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DIX ANS DÉJÀ !
D'un certain point de vue, tout — ou presque — a commencé en janvier 2008. Il y a dix ans, en effet, le "Bulletin des médecins suisses" publie un avis titré :"Les personnes séropositives ne souffrant d'aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace, ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle". C'est une révolution, annoncée opportunément et courageusement quelques semaines plus tôt par le professeur genevois Bernard Hirschel, à l'occasion du 1er décembre 2007. Le Tasp (traitement comme prévention) fait sa sortie mondiale, une sortie contrastée, diversement appréciée. "Embarras chez les chercheurs, les médecins et les acteurs de prévention (sur le mode : "Comment gérer ce message complexe ?"), rappelait Seronet.info pour le quatrième anniversaire du Tasp (1). Depuis une décennie désormais, tout cela a-t-il changé ?
Comment va la révolution ?
Elle a connu — et connaît encore — des sorts divers. Côté grand public, c'est clairement un échec. Le sondage inédit publié dans notre dernier rapport "VIH/hépatites, la face cachée des discriminations" (voir en page 10) montre l'existence d'un décalage majeur entre les connaissances scientifiques et la perception du grand public concernant le Tasp. Ainsi, une immense majorité des Françaises et Français ignorent que lorsqu'il est bien suivi, le traitement anti-VIH empêche la transmission du virus, y compris lors d'une relation sexuelle non protégéear préservatif. Cette excellente nouvelle reste ignorée de la plupart des personnes alors qu'elle serait pourtant à même de modifier, en bien, le regard de la société sur les personnes vivant avec le VIH, en écartant la peur, en éloignant les craintes infondées et leur lot de discriminations. En 2008 pourtant, le Tasp constituait déjà une "double révolution pour les personnes : l'espoir de pouvoir ne plus être considérées — ni de se considérer — comme une "bombe virale" ; la possibilité s'ouvrant de choisir une méthode préventive adaptée à ses besoins" (1).
Ce n'est pas le moindre des paradoxes, mais cette connaissance insuffisante du Tasp — et de son intérêt à la fois individuel et collectif — concerne aussi les personnes vivant avec le VIH ; une partie d'entre elles reste dans l'ignorance. C'est une minorité, mais tout de même. C'est ce que nous avons récemment expliqué à l'occasion de la conférence AIDS impact à Cape Town (2) où ont été présentés les résultats d'une enquête réalisée par AIDES ("VIH, hépatites et vous"). Sur les quelque 729 personnes séronégatives interrogées, 295 (40,5 %) connaissaient le Tasp et sur 233 personnes vivant avec le VIH : 177 (76 %) le connaissaient. C'est très majoritairement grâce aux associations de lutte contre le sida que l'ensemble de ces personnes ont eu connaissance du Tasp et dans une moindre mesure, par les médecins. Aujourd'hui, les associations tiennent toujours la corde dans l'information sur le Tasp, et les médecins rattrapent leur retard. Mais il reste beaucoup à faire. Ainsi, selon ces résultats, les médecins ne sont la source d'information sur le Tasp que pour 25 % des personnes qui connaissaient le Tasp. Si le monde médical doit faire des efforts, il n'est pas le seul. Globalement, rien ne se passe du côté des pouvoirs publics ou si peu. Il y a là, clairement, un déficit ; qui s'explique d'autant mal que les pouvoirs publics communiquent régulièrement sur le VIH. Le Tasp, c'est la bonne nouvelle que l'Etat rechigne, dix ans après son annonce, à faire connaître.
Comme si c'était trop beau pour y croire… vraiment ! Comme si l'information restait, dix ans plus tard, toujours sujette à caution ! C'est pourtant vrai et c'est une sacrée belle et bonne nouvelle. Pour TOUT LE MONDE !
C'est pourtant faux qu'un doute persiste : la science nous prouve le contraire !
La large diffusion — par les associations — du mot d'ordre international "U = U" (Undetectable = Untransmittable, indétectable = intransmissible) par AIDES et ses partenaires, ne suffit pas. Ce slogan, malgré nos efforts, n'essaime pas suffisamment comme je l'expliquais déjà dans notre rapport 2017 sur les discriminations. Certains acteurs clefs de la lutte contre le sida — l'Etat, certains médecins et professionnels de santé, des médias, etc. — font encore défaut et prolongent ainsi cette méconnaissance. Cette dernière fait hélas le lit de certaines discriminations, prive des personnes de changements qui leur seraient profitables, qui amélioreraient leur vie. Et si, enfin, on corrigeait le tir !
Il est plus que temps… dix ans déjà !
Aurélien Beaucamp, président de AIDES
(1) : "Indétectable = intransmissible : l'avis suisse a quatre ans", par Renaud Persiaux, février 2012, Seronet.info.
(2) : "Tasp : be aware, talk about ilt, use it", par Daniela Rojas-Castro, Guillemette Quatremère, Marie Suzan-Monti, Lionel Fugon, Bruno Spire. AIDES, SESTIM/UMR 912/Inserm/ IRD/ Université Aix-Marseille. AIDS Impact. 13-16 novembre 2017, Cape Town, Afrique du Sud.