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    L'Actu vue par Remaides : Thibaut Vignes : « Offrir des espaces d’expression permet non seulement de libérer la parole, mais aussi de renforcer l’estime de soi et le sentiment d’appartenance »

    • Actualité
    • 11.08.2025

    thibaut vignes

    Thibaut Vignes dans les locaux de l'association Les Petits Bonheurs

    Photo : DR

     

    Par Fred Lebreton

    Thibaut Vignes : "Offrir des espaces d'expression permet non seulement de libérer la parole, mais aussi de renforcer l'estime de soi"

    Les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, se sont déroulés du 25 au 27 mai 2024 à Paris. Après plus de 40 ans d’épidémie du VIH/sida, les EGPVVIH entendaient être un « espace de dialogue créé par et pour les personnes concernées ». Un an plus tard, la rédaction de Remaides donne la parole à celles et ceux qui ont participé à cet évènement. Rencontre avec Thibaut Vignes, le directeur de l’association Les Petits Bonheurs.

    Remaides : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre association ?

    Thibaut Vignes : Je suis directeur général de l'association Les Petits Bonheurs, depuis quatre ans. Notre mission est d’accompagner exclusivement des personnes vivant avec le VIH, qui sont souvent fragilisées sur le plan physique, psychologique et social. Un point commun essentiel entre elles est un isolement profond lié à la maladie. L'association a été créée en 2008, à un moment où un constat a été établi, notamment en Île-de-France : bien que les traitements contre le VIH soient efficaces et reconnus, ils ne suffisent pas à tout résoudre. Nombre de personnes vivant avec le virus ont traversé des années extrêmement éprouvantes, ont perdu des proches à plusieurs reprises et ont elles-mêmes cru qu'elles allaient mourir. Se reconstruire après de telles épreuves et se projeter dans un avenir plus serein est un défi majeur. C'est précisément pour répondre à ce besoin que l’association Les Petits Bonheurs a vu le jour. Aujourd’hui encore, notre mission reste la même : redonner l’envie de vivre. Nous aidons ces personnes à réintégrer la notion de plaisir dans leur quotidien, afin qu’elles puissent se projeter à nouveau vers un avenir plus épanouissant.

    Remaides : Il y a un an, vous avez participé aux États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH 2024). Qu’y avez-vous fait et qu’en retenez-vous ?

    J’ai fait partie du comité de pilotage chargé de l’organisation des États généraux. Lors de l’événement, j’étais mobilisé en tant que co-animateur de sessions, aux côtés d’un membre de l’équipe de AIDES. Nous avons animé cinq ateliers portant sur des problématiques transversales identifiées comme prioritaires par les participants. J’ai également eu l’opportunité de présenter en plénière les résultats de l’étude Moi Patient et de coanimer, avec Camille Spire, présidente de AIDES, l’une des séances de clôture au ministère de la Santé. Si je devais résumer ce week-end en un mot, ce serait : intensité. Intensité des échanges, des productions, des débats, des accords et désaccords. Cela s’est ressenti, car beaucoup de participants étaient épuisés en fin de week-end. Mais il y avait aussi une forte intensité émotionnelle. Personnellement, j’ai versé plus d’une larme lors de la restitution au ministère de la Santé, en voyant ce que cette émulation collective avait généré en termes d’émotion, de solidarité et d’esprit de communauté. Le lundi matin, la fatigue était bien présente, mais cette intensité a aussi eu un effet dynamisant. C’était un moment précieux.

    Remaides : Parmi les recommandations formulées par les participants-es des EGPVVIH 2024 envers eux-elles-mêmes, il est ressorti le besoin de développer leur capacité à agir pour eux-elles, notamment face aux soignants-es. Est-ce un constat partagé par votre association ? Quels sont, selon vous, les freins et les leviers concernant ce souhait ?

    Ce qui est complexe, c’est que Les Petits Bonheurs accompagnent des personnes qui ont souvent des parcours de soins très compliqués, pour de multiples raisons. Certaines sont arrivées en France récemment et se retrouvent confrontées à un système de santé particulièrement difficile à appréhender, avec son lot de termes médicaux, de professionnels variés et de procédures à assimiler. Nous accompagnons également un grand nombre de personnes vieillissantes, dont le suivi médical se complexifie avec l’âge. Autrefois, elles avaient l’habitude d’échanger avec leur médecin généraliste et leur infectiologue, et maintenant elles doivent interagir avec un oncologue, des aides à domicile, des infirmiers… La multiplication des intervenants rend le parcours de soins encore plus difficile à gérer. Nous constatons aussi que, du fait de leur vulnérabilité, beaucoup des personnes que nous soutenons n’osent pas poser de questions à leurs médecins. C’est souvent après leurs rendez-vous, lorsqu’on leur demande comment cela s’est passé, qu’elles nous répondent : « Je n’ai pas trop compris… »
    C’est pourquoi notre rôle est aussi pédagogique : nous les accompagnons pour qu’elles puissent mieux appréhender ces échanges et prendre conscience qu’elles ont le droit de poser des questions à leurs soignants. Encourager cette démarche peut sembler anodin, mais, pour beaucoup, c’est un pas immense. Il est essentiel d’aider ces personnes à devenir actrices de leur santé, à commencer par leur relation avec les soignants qu’elles voient le plus régulièrement. Mais un autre obstacle majeur est le fort « turn over » des équipes médicales : certains patients ne se souviennent même plus du nom du médecin qu’ils ont vu la dernière fois, ce qui n’aide pas à créer un climat de confiance. Ce turn-over des équipes médicales et paramédicales nuit à la continuité des soins et à la relation de confiance avec les personnes vivant avec le VIH. Certaines d’entre elles ne parviennent plus à identifier leur infectiologue référent, en particulier lors des premières prises en charge ou après une hospitalisation. Les départs à la retraite de médecins historiques et le manque de coordination dans des parcours de soins complexes renforcent le sentiment d’abandon et de confusion, alors même que l’infectiologue reste, pour beaucoup, l’interlocuteur principal. C’est pour répondre à ces défis que notre association développe de plus en plus la médiation en santé. Il est crucial d’assurer un lien entre les professionnels et les patients, de les aider mutuellement à mieux se comprendre et à mieux communiquer. Nous insistons également sur une chose fondamentale : les personnes que nous soutenons ne doivent pas être perçus uniquement comme des patients, mais avant tout comme des personnes. Et c’est particulièrement important pour celles et ceux qui cumulent plusieurs vulnérabilités.

    Remaides : Parler ouvertement de sa séropositivité reste un enjeu complexe et parfois douloureux, notamment pour les personnes cumulant plusieurs vulnérabilités. Quels outils ou types d’accompagnement faudrait-il développer pour encourager la libération de la parole des PVVIH les plus isolées ?

    La parole est difficile à libérer, car environ 90 % des personnes que nous accompagnons vivent dans une forme de secret contraint. Ce silence ne relève pas d’une culture du secret en tant que telle, mais plutôt d’une nécessité imposée par le regard et l’attitude des autres. La peur des réactions discriminatoires, les discours sérophobes encore présents dans la société et l’invisibilisation des personnes vivant avec le VIH dans l’espace public, médiatique et culturel, sont autant de freins à une prise de parole sereine. Nous constatons cependant, au sein des Petits Bonheurs, que lorsque nous créons des espaces collectifs, certaines personnes réalisent pour la première fois qu’elles ne sont pas seules. Elles nous disent parfois avec étonnement : « Mais ici, tout le monde est comme moi, et pourtant, tout le monde a l’air d’aller bien ! » Cela leur permet de comprendre qu’au-delà du VIH, elles restent des personnes à part entière, avec une vie, des envies, des projets. Dans ces espaces bienveillants, la maladie n’est pas toujours au centre des discussions, et c’est aussi ce qui aide à lutter contre la stigmatisation. On ne porte pas son statut sérologique sur le front. Cette dynamique collective permet ainsi de sortir de l’isolement et d’apporter un soulagement, en créant un sentiment d’appartenance et de compréhension mutuelle. Par ailleurs, des initiatives comme le magazine Remaides jouent un rôle essentiel en mettant en lumière des personnes vivant avec le VIH qui témoignent à visage découvert. C’est extrêmement précieux. Chacun peut s’identifier à des figures diverses : certains se reconnaîtront dans Fred Navarro, d’autres dans Andrea Mestre. La Une collective consacrée aux États généraux en est un parfait exemple, avec une diversité de profils de personnes visibles. Ces représentations sont fondamentales pour aider les personnes concernées à se sentir moins seules et à envisager la possibilité, un jour, de parler plus librement de leur vécu.

    Remaides : Pouvez-vous nous parler d’une action emblématique menée par Les Petits Bonheurs qui a renforcé la confiance en soi ou l’autonomie en matière de santé pour vos bénéficiaires ?

    En lien avec les États Généraux, nous savions que certaines personnes accompagnées par l’association auraient du mal à se projeter sur un événement de 48 heures, entourées de tant de monde. Pourtant, lorsque nous avons mis en place des groupes de recueil de besoins, nous avons été frappés par la richesse des échanges. Les personnes que nous soutenons avaient énormément à dire, pas seulement sur le VIH, mais aussi sur leur parcours, leur quotidien, leur histoire. Parmi les initiatives qui ont réellement renforcé la confiance en soi et l’autonomie des personnes, il y a nos ateliers d’écriture. Ce projet est né du constat que beaucoup avaient un désir, voire un besoin, de s’exprimer et de partager leur vécu. Nous avons alors collaboré avec une personne qui animait déjà ce type d’ateliers, et après un premier test concluant, un véritable collectif s’est créé. Dès le début, les participants ont livré des récits d’une grande profondeur, partageant des choses très intimes avec des personnes qu’ils ne connaissaient même pas. L’animation, le cadre bienveillant et les exercices proposés ont permis d’explorer des histoires parfois romancées, mais toujours profondément personnelles. Très vite, nous nous sommes demandé comment valoriser cette parole, trop rarement entendue. L’idée d’un recueil de textes est apparue, mais en discutant avec le groupe, une autre idée a émergé : une exposition. Cela posait un défi, notamment sur la question de la confidentialité. La photographie était un sujet sensible, beaucoup étant réticents à l’idée d’apparaître publiquement. Pourtant, finalement, sur les dix textes retenus, neuf participants ont accepté d’être photographiés. Ce fut une transformation incroyable : des personnes qui, au départ, étaient totalement opposées à cette idée ont fini par l’assumer pleinement, portées par la dynamique collective. Quand nous avons demandé des autorisations pour la diffusion, la réponse a été unanime : « Maintenant que c’est fait, on y va ! » C’était un moment fort en termes de confiance en soi et de dépassement du secret.

    Remaides : L’exposition est accompagnée d’un podcast.

    Oui, car deux des textes avaient été écrits par des personnes déficientes visuelles. Nous avons alors réfléchi à une manière de rendre l’exposition plus accessible et avons décidé d’enregistrer les textes sous forme de podcast. Chaque participant a pu lire son texte en studio, accompagné par des professionnels du son. Cela a donné une dimension encore plus forte à l’expérience, leur permettant d’entendre et de transmettre leur voix d’une manière totalement nouvelle. Pour beaucoup, c’était un souvenir marquant, une expérience valorisante qui leur a permis de se sentir un peu comme des stars. Ce projet montre à quel point offrir des espaces d’expression permet non seulement de libérer la parole, mais aussi de renforcer l’estime de soi et le sentiment d’appartenance.

    Remaides : Est-il prévu de faire vivre cette exposition sur la durée ?

    Oui, tout à fait. Nous avons conçu cette exposition avec l’objectif de la faire voyager à travers la France. Nous travaillons déjà avec plusieurs associations partenaires dans différentes régions pour organiser des présentations tout au long de l’année. L’idée, c’est que chaque présentation de l’exposition soit aussi l’occasion de faire découvrir l’esprit des Petits Bonheurs et la démarche que nous portons. Concrètement, nous souhaitons proposer des ateliers d’écriture aux personnes qui viendront voir l’exposition, afin qu’elles puissent, elles aussi, expérimenter cette forme d’expression. Ce projet a suscité une vraie dynamique : il a donné envie à encore plus de personnes d’écrire et de se raconter. Même si l’exposition en elle-même est une finalité, nous voulons surtout faire vivre ces ateliers d’écriture dans la durée, comme un outil de création et d’émancipation. Ce qui nous tient à cœur, c’est aussi l’approche que nous avons adoptée dans ces ateliers. Nous ne voulions pas d’une écriture qui joue sur le pathos ou qui cherche à émouvoir à tout prix. L’idée était au contraire de se tourner vers l’avenir, les petits bonheurs du quotidien, ce qui nous porte aujourd’hui et ce qui pourra nous porter demain. En proposant ces ateliers dans différentes régions, nous espérons aussi faire émerger des dynamiques collectives locales, en fonction des envies et des besoins de chacun.

    Propos recueillis par Fred Lebreton

    Les Petits Bonheurs : (re)trouver l'élan vital

    Sur le site de l’association Les Petits Bonheurs, une citation frappe par sa justesse et sa force. Elle résume le paradoxe vécu par de nombreuses personnes vivant avec le VIH, longtemps confrontées à l’urgence de (sur)vivre, sans toujours retrouver le goût de vivre : « En 2008, tout semblait réuni pour permettre aux personnes vivant avec le VIH de survivre : les progrès médicaux et les avancées sociales faisaient enfin consensus. Mais survivre, est-ce vraiment vivre ? Comment retrouver l’élan vital après une époque marquée par l’urgence de la mort et le rejet de toutes parts ? »

    Que vous ayez envie de soutenir l’association en tant que bénévole, donateur-rice, partenaire, ou que vous cherchiez simplement des infos : l’équipe des Petits Bonheurs vous répondra :

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