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FINISSONS-EN !
"Je n’ai pas pris Abedi Pelé,il est séropositif". Cette rumeur, c’est Bernard Tapie qui la lance auprès d’un proche du staff de l’équipe de foot de Monaco. Nous sommes en 1987. Le club monégasque a des vues sur ce champion.Bernard Tapie qui dirige alors l’Olympique de Marseille, aussi. Il conseille au joueur, originaire du Ghana, de ne pas faire d’examens de sang comme cela lui est pourtant demandé.Cela jette la suspicion. Et Tapie lance la rumeur de la séropositivité de l’athlète. Le Club de Monaco renonce au joueur… qui finit à Marseille. Cette histoire (1) en dit évidemment long sur le cynisme de l’homme d’affaires,peu soucieux de morale, ne reculant devant rien. Elle révèle aussi un état d’esprit général. Au club de Monaco, l’équation : joueur africain, sida, refus de faire des tests, a conduit à écarter l’athlète. A Marseille, la même équation a servi à remporter un transfert, en dévoilant le prétendu état de santé d’un sportif, pour le démonétiser. Désormais, lorsqu’on tape le nom d’Abedi Pelé sur Internet. C’est la mention : "Abedi Pelé sida" qui apparaît en premier. On ne sait pas ce qu’en pense l’intéressé. Et de voir qu’aujourd’hui des médias classent cette histoire dans la rubrique "Insolite" ajoute encore au malaise. Car cette histoire n’a rien d’insolite. Elle n’est pas une simple anecdote. Il faut la voir comme un syndrome, celui de la persistance d’un mal : la sérophobie. Comment appeler autrement, ce rejet que suscite le simple mot sida, cette peur qu’il provoque, ces réactions irrationnelles qu’il engendre, ces discriminations qu’il provoque et entretient. En 1987 déjà. En 2017, nous en sommes toujours là.Cette fois, la rumeur atteint un autre footballeur : Emmanuel Eboué. Originaire de Côte d’Ivoire, le champion aurait "échoué" à la visite médicale avant d’intégrer un nouveau club, à Chypre. Les médias turcs lancent la rumeur que le sportif serait atteint du sida. Emmanuel Eboué explique désormais, depuis des semaines, que ce n’est pas le cas. A ce jour, le club qu’il espérait ne l’a pas recruté. Encore une victime de la sérophobie. Et elle est loin d’être la seule.
Depuis la découverte du VIH, les premiers cas de sida, les premières disparitions, on ne peut que constater et déplorer les manifestations de peur voire d’aversion de la part de certaines personnes à l’égard des personnes vivant avec le VIH. Très vite, les peurs individuelles ont cédé la place à des réactions grégaires, qui ont fait le lit de discriminations administratives, légales. Depuis des années, on voit bien que pas un domaine de la vie n’a pas été épargné. La sérophobie sévit à l’école, dans l’emploi et la formation, dans l’assurance, dans les déplacements à l’étranger, dans les cabinets médicaux, dans la vie affective et sexuelle. Les associations de lutte contre le sida, parfois les autorités elles-mêmes, combattent la sérophobie. C’est sur notre pression que des dispositions sérophobes ont été abrogées, des lois modifiées. Mais nous sommes encore loin du compte. Toutes n’ont pas disparu. Certaines se cachent encore dans notre droit, d’autres ont pignon sur rue. Ainsi la liberté d’aller et venir pour les personnes vivant avec le VIH n’est pas garantie partout dans le monde. Ainsi, vivre avec le VIH conduit encore à un traitement différencié et discriminatoire de la part des assurances, de certains cabinets médicaux, etc. Ainsi, nombre de personnes séropositives se voient toujours demandées si elles sont "clean" !
Dire sa séropositivité reste toujours une gageure tant cela comporte de risques : de perdre un-e conjoint-e, des ami-e-s, un emploi, de se voir refuser un prêt, une formation, un logement, une promotion, etc. Cette situation dont l’anachronisme frappe — tout a changé dans le VIH, sauf cela — est au coeur du Manifeste "Nous sommes positifs" (2) lancé par Camille Genton. Camille, jeune homme d’affaire, a lui-même été victime de sérophobie, ce qu’il expose dans son édifiant et fort témoignage : "Positif" (3). Ce manifeste, dont je suis signataire, en appelle à une "vraie égalité des chances et de traitement, totale et inconditionnelle" pour toutes les personnes vivant avec le VIH. Il est aussi l’affirmation du refus de subir en silence et encore une sérophobie que nous avons collectivement laissé s’installer par paresse, bêtise, lâcheté, dans toutes les communautés, dans tous les groupes sociaux, à chaque étape de nos vies. Je ne parle évidemment pas des personnes concernées qui en sont directement les victimes, mais de celles et ceux qui, par leurs comportements, leurs mots, leurs positions, leurs décisions, excluent d’une façon ou d’une autre les personnes séropositives. Ils sont les visages de la sérophobie. "La stigmatisation a tué plus de personnes que le virus du VIH", affirmait récemment, dans une formule provocante, Kenneth
Cole(4), ambassadeur itinérant international de l’ONUSIDA. Et s’il avait raison ? Alors qu’attendons-nous pour mettre enfin un coup d’arrêt à la sérophobie ?
Finissons-en !
Aurélien Beaucamp, président de AIDES
Il est possible de signer le Manifeste "Nous sommes positifs" sur www.change.org/p/manifeste-positif
(1) : "Bernard Tapie, grande gueule cassée" (Série Têtes brûlées, 5/6), par Fabrice Lhomme et Gérard Davet, "Le Monde", 21 juillet 2017.
(2) : Manifeste "Nous sommes positifs" sur www.change.org/p/manifeste-positif
(3) : "Positif", par Camille Genton, éditions Jean-Claude Lattès, 16 euros. Les droits d’auteur sont reversés à LINK.
(4) : Discours au Forum social 2017 du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, octobre 2017.