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    L’Actu vue par Remaides : « Ma mesure contre la sérophobie »

    • Actualité
    • 14.04.2025

     

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    Anthony Leprince pour Studio Capuche

    Coordonné par Fred Lebreton

    Spécial Sérophobie :
    "Ma mesure contre la sérophobie"

    A-t-on tout essayé pour enrayer la sérophobie ? Dans le cadre d’un numéro spécial sur la sérophobie (N°130, hiver 2024), la rédaction de Remaides a sollicité des personnes vivant avec le VIH, des personnalités engagées dans la lutte contre le sida, à des fonctions différentes et dans des champs divers (soins, recherche, militantisme, etc.) pour leur demander d’expliquer quelle serait LEUR mesure pour en finir avec la sérophobie. Voici leurs propositions.
     

     

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    Photo : Blaise Arnold

    Elodie Aïna
    Directrice de Vers Paris sans sida
    « Si j’en avais les moyens, ma mesure phare serait de mobiliser une personnalité africaine ou afro-descendante extrêmement populaire, pour parler ouvertement de sa séropositivité, comme le basketteur Magic Jonhson l’a fait en 1991 aux États-Unis. À l’instar du joueur de tennis Arthur Ashe ou de Nelson Mandela, qui a brisé les tabous en annonçant que son fils était décédé des suites du sida, un tel témoignage aurait un impact immense, notamment dans les communautés africaines vivant en France. Des communautés où la stigmatisation se manifeste souvent par des jugements moraux et un isolement au sein des familles ou des cercles communautaires. À l’inverse, le silence, comme celui du chanteur Fela Kuti [décédé des suites du sida en 1997, maladie dont il n’a jamais parlé, ndlr], illustre combien l’absence de parole et de visibilité nourrissent les préjugés autour des PVVIH, souvent perçues comme responsables et coupables de leur statut sérologique. Une telle initiative normaliserait les représentations de la séropositivité, encouragerait les dépistages et mobiliserait largement contre la sérophobie, dans une des populations-clés où la discrimination des PVVIH est la plus forte aujourd’hui en France. »

    Lucas Vallet
    Administrateur de AIDES, volontaire à AIDES Annemasse et représentant de AIDES au TRT-5 CHV
    « Comme mesure phare, je proposerais « la disance pour toutes et tous ». Je mets bien sûr comme conditions : un environnement safe (sécurisé) et le choix de chacun-e à révéler son statut ou non. Mais plus les personnes parleront ouvertement de leur statut sérologique, plus la vie avec le VIH sera connue, se démocratisera en quelque sorte et la sérophobie diminuera. »

    France Lert
    Ancienne directrice de recherches à l’Inserm, ancienne présidente de Vers Paris sans sida, présidente de l’association Pistes, rédactrice pour VIH.ORG
    « Dans l’étude Vespa 2011, le principal lieu de discrimination des femmes séropositives était les lieux de soins. Souvent, ce sont des remarques, des façons de parler, et je me dis que dans les lieux de soins, pas les services VIH, mais les maternités ou les soins généraux ou les Ehpad, les mots pour parler du VIH, les façons de s’adresser aux personnes séropositives ou aux hommes homosexuels, de poser des questions sur le conjoint qui sera évidemment de l’autre sexe, le désir de faire des enfants quand on est séropositif, etc. blessent. Dans ce contexte, nous avons besoin d’une sorte de lexique des mots à ne pas dire et des mots à utiliser pour le respect des personnes atteintes. On peut le faire comme un enseignement initial, comme une intervention en réunion d’équipe, en formation continue, ou sous forme d’un petit MOOC [massive open online course, une formation à distance ouverte à tous-tes] comme nous l’avons fait avec Vers Paris sans sida sur la transidentité. »
     

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    Thibaut Jedrzejewski
    Médecin, directeur médical du 190 à Paris
    « Promouvoir et financer une plateforme intuitive et performante d’échanges entre experts et créateurs qui permettrait de visibiliser les personnes vivant avec le VIH et faire passer les messages essentiels dans la culture. Il existe beaucoup de références au VIH dans les films, séries, livres et dans l’art en général, mais aussi chez les créateurs de contenu, avec beaucoup d’idées erronées. Cela permettrait de diffuser une base sur ce qu’il faut savoir et de poser des questions sur des exemples précis de situations pour conseiller les créateurs. Puis pourquoi pas l’étendre à d’autres sujets de santé ainsi qu’à d’autres types de métiers. »

    Jean-Michel Molina
    Infectiologue, professeur de médecin, chef du service de maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Saint-Louis (AP-HP, Paris)
    « Il faudrait une communication grand public pour expliquer qu’aujourd’hui, lorsqu’une personne séropositive ou infectée par le VIH prend régulièrement son traitement contre le VIH, elle ne peut pas transmettre le virus à son partenaire lors d’un rapport sexuel sans préservatif et ne transmet pas non plus le virus à son bébé pendant la grossesse et peut même l’allaiter si elle le souhaite. Cette personne peut mener une vie normale et travailler, sans risque de transmettre le virus à son entourage. Ce sont les deux éléments qui frappent le plus lorsqu’on parle des craintes de l’entourage d’une personne infectée par le VIH. »

    Eva Sommerlatte
    Directrice du Comité des Familles
    « J’ai cogité dans tous les sens. Ce n’est pas facile de sortir une mesure phare, il y a tellement de choses à faire. Je me suis décidée à mettre en avant celle-ci : la formation continue de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur le parcours de soin. J’ai fait ce choix car je me dis que la sérophobie vécue du fait d’un-e professionnel-le du soin est particulièrement violente pour un-e patient-e. Et puis, si le corps médical est bien formé, sensibilisé, cela va certainement diffuser vers le grand public. Enfin, une PVVIH qui ne rencontre pas de sérophobie de la part du corps médical, mais, au contraire, de la bienveillance et du respect, sera sans doute plus forte pour affronter le regard de la société. »
     

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    Thibaut Vignes
    Directeur général de l’association Les Petits Bonheurs
    « Pour lutter efficacement contre la sérophobie et promouvoir l’inclusion des personnes vivant avec le VIH, il est essentiel de créer des espaces d’expression dédiés à la mise en lumière de leurs parcours et réalités de vie. Cela implique de soutenir celles et ceux qui n’ont pas la force de témoigner à visage découvert ou qui, pour raison de santé, ne peuvent plus partager leur expérience. L’objectif est double : documenter l’histoire à travers ces récits tout en favorisant l’empowerment [le pouvoir d’agir, ndlr] des personnes concernées, dans une démarche qui valorise leur dignité sans tomber dans le pathos. »

    Pascale Bastiani
    Secrétaire de l’association Nice objectif sida zéro, présidente de l’association A.C. SIDA et membre du conseil d’administration d’Actions Traitements
    « Contre la sérophobie le plus efficace, c’est de tomber le masque de l’anonymat dès l’annonce de la séropositivité, d’expliquer le Tasp, de s’appuyer sur l’accompagnement des associations et même du médecin, de faire comprendre qu’ensemble les séropositifs et les séronégatifs sont plus forts. Il faut aussi mieux faire connaître les personnes (travailleurs sociaux, juristes, etc.) qui peuvent accompagner des plaintes, rappeler qu’on peut bénéficier de l’aide juridictionnelle etc. On doit faire connaître le droit pour que les PVVIH se sentent plus sécurisées. De mon expérience personnelle, la meilleure arme contre la sérophobie a été de lutter à visage découvert, de m’emparer de mon identité de PVVIH, de refuser les phrases aux allures faussement anodines qui sont en fait discriminatoires, haineuses ; ce sont des humiliations qui tuent à petit feu. D’autant que la sérophobie provoque souvent l’isolement. »

    Franck Barbier
    Responsable Offres et Dispositifs (Direction Innovations et Projets, AIDES)
    « Plus de quinze ans après sa découverte, que tout le monde puisse enfin connaître le traitement comme prévention (Tasp ou I = I). La diffusion de messages clairs sur cette réalité aux heures de grande écoute sur les chaînes de télé viendrait rappeler que le Tasp a tous les avantages, dans le sens où il bloque les infections, et donc permet de protéger les personnes tout en contribuant à la fin de l’épidémie à VIH. La sérophobie, alimentée par les craintes, perd alors toute raison d’être. »

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    Corinne Lakhdari
    Travailleuse sociale communautaire bénévole à Act Up-Paris
    « La sérophobie est polymorphe. Elle existe dans le cadre des soins, du travail, de la famille, de la société en général, dans nos communautés aussi. J’aimerais qu’à tous niveaux l’on reconnaisse vraiment la sérophobie pour ce qu’elle est: une discrimination en raison de notre état de santé qui conduit à un traitement inégalitaire. En être victime, c’est subir des jugements de valeur. La stigmatisation peut être violente, nous ne devrions pas avoir encore besoin de le prouver au regard du préjudice moral que cela nous cause depuis si longtemps. Elle doit être prise en considération. »

    Jean-Luc Romero-Michel
    Président-fondateur des Elus locaux contre le sida, adjoint à la maire de Paris chargé des Droits humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations
    « J’aimerai qu’une campagne nationale de très grande ampleur, déclinée dans la presse quotidienne régionale, la presse nationale, les chaines de télé, les radios, sur les réseaux sociaux, indique de façon claire qu’une personne séropositive sous traitement ne peut pas transmettre le VIH. Et que c’est contre le sida, et pas contre les personnes qui vivent avec, qu’il faut se battre ! »

    Jean-Marc Bitoun
    Président honoraire d’Actions Traitements et écoutant patient-expert sur la ligne d’écoute de l’association
    « Je pense que parler ouvertement de son statut sérologique est, pour moi, un acte militant. J’ai craint longtemps le rejet des autres, mais aujourd’hui avec I= I, je ne vois pas de raison rationnelle de rejeter une personne qui vit avec le VIH. Nous devons, nous tous séropos remporter cette bataille ensemble. »

    Stéphan Vernhes
    Coordinateur de la Plateforme Europe de Coalition PLUS (AIDES)
    Les résultats de l’étude Partner 2 ont démontré qu’une personne séropositive sous traitement avec une charge virale indétectable ne transmet pas le VIH. Ces données scientifiques méritent une mise en avant équivalente à celle de l’essai Ipergay pour la Prep. Plutôt que de se limiter au message U = U, il est essentiel de valoriser le rôle protecteur des personnes séropositives traitées, comme l’a affirmé le Pr Willy Rozenbaum : « Un des moyens de ne pas contracter le VIH est de coucher avec une personne séropositive sous traitement. »