Prostitution : deux ans après la loi, un bilan catastrophique
- Actualité
- 12.04.2018
Prostitution : deux ans après la loi, un bilan catastrophique
La loi du 13 avril 2016 dite de« pénalisation des clients », a aujourd’hui deux ans. Largement décrié dès sa conception, le texte met en danger les personnes qu’il prétendait protéger : les travailleurs et travailleuses du sexe, les exposant notamment à un risque accru de contracter le VIH.
C’était il y a deux ans. Après de nombreuses navettes entre le Sénat et l’Assemblée nationale, le texte de loi « visant à lutter contre le système prostitutionnel » était promulgué malgré les contestations de nombreuses associations communautaires et/ou de lutte contre le VIH/sida.
Cette loi comporte 3 volets : l’abrogation du délit de racolage, l’interdiction de l’achat d’acte sexuel et la création d’un parcours de sortie de la prostitution. Dans l’idée, assure le législateur, il s’agit de protéger les personnes en situation de prostitution, de renverser la charge de la culpabilité pour la faire porter sur les clients-es et de lutter contre les réseaux de trafic d’êtres humains. Malheureusement, on le constate très rapidement et c’est toujours le cas après 24 mois, dans son esprit comme dans son application, la loi n’est pas seulement inefficace, elle nuit aux premiers-es concernés-es.
La loi prévoyait un bilan à 2 ans, nous y voilà. Et plutôt que d’attendre le bilan officiel, dont il n’y a aucune trace pour l’heure et dont on ignore la méthodologie, les associations de terrain, dont AIDES, ont tenu à réaliser leur propre rapport, que vous pouvez télécharger ci-contre ou ci-dessous en intégralité. À travers des entretiens avec les travailleurs et travailleuses du sexe rencontrés-es dans différentes villes de France, on constate un impact clairement négatif de la loi pour l’accès à la santé et aux droits.
Qui est (vraiment) pénalisé-e ?
Officiellement, ce sont les clients-es qui sont visés-es et risquent une amende ainsi qu’une obligation de suivre un stage de sensibilisation. Mais indirectement, ce sont les travailleurs-ses du sexe qui sont sans doute les plus touchés-es. Pénaliser l’achat c’est forcément, indirectement, pénaliser la vente de services sexuels. Et au delà du « système prostitutionnel », il semble bien que ce soit la prostitution elle-même qu’on voudrait supprimer. En effet, de nombreuses villes continuent d’appliquer des arrêtés qui, sans le dire clairement, visent les travailleurs et travailleuses du sexe, par exemple avec l’interdiction de stationner avec des camionnettes à certains endroits qui peut donner lieu à plusieurs contraventions chaque jour. Ailleurs, comme récemment au bois de Vincennes, on multiplie les contrôles d’identité, en visant celles et ceux dont on présume qu’ils et elles n’ont « pas de papiers ». La répression, voire le harcèlement de la part de la police à l’égard des travailleurs-ses du sexe a peut-être changé de forme, mais elle n’a pas cessé. Dans ce contexte, difficile voire impossible de dénoncer les violences auxquels ils et elles sont confrontés-es et qui se sont multipliées.
Un rapport de pouvoir inchangé
Les clients-es, plus rares et donc en position de force mettent en avant le risque d’amende et font jouer la concurrence pour faire pression ou négocier à la fois les prix à la baisse et des pratiques à risques. Et les impératifs économiques poussent les travailleurs et travailleuses du sexe à accepter des pratiques ou des conditions qui les mettent en danger et qu’elles n’acceptaient pas avant le passage de la loi : clients-es agressifs-ves ou alcoolisés-es, lieux plus isolés ou moins éclairés (plus discrets pour les clients-es, mais plus loin des collègues qui peuvent protéger ou alerter, et plus écartés des circuits et acteurs-ices de la prévention et de la santé), rapports sans préservatifs (et donc risques accrus vis à vis des IST et du VIH), rapports au domicile du/de la travailleur-euse… Le nombre de clients-es ayant baissé parfois très drastiquement, les revenus des travailleurs-ses du sexe s’en sont trouvés fortement impactés, et par ricochet leurs conditions de travail et de santé. Ils et elles doivent le plus souvent augmenter leurs horaires et le nombre de clients-es pour espérer gagner autant. Faute de mieux et en espérant garantir leurs revenus, de nombreuses personnes auparavant indépendantes décident de recourir à un-e intermédiaire…
Volet antisocial
Quant au fameux volet social supposé compléter le pendant répressif en proposant la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour de 6 mois renouvelable avec autorisation de travailler, une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle pour celles et ceux ne pouvant pas bénéficier des minima sociaux… Le moins que l’on puisse dire est que sa mise en pratique est assez chaotique et que les moyens manquent. En deux ans, seules 26 femmes ont pu y avoir recours. Il faut dire que la loi pose des critères d’accès très rigides avec comme prérequis l’arrêt de l’activité de travailleur-se du sexe, un accompagnement par une association ayant reçu un agrément de l’Etat, dont l’obtention est conditionnée à l’affirmation d’une position abolitionniste, ce qui ne permet pas un libre choix et accentue le risque d’un contrôle social. Par ailleurs, l’allocation prévue d’un montant de 300 euros par mois est souvent jugée bien trop faible pour inciter à une « sortie » du travail du sexe, quand on estime le coût de la vie entre 1 000 et 1 500 euros par mois. Mais surtout, comment vivre durant la période d’examen du dossier qui prend plusieurs mois ? Et pourquoi ne pas permettre un arrêt plus progressif et réaliste qui respecte et rétablisse véritablement les droits des personnes ? Enfin, la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour de 6 mois, est très peu, voire pas du tout, accordée en raison d’une priorité donnée par les préfectures au contrôle des flux migratoires, ce qui n’ira pas en s’arrangeant avec le nouveau projet de loi « Asile-Immigration ».
Au final, si c’est le/la client-e qui risque d’être verbalisé-e, ce sont les conditions de vie, de travail et la santé des travailleurs-ses du sexe qui se sont dramatiquement détériorées. Cette loi est un échec sur toute la ligne. Elle bafoue l’ensemble des droits fondamentaux et passe cruellement à côté de son objectif de lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains.