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    L’Actu vue par Remaides : « Personnes trans : quand le désir sexuel fluctue au cours du parcours de transition »

    • Actualité
    • 14.05.2025

     

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    DR.

    Par Patrick Papazian

    Personnes trans : quand le désir sexuel fluctue au cours du parcours de transition

    Médecin sexologue hospitalier en maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Pitié- Salpêtrière et à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris), le Dr Patrick Papazian tient la rubrique sexo de Remaides, reprise sur AIDES.ORG. Il partage, dans chaque numéro, les questions qu’on lui pose le plus souvent en consultation, les pistes de réflexion et solutions qu’il a préconisées.

    Le parcours de transition d’une personne transgenre est une aventure personnelle qui peut mêler changements hormonaux, corporels et ajustements psychiques. En consultation de sexologie, beaucoup de personnes trans se posent la question suivante, à différentes étapes du parcours : « Mon désir sexuel semble plus bas, ou plus haut, est-ce normal ? ». Bien que la sexualité soit un sac à malice dans lequel tout est mélangé, je propose pour la clarté du propos de décomposer les facteurs influençant le désir pendant le parcours de transition en trois catégories : hormonaux, corporels/ chirurgicaux, psychologiques/émotionnels.

    Les influences hormonales sur la libido
    Les traitements hormonaux jouent un rôle majeur dans la transition et influencent directement le désir sexuel. Chez les femmes trans (MtF), la thérapie consiste généralement en l’administration d’oestrogènes associés à des anti-androgènes, ce qui conduit à une baisse du taux de testostérone. Cette modification hormonale tend à favoriser le développement de caractères secondaires féminins, mais peut aussi entraîner une diminution de la libido chez certaines personnes. Des études montrent que l’impact sur le désir sexuel varie grandement d’une femme à l’autre. Pour certaines, le désir peut chuter dans les premiers mois de traitement avant de se stabiliser, tandis que d’autres constatent, avec le temps, une redécouverte de leur sexualité à mesure que leur bien-être global s’améliore. Des travaux ont également montré un rôle de l’orientation sexuelle sur l’impact du traitement hormonal : par exemple, les femmes trans homosexuelles seraient globalement plus sensibles à cette baisse du désir que les femmes trans hétérosexuelles. Notons que la baisse initiale du désir n’est pas toujours considérée comme une souffrance, au contraire : certaines femmes trans m’ont ainsi indiqué qu’elles avaient le sentiment de mieux se concentrer sur leurs envies, le type de partenaire recherché, bref, sur ce qu’elles aiment vraiment. Mettre sur pause la libido fait parfois du bien ! Chez les hommes trans (FtM), l’introduction de testostérone est souvent accompagnée d’une augmentation de la libido. Toutefois, cette intensification n’est pas toujours linéaire. Le corps s’ajuste progressivement et il peut y avoir des pics ou des creux dans le désir en fonction de la dose, des fluctuations naturelles et de la réponse individuelle à l’hormonothérapie. Des témoignages rapportés dans la littérature scientifique indiquent que certains hommes trans décrivent une phase initiale de grande excitation suivie d’une période de stabilisation où le désir peut temporairement baisser, notamment lors d’un ajustement psychologique. Mes patients me rapportent régulièrement ces phénomènes d’ajustement entre l’impact initial de l’hormonothérapie sur la libido, parfois déconcertant, et la « digestion » psychique de cet impact. Rappelons que les hormones ne constituent pas l’alpha et l’oméga du désir sexuel. Si leur rôle est important dans les fluctuations de celui-ci, elles ne sont qu’une pièce du puzzle, et leurs effets peuvent être grandement modifiés par les événements de vie ou l’évolution corporelle, par exemple.

    L’impact des interventions chirurgicales et des transformations corporelles
    La chirurgie d’affirmation de genre peut représenter une étape importante dans la transition, mais elle a aussi son lot d’effets sur la sexualité. Les opérations chirurgicales telles que la vaginoplastie chez les femmes trans ou la phalloplastie et la métaïodioplastie (allongement du clitoris) chez les hommes trans modifient la morphologie et la perception que la personne a de son corps. Le temps de cicatrisation, les soins post-opératoires ainsi que le besoin d’apprendre à explorer de nouveaux repères sensoriels peuvent provisoirement modifier, voire altérer le désir sexuel. Il n’est pas rare que, quelques semaines ou mois après l’intervention, la libido soit en baisse, avant que la personne ne s’habitue à son « nouveau » corps et retrouve progressivement une vie sexuelle agréable. Le désir peut également être boosté par toute modification corporelle, même mineure (qu’elle soit due aux hormones, à la chirurgie, à un geste médical ou l’atteinte d’un passing, donc d’une apparence, jugé conforme à son genre). À mesure que l’image corporelle se transforme, le désir et la confiance en soi se renforcent, permettant ainsi une meilleure intégration de la sexualité dans le quotidien. C’est aussi la possibilité de faire des rencontres en se sentant « à l’aise » avec une apparence et/ou des organes génitaux en phase avec son identité de genre.
    Et ne plus craindre la fétichisation qui peut entraver le désir sexuel : certaines personnes trans ne supportent pas d’attirer des partenaires excités par leurs organes génitaux de naissance, et retrouvent du désir sexuel quand cette fétichisation n’a plus lieu d’être après l’intervention.

    Les aspects psychologiques et émotionnels
    La sexualité est indissociable de la santé mentale. Le parcours de transition, en impliquant des remises en question et des ajustements, peut naturellement générer des fluctuations dans le désir sexuel. Les expériences d’incompréhension, de rejet, de transphobie peuvent influencer la libido. Le contexte actuel est à ce titre particulièrement anxiogène et quelques patients-es m’ont rapporté que les mesures transphobes annoncées aux États-Unis, mais aussi en France, les stressent et inhibent leur sexualité. Certains témoignages soulignent qu’au cours de périodes de doute ou de moments difficiles, le désir peut diminuer. Cependant, avec le soutien psychologique et social adéquat, il est possible de surmonter ces phases. Des accompagnements en thérapie ou via des groupes de soutien permettent souvent aux personnes trans de partager leurs expériences et de se sentir moins seules dans leur parcours. Par ailleurs, l’acceptation de sa nouvelle identité et la reconnaissance par son entourage jouent un rôle clé dans le désir. Lorsque la personne trans se sent valorisée et comprise, le désir sexuel peut s’intensifier. À l’inverse, des périodes de doute quant à son identité ou des conflits relationnels peuvent temporairement affecter le désir. Enfin, une femme trans est avant tout une femme, un homme trans est avant tout un homme : au parcours de transition se surajoutent les événements de vie par exemple personnels, familiaux, ou professionnels de tout individu, qui font fluctuer le désir, il ne faut pas « tout mettre » sur le dos de la transition !

    Quels conseils peut-on donner pour ne pas souffrir de ces fluctuations du désir pendant le parcours de transition ?
    Face à ces variations, plusieurs stratégies peuvent aider à mieux vivre ces moments :
    - un suivi médical personnalisé : un accompagnement régulier par un-e endocrinologue ou un-e spécialiste de la santé trans permet d’ajuster les traitements hormonaux et de surveiller l’impact sur la libido ;
    - un soutien psychologique adapté : consulter un(e) sexologue ou participer à des groupes de soutien trans peut aider à mettre des mots sur ces ressentis et à trouver des solutions pour améliorer son bien-être intime ;
    - la patience et la bienveillance avec soi-même : chaque parcours est unique. Il est important de s’accorder du temps et d’éviter les comparaisons avec le vécu d’autrui. Les fluctuations font souvent partie d’un processus normal d’ajustement ;
    - l’éducation et l’information continue : se tenir informé-e grâce aux associations et échanger avec des pairs-es permet de comprendre les mécanismes en jeu et de relativiser les difficultés passagères.
    N’oublions pas que la transition est un parcours évolutif et que chaque étape contribue à construire une meilleure connaissance de soi, tant sur le plan corporel qu’émotionnel.
    Du reste, le concept de transcompétence, cette capacité à explorer, à s’adapter, à communiquer, développée pendant ce parcours, restera par la suite un atout dans la vie sexuelle de la femme ou de l’homme, lui permettant de mieux vivre les hauts et les bas d’un désir sexuel souvent capricieux chez les êtres humains... Les personnes cisgenres ont beaucoup à apprendre de cette transcompétence pour mieux gérer ce long fleuve tout sauf tranquille de la libido !

    N’oublions pas que la transition est un parcours évolutif et que chaque étape contribue à construire une meilleure connaissance de soi, tant sur le plan corporel qu’émotionnel. Du reste, le concept de transcompétence, cette capacité à explorer, à s’adapter, à communiquer, développée pendant ce parcours, restera par la suite un atout dans la vie sexuelle de la femme ou de l’homme, lui permettant de mieux vivre les hauts et les bas d’un désir sexuel souvent capricieux chez les êtres humains... Les personnes cisgenres ont beaucoup à apprendre de cette transcompétence pour mieux gérer ce long fleuve tout sauf tranquille de la libido !