L’Actu vue par Remaides : « Fin de vie : Bayrou sème le flou sur l’avenir de l’aide à mourir »
- Actualité
- 01.02.2025
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Par Jean-François Laforgerie
Fin de vie : François Bayrou sème le flou sur l'avenir de l'aide à mourir
Mic-Mac. C’est un revers pour les partisans-es d’une aide légale à mourir dans la dignité pour certaines personnes en fin de vie. François Bayrou souhaite aborder séparément ce sujet clivant qu’est celui de la fin de vie de celui des soins palliatifs, nettement plus consensuel. Ce faisant, le Premier ministre accède ainsi à une demande des adversaires de l’euthanasie et du suicide assisté. Cela semble mal parti pour l’adoption d’un texte. Explications.
En deux... pour diviser ?
Le Premier ministre souhaite donc scinder en deux le projet de loi sur la fin de vie, a indiqué, mi-janvier, son entourage. Il n’y aurait donc plus un seul texte comme c’était pourtant promis et prévu, avant que la dissolution vienne créer le chaos, mais une loi consacrée aux soins palliatifs et une autre dédiée à l’aide à mourir. Quelques jours plus tôt, le chef du gouvernement avait simplement renvoyé la fin de vie au « pouvoir d’initiative » du Parlement. La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet avait d’ailleurs fait part de son souhait que le texte soit rapidement débattu, vers le 3 février. C’est désormais raté avec cette décision de François Bayrou. Si le choix de deux textes peut apparaître de simple forme, il marque en réalité un développement important dans l’histoire ― déjà longue de plusieurs années ― du projet de loi censé initialement porter la grande réforme sociétale de la présidence d’Emmanuel Macron. Cette décision a d’ailleurs suscité la désapprobation de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ― une macroniste de la première heure ― qui s’est dit « opposée » à cette « scission ». « J’attends que le gouvernement et le Premier ministre réinscrivent ce texte dans son ensemble à l’Assemblée nationale », a-t-elle lancé sur France 5, manifestement critique du choix gouvernemental.
Un long processus pour rien ?
La fin de vie a d’abord fait l’objet d’une convention citoyenne, puis d’un long travail de plusieurs gouvernements pour qu’un projet de loi parvienne finalement début 2024 à l’Assemblée nationale. Il prévoyait le développement des soins palliatifs mais aussi de légaliser, à d’importantes conditions, une « aide active à mourir » ― concrètement un suicide assisté ou, dans certains cas, une euthanasie, indique l’AFP. La dissolution de l’été 2024 l’a arrêté net avant un premier vote solennel, alors que les clivages restent vifs entre défenseurs-es et opposants-es. Les partisans-es de l’aide à mourir y voient un sujet essentiel de liberté et de dignité. Ses adversaires, dont nombre de religieux et certains-es soignants-es, craignent une évolution dangereuse éthiquement. En optant pour deux textes, François Bayrou répond clairement à une demande du second camp et reprend une partie des arguments des « sceptiques » de l’aide à mourir. Celle-ci « est une question de conscience » quand les soins palliatifs relèvent d’« un devoir de la société à l’égard de ceux qui traversent cette épreuve », a tenté de justifier l’entourage du locataire de Matignon. Cette position rejoint notamment celle de la Sfap, organisation qui porte la voix des soins palliatifs et s’est toujours montrée très méfiante à l’idée de légaliser le suicide assisté. Deux textes, « c’est quelque chose que l’on demandait depuis le début », a déclaré à l’AFP sa présidente, Claire Fourcade. « Le sujet des soins palliatifs, qui pourrait avancer très vite, est freiné par le fait d’être couplé à un sujet plus clivant et complexe », estime-t-elle.
Chez les partisans-es de l’aide à mourir, comme Yaël Braun-Pivet, le mécontentement l’emporte. Le député Olivier Falorni (apparenté MoDem, le parti de François Bayrou), qui défend de longue date une évolution législative et avait dirigé les travaux sur le projet de loi lors de son passage à l’Assemblée, a ainsi exprimé son désaccord. Soins palliatifs et aide à mourir sont « complémentaires », a-t-il insisté auprès de l’AFP. Ces deux sujets doivent « être abordé(s) maintenant et en même temps, pas séparément et dans longtemps ». Car les partisans-es de l’aide à mourir craignent l’abandon de ce deuxième volet, même si l’entourage du Premier ministre assure que les deux thèmes seront examinés dans la « même temporalité parlementaire », sans plus de précisions. Mais s’il est envisagé de traiter les deux textes dans la même période… pourquoi traiter des deux sujets dans deux volets distincts et pas dans une même loi comme cela était prévu et en passe d’être voté avant la dissolution ?
"Céder aux représentants religieux et aux opposants à l'euthanasie"
« Séparer le texte, c’est céder aux représentants religieux et aux opposants à l’euthanasie, séparer pour finalement ne rien faire ? », s’est interrogée sur le réseau X l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Pour François Bayrou, l’enjeu est aussi politique. Plusieurs membres de son gouvernement ont exprimé leurs fortes réticences sur l’aide à mourir, à commencer par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui avait clairement dit ne pas souhaiter le retour du texte à l’Assemblée. « Dans une situation où il n’y a pas de budget pour la France », la fin de vie « n’est pas une urgence », argumentait aussi, en privé, un autre ministre il y a quelques semaines. C’est l’argument habituel pour que les sujets de société ne soient jamais traités. Cette vieille lune était déjà utilisée au temps des débats sur le Pacs, puis sur lors de l’examen du mariage pour tous… C’est d’ailleurs pénible que cette argumentation spécieuse soit toujours brandie dès lors qu’un texte crée de nouveaux droits sociaux et humains. On pourrait d’ailleurs rappeler que l’aide à mourir n’est pas un petit sujet dans l’opinion publique… à tel point que le chef de l’État lui-même avait décidé que cette question ferait l’objet d’une convention citoyenne. On est donc loin du caractère prétendument non prioritaire qu’avance une partie de l’exécutif.
"Fin de vie : stop aux retours à la case départ !", dénonce France Assos Santé
« Aujourd’hui, après plusieurs années de travail et de consultations et un important travail parlementaire, François Bayrou annonce vouloir scinder le projet de loi en deux textes distincts (…) L’accompagnement de la fin de vie doit continuer à être pensé de manière globale : les traiter à part, avec deux textes dissociés, c’est remettre en question l’existence de situations de souffrances réfractaires, y compris parfois après une prise en charge en soins palliatifs, auxquelles notre cadre législatif actuel n’apporte pas de réponse », explique France Assos Santé (FAS) dans un communiqué (22 janvier). « C’est aussi porter atteinte à la cohérence de mesures qui doivent s’articuler et se déployer conjointement. C’est enfin une énième manœuvre dilatoire, qui risque d’enterrer en bonne et due forme une partie du texte pourtant attendue par les personnes malades », dénonce le collectif, qui demande au Premier ministre François Bayrou « de ne pas balayer le long travail accompli et de maintenir un texte unique pour une approche globale de l’accompagnement des fins de vie. On ne joue avec les attentes des personnes malades : soyons à la hauteur des enjeux ! »
"Fin de vie : l'hypocrisie de François Bayrou", dénoncée par Le Monde
« Ce devait être la grande réforme de société du second quinquennat d’Emmanuel Macron sur un sujet – la fin de vie – parmi les plus douloureux et les plus complexes qui soient, mais soutenue par une large partie de l’opinion. Pourtant, presque deux ans après qu’une convention citoyenne s’est prononcée, à une majorité de 75 %, en faveur d’une « aide active à mourir », le texte législatif promis par le président de la République qui devait en résulter paraît encalminé. Un projet de loi dans ce sens a certes fait l’objet d’un débat parlementaire remarquablement digne qui devait s’achever, le 18 juin, par un vote solennel. Le texte autorise le suicide assisté ou l’euthanasie pour les malades majeurs en fin de vie qui le demanderaient, dans certaines conditions et sous réserve d’une autorisation médicale », développe le quotidien.
« Le large soutien dont bénéficiait le texte n’a pas empêché François Bayrou de compromettre son adoption. Mardi 21 janvier, le Premier ministre a dit souhaiter que le texte soit scindé en deux afin de distinguer les dispositions sur les soins palliatifs. Venant d’un responsable politique qui a déclaré, en mai 2023, « ne faisons pas un service public pour donner la mort », une telle volonté de découpage, conforme au souhait des opposants au projet initial, nourrit le soupçon d’une manœuvre destinée à reporter aux calendes, voire à compromettre, l’instauration d’un droit à l’aide active à mourir », souligne Le Monde. Et d’attaquer : « Quelles que soient les motivations du Premier ministre – personnelles ou politiques, liées à l’opposition d’une partie de sa majorité –, il y a une certaine hypocrisie de sa part à prôner un texte spécifique sur les soins palliatifs, domaine crucial qui a un besoin impérieux de financements nouveaux, mais pas d’une loi. Le risque est qu’une fois ce texte symbolique adopté la question de l’aide à mourir soit marginalisée. D’autant que le calendrier parlementaire pourrait rendre incertaine l’adoption d’un second texte d’ici à la fin du quinquennat. À l’heure où doivent s’affirmer les prérogatives du Parlement dans un contexte d’instabilité gouvernementale et alors que les sujets réunissant a priori une majorité de députés ne sont guère nombreux, il serait incompréhensible qu’une avancée sociétale aussi décisive se trouve remise en cause. »
Fin de vie : Bayrou persiste et rechigne
Les pressions et demandes (y compris celles de ses soutiens politiques) ne semblent avoir aucun résultat. François Bayrou a confirmé lundi 27 janvier lors de son interview fleuve sur LCI, vouloir scinder le projet de loi sur la fin de vie, pour distinguer les « deux sujets » des soins palliatifs et de l’aide à mourir, afin de « pouvoir voter sur chacun de ces deux textes différemment ». « Les soins palliatifs, pour moi ce n’est pas un droit, c’est un devoir », a déclaré sur LCI le Premier ministre, qualifiant l’aide à mourir de « débat de conscience ». Plus de 200 personnalités politiques socialistes et macronistes ont exhorté François Bayrou à ne pas scinder le texte jugeant que « dissocier les soins palliatifs de l’aide médicalisée active à mourir serait une erreur ». Cette tribune, signée notamment par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, a été mise en ligne sur le site du Parisien à quelques heures du long entretien télévisé du Premier ministre sur LCI.
À ce stade, le gouvernement se refuse à élaborer un calendrier parlementaire, pour la fin de vie ou d’autres textes législatifs, tant que le budget n’est pas adopté, selon la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas. Une proposition de loi du député Modem
Olivier Falorni a néanmoins été déposée à l’Assemblée nationale. Outre la réaffirmation de son choix, François Bayrou a profité de son interview sur LCI pour livrer quelques convictions intimes concernant ce débat : « On touche là à quelque chose qui tient au sens de la vie, à la vie et au sens de la vie. » Certaines remarques frôlant l’ésotérisme : « Moi, je ne crois pas que les morts soient morts (…) Je crois à la vie (...) Je crois que ceux qui sont de l’autre côté continuent à avoir avec nous quelque chose comme une relation. (...) Peut-être vous me prendrez pour un fou ».