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Nous étions alors en juillet ; sur le perron de l’Élysée, au côté de l’artiste et militant de la lutte contre le sida Elton John, Emmanuel Macron interpellait l’opinion publique : « J'ai besoin d'une chose, c'est que vous nous rendiez la vie impossible ». L’adresse était surtout dirigée vers les jeunes, les appelant à la mobilisation pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la dernière conférence de reconstitution des ressources s’est déroulée les 9 et 10 octobre derniers à Lyon.
« J'ai besoin de cette énergie-là, de ces mouvements, de ces indignations, y compris de ces prises à partie du président de la République, du gouvernement (…) Parce que plus vous faites cela, plus cela nous oblige à bouger », expliquait-il alors.
Cette invitation, la société civile (1), investie dans la lutte contre le sida et les autres pandémies, y a largement répondu, en amont de la conférence de Lyon. En France, elle l’a fait par des campagnes, dont la nôtre (« Nous recherchons un Emmanuel pour mettre fin au sida ») qui a suscité beaucoup d’intérêt et des critiques ; car l’impertinence gêne, même lorsque le pouvoir demande qu’on lui rende la « vie impossible ». Elle l’a fait également avec un événement populaire comme la Boucle du ruban rouge (2), qui a suscité une mobilisation inédite de l’opinion publique au-delà des villes partenaires de ce périple militant et citoyen. Cette initiative a permis de faire mieux comprendre le lien qu’il y a entre les revendications que nous portons nationalement et celles que nous défendons sur le plan international. C’est ce qui a aussi permis de resserrer les liens interassociatifs et de peser encore davantage dans le portage de nos messages. Ce qui représente un tout, tant il est évident que l’atteinte de l’objectif d’un contrôle de l’épidémie voire de sa fin sera mondiale ou ne sera pas. Autrement dit : il est illusoire de croire en une fin de l’épidémie chez nous sans fin du sida dans le monde. C’est d’ailleurs tout le sens de notre engagement, fort et constant, en faveur du Fonds mondial.
Cet outil de lutte contre les trois pandémies mérite largement d’être soutenu. Il peut d’ailleurs se
prévaloir d’un bon bilan. Il faut rappeler ici que les programmes soutenus qu’il soutient ont sauvé
32 millions de vies depuis sa création en 2002.
Mais une lecture attentive de ce rapport montre bien que les « bons » résultats ne doivent pas
conduire à un optimisme béat. Il reste encore beaucoup à faire et dans un temps très court.
Nous sommes devant deux échéances. À l’horizon le plus lointain, les pays ont collectivement pris
l’engagement d’atteindre la cible de l’objectif de développement durable N° 3 qui est d’en finir avec
ces épidémies d’ici 2030. À très brève échéance, la stratégie des « 3 X 90 » (3) doit être effective ;
chez nous, en France, l’objectif est de « 3 X 95 ». Et c’est pour 2020 ! Autant dire dans quelques mois. Ce sera alors l’occasion de dresser le bilan de l’action publique, des promesses d’engagement des gouvernements, mais aussi du nôtre : celui de la société civile dans son ensemble.
Pour cette conférence, le Président français et le Fonds mondial avaient fixé à au moins 14 milliards de dollars l’objectif pour le cycle 2020-2022 ; un montant indispensable pour sauver 16 millions de vies en plus et ne pas perdre les acquis des années précédentes. La société civile et des instances internationales visaient plus haut (entre 16,8 et 18 milliards), estimant qu’un effort financier plus soutenu permettrait d’accélérer la réponse face à ces trois pandémies. Au final, l’objectif bas sera légèrement dépassé. Était-ce grave que la veille de la clôture de la conférence
de Lyon, les 14 milliards ne soient pas atteints ? Il manquait alors 100 millions de dollars. Un chiffre permet de répondre : 100 millions qui font défaut, c’est 1,5 millions de vie qui ne sont pas sauvées ! Chacun-e comprend l’enjeu. La société civile a d’ailleurs pris acte de l'engagement de Bill Gates et d’Emmanuel Macron de lever d’ici le 1er décembre prochain les 100 millions d’euros qui manquent actuellement.
Si tous les engagements pris sont tenus, le montant des ressources pour le cycle 2020-2022 s’établira à 14,2 milliards de dollars. C’est une très bonne chose, mais aussi le minimum pour éviter l’échec. La France aura, elle, consenti à une augmentation de 20 % de sa contribution, portée à 1,3 milliard d’euros pour 2020-2022 ; un résultat en deçà de nos espoirs et demandes. L’atteinte de cet objectif n’aura pourtant pas été une mince affaire. Bien entendu, il n’échappe à personne que le contexte actuel ne contribue pas à faciliter la satisfaction de nos revendications. Notre présence à la conférence visait à rappeler que derrière ces enjeux financiers, il y a des vies humaines. Et comme je l’expliquais le 10 octobre à Lyon, lors d’une manifestation, Emmanuel Macron avait alors un pouvoir de vie ou de mort sur 16 millions de personnes. Il devait en être conscient ; il l’aura partiellement compris.
Aujourd’hui, il reste beaucoup à faire. Les données actuelles indiquent que 38 millions de personnes vivent aujourd’hui avec le VIH dans le monde, dont 15,7 millions sont toujours sans traitement. Chaque année, un million de personnes sont nouvellement contaminées et près d’un million perdent la vie. La moitié des enfants vivant avec le VIH n’ont pas accès aux traitements, etc. Ces chiffres-là sont connus. Il est, du coup, surprenant que des chefs d’État ne saisissent pas mieux l’urgence et que les « efforts » auxquels ils consentent, ne s’obtiennent qu’à l’arrachée !
Aurélien Beaucamp, président de AIDES
(1) : Tout particulièrement : AIDES, Action Santé Mondiale, Amis du Fonds mondial Europe, Coalition PLUS, Prévention Santé Sida Île-de-France (ex-CRIPS), Élus locaux contre le sida,
Équipop, ONE, Oxfam, Le Planning Familial, Sidaction, Solidarité Sida, Solthis.
(2) : Voir en page 10 de ce numéro.
(3) : À l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique. À l’horizon 2020, 90 % de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées
reçoivent un traitement antirétroviral durable. À l’horizon 2020, 90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée, selon la
définition de l’Onusida. En France, l’objectif est de 95 %.