L'actu vue par REMAIDES : "SFLS 2023 : la transdisciplinarité sous toutes ses coutures"
- Actualité
- 14.12.2023
© Fred Lebreton
Par Fred Lebreton, Célia Bancillon et Vincent Péchenot
SFLS 2023 : la transdisciplinarité sous toutes ses coutures
Pour sa 24e édition, le congrès annuel de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) a choisi de poser ses valises dans la ville de Tours (Centre-Val de Loire). Le thème de cette année ? La transdisciplinarité. La rédaction de Remaides revient sur les moments forts du congrès en quatre articles. Premier épisode sur la journée du mercredi 6 décembre 2023.
Transdisciplinarité : la rencontre entre « un soignant et un soigné »
En ouverture de ce congrès 2023, le Dr Hugues Cordel (président de la SFLS, voir photo) a rappelé dans son discours de bienvenue que « 40 ans plus tard, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour mettre fin à l’épidémie de VIH ». De son côté, le Dr Guillaume Gras (co-président de cette édition du congrès, infectiologue) s’est montré optimiste avec « cette conviction que le dernier kilomètre, c’est ensemble qu’on y arrivera. Nous avons cette capacité de travailler ensemble et de nous adapter ».
La session d’ouverture avait pour vocation de décliner le concept éponyme du thème de ce congrès : la transdisciplinarité sous toutes ses coutures. En introduction de cette session, Jean-François Dailloux (médecin généraliste depuis 30 ans) a utilisé cette jolie formule : « Nous avons tellement avancé en 30 ans. Réjouissons-nous ! Nous devons continuer à coudre ensemble le patchwork de nos découvertes (…). Nous sommes passés de l’accompagnement vers la fin de vie vers la recherche de qualité de vie », rappelle le médecin.
La première présentation n’était pas la plus facile d’accès. Gérard Reach (Professeur d’endocrinologie-diabétologie-maladies métaboliques à l’Université Paris 13) est revenu sur l’aspect philosophique de la transdisciplinarité. « Je pense que l’essor de la technicité s’est fait aux dépens de son humanité », estime le professeur émérite, en préambule. Tout au long de sa démonstration, le professeur tente de démontrer en quoi la médecine doit être avant tout une discipline humaine et pourquoi le sens profond de la médecine est la rencontre entre « un soignant et un soigné ». En citant différents philosophes, Gérard Reach explique que dans un contexte global de crise de la médecine (manque de temps, manque de moyens, manque de soignants-es), il est plus que jamais essentiel de remettre l’humain au centre. Le professeur parle d’« éloge de la conversation » et insiste : « Il faut écouter, regarder et toucher le patient ». Des contacts humains qu’aucune intelligence artificielle ne peut reproduire.
Transdisciplinarité : la co-construction de parcours de santé des PVVIH de demain
Plus proche du réel, Catherine Aumond (secrétaire générale de AIDES et vice-présidente du Corevih Val-de-Loire) est revenue sur un exemple concret de transdisciplinarité. Partant du principe que la prise en charge des personnes vivant avec le VIH va devoir évoluer (maladie chronique, comorbidités, etc.), le Corevih Val-de-Loire a souhaité co-construire le parcours de demain. Deux journées de co-construction ont été organisées en 2023 avec 35 personnes dont onze PVVIH, mais aussi des soignants-es, des acteurs-rices associatifs-ves etc.). Ce travail de partage des vécus et des pratiques a permis de poser des constats, d’identifier des besoins et de proposer des pistes d’expérimentation pour construire les parcours de demain. Parmi ces pistes : améliorer la prise en charge de la santé sexuelle des PVVIH ; mieux coordonner les acteurs-rices sur l’ensemble du territoire ; faire évoluer la place des médecins traitants ou encore mieux former les soignants-es en santé sexuelle. Un poste de chargé-e de projet a été créé récemment pour mettre en œuvre ces pistes. Catherine Aumond souligne que c’est une méthode qui prend du temps, mais qui produit des effets intéressants avec une prise en compte de l’ensemble des acteurs-rices de la région. Pour la militante, cet exemple est une illustration de la démarche communautaire en santé.
Histoire transdisciplinaire du VIH
Francis Barin, médecin et professeur à l’Université de Tours, a conclu cette plénière d’ouverture avec une présentation passionnante qui démontre comment la coopération entre la biologie moléculaire (séquençage, biologie de l’évolution, etc.) et les sciences humaines (géopolitique, sociologie, histoire, etc.) a permis de comprendre les origines du VIH et comment le virus s’est diffusé dans le monde. Le professeur explique pourquoi la transdisciplinarité est nécessaire en recherche fondamentale. Il parle d’une « intelligence collective » qui a permis de retracer « le voyage du VIH ». C’est grâce à un échantillon positif collecté en 1959 à Kinshasa (RDC) que la datation de l’émergence de l’épidémie a été rendue possible. Comment les scientifiques ont-ils réussi à dater l’émergence du VIH-1 dans l’espèce humaine ? Par la mise en commun des compétences des biologistes de l’évolution et des données de séquences générées dans les laboratoires de virologie. En parallèle, le travail des historiens-nes, démographes et sociologues, a permis de comprendre comment s’est faite la diffusion initiale du VIH sur le continent africain et son passage vers le continent américain (influence néfaste du colonialisme, échanges commerciaux, développement de la voie ferrée, travail du sexe, etc.). Francis Barin conclue sur l’importance de la transdisciplinarité à l’ère du concept « One Health », une approche née au début des années 2000 qui promeut une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale, aux échelles locales, nationales et planétaire. Les épidémies récentes de Mpox et Covid-19 montrent bien d’ailleurs l’intérêt d’une coopération proche entre les sciences humaines et la recherche fondamentale.
Mpox : une alerte en RDC
Simon Jamard, médecin spécialisé en médecine interne au CHRU de Tours est revenu sur l’épidémie de Mpox (connue aussi sous le nom de variole du singe ou Monkeypox). Un total de 91 788 cas de Mpox confirmés en laboratoire, dont 167 décès, a été déclaré dans 116 pays et territoires de janvier 2022 au 31 octobre 2023, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, l’épidémie est contrôlée même si le virus circule toujours à très bas seuil (41 cas en France en 2023, entre un et quatre cas par mois). L’inquiétude subsiste suite à une alerte de l’OMS qui a rapporté, samedi 25 novembre, 12 569 cas suspects de Mpox, dont 581 décès, en République démocratique du Congo (RDC) de janvier au 12 novembre. « Il s’agit du nombre de cas le plus élevé jamais signalé pour une année, certains dans des zones géographiques qui n’avaient jamais fait état de cas de Mpox auparavant, y compris à Kinshasa, Lualaba et dans le Sud-Kivu », selon un rapport de situation de l’OMS, à Genève. Par ailleurs, cette nouvelle résurgence du Mpox inquiète les experts-es car la souche de virus identifiée correspond au clade 1 (souche) qui, jusque-là, n’était pas associé à une transmission par voie sexuelle. Il existe deux clades connus du Mpox : le clade 1 (plutôt présent en Afrique) et le clade 2 (celui qui a été responsable de l’épidémie de 2022 en Occident). En avril, un premier foyer épidémique de cas suspects de clade 1 de Mpox transmis sexuellement a été identifié à Kenge, environ 260 km à l’est de Kinshasa. « Ces nouvelles caractéristiques de transmission par voie sexuelle [du clade 1] font désormais naître des préoccupations supplémentaires quant à la rapide expansion continue de l’épidémie dans le pays », a déclaré l’agence sanitaire onusienne. À ce jour, aucun cas de ce clade 1 n’a été observé à extérieur à l’Afrique centrale, mais nous le savons, les virus ne s’arrêtent pas aux frontières…
Qu’en est-il de la durée immunitaire de la vaccination Mpox ? Ce que l’on sait, c’est que la vaccination n’empêche pas l’infection (et la ré-infection), mais diminue de façon significative les formes graves du Mpox. Ce que l’on ne sait pas encore c’est la durée réelle de cette immunité. Faudra-t-il refaire une campagne de vaccination en 2024 notamment à destination des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (97 % des cas de Mpox en 2022) ? « Il va falloir se préparer à la revaccination », a répondu Simon Jamard. La SFLS a-t-elle prévu de s’emparer du sujet ? La rédaction de Remaides a posé la question à Hugues Cordel, président de la SFLS qui se veut rassurant : « Nous restons attentifs à toute émergence, mais nous ne sommes pas un institut de recherche donc on ne pourra pas faire d’étude sur la durée de protection du vaccin » explique le représentant de la société savante. « Ce qu’on nous a présenté aujourd’hui était plutôt rassurant, mais si nous sentons qu’une nouvelle campagne de vaccination est nécessaire, nous ferons passer le message », ajoute Hugues Cordel. De son côté, l’OMS mène actuellement une mission conjointe avec le ministère de la santé de RDC « pour évaluer la situation ». Affaire à suivre…
Maintenir les PVVIH dans le soin : un enjeu fort pour les femmes et les jeunes
En ce premier jour de congrès, un symposium du laboratoire Gilead, présenté par le Dr Roland Landman, avait pour thème : Dépistage et mise en soin : identifier le risque de perdus de vue. En 2019, plus de 20 000 personnes, soit plus de 12 % des personnes en affection longue durée (ALD) n°7, donc en raison du VIH, ne prenaient pas de traitement antirétroviral (ARV). Ces résultats sont issus de l’enquête COCOVIH, autour de la réduction de la consommation de soins et de l’analyse du parcours de soins en 2019. Les chiffres avancés semblent très surprenants, puisqu’ils indiquent que des personnes diagnostiquées, entrées dans un parcours de soins et administratif, ne suivent pas, pour un ensemble de raisons qui sont les leurs, leurs traitements. Qui sont les personnes les plus concernées ? En majorité, les femmes et les jeunes, pourtant encore en minorité dans les nouvelles découvertes de séropositivité. Cependant, ces personnes continuent de consommer d’autres soins, ce qui signifie qu’elles ne sont pas totalement exclues du système de santé. La présentation se termine sur une question ouverte : comment ramener ces personnes dans le soin pour le VIH ? Dans la salle, la réponse communautaire est avancée comme une première piste, en rappelant qu’une mise sous traitement ne suffit pas si les personnes ne sont pas accompagnées dans leur parcours de soins. La sur-représentation des femmes questionne également, qu’en est-il de l’approche globale en santé et de la coordination des soins pour cette population ?
Corevih : Un avenir entre doutes et certitudes
Avant l’ouverture du congrès de la SFLS, les Corevih organisaient leur forum. L’occasion d’échanger sur l’avenir de ces structures de démocratie en santé alors que les mandats initiaux ont été prolongés jusqu’au 15 juillet 2024 (au lieu de 2021 initialement !). Depuis, un rapport, l’IGAS (Inspection générale des Affaires sociales) a fait des recommandations sur l’organisation des structures de prévention et de prise en charge en santé sexuelle, et ce n’est pas sans impact sur le futur des Corevih. Devant une réforme annoncée, portant à la fois sur leurs compétences et leur organisation, les Corevih ont collectivement travaillé à définir leurs besoins et perspectives. Avant un temps d’échange avec la salle, la présentation introductive a permis de brosser le tableau co-construit durant les derniers mois de ce que pourraient/devraient être à l’avenir et les missions des Corevih, leur champ de compétence, leur statut juridique et leur composition ; mais aussi de ce qui reste flou, voire même totalement inconnu. Sur les missions et compétences, il s’agirait de rester centré autour du VIH et des IST dans une démarche de santé sexuelle sans y inclure les IVG. La question de la surveillance épidémiologique étant encore en réflexion.
La question du statut juridique reste une grande zone de flou, et les échanges avec la salle ont montré qu’au-delà du statut, ce sont aussi les liens fonctionnels qui posent question. Si comme le recommande l’IGAS, les Corevih prennent en charge l’animation territoriale de la santé sexuelle, cela impactera le rôle des ARS et de l’État. Catherine Aumond en profite pour rappeler que pour la DGS, le VIH relève maintenant plus de la prévention que du soin dans lequel les Corevih ont pourtant un rôle important. Quoi qu’il en soit, le rapport IGAS reste flou sur la définition même des Corevih, avec des ressources financières et humaines inadaptées aux missions.
Si les Corevih sont depuis leur création une instance de démocratie en santé qui fonctionne bien, rien ne le dit explicitement, ni dans les textes officiels, ni dans le rapport IGAS, ce que le Pr Willy Rozenbaum (président du Corevih Île-de-France Est) et Catherine Aumond ont souligné. Les échanges avec la salle ont relevé pêle-mêle : l’absence d’articulation entre santé et social ; l’essoufflement des acteurs-rices des Corevih restant en place après les multiples prolongations de mandats et les inévitables départs ; le besoin de créer des liens avec les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) et les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; l’absence apparente de préparation d’une troisième feuille de route de la stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS) ; la question de l’articulation fonctionnelle ou de tutelle avec les Cegidd (Centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic) et les Centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC - dont l’avenir post expérimentation se précise également) ; l’inquiétude palpable des techniciens-nes d’étude cliniques (TEC) qui perçoivent une possible évolution de leurs missions au sein des Corevih et la fin possible de l’exception VIH, l’infection à VIH de plus en plus souvent perçue comme sur-dotée par rapport à d’autres thématiques ou pathologies.