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    L’Actu vue par Remaides : « Doublement des franchises : le coup fourré du décret »

    • Actualité
    • 16.09.2025

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    DR.

    Par Jean-François Laforgerie

    Doublement des franchises médicales :
    le coup fourré du décret

    Lors de cette rentrée, le gouvernement de François Bayrou (démis le 8 septembre, par suite d’un vote de l’Assemblée nationale) a, sur deux sujets, usé d’une stratégie largement critiquée : celle des décrets, à défaut de pouvoir ou vouloir légiférer. Il s’agit d’une part de nouvelles restrictions dégradant les conditions d’accès à l’AME (voir notre article https://www.aides.org/actualite/lactu-remaides-ame-decrets) et d’autre part d’un probable doublement des franchises médicales et des participations forfaitaires (consultations, hospitalisations). Explications.

    La chute était annoncée. Elle s’est produite le 8 septembre par 364 voix opposées à François Bayrou contre 194 voix qui ont voté la confiance au Premier ministre. Quelques jours avant le vote à l’Assemblée, le gouvernement Bayrou a soumis au conseil de l’Assurance maladie, des décrets établissant le doublement des franchises médicales et des participations forfaitaires. La méthode n’a pas plu car ces décrets ont été adressés au conseil de l’Assurance maladie, malgré l’opposition des syndicats et organisations de patients-es.

    Le conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie est une sorte de parlement de l’Assurance maladie. Il compte 35 membres, dont 26 représentants-es des syndicats de salariés-es et des organisations patronales, et des représentants-es d'institutions intervenant dans le domaine de l'assurance maladie. Les représentants-es des syndicats de salariés ont voté contre la mesure, soutenus-es par les représentants-es d'institutions comme la Mutualité ou l'Union nationale des associations familiales, a précisé le conseil. Cette instance a rejeté, début septembre, le projet gouvernemental de doublement les franchises, qui ne sont rien de moins que des restes à charge non remboursables dont doivent s’acquitter les assurés-es sociaux-les sur leurs consultations médicales, leurs médicaments, les actes paramédicaux qu’elles reçoivent, ou les transports sanitaires qu’elles doivent utiliser. On pourrait penser que ce vote négatif arrête tout.
    Ce n’est pas si simple. En effet, ce vote, même négatif, donne paradoxalement au gouvernement la possibilité d’aller de l’avant dans son projet et de publier ses décrets. Dans les textes, le gouvernement est simplement tenu de demander son avis au conseil, et non de le suivre.  Autrement qu’il vote pour ou contre ne change rien sur la décision du gouvernement.

    François Bayrou a défendu sa mesure
    « Les franchises médicales sont actuellement à 50 euros par an. Et ce que le gouvernement et la Sécurité sociale envisagent, c’est de les passer de 50 euros par an à 100 euros par an », a expliqué le Premier ministre François Bayrou lors d’une interview sur France 2. « Je trouve que c’est une mesure qui fait en effet partie des efforts normaux qu’on devrait pouvoir tous accepter pour que notre pays se sauve. Ce qui est en question aujourd’hui (...) ça n’est pas faire des sacrifices excessifs, c’est faire chacun un geste pour que le pays se sauve », a-t-il plaidé, sans pour autant clairement confirmer lors de son interview qu’il signerait le décret. Selon le projet gouvernemental, les franchises et participations forfaitaires payées par les patients-es (leurs montants actuels sont de : un euro sur chaque boite de médicament, deux euros sur chaque consultation du-de la généraliste, etc.) seraient doublées. Les deux plafonds annuels qui permettent de limiter l’impact sur les patients-es qui ont besoin de beaucoup de soins (par exemple, les personnes vivant avec une affection de longue durée), seraient également doublés, à 100 euros par an contre 50 euros par an aujourd’hui.

    Ces décrets sont, selon les mots du gouvernement, destinés à freiner la croissance des dépenses de santé. Ils ont été étrillés par les syndicats et les associations de patients-es, qui dénoncent l’impact de la mesure pour les personnes les plus fragiles. Ils-elles s’indignent également de voir ces mesures prises in extremis par un gouvernement qui était alors sur un siège éjectable, par choix du Premier ministre, sans majorité, qui a demandé le vote de confiance par suite d’un discours de politique générale. Cette tactique évitant tout débat à l’Assemblée nationale alors qu’il était logique et d’usage à ce que cette proposition soit débattue par le Parlement à l’occasion des débats sur le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2026)

    Une méthode contestée
    « J’appelle solennellement le Premier ministre à renoncer à ce décret. On ne peut pas dans le même temps dire : "Je me soumets à un vote de confiance" et dans l’autre, avancer à marche forcée et vouloir passer en force les mesures de son budget discrètement en catimini par décret, c’est honteux », avait fustigé Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, par suite de l’annonce gouvernementale. Jeudi 4 septembre, après le vote du conseil de l’Assurance maladie, celle qui était alors ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, a d’ailleurs gardé un certain flou sur les intentions du gouvernement. Comme l’explique l’AFP. Pour une partie du dispositif, le gouvernement devait encore recueillir l’avis du Conseil d’État, et « ça ne sera pas fini d’ici lundi [jour du vote de confiance, ndlr] », avait admis la ministre devant la presse. Selon des documents de l’Assurance maladie, ces mesures non publiables immédiatement sont le doublement des participations forfaitaires sur les consultations et actes médicaux (d’une fourchette de deux à trois euros aujourd’hui, à une fourchette de quatre à cinq euros demain), a souligné l’AFP. En revanche, Catherine Vautrin n’avait rien annoncé sur les autres mesures qui n’avaient pas besoin d’examen par le Conseil d’État et étaient donc publiables et applicables : doublement des franchises sur les boites de médicament (passage d’un à deux euros), des actes paramédicaux (d’un à deux euros), les transports sanitaires (de quatre à huit euros), et doublement à 100 euros des plafonds annuels, y compris sur les consultations.

    Mi-juillet, celui qui était alors Premier ministre avait annoncé sa volonté de doubler les franchises médicales, dans le cadre de son plan de réduction de la dépense publique. Il avait indiqué à ce moment-là qu’il voulait diminuer de moitié la progression des dépenses maladie en 2026, à cinq milliards d’euros contre dix milliards prévisibles aujourd’hui. « C’est incompréhensible de vouloir taper sur les malades, alors qu’on est en pleine incertitude politique, et qu’il n’y a aucune autre mesure annoncée » pour mettre à contribution d’autres catégories, avait estimé jeudi 4 septembre après le vote à la Caisse nationale d’Assurance maladie, Dominique Corona, secrétaire général adjoint du syndicat Unsa, et membre du conseil de l’Assurance maladie. Lors de la réunion du Conseil de l’Assurance maladie, les mesures gouvernementales soumises au vote « ont été rejetées par 21 voix contre 12 », indique Libération. « Toutes les centrales syndicales s’y sont opposées, seuls le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) leur donnant quitus », a précisé le quotidien.

    Des ONG de santé ulcérées
    Les associations de santé sont également montées au front, à l’initiative de France Asso Santé (FAS). « Il est tout bonnement scandaleux que ces mesures qui auront un impact majeur sur le reste à charge des malades passent par voie réglementaire, sans débat parlementaire dans le cadre du PLFSS 2026 ni concertation avec les acteurs concernés », s’est indignée l’association dans communiqué. Elle dénonce un « passage en force ». Dans son communiqué, le collectif rappelle fort opportunément que « si le Conseil constitutionnel n’avait pas censuré les franchises lors de leur mise en œuvre en 2008 [par Roselyne Bachelot, sous la présidence de Nicolas Sarkozy], celui-ci avait néanmoins émis des réserves quant aux principes constitutionnels qui garantissent le droit à la santé pour tous. Il avait alors considéré que leur montant et leur plafonnement devaient être tels qu’ils ne remettent pas "en cause les exigences de la Constitution". » Et FAS d’expliquer : « Nous considérons que le fait de doubler les plafonds annuels des franchises et des participations, les faisant ainsi passer de 100€ au total à 200€, ne garantit plus le droit à la santé pour tous. »

    Des critiques du monde de la santé
    Interrogée par Franceinfo, Agnès Giannotti, médecin et présidente du syndicat MG-France, a, elle aussi, dénoncé la méthode du gouvernement « absolument inadmissible ». « Quatre jours avant que le gouvernement chute », celui-ci cherche à « faire passer en catimini » un décret « qui engage l'accès aux soins, la santé des Français avec un nouvel impôt sur les plus pauvres et les plus malades. C'est inimaginable », a dénoncé la médecin. « Il y a des mesures qu’on peut peut-être prendre, en arrêtant de cibler les plus malades, les plus fragiles et les plus pauvres. C’est inefficace économiquement. La preuve, cela fait combien de fois qu’ils augmentent les franchises ? », interroge Agnès Giannotti. La médecin craint d’ailleurs un renoncement aux soins. Nombre d’experts-es dénoncent le fait que ce sont les personnes ayant les problèmes de santé les plus sévères, et les patients-es en affection longue durée qui ont le plus recours aux soins (médicaments, consultations, etc.), qui seront les premiers-ères touchés-es par cette taxe sur la santé. Comme le rappelle Libération, selon les études scientifiques, ces personnes sont « surreprésentées dans les couches sociales les plus modestes, celles dont les conditions de vie et les habitudes alimentaires sont les plus précaires. Pour les malades déjà socialement fragilisés, cette nouvelle ponction sur leur pouvoir d’achat pourrait être insupportable. Avec pour conséquence probable, une hausse du renoncement aux soins. »