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    Le 130ème numéro de Remaides est disponible en ligne !

    • Remaides
    • 23.01.2025

    Tout faire contre la sérophobie !

    Par Jean-François Laforgerie,
    Coordinateur de Remaides

    Remaides numéro 130L’info est en une de La Dépêche du Midi ; en haut de page, bien visible. L’article concerne un « événement » qui s’est déroulé à Auch (Gers). Extrait : « Un vent de panique a soufflé ces jours-ci parmi le personnel du tribunal de grande instance auscitain. Au cours du jugement d’une importante affaire de drogue qui a mobilisé le palais de justice d’Auch, durant quatre jours, (…) il s’est avéré qu’un ou deux prévenus étaient séropositifs. Du coup, tous les employés se sont sentis tout d’un coup mal dans leur peau ; craignant d’attraper le sida, ils ont exigé que les locaux soient désinfectés. » Cette réaction peut surprendre, tout comme celle du procureur qui, tout en étant « persuadé de l’inutilité de cette requête », a néanmoins choisi d’obtempérer. Il a fait appel pour cela au « laboratoire de génie sanitaire » de la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale, dont le quotidien nous dit qu’il « est parti à la chasse au virus ».

    L’info date du 3 septembre 1987. De nos jours, elle dénote d’une époque où la méconnaissance était largement partagée, même si la réaction initiale du procureur démontre que les modes de transmission du VIH étaient pourtant connus de certains-es. Finalement, ce sont celles et ceux qui ont eu peur qui ont obtenu gain de cause. Cette « peur » qui arrive « tout d’un coup », frappant telle la foudre, qui brouille les repères, altère le jugement et les comportements (« mal dans leur peau » !) et conduit à demander l’absurde : ici, la désinfection d’une salle d’audience. Le plus souvent, ce ne sont pas les locaux qui trinquent, mais les personnes vivant avec le VIH elles-mêmes, victimes de préjugés, de la violence des mots et de certaines propositions. En 1987 (encore !), le grand hebdomadaire LGBT de l’époque, Gai Pied, publie, en avril, une interview de François Bachelot, représentant de Jean-Marie Le Pen sur les questions de santé et député FN. Celui qui est aussi médecin cancérologue explique : « Les sidaïques sont de véritables bombes virologiques. On ne fera pas de progrès dans la lutte contre le sida sans isoler les patients ».

    C’est lui qui souffle le terme « sidatorium » à Le Pen. En mai de la même année (décidément !), Le Pen est l’invité de l’émission politique L’Heure de Vérité. Il y explique que le « sidaïque est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C’est une sorte de lépreux. » avant de se lancer dans une démonstration ignominieuse : « Je vous rappelle qu’un sidaïque hospitalisé coûte entre 500 000 et un million de francs par an et que le nombre de ceux-ci double tous les huit mois (…) dans les conditions actuelles, il y a rupture très grave de l’équilibre de la Sécurité sociale ». Inutile, ici, d’argumenter contre l’inanité de l’analyse, mais notons qu’un tel raisonnement n’aurait sans doute pas été employé concernant une autre maladie. On imagine d’ailleurs la bronca si l’extrême droite avait développé cet argumentaire à propos des cancers.

    Bien sûr, la saillie sérophobe de Le Pen a suscité des protestations, mais pas autant que la violence des propos l’exigeait. C’est l’évidence (hélas !), le VIH/sida est depuis son apparition la source — persistante, depuis des décennies — de représentations péjoratives, de comportements discriminatoires. Cela se manifeste par un traitement différencié, et bien souvent dégradé des personnes vivant avec le VIH, dans tous les champs de l’existence. Vie de famille, relations amoureuses et sexuelles, emploi, droits, accès aux services et aux biens, liberté de voyage et d’installation, accès à la santé… rien n’est pareil lorsqu’on vit avec le VIH ; rien ne semble aller de soi. C’est ce dont témoignent nombre de personnes vivant avec le VIH dans ce numéro et sa déclinaison sur le site AIDES.ORG. Hier comme aujourd’hui, le VIH reste source de « malaise », voire de « peur » pour une bonne part de la société. Ces réactions, on en connaît le ressort. Elles sont le fruit d’une ignorance des modes de transmission du virus et des extraordinaires avancées dans le champ des traitements, ce qui se traduit en représentations et stéréotypes qui se repaissent de fausses croyances, qu’ils véhiculent d’ailleurs. Cet ensemble produit une stigmatisation qui envahit — à des degrés divers, qui évoluent dans le temps — tous les champs de la vie des PVVIH.

    Chez nous, comme ailleurs dans le monde, la sérophobie est à la fois individuelle et collective, « d’ambiance » et structurelle, parfois inscrite dans la loi (métiers interdits, interdictions d’entrée sur le territoire ou de s’y établir, obligation à dire sa séropositivité dans certains pays, etc.). La sérophobie est une des variantes de la stigmatisation de l’autre. Elle instaure des rapports de pouvoir et de domination. Elle entretient une forme d’ascendant. Elle perpétue des discriminations et des injustices. Depuis des années, militants-es de la lutte contre le VIH/sida, chercheurs-ses en sciences humaines, juristes, personnalités politiques, agences officielles internationales travaillent à trouver des solutions pour endiguer la sérophobie. Certaines ont été mises en œuvre. De grands principes ont été formalisés ; certains depuis des décennies. « La Commission des droits de l’homme des Nations Unies a confirmé que la discrimination fondée sur une séropositivité au VIH (réelle ou présumée) est prohibée par les normes existantes relatives aux droits de l’homme », assure ainsi le Cadre conceptuel et base d’action : stigmatisation et discrimination associées au VIH/sida, établi par l’Onusida en 2002, comme le rappelle un article de référence du CRIPS Île-de-France sur la sérophobie.

    Comme on le voit, comme on le sait, comme certains-es le vivent dans leur chair, la sérophobie et ses mécanismes sont un des enjeux majeurs de la vie avec le VIH, de la qualité de vie auxquelles les personnes vivant avec le VIH aspirent légitimement, de la lutte contre l’épidémie. C’est ce qui a conduit Remaides à réaliser, ces derniers mois, un numéro différent de son offre habituelle — même si chaque numéro du journal aborde le sujet. Un numéro que vous avez entre les mains, dont la quasi-totalité du contenu traite de la sérophobie sous toutes ses formes. Des témoignages inédits, des interviews d’activistes, des dossiers thématiques (sérophobie et soins, la sérophobie vue par les arts, etc.), des infos pratiques, des solutions pour en finir avec la discrimination sérophobe, des analyses, des données, etc. composent ce numéro spécial… qui sera prolongé par une série d’articles complémentaires publiés uniquement sur AIDES.ORG, à partir de février 2025. Ce numéro spécial de Remaides (papier et sa déclinaison numérique) ne clôt évidemment pas le sujet. C’est une initiative, parmi d’autres, dans un combat collectif qui reste décisif plus de 40 ans après le début de l’épidémie : tout faire contre la sérophobie !

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