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    Remaides 114 : disponible

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    remaides 114 magazine aides association vih sida ist hépatites covid-19 coronavius discriminationsLoi de 1970 : 1 ; Usagers-ères : 0 !

    69, année érotique. 70, année répressive ! Quel concours de circonstances, quelle urgence, ont conduit au vote d’une telle loi, une nuit de réveillon ? Des historiens-nes ont tenté de lever le voile (1). C’est bien le 31 décembre 1970, qu’a été adoptée la loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses ». L’initiative vient de la majorité de droite de l’époque (2). Le texte est une loi d’exception. C’est-à-dire établie en dérogation du droit commun, du fait de circonstances jugées exceptionnelles. Quelles sont-elles alors ? Des pressions américaines exercées sur le gouvernement français pour mettre fin à la French Connection (3) et l’existence d’une « épidémie de toxicomanie » qui effraie la France de Georges Pompidou. Pour comprendre la philosophie de la loi, il suffit de lire son préambule. Il affirme que : « Toute personne usant de façon illicite de substances classées comme stupéfiants, est placée sous la surveillance de l’autorité sanitaire»… et judiciaire. Dans les faits, la loi vise à une prohibition intégrale des drogues. Elle établit un classement des substances selon leur dangerosité, qui, lorsqu’elles sont estampillées comme stupéfiants, sont interdites. Elle confie à la justice une double réponse : pénale et sanitaire. Côté pénal : des amendes, des peines de prison ferme sanctionnent l’usage, le transport, la détention, l’offre, la présentation de la drogue sous un jour favorable. Côté sanitaire (la portion congrue du texte législatif) : la loi enjoint au sevrage et à l’injonction thérapeutique (l’obligation de se soigner pour décrocher !). La loi de 1970 considère la personne usagère (simple consommatrice) comme un bloc : 100 % malade, 100 % délinquant-e ! On peut ainsi être condamné-e à de la prison ferme juste pour avoir consommé et être contraint-e aux soins.

    Prétendument équilibrée (selon ses auteurs-rices) entre objectifs sanitaires et sanctions, cette loi n’a fait que renforcer la répression, passant par pertes et profits l’approche de santé publique. La réponse pénale ainsi créée, la vision des drogues ainsi imposée, prédominent toujours. Cinquante ans plus tard, rien n’a changé, ou à la marge. C’est d’autant plus surprenant et préjudiciable que cette loi et ses effets sur la durée n’ont jamais été évalués sérieusement par les pouvoirs publics. D’autres s’en sont chargés (4). Alors quel résultat ? La loi censée « en finir avec la drogue » a conduit à une hausse de la consommation (y compris chez les mineurs-es), à une plus grande circulation des produits, à une hausse de la production du fait d’une demande accrue, etc. Face à ce bilan   ̶  peu glorieux au regard des objectifs initiaux des politiques   ̶, on entend souvent l’argument que cette situation est bien la preuve que la loi ne serait pas suffisamment dissuasive, et que le tableau serait sans doute plus sombre encore sans elle. Nous pensons le contraire, car les « évolutions » qu’a connues la loi sont toutes allées dans le même sens : la sanction. Et ce n’est pas la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants en 2020 qui nous prouvera le contraire. La loi de 1970 échoue parce qu’elle a été mal conçue : imposant l’amalgame entre « malade » et « délinquant » ; mettant sur le même plan : consommation et trafic, etc. Surtout, elle vise à une prohibition, dont l’exemple de l’alcool nous montre le caractère utopique (pour rester poli !).

    Son bilan est surtout mauvais, du fait des conséquences pour les personnes usagères. La loi a montré, depuis des décennies, qu’elle est néfaste à la santé et aux droits des personnes consommatrices. Elle l’est d’abord parce qu’elle a créé, puis entretenu un contexte favorisant la stigmatisation et la discrimination. Il n’y a qu’à voir les réactions lorsqu’une personne dit qu’elle « se drogue ».  Il n’y a qu’à observer la réprobation, la peur, le mépris qui, souvent, se manifestent. Il n’y a qu’à constater le peu de considération de la société dans son ensemble, et des pouvoirs publics en particulier, pour les personnes consommatrices et leurs droits, y compris à décider pour elles-mêmes. Et la crise de la Covid-19 en constitue un exemple édifiant comme nous le rappelle Nathalie Latour dans son interview (5). Elle l’est ensuite parce que la criminalisation de l’usage a éloigné du soin un grand nombre de personnes consommatrices, tout particulièrement celles qui sont en détention. Ces dernières n’ont que peu, et, le plus souvent, pas accès à la prévention, alors qu’elle est inscrite dans le code de la santé publique et plusieurs lois de santé. La loi de 1970 a renforcé la précarité des personnes usagères. Elle a augmenté les discriminations, dont elles sont la cible. On le voit de façon plus aigüe encore avec la crise sanitaire que nous connaissons aujourd’hui ; ce que nous avons démontré dans la dernière édition de notre rapport VIH, hépatites : la face cachée des discriminations. (6)

    Au fil des années, on a bien vu que cette vieille loi était un obstacle à la réduction des risques et des dommages. La confrontation n’est pas récente. Elle date de la fin des années 80. Par quelque bout qu’on prenne les choses, c’est une évidence que ce texte, dépassé et incohérent, a été et reste encore un obstacle à la mise en place rapide d’une politique efficace de réduction des risques et des dommages. La libéralisation de l’accès au matériel d’injection s’est faite dans la douleur, l’autorisation des traitements de substitutions aux opiacés n’a pas été facile, les programmes d’échanges de seringues en prison n’ont jamais vu le jour (malgré quelques tentatives…), les salles de consommation à moindre risque ont péniblement pu bénéficier d’une expérimentation… parcimonieuse (deux salles pour toute la France), l’accès aux traitements anti-VHC n’est pas facile pour les personnes détenues, etc. Pas une avancée de RDR ne s’est, un jour, télescopée aux dogmes punitifs de la loi de 1970. Pas étonnant dans ces circonstances que l’opinion publique française appelle au changement et critique la loi actuelle. Dans un sondage récent (7) sur les 1 000 Français-es interrogés-es par l’institut CSA research, 66 %, soit deux-tiers, jugent que la pénalisation pour usage n’est pas efficace pour lutter contre la consommation de drogues. Autre chiffre révélateur de ce sondage : 82 % des Français-es interrogés-es sont favorables à l’organisation d’un débat sur les politiques des drogues incluant l’ensemble des acteurs-rices concernés-es (usagers-ères, médecins, policier-ères, magistrats-es, etc.). Ce débat est d’autant plus nécessaire que des expériences et exemples étrangers nous prouvent qu’une autre approche est possible, que cela fonctionne et qu’ainsi les droits des personnes consommatrices sont respectés et les objectifs de santé publique atteints. On voit bien que le régime mondial de contrôle des drogues, dont la loi de 1970 n’est que la déclinaison hexagonale, qui prétend changer le comportement humain et prévenir la consommation par la sanction ne marche pas… et qu’il ne marchera jamais ! On le sait depuis des décennies. On en connaît le prix en vies humaines, en atteintes aux droits. Le match est joué : « Loi de 1970 : 1 ; usagers-ères : 0 ! ». Qui peut encore s’en satisfaire ?

     

    Aurélien Beaucamp, président de AIDES

     

    Notes de bas de page :
    (1) : Tout particulièrement Alexandre Marchant, historien, qui a consacré un ouvrage de référence : L’impossible prohibition : drogues et toxicomanie en France (1945-2017). Editions Perrin, 2018.
    (2) : L’UDR, un parti gaulliste créé en 1967. C’est l’ancêtre du RPR.
    (3) : Dans les années 70, il y a eu une « guerre » entre la France et les États-Unis au sujet de l’héroïne « made in Marseille, réputée de très grande qualité, qui faisait des ravages aux États-Unis.
    (4) : https://www.federationaddiction.fr/reforme-de-la-justice-penale-stop-aux-politiques-repressives-en-matiere-de-drogues
    (5) : Nathalie Latour est déléguée générale de la Fédération Addiction, voir son interview en page 34.
    (6) : VIH, hépatites : la face cachée des discriminations, rapport 2020, publié par AIDES le 11 novembre 2020. Pour consulter le rapport : https://www.aides.org/publication/rapport-discriminations-2020
    (7) : Sondage commandé par le Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD), regroupement de 19 organisations avec, entre autres, AIDES ; ASUD ; la Fédération Addiction ; la Ligue des droits de l’Homme, Techno+, le Syndicat de la magistrature ou encore Médecins du Monde. Voir en page 16 de ce numéro.

     

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