société civile qui s’est imposée avec ses revendications (la RDR, par exemple), un nouveau contrat entre soignants-es et soignés-es., etc. La démonstration a ainsi été faite que la société civile était plus qu’utile dans la réponse à une épidémie. Il est incompréhensible que cette leçon ait été si peu et si mal reprise pour faire face à la Covid-19. Dans une interview (4), le philosophe Serge Audier expliquait que « les défis de la pandémie de Covid-19 et de la vaccination nous rappellent que la justice sociale doit être globale ». Et cela à l’échelon de notre pays, comme au niveau mondial. Qui peut croire que cette crise trouvera sa fin sans un accès universel réel aux vaccins ? L’histoire de la lutte contre le sida nous ensigne que le chacun pour soi est une impasse, doublée d’une faute morale. Qui peut croire que les « solutions » imposées à des groupes et des personnes (sans qu’ils ou elles soient consultés-es sur celles qui les concerne fonctionnent durablement ? Là encore, la lutte contre le sida nous a démontré que c’est l’échec assuré. Qui peut penser que la justice globale peut être atteinte sans que le pouvoir politique ne se batte en faveur de l’émancipation des citoyens-nes ?
Personne ne peut s’épargner cette réflexion car derrière la crise sanitaire se noue déjà une crise sociale qui frappera plus durement les personnes les plus fragilisées. Ce n’est pas une prédiction. J’aimerais avoir tort, mais, hélas, cela se passe toujours ainsi. « Il est très net et très inquiétant que certains groupes payent encore une fois un prix plus élevé que les autres », constatait, il y a quelques mois, la directrice de la Santé publique de Los Angeles. Ce constat, c’est aussi le notre. La crise actuelle pousse nos gouvernants au contrôle permanent. Le discours politique en appelle à la confiance envers les citoyens-nes, mais on peine à la voir à l’œuvre. Si c’était le cas, la société civile serait VRAIMENT associée aux décisions pour faire face à cette crise sanitaire ; et elle serait consultée sur les objectifs de la stratégie gouvernementale en cours. Il est plus que paradoxal que la santé, du fait des décisions politiques actuelles, apparaisse comme un obstacle à la liberté et à la sécurité des personnes. Aux crises sanitaire et sociale, s’ajoute désormais la crise de confiance. Ce piège est pourtant évitable avec ce principe, issu de la lutte contre le sida : « Rien pour nous, sans nous ! »
Aurélien Beaucamp, président de AIDES
Notes de bas de page :
(1) : Épidémiologiste et biostatisticienne, Dominique Costagliola est également administratrice de AIDES depuis 2019.
(2) : Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde
(3) : Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, Rapport de la DDD, mai 2021
(4) : Le Monde, 16 mars 2021.
*Champs obligatoires