L’Actu vue par Remaides : « Carole Damien : "Je suis beaucoup plus actrice de ma santé" »
- Actualité
- 21.08.2025
Carole Damien photographiée lors des États généraux des personnes
vivant avec le VIH 2024 par Nina Zaghian
Par Solenn Bazin
Carole Damien : "Je suis beaucoup
plus actrice de ma santé"
Les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, se sont déroulés du 25 au 27 mai 2024 à Paris. Après plus de 40 ans d’épidémie du VIH/sida, les EGPVVIH entendaient être un « espace de dialogue créé par et pour les personnes concernées ». Un an plus tard, la rédaction de Remaides donne la parole à celles et ceux qui ont participé à cet évènement. Rencontre avec Carole Damien, patiente intervenante pour Actions Traitements, représentante du TRT-5 CHV et participante aux États généraux de 2004 et à ceux de 2024.
Remaides : Il y a vingt ans, vous avez participé aux États généraux des personnes vivant avec le VIH, et vous avez aussi participé à l’édition de 2024. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Carole Damien : D’abord une atmosphère. Quand nous sommes arrivés, nous avons reçu un panier repas. Nous nous sommes installés. Ce qui était bien, c’est que nous étions autour de petites tables, en petits groupes avant de rentrer dans les ateliers. Cela a permis des rapprochements intéressants. Moi, j’ai partagé ce moment avec des personnes migrantes, dont certaines qui parlaient de leurs enfants et du fait qu'elles ne l'avaient pas dit, et tout ça. Puis, nous sommes entrés dans les ateliers toute la journée.
Qu’en retenez-vous ?
Je me rappelle bien des États généraux en 2004 dans le bâtiment à Jaurès, au siège du Parti communiste français. En 2024, j'ai vu comme différence qu’il n’y avait plus les stigmates de la maladie qui étaient encore très présents en 2004. On voyait que les gens avaient bonne mine.
Ce qui était intéressant aussi, c’était cette rencontre entre la première génération et la seconde génération, entre ceux et celles qui n'ont pas eu de traitement au départ ― ce qui a été mon cas ―, et celles et ceux qui ont eu directement des traitements disponibles et faciles à prendre ― un cachet avec trois molécules associées ―, avec une prise en charge thérapeutique plus facile, des visites médicales moins fréquentes. C’était bien de pouvoir rencontrer cette nouvelle génération.
On voit bien là tout le travail de la recherche et des professionnels-les de santé qui ont tout fait pour nous maintenir en vie, même s’ils et elles nous ont bassiné pendant les premières années sur l'observance.
Ce qui était intéressant aussi, c'était de voir qu'il n’y avait plus les mêmes sujets. Les sujets en 2004 portaient beaucoup plus sur le thérapeutique, sur les molécules. Une thématique comme « Vivre avec le VIH » ressortait beaucoup moins.
Ce qui m'a marqué [pendant ces États généraux], ce sont les témoignages sur les déserts médicaux et les conséquences dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH. L’impact que cela peut avoir sur les personnes qui ne s'entendent pas très bien avec leur médecin, qui aimeraient bien en changer, mais qui n'ont pas le choix. Ou alors les situations de prises en charge avec des consultations très courtes. Ce n’est pas le cas partout. On constate une grande disparité de la prise en charge sur le territoire. Et je parle de l'Hexagone, je ne parle pas des DROM où cela semble encore plus compliqué.
Vous avez déjà commencé à l’évoquer mais, effectivement, en 20 ans il y a eu une évolution majeure des traitements. En quoi ces avancées thérapeutiques ont-elles eu un impact sur votre quotidien ?
Pendant les six premières années [de ma vie avec le VIH], de 1990 à 1996, j'étais sans traitement parce que j'avais beaucoup de T4. J’étais suivie tous les six mois. C'était comme ça. Et puis en 1996, j’ai pris les trithérapies. J’ai encore eu un traitement super lourd. J’ai pris du fuzéon [enfuvirtide, ndlr] qui s’administrait par piqure tous les jours, en plus de ma trithérapie. Puis, je suis passée à une pentathérapie ― cinq molécules. C’était beaucoup de cachets. Je me disais « Est ce qu'on peut vivre comme ça, avaler tous ces cachets ? ».
Désormais, ma prise en charge thérapeutique est beaucoup plus facile. J’ai un cachet le matin, un cachet le soir. Ce que je n’aurai jamais espéré avoir. Aujourd’hui, on peut prendre un traitement tous les jours, on peut prendre un traitement quatre jours sur sept, on peut passer sur des traitements à longue durée d’action, on a du choix. Mais, je parle de la situation en France. Ailleurs, ce n’est peut-être pas le cas.
Déjà dans votre témoignage en 2004, ce qui ressortait, c’était la situation des femmes vivant avec le VIH. Vous pointiez du doigt les traitements, les posologies qui n’étaient pas adaptés aux femmes. Les femmes vivant avec le VIH font-elles face à des discriminations particulières ? Considérez qu’il y a eu des évolutions dans l’approche médicale et dans l’approche thérapeutique des femmes ?
Clairement oui. Avant, on nous disait qu’on ne pouvait pas avoir d'enfant, qu’il ne fallait pas avoir d’enfant. Je me rappelle le témoignage d’une femme migrante vivant avec le VIH à qui on avait ligaturé les trompes. Maintenant, les femmes qui ont un désir d'enfant sont accompagnées. Cela a été assez révolutionnaire. À mon époque, on m'avait proposé de placer mon enfant sous X en me disant que, de toute façon, je n’allais pas vivre.
On voit bien qu'il y a une évolution dans le thérapeutique. En y réfléchissant, les femmes ont été précurseures sur l’allègement thérapeutique. Comme elles trouvaient que les cachets étaient dosés trop forts, elles en diminuaient le nombre d'elles-mêmes, sans toujours en parler aux médecins.
Je m'aperçois que certaines choses n’ont, pour autant, pas évolué. Actuellement, les médicaments sont toujours étudiés sur des hommes dont le poids se situe entre 75 et 80 kilos. Il y a toujours cette problématique du manque de femmes dans les études. Cela est pointé du doigt depuis longtemps. Pourtant, nous stagnons à un maximum de 30 % de femmes dans les études. Cela reste un problème.
Quand vous exposez votre expertise de vie avec le traitement à des professionnels-les de santé, avez-vous le sentiment d’être écoutée et que cela soit pris en compte ?
Je trouve qu’il y a une différence entre les médecins qui commencent à exercer aujourd’hui et la première génération de médecins. De mon expérience, les médecins de cette époque-là nous écoutaient et nous écoutent encore, alors que les internes qui arrivent, qui viennent de finir leur doctorat, ils-elles me semblent beaucoup moins à l'écoute. J'en ai parlé d'ailleurs avec le professeur du service où je suis suivie. Il m'a dit : « Vous avez été beaucoup cocooné, maintenant ce n’est plus pareil. Il va falloir vous y faire. »
Il y a un véritable enjeu de formation et de sensibilisation des nouvelles générations au-delà du thérapeutique, dans les sphères médicales mais aussi sociales et professionnelles ?
Oui, c’est cela qui demeure. En revanche, par rapport à la société, on est toujours dans la discrimination, dans le refus de soin. C’est cela qui est ressorti aux États généraux. La difficulté d'avoir un dentiste [qui ne juge pas, ndlr], a, encore une fois, été posée. Alors même qu’on a changé d'ère avec le Tasp ― lorsque la charge virale est indétectable, on ne transmet pas le VIH ―, il reste des préjugés dans la société. Il reste de la discrimination au travail.
Au niveau de la prise en charge, cela peut être compliqué quand on a des comorbidités. On se retrouve dans des services qui ne respectent pas du tout la confidentialité. Je me suis pris la tête plus d'une fois avec des cardiologues. C’est juste infernal : il te faut un électrocardiogramme. Tu es dans une salle et puis les internes entrent et sortent alors que tu es torse nu et tu te demandes si c'est une journée « portes ouvertes ». Autre exemple, je me suis retrouvée en service de diabétologie. Je suis dans le couloir et on me dit de venir le matin à jeun. Je demande si je peux prendre mes médicaments avant. On me dit : « Non, vous ne prenez rien ». Je réponds que c’est important de prendre mes médicaments et de ne pas sauter de prises. On me demande ce que je prends, alors que je suis dans un couloir avec d’autres patients-es. À ce moment-là, tu es obligée de sortir les griffes. Mais si tu n’as pas les outils pour te bagarrer ? Si tu n'as pas les éléments de langage pour faire valoir tes droits ? Eh bien, c'est compliqué.
Dans les années 2000, je me rappelle une réunion interprofessionnelle, avec les associatifs, et un médecin qui dit : « Quand je suis en face d’une immigrante, j'attends qu'elle soit le plus bas possible [taux de CD4 au plus bas, ndlr] pour la traiter, par rapport à la sécu ». Donc, il faisait de la discrimination dans les soins.
Nous n’avons pas encore abordé la question du travail. J’ai été co-infectée avec une hépatite C. J’ai eu la chance de m’en débarrasser en 2015. La CAF m’a dit que je n’avais pas le droit de travailler. Elle m’a même interdit de travailler. En fait, elle me poussait vers une mort sociale. Je n’avais pas le droit de chercher du travail à Pôle Emploi [aujourd’hui France Travail, ndlr]. Si je le faisais, ils me coupaient mon allocation adulte handicapé [AAH].
Avez-vous l'impression qu’en 20 ans vous êtes devenue plus actrice de ta santé ?
Ah oui, carrément. Pour donner un ordre d'idée, quand j'ai perdu ma fille, des médecins m'ont dit : « On va vous mettre sous somnifère et sous antidépresseurs ». J'ai accepté ce que je n'accepterai plus jamais. Et j'ai eu beaucoup de mal à me débarrasser de ces médicaments.
Je suis beaucoup plus actrice de ma santé, parce que j'ai suivi des formations : formation de patient-intervenant, formation à l'écoute. J’ai toujours été engagée comme militante. Maintenant, quand j'ai un rendez-vous dans un autre service que dans le service VIH, je me « conditionne » le matin, je me dis que j’y vais en tant que patiente lambda, mais si je note qu’il y a un problème, je sais que cela ne va pas le faire et que je ferai valoir mes droits.
Je me rappelle une fois où je m'étais pris la tête avec une secrétaire médicale parce qu'elle ne voulait pas me remettre mon dossier médical. Je lui ai dit « Vous me le donnez, c’est un droit ». Elle a fini par aller voir le médecin. Elle est revenue la tête basse et m’a donné le dossier. Ce n’est pas normal de devoir se battre à chaque fois pour faire valoir ses droits. Tout le monde ne les connaît pas. Tout le monde n'a pas envie, ni les moyens de s'impliquer. On ne devrait pas avoir besoin de se bagarrer pour recevoir un compte rendu de consultation ou d’intervention ou son dossier médical.
Avez-vous des conseils à adresser aux plus jeunes générations, celles qui n’ont pas connu les années 90 ni les États généraux de 2004, en termes de mobilisation et d'empowerment ou même de « vivre avec » ?
Ce qui me semble important, et c'est valable pour toutes les pathologies, c'est de pouvoir avoir des espaces de parole pour discuter, avec des personnes confrontées à la même problématique de santé. C’est ce qui a été dit aux États généraux de 2024, qu'il ne fallait pas que l’on attende 20 ans pour nous retrouver.
Des recommandations issues de l'édition 2024, qu'est-ce que vous attendez en termes de plaidoyer ?
Ce que je voudrais, c'est qu'il y ait surtout une communication envers la société. On ne transmet pas le VIH quand on a une charge virale indétectable. Pourtant, il y a toujours beaucoup de personnes qui s’infectent, il y a toujours des personnes qui ne connaissent pas leur statut sérologique. Il faut beaucoup plus de communication (et pas uniquement à l’occasion du 1er décembre) pour inciter les personnes à se faire dépister.
Avez-vous l’impression que la communication a diminuée en 20 ans ?
Lorsque j’ai été contaminée en 1990, on en parlait tous les jours aux actualités au journal télévisé. Désormais, on n’en parle plus du tout. Il faut pourtant de la communication pour faire tomber les préjugés. Il y a encore des gens qui pensent que la séropositivité se voit comme le nez au milieu de la figure !
Propos recueillis par Solenn Bazin