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- Remaides
- 28.07.2020
La démocratie sanitaire en crise... de confiance
La France était « extrêmement bien préparée » pour faire face à l’épidémie de Covid-19, apparue un mois plus tôt en Chine, expliquait, le 23 janvier dernier, la ministre de la Santé de l’époque. On a vu - vécu même ! - que ce n’était pas du tout le cas ! Il ne s’agit pas ici de décerner les bons et mauvais points de la gestion d’une crise que manifestement personne n’avait anticipée, même si certains- es l’avaient imaginée. Et ce, d’autant qu’elle n’est pas achevée. D’autres s’en chargent au Parlement ; et même au gouvernement, qui conduit son enquête à lui sur... sa propre action !
Non, il s’agit plutôt de voir ce que cette crise sanitaire a révélé ; notamment chez nous et tout particulièrement chez les groupes que nous connaissons le mieux et dont, nombre d’entre nous, sont issus-es.
Comme d’autres, nous avons été surpris par la montée rapide de l’épidémie de Covid-19, son nombre exponentiel de morts, la fermeture du pays, celle de la quasi- totalité des lieux publics, dont ceux l’état d’urgence sanitaire qui a été n’a pris fin que le 10 juillet dernier comme d’autres, AIDES a mis en place les mesures nécessaires pour maintenir sa mission de prévention et de protection des populations les plus exposées au VIH et aux hépatites. Nous l’avons fait sans jamais transiger sur la sécurité des personnes qui avaient besoin de nous, ni sur celle des militants-es qui les ont accueillies. Nos objectifs étaient d’accompagner et de protéger toutes les personnes concernées ou vulnérables au VIH et aux hépatites, de défendre leurs droits. Nous sommes bien placés pour savoir qu’une épidémie se nourrit de la précarité, de la fragilité et des discriminations, autant qu’elle les entretient. L’histoire, ancienne, du sida nous l’a appris. Celle, balbutiante, de la Covid-19, nous l’a, de nouveau, démontré. De fait, la crise actuelle a encore plus fragilisé les personnes qui l’étaient déjà ; parmi celles-ci : les personnes séropositives, les migrants- es, les usagers-ères de drogues, les détenus-es, les travailleurs-ses du sexe, les personnes LGBTQI+.
De ce point de vue, le bilan est contrasté. Nos militants-es ont pu travailler étroitement avec les autorités de santé et les décideurs- euses politiques sur certains sujets, avec succès. Nos demandes, coordonnées avec d’autres associations investies dans le système de santé, dans les champs de la réduction des risques, de la lutte contre la précarité ou de la défense des personnes migrantes, ont permis des avancées importantes. Collectivement, nous avons obtenu la prolongation des allocations sociales qui arrivaient à échéance pendant la crise, comme les minima sociaux, l’allocation adulte handicapé ou le RSA. Décrochée aussi, la prolongation des droits à une couverture santé, y compris l’aide médicale d’État, la complémentaire santé solidaire et l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé. Obtenues également la possibilité pour les personnes de poursuivre leurs traitements, y compris un traitement de substitution aux opiacés, ou encore la prolongation de la durée des titres de séjour. Ces avancées ont été cruciales, palliant les conséquences administratives et sociales d’un confinement strict décrété par le gouvernement, qui a abouti au blocage des services de l’État.
Nous aurions pu aller plus loin, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais une des leçons de cette crise : c’est que le pouvoir a ses têtes. Face à la crise, tout le monde n’a pas bénéficié de manière égale de la protection et du soutien de l’État. Il n’a pas été possible, durant de nombreuses semaines, de mettre à disposition de tous-tes le matériel de protection contre la Covid-19. Il n’a pas été possible d’obtenir la simplification des démarches d’ouverture et de renouvellement des droits à la protection maladie, ni de vider les centres de rétention administratifs alors même qu’il y était impossible de mettre en œuvre les gestes barrières. Refusée aussi la garantie de ressources pour toutes les personnes qui perdraient leurs revenus du fait de la crise, y compris les personnes relevant de l’économie informelle : les personnes à la rue, les travailleurs-euses du sexe. Trop frileuse aussi, la mise à l’abri de toutes les personnes à la rue ou en habitat précaire. Si ce n’est de les parquer dans des gymnases ou des centres fermés, sans respect possible des gestes barrières et de la protection sanitaire.
Refusée encore la régularisation des personnes sans titre de séjour alors que cette mesure est protectrice. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Portugal l’a adoptée durant la crise de la Covid-19.
À l’occasion du 17 mai, Journée internationale de lutte contre les LGBTI-phobies, nous avons mis en avant le fait que ces violences ont été exacerbées dans la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19, et le confinement décrété pour y faire face. Nous avons adressé un courrier au gouvernement à ce sujet, proposant différentes mesures. Les réponses gouvernementales qui y ont été apportées ont démontré « sinon le mépris, le manque de clairvoyance du gouvernement sur les réalités que nous connaissons ». C’est ce que nous avons dénoncé pointant le fait que le gouvernement avait proposé une mesure déconnectée des besoins sans avoir consulter les premiers-ères concernés-es sur le bien-fondé de la mesure.
C’est un autre enseignement de cette crise. La démocratie sanitaire, un des précieux héritages de la lutte contre le sida, aura été ignorée, voire malmenée. Nous y revenons largement dans ce numéro tant il est frappant de voir à quel point cet outil précieux aura été sciemment tenu à distance des structures et processus de décision. Et cela, alors même que des personnalités comme Jean-François Delfraissy et Françoise Barré-Sinoussi ont demandé que les comités qu’ils dirigent bénéficient de l’expertise des associations de santé. Refus du gouvernement. Ainsi donc la réponse à la crise sanitaire aura été le fait du politique éclairé par la seule expertise médicale, en tenant les premiers-ères concernés-es à distance. Cette mise à distance est, elle aussi, un enseignement de cette crise. Les pouvoirs publics ne font pas confiance aux citoyens-nes. On peut facilement se rappeler les leçons de morale et de culpabilisation qui nous ont été assenées, matinées de paternalisme, cette obsession du contrôle permanent appuyé à la peur de la blouse blanche... et du gendarme. Après tout l’État aura choisi de sanctionner ses citoyens-nes sans leur permettre de disposer des moyens de se prémunir (masques, tests).
La crise aura aussi montré notre fragilité collective. Celle des libertés publiques quand des mesures d’exception sont prises par des gouvernements qui se dotent de pouvoirs exceptionnels, même si c’est pour organiser la lutte contre un virus. Ce que l’avocat et écrivain François Sureau résume ainsi dans une interview : « Je ne crois pas du tout que les Français soient dans leur majorité convaincus qu’il faut abdiquer la liberté pour parvenir à mieux se soigner ».
Fragilité aussi de notre système de soins, sous tension, depuis des années, et très exposé lors de cette crise. Il a tenu, grâce à ses personnels. Mais qui peut assurer, que sans réforme d’ampleur, il aura les moyens de faire face à chaque fois.
Fragilité encore avec notre dépendance en médicaments vis-à- vis de l’étranger. Pourquoi avons-nous tant de mal à nous fournir en médicaments, à éviter les ruptures dans des spécialités particulièrement sensibles ? Parce que le système actuel conduit à ça. La crise semble avoir produit un déclic. Ce déclic salutaire aura-t-il lieu aussi dans l’accès aux traitements et à un vaccin pour tous-tes, dans le monde ? Avec d’autres, nous y veillons. C’est dans ce sens que nous avons appelé à ce que les financements de recherche et développement contre la Covid-19 soient conditionnés à l'accessibilité partout et pour tous-tes aux futurs produits de santé. Personne ne supporterait qu’à la crise sanitaire s’ajoute une crise éthique et humanitaire faute d’un accès universel aux traitements et au vaccin.
Reste que l’expérience dramatique et douloureuse (pour celles et ceux qui ont été touchés-es, ont perdu un-e proche) que nous connaissons, n’a pas fait que souligner nos fragilités. Cette crise a renforcé notre capacité de réaction, d’adaptation, notre solidarité, dans nos communautés et entre elles. Ce qui s’est passé au sein de la communauté des travailleurs- euses du sexe en est un parfait exemple. Ignorée de l’État, elle n’a rien lâché.
Un immense chantier s’ouvre, dans un paysage de la lutte contre le sida et les hépatites virales, fragilisé en France comme à l’international. La crise n’a pas émoussé notre engagement, ni notre détermination. Comme nous y invite la chanteuse Jeanne Added : « Il nous faudra ajuster nos propres désirs au réel ».
Aurélien Beaucamp, président de AIDES