L'actu vue par REMAIDES : "AME menacée : la société civile contre-attaque !"
- Actualité
- 12.12.2023
Par Jean-François Laforgerie
AME menacée : la société civile contre-attaque !
Le dernier projet de loi en date sur l’immigration — quasiment le 30ème en 20 ans — est, une nouvelle fois, l’occasion d’attaquer l’AME (Aide médicale d’État) et de remettre en cause le droit des étrangers-ères au séjour pour soins. Ces attaques s’inscrivent dans un contexte social et politique particulier qui fait craindre le pire pour les personnes concernées, dont certaines vivent avec le VIH et les hépatites virales. Elles suscitent de très vives réactions notamment chez les professionnels-les de santé. Que s’est-il passé ces dernières semaines ? La rédaction de Remaides fait le point. Récit.
Le 1er février 2023, le gouvernement dépose son projet de loi sur l’asile et l’immigration au Sénat. Une formule répétée en boucle par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est censée résumer l’esprit de la réforme : « Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils ». La formule a fait long feu et l’on parle désormais dans l’exécutif de « fermeté et simplification » ; cela change de l’habituel « rigueur et humanité », slogan servi à toutes les sauces, dès que l’exécutif dégaine une nouvelle loi sur (contre ?) l’immigration. L’impression qui s’en dégage aujourd’hui est celle d’un texte « méchant » avec tout le monde ! Dans des « confidences » au journal d’extrême droite Valeurs Actuelles, le ministre résume sa pensée : « Être d’une extrême fermeté envers ceux qui ne respectent pas nos valeurs et mieux intégrer ceux qui travaillent et qui ne posent aucun problème ». Côté gouvernement, on espère décrocher une majorité et s’éviter ainsi un recours de plus au 49.3, en promettant un texte qui soit « ferme, juste et surtout efficace ».
Au Sénat (à majorité de droite), le gouvernement souhaite afficher sa volonté répressive ; par exemple, en facilitant les expulsions d’étrangers-ères délinquants-es, ou en réduisant drastiquement les recours contre un refus de titre de séjour ou un refus d’asile. Il n’a pas besoin d’en faire trop car les sénateurs-rices de droite sont à l’offensive multipliant les restrictions et les contraintes : instauration de quotas migratoires déterminés annuellement par le Parlement, durcissement des conditions nécessaires au regroupement familial, restrictions d’accès aux prestations sociales, limitation du droit du sol, etc.
À l’origine, le projet du gouvernement ne prévoyait pas d’attaquer l’AME, ni d’altérer le droit au séjour pour soins. C’est le parti Les Républicains (LR), historiquement hostile au dispositif, qui a profité de sa position de force au Sénat (une centaine d’élus-es) pour ajouter, à l’occasion du passage du texte en commission des Lois en mars 2023, un amendement qui transforme l’AME en AMU, dont le périmètre et les conditions d’accès sont plus restreintes et contraignantes (voir plus bas).
Les multiples critiques de la société civile
Bien avant, l’ouverture des débats au Sénat, le 6 novembre, plusieurs associations de défense des droits des étrangers-ères et collectifs n’ont pas ménagé leurs critiques contre le texte du gouvernement. Elles portent sur le contenu du texte, mais aussi « l’instrumentalisation politique dont il fait l’objet ». En mars 2023, la commission des Lois du Sénat a donc considérablement « aggravé » le contenu du projet de loi initial, instaurant une surenchère avec le gouvernement pour un texte plus répressif.
À l’ouverture des débats au Sénat, une partie de la société civile hausse le ton dans un communiqué de presse largement repris. Le texte dénonce des « atteintes sans précédent aux droits des personnes exilées ». « Ce projet de loi généralise la suspicion, le harcèlement administratif, la précarité et la peur. C’est le 29e texte sur l’asile et l’immigration depuis 1980. Nous avons besoin des politiques publiques inclusives, et respectueuses des droits et de la dignité des personnes, en promouvant la cohésion sociale au lieu d’exacerber des tensions au sein de notre société. Ce débat devrait aussi se faire avec les personnes concernées, dont on parle souvent, mais que l’on n'entend jamais », explique ainsi Camila Ríos Armas de UniR et SINGA Paris, deux associations signataires du communiqué. « Ce projet de loi aurait pu se consacrer à améliorer la protection des personnes arrivant en France, objectif pour lequel nous œuvrons et proposons des solutions. Mais il choisit de faire tout le contraire, en s’attaquant même au droit d’asile et à l’accès à la santé. Ce texte va dégrader drastiquement les conditions de vie des personnes exilées en France », dénonce, de son côté, Nayan NK de Solidarités Asie France, signataire du communiqué. Les organisations signataires, dont Amnesty International France, Anafé, la Cimade, Dom’asile, Emmaüs France, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, l’Observatoire international des prisons, Sidaction, etc., expliquent qu’elles s’opposent au texte du gouvernement comme aux dispositions votées par le Sénat en commission des Lois. Elles « exhortent » les responsables politiques à « faire preuve de responsabilité pour ne pas aggraver la situation extrêmement précaire des personnes migrantes et de leurs familles dans notre pays ».
Pour bien marquer les esprits, trente-cinq associations et collectifs ont organisé une conférence de presse quelques heures avant le démarrage de l’examen du texte en séance publique. Les organisations expliquent qu’elles s’inquiètent d’une « accumulation » de mesures « contraires aux principes humanistes ». « L’accumulation des mesures répressives, sécuritaires, est devenue la ligne directrice du projet de loi », estime Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade. « C’est terrible qu’en France, pays des droits humains, on associe uniquement les questions migratoires à l’assimilation migrants/délinquants, aux mots : répression, stigmatisation, expulsions, enfermement », énumère la responsable associative. « Où sont l’accueil, la solidarité ? À quel moment va-t-on parler des drames aux frontières, des personnes qui vont continuer à mourir sur les parcours migratoires ? », dénonce-t-elle.
Gérald Darmanin change de pied
Dans ses négociations avec la droite, le gouvernement n’ayant pas les troupes suffisantes pour faire adopter son texte sur l’immigration sans l’apport des voix de droite (LR et centristes) — Gérald Darmanin s’est dit « à titre personnel » favorable à une réforme du dispositif avant le début de l'examen du texte. Pourtant sa loi ne prévoyait pas initialement de réforme de l’AME, ni du droit au séjour pour soins (voir encart), ces dispositions ont été ajoutées par la majorité sénatoriale. Finalement, le 10 novembre, le ministre change d’avis. Il explique qu’il souhaite « que la réforme de l'AME ne soit pas dans le texte final adopté » après le passage à l'Assemblée nationale à partir du 11 décembre.
Du Sénat vers l'Assemblée nationale
À la suite de l’adoption du texte au Sénat (le 14 novembre), le projet de loi doit venir en séance à l’Assemblée nationale (11 décembre) où il devrait faire l’objet d’âpres débats. On en a d’ailleurs eu un aperçu dès le 21 novembre lorsque le ministre de l’Intérieur a été auditionné par la commission des Lois pour défendre son projet, face à des oppositions critiques et sévères et à une majorité, elle-même, prudente. Le texte sera examiné dans le détail en commission des Lois dans la semaine du 27 novembre, puis dans l’hémicycle le 11 décembre, pour deux semaines. Les discussions pourraient théoriquement se poursuivre en janvier 2024, l’opposition ayant majoritairement refusé de limiter la durée des débats sur ce texte.
En fait, l’équation politique est compliquée. Si le texte tire trop à droite — ce qui est le cas à sa sortie du Sénat où la loi a été singulièrement durcie —, le gouvernement pourrait avoir des difficultés avec sa propre majorité. Si le texte tire trop à gauche (abandon des mesures restrictives adoptées au Sénat), cette fois, c’est la droite (LR et Centristes) qui lui fera défaut pour faire adopter le texte. La voie de passage est étroite pour le gouvernement. En cas de blocage… reste la piste du 49.3. Elle est techniquement possible, mais c’est un désaveu politique et un pari risqué que le gouvernement entend éviter ; surtout Gérald Darmanin qui a été mis au défi par la Première ministre de trouver une majorité sur ce texte, en allant chercher des soutiens à droite sans déchirer le camp présidentiel. De plus, l’usage du 49.3 expose une fois encore à une motion de censure. Les Républicains à l’Assemblée la brandissent régulièrement pour faire peur au gouvernement. Une peur limitée car cette motion ne pourrait passer que si plusieurs formation politiques s’associaient pour faire chuter le gouvernement. Cette probabilité semble faible. « Nous chercherons des majorités », a rappelé la Première ministre, Élisabeth Borne, lors d’une interview sur France Inter (7 novembre). Cette recherche d’un consensus a été manifeste au Sénat où le gouvernement a très souvent émis un avis favorable aux amendements de la droite sénatoriale lors des séances, ou, à défaut, s’en est remis à la « sagesse de l’assemblée ». Par exemple, sur l’AME, le gouvernement s’est dit hostile à sa suppression, mais en séance publique, il s’en est remis à la sagesse du Sénat… qui a voté sa suppression. Des reproches sont d’ailleurs faits au ministre de l’Intérieur d’avoir trop (tout ?) lâcher.
La recherche d’une majorité pour voter le texte reste cependant une gageure à l’Assemblée nationale. Olivier Marleix, le patron des députés-es LR, a d’ailleurs prévenu que le gouvernement ne devait « pas s’attendre à une majorité » sur le projet de loi, « en tout cas pas avec (le groupe LR) », s’il ne s’engageait pas en parallèle sur une réforme de l’article 11 de la Constitution permettant d’étendre l’organisation de référendums aux questions migratoires. Problème : le président de la République et les chefs-fes de parti réunis-es, il y a quelques jours, à Saint-Denis ont conclu à l’impossibilité d’une telle réforme, faute de consensus.
De l'AME à l'AMU
Le Sénat a donc adopté la suppression de l’AME telle qu’elle existe actuellement. Elle serait remplacée par une aide médicale d'urgence (AMU), avec un panier de soins réduit. Elle serait recentrée sur la prise en charge des soins urgents, des maladies graves, des douleurs aiguës, des soins liés à la grossesse ou encore des vaccinations. L’AMU renverrait les soins des personnes concernées vers les hôpitaux. « L'AME est un dispositif de santé publique avant tout. Si on renvoie tout sur l'hôpital, on va faire une erreur énorme » a d’ailleurs jugé Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention.
En attendant la mission Evin-Stéfanini
Théoriquement, début décembre, on devrait connaître les conclusions de la mission confiée à l’ancien ministre socialiste de la Santé Claude Evin et à l’ancien directeur de la campagne présidentielle de Valérie Pécresse, Patrick Stéfanini (LR), farouche opposant à l’AME, par la Première ministre. Mi-novembre, le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau expliquait « s’il y a des trucs à bouger, nous bougerons des trucs ». Autrement dit des ajustements pourraient avoir lieu et s’appuyer sur les conclusions de ses deux « experts » (un de gauche, un de droite). Cela pourrait constituer une porte de sortie pour le gouvernement. Il pourrait modifier à la marge le dispositif évitant ainsi sa disparition. Des conclusions intermédiaires du rapport ont été rendues publiques indiquent que l’AME est « utile et pas si coûteuse » que cela.
Le ministre de la Santé et de la Prévention en mode défense de l'AME
Au gouvernement, c’est lui qui aura été le plus clair et pugnace face aux attaques contre l’AME. Depuis le début, Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention, défend le principe de l’Aide médicale d’État et sans tergiverser. Deux jours avant le vote du Sénat, il rappelait que l’AME est « un dispositif de santé publique », allant même jusqu’à promettre lors d’une interview sur France info : « On ne basculera jamais dans un dispositif type aide médicale d'urgence », ce qu’a portant décidé la majorité sénatoriale. Interrogé sur la pétition de 3 500 médecins salariés-es et libéraux-les, opposés-es à la suppression de l'AME expliquant qu’ils-elles s'engagent à « désobéir » et à « continuer de soigner gratuitement » ces malades si le dispositif devait disparaître (voir plus bas), Aurélien Rousseau a réagi : « Je les comprends, le gouvernement se battra pour qu'ils n'aient pas à exercer de désobéissance civile ».
La mobilisation des soignants-es
Rapidement, le monde médical a également pris position en faveur de l’AME. Tribunes, pétitions, appels ont émaillé les débats ces derniers mois. Le 30 octobre, le Pr Gilles Pialoux y consacre sa chronique dans L’Express. « Supprimer l'AME affectera indirectement l’ensemble des Français », y explique le chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’Hôpital Tenon (AP-HP, Paris). « Détruire l’AME, du strict point de vue de la santé publique, représente une prise de risque qui ne réglera pas le problème de l’immigration. Pour un acteur depuis quarante ans de la lutte contre le sida, les hépatites ou la tuberculose, il s’agit d’une aberration infectiologique qui affectera aussi, par ricochet, l’ensemble de la population », développe celui qui est aussi vice-président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS). Un des points forts de l’argumentation de Gilles Pialoux est de démontrer le « lien indiscutable » qui existe « entre migration et maladies transmissibles ». Et l’infectiologue d’expliquer : « Même si les données épidémiologiques ont été parfois instrumentalisées lors des campagnes électorales récentes, il existe un lien indiscutable entre migration (régulière et irrégulière) et maladies transmissibles. Selon Santé publique France (SpF), un tiers des personnes vivant avec le VIH, et près de la moitié des découvertes de nouveaux cas d’infections par ce virus, le sont chez des migrants. Comme trois quarts des infections par le virus de l’hépatite B et un quart des hépatites C. Sans oublier que dans 45 % des cas de tuberculose déclarés en France, les malades sont nés à l’étranger. Il est démontré scientifiquement que tout retard au diagnostic et donc au traitement est péjoratif à l’échelon individuel, avec plus de morbidité et plus de mortalité, qui pèseront un peu plus sur hôpital public où se concentre déjà l’essentiel des soins aux personnes précaires et vulnérables ». Le péril n’est d’ailleurs pas qu’individuel, explique le médecin. Il l’est aussi au niveau populationnel. « Il faut aussi s’attendre à davantage de contaminations secondaires. Une personne infectée par le VIH, l’hépatite B ou le bacille de la tuberculose, mais non dépistée du fait d’entraves à l’accès aux soins est une personne non traitée et donc contaminante ».
Le CNS et le CCNE défendent l'AME
Le 19 octobre, bien en amont des débats parlementaires, le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) adresse une « lettre ouverte » au président de la République concernant l’AME. L’initiative est rare et montre la gravité du sujet. Dans ce document de quatre pages adressé au Président Macron, le CNS fait des constats et apporte des éléments chiffrés afin de rappeler l’importance de l’AME dans la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales : « Les dépenses d'AME constituent une part infime des dépenses de santé effectuées sur le territoire national, soit 0,37 % de la dépense courante de santé au sens international, en 2022. Par ailleurs, la dépense moyenne par bénéficiaire de l'AME, qui atteignait 2 800 euros en 2022, reste très inférieure à la dépense courante de santé par habitant établie à 4 600 euros pour cette même année. (…) Dans ce contexte de recours limité aux droits et aux soins, la restriction des crédits affectés à l'AME, voire sa transformation en aide médicale d'urgence, dégraderait davantage l'accès à la prise en charge médicale des personnes étrangères en situation irrégulière, déjà insatisfaisante. Or l'AME contribue à renforcer l'intégration des personnes étrangères en situation irrégulière dans le système de santé », souligne le CNS. Le Conseil national du sida et des hépatites virales alerte également sur l’impact que signifierait une restriction de l’AME sur les maladies transmissibles : « La restriction de l'AME pourrait affaiblir significativement la riposte aux épidémies qui affectent particulièrement les personnes migrantes. ».
Cet appel du CNS fait suite à une autre initiative : celle du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Dans un communiqué, l’organisme officiel « réaffirme son engagement en faveur d'une éthique de la fraternité envers les personnes exilées. La solidarité et la dignité sont des valeurs fondamentales qui doivent guider les politiques de santé pour le bien-être de tous ». Le CCNE y développe de nombreux arguments. Président du CCNE, le Pr Jean-François Delfraissy explique notamment : « Les mouvements migratoires sont le produit de divers facteurs tels que la croissance démographique, les enjeux climatiques et les crises géopolitiques majeures. Ils sont destinés à se répéter et persister. Cette réalité incontestable doit nous pousser à agir avec fraternité et solidarité. » Enfin, le CCNE réaffirme « dans un contexte géopolitique complexe », qu’il « réitère son soutien aux populations contraintes à l'exil et son attachement à l'AME ». Il estime que ce dispositif demeure indispensable car offrant aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français un accès aux soins de santé, que ce soit en médecine de ville ou en milieu hospitalier.
Un appel aux travailleurs-ses du soin
Le 19 novembre, une nouvelle initiative est prise en faveur de l’AME. Elle émane du Dr Philippe Bizouarn, médecin anesthésiste et réanimateur. Dans une tribune publiée par Le Monde et titrée : « Travailleurs du soin, unissons-nous contre la suppression programmée de l’aide médicale d’État », le médecin, qui a le sens de la formule, y dénonce le supposé « tourisme médical », un des arguments pour remettre en cause l’AME. « Que signifie, moralement, la suppression programmée de l’aide médicale d’État (AME) ? Que signifie, par le vote au Sénat le 7 novembre, la perte de ce dispositif légal d’aide aux étrangers sans papiers, pauvres parmi les pauvres ? À ces questions, le législateur a répondu : ne plus gaspiller l’argent public à vouloir soigner des individus qui viendraient, en toute connaissance de cause et en quelque sorte manger le pain des Français. En l’occurrence ici, être exclu des dispositifs de solidarité nationale au nom d’un illibéralisme revendiqué : la santé pour tous les citoyens, à condition de prouver son appartenance à la communauté politique que le réfugié – le supposé touriste médical – ne peut faire », assène Philippe Bizouar.
Pour lui, le vote du Sénat s’explique par le refus de la majorité de la Chambre haute d’entendre les arguments de raison (de nombreux sans-papiers n’ont aucunement recours au dispositif d’aide, le coût pour la Sécurité sociale reste faible, la possibilité de se soigner quand il est encore temps – avant que la maladie devienne trop grave – permet de diminuer le risque d’une prise en charge trop tardive et, de fait, plus coûteuse, etc.) et par une obsession pour « la rationalité financière et l’irrationalité haineuse à l’encontre des immigrés illégaux ». Sa tribune, aussi, se conclut par un appel à une forme de désobéissance civile, dans l’hypothèse où la suppression de l’AME serait votée par l’Assemblée nationale. Et Philippe Bizouar d’expliquer : « Nous, travailleurs du soin, médecins, infirmières et infirmiers, aides-soignantes et aides-soignants, psychologues, et bien d’autres, ne pourront alors que désobéir, ensemble, face à cette violence légalisée contre nos sœurs et frères d’humanité. Nous soignerons, coûte que coûte, quoi qu’il nous en coûte, parce que c’est notre devoir de soignant ordinaire. Nous devrons sans doute nous unir dans ce combat hors-la-loi, créer une communauté politique de la santé pour tous, dire publiquement que notre travail ne peut faire aucune différence entre les patients, d’ici ou de là-bas, nous défendre contre les moralismes dogmatiques nous enjoignant, au nom de la supposée défense de nos concitoyens contre les invisibles d’une République in-éthique, de respecter cette loi d’exclusion des sans-noms et sans-argent ».
La mobilisation des soignants-es : nouvelle vague d'indignation
« Maintenir cette aide, c'est donner les moyens aux professionnels de santé de poursuivre leur devoir déontologique : prendre soin de tous, sans distinction », affirme dans un communiqué (21 novembre) le Syndicat des jeunes médecins généralistes installés et remplaçants (Reagjir), explique Le Quotidien du Médecin (21 novembre). Pour le Dr Raphaël Dachicourt qui dirige ce syndicat, il s’agit d’un « enjeu de santé publique ». « On parle souvent de la question des maladies infectieuses mais il n'y a pas que ça. Prenons l'exemple d'une personne diabétique qui réside en France. Si cette personne a besoin d'être soignée, il nous paraît complètement aberrant d'attendre qu'elle rencontre une complication de sa pathologie pour se rendre à l'hôpital et pour être prise en charge, ça n'a aucun sens ! », a dénoncé le médecin, qui n'estime pas « entendable » de faire de l'AME une source d'économie. Il n’est pas le seul ! La conférence des Doyens est aussi montée au front. Elle rappelle que la suppression de l’AME serait « contraire aux engagements éthiques et aux principes fondateurs de la médecine que nous enseignons aux futurs médecins et contraire au serment d’Hippocrate qu’ils prononcent ». Les doyens-nes jugent que cette évolution est de nature à dégrader l'état de santé de certaines populations sur le territoire national. « Si cette mesure était appliquée, ajoutent-ils, elle aurait comme conséquences inéluctables un plus grand recours aux services des urgences déjà débordés, un plus grand nombre d’hospitalisations dans les hôpitaux publics, y compris dans des secteurs comme les réanimations ou la pédiatrie, déjà en difficultés, et entraînerait un surcoût économique aggravant le déficit budgétaire des hôpitaux publics », explique la conférence, citée par le quotidien médical. Les deux structures appellent les députés-es à maintenir ce dispositif. Par ailleurs, récemment les syndicats d'internes en médecine (Isni et Isnar-IMG) ainsi que les externes de l'Anemf se sont publiquement opposés à cette suppression.
La pétition des 3 000
Le 2 novembre, Le Monde publie une tribune signée par plus de 3 000 soignants-es. Parmi eux-elles, la Prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi ou le président du Comité consultatif national d'éthique, le Pr Jean-François Delfraissy. Ces soignants-es demandent au gouvernement de maintenir l’AME. « Nous, soignants de toutes spécialités et de toutes origines, souhaitons nous opposer fermement et de manière unie au projet de suppression de l'AME au profit d'un dispositif dégradé », écrivent les signataires. Ils appellent « le gouvernement et [les] élus à renoncer à tout projet y portant atteinte ou venant restreindre son périmètre » Et les signataires d’affirmer que toute suppression de l'AME, qui viendrait de fait « limiter leur accès aux soins », pourrait entraîner « une dégradation de leur état de santé ». Les signataires rappellent qu’en Espagne, la mise en œuvre d'une politique similaire en 2012 avant abrogation en 2018 avait entraîné « une augmentation de l'incidence des maladies infectieuses ainsi qu'une surmortalité ». « Nous […] soignons les personnes sans papiers comme n'importe quels autres patients. Par humanité, et conformément au Code de déontologie médicale auquel nous nous référons et au serment d'Hippocrate que nous avons prêté à la fin de nos études. C'est l'honneur de notre profession », ajoutent-ils-elles.
La théorie fumeuse de l'appel d'air !
C’est à un autre grief fait à l’AME — que l’on a d’ailleurs beaucoup entendu sur les bancs de l’extrême droite et de la droite au Sénat — que s’attaque Nicolas Clément, responsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours catholique, dans une tribune publiée par Le Monde (25 octobre) : « Non, l’aide médicale d’État n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! » Le responsable du Secours catholique y récuse l’idée reçue que l’AME serait « une sorte d’« open bar » sanitaire pour migrants ». Pour ce faire, il avance différents éléments.
Tout d’abord, l’AME représenterait, selon un rapport de la commission des Finances de l’Assemblée nationale de mai 2023 près de 1,2 milliard d’euros annuels. « Très élevé en apparence, ce chiffre est à comparer au total de l’Assurance-maladie qui s’élevait à 236 milliards en 2022 (données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) ; ainsi, cette aide ne compte que pour 0,5 % du total des dépenses de santé. En 2022, 411 364 personnes en ont bénéficié, soit, sur 67 millions de Français, un taux de 0,6 % », mentionne Nicolas Clément. Il explique que « contrairement à ce qui est bien souvent affirmé, le poids des bénéficiaires de l’AME dans le total des dépenses de santé est inférieur à leur poids démographique et leur « consommation sanitaire » est d’environ 16 % en dessous de la moyenne française ».
Est également battue en brèche, l’idée que le dispositif constituerait un « appel d’air ». Sur ce point, une étude de 2019 réalisée par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) de l’université de Bordeaux estimait que seule une personne sans-papiers éligible sur deux en bénéficiait. D’ailleurs note Nicolas Clément, si on retient l’idée que l’AME est une mesure de santé publique au bénéfice de l’ensemble des personnes vivant en France, l’exécutif ne devrait pas chercher à amoindrir le dispositif actuel, mais à « tout faire pour limiter les non-recours », dont le taux est si élevé. Un non recours qui démonte, par ailleurs, la théorie fumeuse de l’appel d’air.
« Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! », assène le responsable du Secours catholique. Et heureusement, car les conditions d’accès sont de plus en plus rudes. Un exemple ? Toute première demande d’AME doit être apportée en mains propres au service concerné ; on ne peut plus se contenter d’un envoi postal. Mais on perd ainsi un temps considérable de trajet et de file d’attente au guichet, et il faut désormais être accompagné-e d’un-e travailleur-se social-e pour pouvoir expliquer ce qu’on a répondu sur les divers documents exigés pour la demande. Trop lourde, cette étape pousse souvent à l’abandon. Cette mesure (ainsi que d’autres rendant l’accès plus difficile à l’AME) a été préconisée par un rapport conjoint de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires sociales ».
Médecins du Monde : des étrangers-ères éligibles n'y ont pas recours
Plus de huit personnes sur dix éligibles à l’aide médicale d’État n’y ont pas recours parmi les personnes étrangères accueillies par Médecins du Monde (MdM), explique un rapport de l’ONG publié le 18 octobre dernier sur ce dispositif. Sur le terrain, MdM constate que « parmi les personnes éligibles (…) près de 87 % n’ont pas de droits ouverts en France, preuve s’il en est de la complexité de son obtention ». L’ONG s’est appuyée sur un échantillon de 17 093 personnes accueillies en 2022 dans ses quatorze centres de soins et d’orientation, fréquentés à 98 % par des immigrés. La « réalité est loin des discours hystériques et manipulateurs », estime le Dr Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde. Pour autant, l’ONG met en garde contre toute « extrapolation » des données recueillies dans ses centres, a expliqué à l’AFP Christian Reboul, référent migrations de l’ONG. L’association accueille, en effet, un public particulier, « les plus précaires parmi les précaires », dont certains-es obtiendront ensuite bien l’AME lorsqu’ils-elles ne seront plus suivis-es par l’ONG, souligne le responsable. La dernière étude nationale, menée par l’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), publiée fin 2019, estimait qu’un immigré en situation irrégulière sur deux bénéficiait de l’AME. Le « non-recours » est surtout le fait de la « méconnaissance du dispositif » de la part d’étrangers-ères « qu’on accuse pourtant de vouloir en profiter », commente Nadège Drouot, coordinatrice pour la région Lorraine pour MdM.
Les hôpitaux dénoncent une hérésie
Le 8 novembre, après la suppression de l’AME au Sénat, la Fédération hospitalière de France (hôpitaux publics) réagit. « La FHF dénonce avec force une suppression qui risquerait d’avoir des conséquences dramatiques sur un système de santé déjà en grande souffrance. Elle appelle l’Assemblée nationale, qui se penchera sur le texte à partir du 11 décembre, à rétablir ce dispositif protecteur essentiel », écrit-elle dans un communiqué. Et la FHF ne manque pas d’arguments. Elle pointe d’abord des « risques majeures en termes de santé publique », alors que ces personnes sont « souvent plus précaires et sujettes aux maladies infectieuses ». Cette réforme « revient à affaiblir notre système de santé, à rebours du virage préventif souhaité par tous les acteurs », juge-t-elle.
« Sur le plan financier, la suppression de l’AME fragiliserait de façon extrêmement forte un hôpital public soumis à de fortes tensions budgétaires » en le privant « des financements associés à la prise en charge des personnes malades, qui continueraient d’être soignées », poursuit la fédération. « L’ensemble de la communauté scientifique, médicale et économique s’accorde à dire qu’une prise en charge précoce des problèmes de santé est souvent moins onéreuse qu’une prise en charge tardive », « aux effets désastreux pour les personnes », ajoute-t-elle. « Protéger la santé des plus vulnérables, c’est protéger l’ensemble des populations. Au-delà du devoir d’humanité, c’est un enjeu majeur de santé publique », a estimé, de son côté, dans une déclaration à l’AFP le président de la Fédération des hôpitaux privés (FHP), Lamine Gharbi.
Des médecins haussent le ton contre des sénateurs-rices médecins
La démarche est très inhabituelle. Elle traduit à la fois l’incompréhension et la colère face au vote du Sénat. Le 10 novembre dernier, deux médecins ont déposé des plaintes devant l'Ordre des médecins pour violation du code de la Santé publique contre deux sénateurs LR, également médecins de profession, qui ont voté la suppression de l'aide médicale d’État (AME). Comme le rapporte l’AFP, parmi les sénateurs et sénatrices de droite et du centre qui ont voté la réforme figurent une quinzaine de soignants-es de profession, médecins, pharmaciens-nes ou infirmiers-ères. « Nous dénonçons, avec de nombreuses associations et professionnels de santé, la complicité de Mme Marie Mercier, sénatrice [LR], et de M. Jean-François Rapin, sénateur [LR], membres d'une assemblée dont les décisions portent atteinte, directement, à la santé physique et psychique d'une population connue pour être particulièrement vulnérable », écrivent dans leurs plaintes les docteurs Georges Yoram Federmann, psychiatre installé à Strasbourg, et Jean Doubovetzky, généraliste exerçant à Albi. Selon les plaignants, les deux sénateurs visés, en votant la fin de l'AME, ont violé cinq articles du Code de la santé publique, dont l'article R.4127-7 qui stipule que « le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. » Voter la suppression de l'AME est en « contradiction avec le serment prêté par les médecins de protéger toutes les personnes, sans aucune discrimination, si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité », affirment-ils dans leur plainte.
Le directeur général de l'AP-HP très inquiet
Le 9 novembre, Nicolas Revel, directeur général de l’AP-HP, est l’invité de France Inter. Il fait part de sa « très vive inquiétude » à la suite du vote du Sénat de supprimer l’AME. « Si cette réforme allait au bout, elle aurait un effet délétère sur notre système de santé. Elle coûterait à la fin plus cher et elle constituerait un choc pour l'hôpital public », déclare-t-il alors. C’est « la réaction du directeur de l’AP-HP que je suis, mais aussi de la communauté médicale et soignante très majoritairement », souligne-t-il. L'objectif est de « les traiter et de les soigner le plus tôt possible pour éviter, soit quand ils sont infectieux et contaminants, qu'ils diffusent la maladie autour d'eux, soit quand ils ont des maladies graves qui ne sont pas transmissibles comme un cancer ou un diabète, qu'elles s'aggravent », explique Nicolas Revel. Selon lui, le risque est que les personnes « deviennent des patients beaucoup plus lourds à prendre en charge, avec des hospitalisations plus longues et beaucoup plus coûteuses ». Si cette réforme est adoptée, « il y a, à mon sens, un risque d'aggravation des dépenses. On ne les aura pas tout de suite, mais dans les premières années », prévient-il.
« Supprimer l’aide médicale d’État serait une faute grave »
À l’approche des débats à l’Assemblée nationale, de nouvelles tribunes sont publiées. Il en va ainsi de celle de Xavier Emmanuelli, président du Samu social international et ancien ministre et de la Dre Sylvie Quesemand Zucca, psychiatre et psychanalyse. Les deux experts-es ont choisi de déplacer un peu les termes du débat. Tous deux réfutent l’idée que les soignants-es se voient contraints-es de se positionner « pour » ou « contre » l’AME. « La ritournelle est toujours la même : êtes-vous « pour » ou « contre » ? Il s’agit ici de l’aide médicale d’État (AME). Une fois de plus, il faudrait avoir une opinion bien tranchée : pour, ou contre ? Question que la majorité des soignants ne se posent pas sous cette forme », estiment Sylvie Quesemand Zucca et Xavier Emmanuelli, qui taclent le changement voulu par le Sénat : « comme s’il suffisait d’une voyelle pour ne pas perdre son âme, passant du « E » d’Etat au « U » d’urgence », mais surtout interroge la notion d’urgence établie par le texte. Et les experts-es d’interroger : « Mais qu’est-ce que l’urgence aujourd’hui ? On sait bien que, en cas d’accident aigu, un sans-papiers ou un ministre vont bénéficier du même soin. Sur le moment. Mais dans l’après-immédiateté, une fois « désurgentés », c’est là que les choses basculent et vont ramener, quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, les plus vulnérables vers les « urgences » dans un tango sans fin – un pas en avant, deux pas en arrière : surinfections, angoisses, effets somatiques collatéraux, épuisement, besoin d’un lit (…). Autant de situations, caractéristiques d’un infernal no man’s land entre le social et le médical, qui étouffent les soignants et les travailleurs sociaux dans leur dignité, à force d’être jour après jour confrontés à leurs échecs : pas de lits, pas de lieux de post-soins, pas de place ».
Pour les deux signataires du texte, c’est une évidence qu’avec la suppression de l’AME, « les urgences, une fois de plus, paieraient les pots cassés de cette non-pensée, qui ne servirait qu’à faire grossir dans leurs locaux l’interminable file d’attente des sans-identité-sociale-fixe. Est-ce cela que nous voulons ? » Et le texte de conclure : « Supprimer l’AME et tous les dispositifs qui permettent sa mise en œuvre, qui de fait soulagent par leur existence même le système de soins public, serait une faute grave, et obligerait à devoir contourner les nouvelles modalités de l’AMU pour maintenir les soins, dans une triste contorsion aussi énergivore qu’inefficace et délétère ».
Des réactions à l'infini...
Ce n’est pas la première fois que médecins et experts-es, sociétés savantes et organismes officiels, personnes concernées montent au front pour défendre l’AME. Reste que cette année, la mobilisation est particulièrement active. Elle est même réconfortante. Elle s’est efforcée de démonter toutes les idées reçues sur l’AME : elle ne coûte pas cher, ne crée pas d’appel d’air, n’est pas une spécificité française, ne bénéficie pas majoritairement à des gens qui ne cotisent pas, ne rembourse pas tous les soins, n’incite pas au tourisme médical, etc. Malgré tout, ces arguments de raison et de santé publique, pourtant démontrés par des rapports officiels et des études scientifiques, ne passent pas dans une partie de la classe politique.
Intégrer l'AME au régime général de la Sécurité sociale
Dans sa chronique pour L’Express, le Pr Gilles Pialoux indique que pour « en finir avec l’instrumentalisation de la santé des migrants », il reste bien une solution : « L’intégration de l’AME au régime général de la Sécurité sociale, comme le demandent de longue date les associations humanitaires et de nombreux acteurs de santé. Ses bénéficiaires pourraient ainsi avoir accès à un médecin traitant, aux programmes de prévention de la Cnam (dents, dépistage systématique des cancers du côlon et du sein, accompagnement des malades chroniques…) et rattraper leur retard vaccinal, fréquent au sein de ces populations précarisées ».
La censure du Conseil constitutionnel pour horizon ?
On ne sait pas encore ce qu’il adviendra du projet du gouvernement lors des débats à l’Assemblée nationale, du droit au séjour pour soins et de l’AME. Concernant ce dispositif, le ministre de l’Intérieur a expliqué, en différentes occasions, que l’article supprimant l’AME et instaurant l’AMU pourrait être retoqué par le Conseil constitutionnel, au motif que cet article n’aurait rien à voir avec le sujet dont traite la loi. Il serait donc « hors sujet » et constituerait ce qu’on appelle un cavalier législatif dans le jargon parlementaire. « Les sénateurs l’ont rajoutée mais ils savent très bien que c’est ce qu’on appelle un cavalier législatif », a d’ailleurs expliqué Gérald Darmanin. En cause, la nature « budgétaire » d’une telle mesure. À suivre.
Encart 1 : Pourquoi l’AME ?
Créée en 1999 par le gouvernement de Lionel Jospin, l’AME est venue remplacer l'assistance médicale gratuite (AMG). Cette dernière avait été créée par la loi du 15 juillet 1893 permettant aux malades les plus pauvres (malades, vieillards et infirmes privés de ressources) de bénéficier d'un accès gratuit aux soins de santé. L’objectif de l’AME est double. L’un est humanitaire : assurer la couverture santé de personnes en situation difficile, voire en très grande précarité (administrative comme financière). L’autre est un objectif de santé publique : éviter la circulation de maladies contagieuses et ainsi protéger l’ensemble de la population. C’est ce double objectif qui légitime la création de ce dispositif. Pour faire simple, l’AME est une prestation permettant le paiement des soins des personnes étrangères en situation irrégulière, à faibles ressources. Elle nécessite : une résidence irrégulière en France, une présence régulière en France depuis au moins trois mois consécutifs et de justifier de ressources mensuelles faibles ; inférieures à 810 euros pour une personne seule.
L’AME permet de couvrir les soins courants, en ville comme à l’hôpital, dans la limite des tarifs de base de la Sécurité sociale, ce qui n’a rien d’une couverture intégrale. La personne assurée peut avoir des restes à charge, selon les actes pratiqués. Sont pris en charge sans avance de frais, toujours dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, les soins médicaux et dentaires ; les médicaments remboursés à 100 %, 65 % et 30 % ; les frais d’analyses, d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale ; les traitements des maladies infectieuses, les principaux vaccins, certains dépistages, certaines prophylaxies ; les frais liés à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse. Certains actes sont exclus (les cures thermales, la chirurgie bariatrique, la procréation médicalement assistée, etc.). Les médicaments remboursés à 15 % ne sont pas pris en charge. Certains actes médicaux sont soumis à entente préalable de la Sécurité sociale (pas d’accord, pas d’acte !). Depuis 2021, un délai de neuf mois d’ancienneté sur le territoire français est nécessaire entre le dépôt de la demande d’AME et l’accès à certaines opérations ou soins de ville.
Il y a un vrai déficit de données concernant les personnes qui en sont bénéficiaires, ce qui alimente les idées fausses et les caricatures. Les études (on l’a vu plus haut) indiquent néanmoins un taux de non-recours élevé. On estime qu’une personne sur deux, pourtant éligible, n’a pas recours à l’AME. Cette dernière bénéficie à des populations majoritairement en grande précarité, plus souvent malades et particulièrement exposées aux risques en santé en raison de leurs conditions de vie difficiles.
Encart 2 : De réelles craintes concernant le droit au séjour pour soins
C’est une autre victime des débats au Sénat. Le texte de loi après le vote du Sénat conditionne, en effet, l’accès au titre de séjour pour raisons médicales à l’absence de traitements dans le pays d’origine. Jusqu’à présent, c’est l’accès effectif aux traitements qui prévalait. Cette nouvelle attaque se retrouve dans l’article 1er E qui modifie l’article L. 4259 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. « À la première phrase du premier alinéa, les mots : « et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, » sont supprimés et, après le mot : « délivrer », sont insérés les mots : « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire et que cette prise en charge ne soit pas supportée par l’assurance maladie », indique le texte adopté en première lecture au Sénat. Cela change tout car la disponibilité d’un traitement dans un pays ne va évidemment pas de pair avec son accessibilité. De nombreux facteurs peuvent jouer comme les ruptures de stocks, l’irrégularité de la distribution partout sur le territoire, les difficultés de planification des traitements contre le VIH, le coût des traitements, l’absence d’outils virologiques de suivi de l’efficacité du traitement (mesure de la charge virale, par exemple). De fait, conditionner l’accès au titre de séjour pour soins à une absence de traitements dans le pays d’origine pour les personnes concernées, c’est envoyer des personnes dans des pays où, dans les faits, elles ne pourront pas se soigner, ni contrôler leur maladie.
Encart 3 : Sondage sur l’AME : des Français-es résolument pour !
Médecins du Monde (MdM) a souhaité connaître l’avis des Français-es sur l’AME en réalisant un sondage avec l’institut CSA. « Surprise ? Les Français sont résolument pour », explique l’ONG dans un communiqué (6 novembre). « Est-ce qu’apporter de l’information amène un changement d’opinion sur la question de l’AME ? Pour répondre à cette interrogation, l’institut de sondages CSA a envoyé deux vagues de questions aux Français, une première en septembre et une seconde en octobre. Les résultats sont édifiants : une opinion éclairée évolue en faveur de l’AME, et ce quel que soit le contexte », commente MdM. Ainsi, « spontanément, six Français sur dix se déclarent pour l’AME ». Alors que « l’opinion publique est souvent décrite comme très conservatrice sur ces questions, six Français sur dix se déclarent pour l’AME. En septembre, après la rentrée scolaire et dans un contexte compliqué, mais peu anxiogène, les Français manifestent une franche adhésion au sujet de l’AME. Un mois après, avec une actualité beaucoup plus chargée, les Français font tout de même la part des choses. Le constat est le même et 56 % des personnes interrogées se prononcent toujours en faveur de l’AME », indique l’ONG. Autre surprise : après injection d’informations factuelles complémentaires (par exemple : l’AME ne prend pas en charge les dépassements d’honoraires ou l’AME permet, par un traitement précoce des pathologies, d’éviter une prise en charge à des stades aggravés aux Urgences, souvent déjà saturées, etc.), l’opinion des Français-es, déjà favorable, évolue encore en faveur de l’AME. « En septembre comme en octobre, la part de personnes favorables à l’AME croît de manière significative, et gagne jusqu’à 13 points au mois de septembre (de 60 à 73 %). Une fois l’opinion informée, les catégories de population évoluent en faveur de l’AME, y compris chez les sympathisants de certains partis traditionnellement plus conservateurs sur ces sujets », note le sondage. Et l’institut de conclure : « Contrairement à certaines représentations politiques ou médiatiques, ce sondage révèle donc un attachement des Français à l’AME, qui progresse avec la connaissance du dispositif ».
Encart 4 : L’immigration en pétition
Le président des Républicains (LR), Éric Ciotti, a annoncé, fin octobre, dans le Journal du Dimanche, le lancement d’une « grande pétition nationale » sur le thème de l’immigration, « pour rassembler la majorité des Français qui veulent changer les choses et ne supportent plus l’impuissance actuelle », dixit le député des Alpes-Maritimes. « En parallèle, nous mènerons une campagne sur le terrain, à la rencontre des Français », a ajouté l’élu, dont le groupe a déposé une proposition de loi constitutionnelle sur l’immigration qui devrait être examinée le 7 décembre à l’Assemblée. La première mesure de ce texte « vise à élargir le cadre du référendum au titre de l’article 11 [de la Constitution, ndlr] pour que le peuple puisse être consulté directement sur les questions liées à l’immigration », a détaillé l’élu. De son côté, Emmanuel Macron a expliqué qu’il voulait élargir le champ des sujets de référendum, donc l’ouvrir potentiellement à l’immigration, avant de mettre son veto à cette idée. Interviewé par Le Monde (mi-novembre), l’ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon, a rappelé « qu’à un référendum sur l’immigration, la réponse ne peut être que populiste ». Et d’expliquer : « Je pense que mon ancienne famille politique [la droite républicaine, ndlr] se trompe. Aujourd’hui, sur l’immigration, il faut mettre en place, par les débats parlementaires entre les deux Chambres, une loi qui soit conforme à nos principes ».
Encart 5 : Projet de loi immigration : la Défenseure des droits alerte sur les graves atteintes aux droits des étrangers
La Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon, a été auditionnée le 17 novembre par les rapporteurs-rices de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi dit « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Dans son intervention, la DDD a alerté sur la « méthode » et les « conditions » dans lesquelles ce texte est débattu, en dénonçant notamment une « inflation législative délétère en matière de droit des étrangers », ainsi que « l’économie générale de ce nouveau projet de loi, qui marque un très net recul des droits fondamentaux des étrangers ». La Défenseure des droits avait émis un premier avis sur le projet de loi soumis au Sénat en février 2023 en pointant différentes difficultés. Devant les rapporteurs-rices de la commission des Lois, la Défenseure des droits a alerté sur trois axes particulièrement problématiques :
- Le projet de loi multiplie les dispositifs de sanction et les mesures coercitives applicables aux étrangers, en se prévalant d’un objectif de protection de l’ordre public dont il ne s’agit évidemment pas de nier l’importance, mais dont les contours sont de plus en plus flous ;
- Il accroit démesurément les exigences d’intégration concomitamment à une précarisation sans précédent du droit au séjour et de l’accès à la nationalité, au risque d’augmenter le nombre d’étrangers en situation irrégulière ;
- Il remet profondément en cause les équilibres existants et menace ainsi les droits de tous, notamment en matière d’accès à la santé.
« Aujourd’hui, le texte issu des débats au Sénat est profondément déséquilibré et particulièrement défavorable aux droits des étrangers. Ce déséquilibre me paraît préjudiciable à l’intérêt général et à la cohésion sociale », explique Claire Hédon. « Dans mon avis sur la première version du texte, je déplorais un projet qui ne tenait pas suffisamment compte de certains publics vulnérables. Je m’alerte aujourd’hui d’un projet qui les cible particulièrement et tend à renforcer leur précarité ». À la suite de la publication de son discours devant les rapporteurs-rices de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, la Défenseure des droits publiera prochainement un avis détaillé sur l’ensemble du projet de loi.