AIDS 2024 : « Lénacapavir… quel prix pour mettre fin au VIH ? »
- Actualité
- 23.07.2024
© Fred Lebreton
Par Fred Lebreton, Jean-François Laforgerie et Thierry Tran
Chaque été, tous les deux ans, a lieu la grande conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS (International AIDS Society). AIDS 2024, se déroule, cette année, à Munich (Allemagne) du 20 au 26 juillet. Au programme, deux jours de pré-conférence, cinq jours de conférences et un grand village associatif avec des activistes venus-es de toute la planète, dont des militants-es de AIDES. La rédaction de Remaides est sur place pour une couverture des moments forts. Deuxième épisode sur la journée du lundi 22 juillet 2024.
Lénacapavir en Prep tous les six mois : « Zéro ! Je répète : zéro infection ! »
Lundi 22 juillet 2024, plénière d’ouverture de AIDS 2024. L’immense salle de l’International Congress Center de Munich est quasi pleine. Des écrans géants retransmettent le livefeed de la scène. On se croirait presque à un concert de pop. Mais pas de Taylor Swift sur scène, juste deux vedettes locales l'actrice et présentatrice allemande Annabelle Mandeng et l'ambassadrice de l’Onusida, Vira Brezhneva, qui vont animer la plénière. « Nous sommes solidaires avec les nombreux professionnels de santé et humanitaires qui travaillent face au danger pour protéger le droit à la santé des civils », déclare la maîtresse de cérémonie Vera Brezhneva avant de demander à la salle de faire une minute de silence en mémoire des professionnels-les de santé qui ont perdu leur vie dans des zones de conflits.
La première intervenante est Sharon Lewin. La présidente de IAS et co-présidente de AIDS 2024 déplore la montée des gouvernements populistes et le recul des droits civiques qui mettent en danger la lutte contre le VIH et les besoins des personnes les plus marginalisées. « La désinformation ne peut jouer aucun rôle dans la réponse au VIH. Ces tendances menacent notre mouvement à un moment où nous voyons les objectifs de 2030 s'éloigner », alerte la Pre Lewin. La présidente de IAS revient sur les résultats de l’essai PUPRPOSE 1 qui sont sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes à cette conférence. Rappel. Dans un communiqué publié le 20 juin dernier, la firme pharmaceutique Gilead a dévoilé les premiers résultats de l’essai de phase 3 PURPOSE 1 ; un essai qui évalue le lénacapavir en Prep chez 5 300 jeunes femmes cisgenres, âgées de 16 à 25 ans, en Afrique-du-Sud et en Ouganda. Dans les résultats intermédiaires, il n'y a eu aucune nouvelle infection parmi les 2 134 femmes ayant reçu des injections de lénacapavir, tous les six mois. Sharon Lewin insiste sur ces résultats inédits : « Zéro ! Je répète : zéro infection ! ». Tout en rappelant le rôle des personnes concernées dans ce succès : « L'essai clinique PURPOSE n'a été possible que grâce à l'engagement de milliers de femmes à travers l'Afrique à risque d'infection par le VIH qui y ont participé. Ce sont ces mêmes communautés qui doivent y avoir accès en premier ».
Et soudain, le bruit d’une sirène…
Premier moment fort de cette plénière avec l’intervention de Andriy Klepikov, leader de la santé publique ukrainien avec en fond sonore un peu lointain le bruit d’une sirène. Le public ne comprend pas au début ce qui se passe. « Les sirènes signalent le danger et font partie du quotidien en Ukraine. Aujourd'hui, je voudrais déclencher une sirène, une alerte mondiale face à la montée alarmante de l'épidémie de VIH en Europe de l'Est et en Asie centrale », déclare le co-président régional de AIDS 2024. « L'invasion de l'Ukraine par la Russie a déclenché une guerre contre la santé publique et la science. Nous ne devrions pas être de simples observateurs, nous devrions nous opposer activement à cette tendance dangereuse, en défendant les valeurs universelles et les principes de coexistence civilisée ». Andriy Klepikov alerte sur les défis globaux qui ralentissent la lutte contre le VIH : la pandémie de Covid 19, les guerres, les migrations, la pauvreté et le changement climatique. « Les communautés continueront de dynamiser notre mouvement. Nous devons accepter la diversité, répondre aux besoins émergents des personnes et allouer plus de ressources aux communautés et à la société civile », exhorte l’expert en santé publique.
« En tant qu'homme trans d'Ouganda, je vous demande de cesser de nous laisser de côté »
Autre moment fort avec l’arrivée sur scène de Jay Mulucha, militant trans et défenseur des droits humains ougandais, qui témoigne des grandes difficultés de la communauté LGBT+ depuis le vote de la loi anti-homosexualité en Ouganda. « Il n'est plus sûr, pour nous, de nous réunir en tant que communauté. Nous sommes donc devenus encore plus vulnérables et isolés qu'auparavant, ce qui nous laisse un sentiment de totale solitude. Nous avons été expulsés du bâtiment où nous fournissions un abri pour les personnes trans sans domicile. Après avoir déplacé l'abri dans notre bureau, nous avons malheureusement été expulsés de notre bureau aussi », raconte l’activiste trans. Jay Mulucha rappelle que les personnes trans à travers le monde sont confrontées à la violence et à la discrimination et courent un risque bien plus élevé de contracter le VIH que la population générale. « Le thème de la conférence AIDS 2024 est : « Mettre les personnes au premier plan », alors pensons à inclure toutes les personnes au premier plan, pas seulement certaines. En tant qu'homme trans d'Ouganda, je vous demande de cesser de nous laisser de côté. Rien pour nous sans nous ! ». Et l’activiste de rappeler sous un tonnerre d’applaudissements « C'est la première fois qu'un homme trans est invité à parler à une conférence sur le sida. Je suis tellement reconnaissant que nos voix soient enfin entendues ».
Lénacapavir en générique : « Gilead, faites en sorte que cela arrive ! »
Mais LE moment le plus marquant de cette plénière d’ouverture est sans aucun doute l’intervention puissante de la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima. Dans un premier temps, la militante a rappelé les données du nouveau rapport de l’Onusida publié le jour même « The Urgency of Now : AIDS at a Crossroads » (« L'urgence du moment : le sida à la croisée des chemins », voir encart ci-dessous) : « 77% des personnes vivant avec le VIH suivaient un traitement antirétroviral en 2023, contre 47 % il y a neuf ans. Une augmentation de 30 %. Ils disaient que c'était impossible, mais grâce à la solidarité, vous l'avez fait. Mais alors que nous voyons la ligne d'arrivée, certains dirigeants font marche arrière et expriment des doutes », déplore Winnie Byanyima.
Winnie Byanyima © IAS
Et puis, dans un moment de plaidoyer qui restera dans l’histoire de l’IAS, la directrice de l’Onusida s’est adressée directement aux dirigeants-es du laboratoire Gilead au sujet du prix de lénacapavir : « Je sais que vous êtes dans la salle. Vous avez un outil miraculeux. Il faut le rendre accessible maintenant pas dans six ans ! », exhorte Winnie Byanyima. « Nous devons rendre les médicaments à action prolongée accessibles à tous les pays à revenu faible. Nous devons accorder des licences génériques par l'intermédiaire du Medicines Patent Pool et rendre les génériques disponibles pour toute l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine ». Winnie Byanyima révèle que le lénacapavir commercialisé 40 000 dollars par an pourrait être génériqué pour moins de 100 dollars par an (voir encart ci-dessous). « Gilead, make it happen ! (« Gilead, faites en sorte que cela arrive ! »), plaide la directrice de l'Onusida, applaudie par toute la salle. Et la militante de conclure : « Le chemin qui mène à la fin du sida est bien balisé, il est prouvé et il a été promis. Nous ne pouvons pas détourner le regard quand, chaque minute, quelque part dans le monde, une personne meurt de causes liées au sida ».
Dernier à intervenir et pas des moindres, le chancelier allemand Olaf Scholz (on se souvient qu’en 2022 lors de la conférence IAS à Montréal, le Premier ministre canadien Justin Trudeau avait brillé par son absence…) qui profite de l’occasion pour faire une annonce : « Une personne meurt du sida chaque minute. Cela doit changer. En Allemagne, plus de 95 % de toutes les personnes diagnostiquées avec le VIH ont accès à un traitement. Aujourd'hui, j'annonce que l'Allemagne rejoindra le partenariat mondial de l’Onusida pour agir et éliminer toutes les formes de stigmatisation et de discrimination liées au VIH ».
Des nouveaux traitements contre l'infection à gonocoque ?
L’infection à gonocoque constitue un énorme poids de santé publique dans le monde. En 2020, on estimait à 128,5 millions le nombre de nouvelles infections chez les adultes dans le monde. La plupart des femmes atteintes de gonorrhée ne présentent aucun symptôme et, lorsqu’elles en ont, il s’agit, en général, de pertes vaginales, tandis que la plupart des hommes ont des écoulements urétraux. Si elle n’est pas traitée, la gonorrhée peut entraîner l’infertilité chez l’homme et chez la femme, ainsi que d’autres complications en matière de santé sexuelle et reproductive. Elle augmente également le risque d’infection par le VIH. La résistance de la gonorrhée aux antimicrobiens est un problème grave qui gagne en importance, ce qui rend de nombreuses classes d’antibiotiques inefficaces et entraîne le risque que la maladie ne puisse plus être traitée. Il est donc urgent de développer de nouveaux traitements pour traiter la gonorrhée. C’est dans ce contexte qu’une session était organisée avec une note d’espoir : l’annonce de deux essais cliniques de phase III sur de nouveaux traitements contre la gonorrhée. La zoliflodacine est une molécule en cours de test comme antibiotique. Elle semble plus efficace contre les formes urogénitales de la gonorrhée mais moins dans les formes oropharyngées (gorge). La gépotidacine est un antibiotique expérimental qui est à l'étude pour le traitement des infections des voies urinaires non compliquées et des infections à gonocoque , y compris les souches multi résistantes.
Comment l’inclusion des communautés prend appui sur les sciences du comportement et du marketing pour mieux concevoir des outils de prévention
Vous êtes-vous déjà interrogé-e sur vos préférences de consommation ? Pourquoi choisir tel produit plutôt qu’un autre ? En matière de prévention contre le VIH, on se représente bien l’éventail d’outils : préservatifs internes ou externes, Prep, Tasp, matériel d’injection ou de sniff à usage unique etc… Mais finalement pour un outil donné il y a peu de variété, si ce n’est la marque des préservatifs ou le modèle. La session intitulée : « Comment le biomédical devrait être informé par le social » organisé par IAVI (International AIDS Vaccine Initiative) s’est intéressé au rôle clé des communautés dans le développement des produits de prévention à destination des femmes d’Afrique subsaharienne, en particulier ceux combinant Prep et contraception. En exemple, ont été cités : l’anneau, le film et les inserts vaginaux, des innovations comparées à la forme classique orale en comprimé. Difficile d’imaginer combien les sciences du marketing et du comportement consommateur-rice pouvaient être impliquées dans le développement de ces outils, d’ailleurs davantage dénommés « produits » de prévention dans le cadre des présentations.
Divers programmes de recherche sont financés dans le cadre du programme 2023-2030 de l’USAID (US Agency for International Development) présenté par Ashley Lima, mobilisant des partenariats « Sud-Sud » et incluant les communautés. Parmi ces projets, MATRIX possède une méthodologie rodée à base de « design consultation » (ateliers en petits groupes), d’études de segmentation de marché (questionnaires de profilage à destination de 15 000 sujets) ou de réseau à réponse rapide (groupes tests de 300 à 500 participants-es) au Kenya, au Zimbabwe et en Afrique du Sud. On comprend bien la complémentarité des approches et la technicité sous-jacente bien que tout cela demeure assez abstrait. Les choses se sont éclaircies avec la présentation du projet UPTAKE (Yvonne Wangui Machira de IAVI) visant à expliciter les attentes et critères des femmes vis-à-vis des différentes formes de prévention : l’acceptabilité et l’accessibilité en sont deux principaux. Dans le détail, les femmes incluses dans ces études valorisent la discrétion, l’absence d’effets indésirables de la Prep qui sont des prérequis pour se soustraire à la stigmatisation. Toutefois, les méthodologies décrites ont été intelligemment critiquées lors de l’intervention de Saif ul Hadi (IAVI). En s’appuyant sur les sciences du comportement, il a mis en évidence les biais pouvant fausser les résultats relatifs aux préférences des participantes aux études. En effet, il pointe le résultat de l’étude QU4TRO (comparant anneau, insert, film et gel spermicide) : 81 % des participantes avaient changé de produit préféré sur une période de quatre mois. Il a ensuite donné des pistes méthodologiques afin d’éliminer ces biais. Le recours à des simulations présentées explicitement comme des jeux de rôle peut permettre aux participantes de favoriser un raisonnement rationnel plutôt qu’émotionnel en se distanciant de leur propre situation. Enfin, Yvette Raphael (Advocacy for Prevention of HIV and AIDS) activiste sud-africaine a réaffirmé l’expertise communautaire dans son discours et à travers la blouse blanche qu’elle portait comme symbole de légitimité. Quel est le bon moment pour inclure les communautés dans le design des produits ? Un exemple frappant : les films vaginaux ont été proposés à des femmes lors d’un atelier. Bien que très souples, la forme carrée et l’aspect aiguisé des bords était répulsif pour les femmes qui ont préconisé l’adoption de bords arrondis. Cela parait évident, mais ça ne l’était pas pour les scientifiques qui ont conçu le prototype. Vous avez donc votre réponse : l’inclusion des personnes concernées doit avoir lieu le plus tôt possible.
DOSSIER À SUIVRE DANS LE TROISIEME EPISODE MERCREDI 24 JUILLET 2024
Lénacapavir : 1000 fois moins cher en version générique !
Dans la foulée de l’intervention de Winnie Byanyima en plénière d’ouverture, une dépêche AFP a été publiée. Son titre dit tout : « Sida : un traitement prometteur 1000 fois moins cher en version générique, selon des chercheurs ». Le traitement en question est le fameux lénacapavir de Gilead qui coûte quelque 40 000 dollars par personne chaque année et qui pourrait tomber autour de 40 dollars en version générique, selon une estimation calculée par des chercheurs-ses. « Ce traitement, qu'on reçoit « comme un vaccin », pourrait arrêter la transmission du VIH s'il était administré à des personnes à risque élevé, comme des homosexuels ou bisexuels, des travailleurs du sexe, des prisonniers ou des femmes jeunes, notamment en Afrique », a déclaré à l'AFP, Andrew Hill, de l'université britannique de Liverpool, qui a présenté l'étude. À environ 40 000 dollars par an, son coût actuel dans différents pays, comme les États-Unis, la France, la Norvège ou l'Australie, le lénacapavir est hors de portée pour la plupart des pays. Si le géant américain permettait sa fabrication en version générique, ce coût pourrait chuter à 40 dollars, ont calculé les chercheurs-es. Ils-elles ont appuyé leur évaluation sur une hypothèse de commandes pour dix millions de personnes. Pour estimer le coût d'une version générique, les chercheurs-ses ont, entre autres, discuté avec d'importants fabricants de génériques, en Chine et en Inde, déjà producteurs de « briques » du traitement, a précisé Andrew Hill.
Il y a dix ans environ, cette équipe de chercheurs-es avait estimé que le traitement contre l'hépatite C de Gilead — alors facturé 84 000 dollars par traitement par personne pourrait dégringoler à 100 dollars si des génériques étaient autorisés. « Désormais, cela coûte moins de 40 dollars de soigner l'hépatite C », a glissé le scientifique. La directrice exécutive de l'Onusida Winnie Byanyima a d’ailleurs exhorté Gilead, dans un entretien avec l'AFP publié lundi 22 juillet, à « entrer dans l'Histoire » en autorisant la fabrication de génériques de son antirétroviral. Gilead, objet d'une campagne de pression de nombreuses personnalités et ONG, a affirmé ces derniers mois discuter « régulièrement » avec les acteurs-rices de la lutte contre le VIH, « y compris les gouvernements et les ONG », pour un accès du traitement « au plus grand nombre possible ».
Un nouveau rapport de l’Onusida montre que la pandémie de sida peut prendre fin d’ici 2030, à condition que les leaders-ses renforcent les ressources et protègent les droits humains, dès maintenant
C’est un grand classique, qui s’explique d’autant mieux que les éditions des conférences AIDS créent des opportunités de communication rares. À l’occasion de la conférence AIDS 2024 à Munich, l’Onusida a donc publié son nouveau rapport « The Urgency of Now : AIDS at a Crossroads » (« L'urgence du moment : le sida à la croisée des chemins ») ; une somme de 209 pages (!) qui compile de nouvelles données et des études de cas qui prouvent que les décisions et les choix politiques pris cette année par les dirigeants et dirigeantes du monde entier décideront du sort de millions de vies et de la fin ou non de la pandémie la plus mortelle au monde. C’est cela la fameuse « croisée des chemins », une façon d’exprimer que les choses sont encore réversibles… si on agit maintenant. On notera que l’argument sert aussi en matière de défense du climat… avec une efficacité très relative.
Le travail de l’Onusida rappelle d’abord une évidence. Voilà désormais plus d’une décennie que « l’éradication du sida » est à notre portée. Autrement dit, nous avons les outils, nous savons faire… pourtant nous ne faisons pas. À l’Onusida, on préfère dire : « L’humanité accuse actuellement un retard dans cette entreprise » ; une formule qui euphémise l’échec actuel. On peut effectivement parler d’un échec quand on sait que sur les 39,9 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde, « près d’un quart, soit 9,3 millions, ne reçoivent pas de traitement vital, ce qui se traduit par un décès des causes du sida par minute ». Nous en sommes là.
Ce résultat contraste dramatiquement avec les objectifs pourtant pris par les dirigeants et dirigeantes du monde entier. Ils-elles se sont engagés-es à réduire les nouvelles infections à moins de 370 000 par an d’ici 2025, mais leur nombre était de 1,3 million en 2023, soit plus de trois fois supérieures à cet objectif. La situation n’a rien de rassurante, d’autant qu’à cela, l’Onusida note, dans son rapport, que « les progrès accomplis sont aujourd’hui menacés par la raréfaction des ressources [financières, humaines, ndlr] et la multiplication des attaques à l’encontre des droits humains. » Présente à la conférence de Munich, Winnie Byanyima, la directrice exécutive de l’Onusida, a, une nouvelle fois, rappelé ce qu’elle explique inlassablement : « Les leaders mondiaux se sont engagés à mettre fin à la pandémie de sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. Les dirigeants et dirigeantes peuvent tenir leur promesse, mais uniquement en s’assurant que la riposte au VIH dispose des ressources dont elle a besoin et que les droits humains de tous et toutes sont protégés (...) Les leaders peuvent sauver des millions de vies, empêcher des millions de nouvelles infections au VIH et garantir que toutes les personnes séropositives vivent une existence épanouie en bonne santé. »
La feuille de route est connue. Alors comment renverser la vapeur ? L’Onusida pense que c’est, pour partie, en réaffirmant la pertinence de l’objectif et sa faisabilité. Autrement dit, la fin de la pandémie de sida d’ici 2030 n’est pas une utopie, mais son succès résulte d’une simple question de volonté politique des leaders-ses du monde. Le rapport, présenté à Munich, s’efforce de convaincre avec un peu de prospective. Il indique ainsi que « si les dirigeants et dirigeantes [du monde, ndlr] prennent les mesures audacieuses nécessaires pour garantir des ressources suffisantes et pérennes et protéger les droits humains de tous et toutes, le nombre de personnes vivant avec le VIH et nécessitant un traitement à vie s’élèvera à environ 29 millions d’ici 2050. À l’opposé, s’ils [et elles] prennent le mauvais cap, le nombre de personnes qui auront besoin d’un soutien à vie passera à 46 millions (contre 39,9 millions en 2023) ». Autre argument mis en avant, une « progression [certes] continue (mais bien que plus lente que prévue) du déploiement des médicaments auprès des personnes vivant avec le VIH ». Elles sont ainsi actuellement 30,7 millions sous traitement, soit plus de trois personnes séropositives sur quatre, note l’Onusida. En 2010, la couverture en traitements ARV n’était que de 47 %. L’augmentation du nombre de personnes ayant accès à un traitement est une avancée majeure en matière de santé publique ; c’est d’ailleurs unes des clefs dans l’atteinte de l’objectif de 2030. Cette augmentation a permis de réduire de moitié le nombre de décès liés au sida entre 2010 et 2023 (1,3 million contre 630 000 aujourd’hui). Mais, il y a un obstacle : le « monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre l’objectif 2025 qui consiste à passer sous la barre des 250 000 décès ». Chaque rapport souligne les progrès réalisés dans la prévention des nouvelles infections au VIH. « Elles ont baissé de 39 % depuis 2010 dans le monde et de 59 % en Afrique orientale et australe », explique le rapport qui montre cependant qu’elles augmentent dans trois régions : le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (région Mena), l’Europe de l’Est et l’Asie centrale et l’Amérique latine.
Alors comment renverser la vapeur ? La question mérite vraiment qu’on y réponde. Le rapport de l’Onusida voit actuellement deux principaux obstacles.
- Premier obstacle : une incapacité collective mondiale à lutter contre les discriminations et l’ensemble des atteintes aux droits humains
« Les inégalités entre les sexes exacerbent les risques auxquels sont confrontées les filles et les femmes, et elles alimentent la pandémie », note le rapport. L’incidence du VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes est toujours exceptionnellement élevée dans certaines régions de l’Afrique orientale et australe et de l’Afrique occidentale et centrale. De plus, la « stigmatisation et la discrimination à l’encontre des communautés marginalisées créent des barrières à l’accès aux services vitaux de prévention et de traitement. C’est ce qui explique pourquoi les populations clés, y compris les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les consommateurs et consommatrices de drogues injectables, représentent aujourd’hui une part plus importante des nouvelles infections dans le monde par rapport à 2010 : 55 % contre 45 % ». Une fois encore, le rapport fait la démonstration que les « services de prévention du VIH et de traitement n’atteindront les personnes que si les droits humains sont respectés », autrement dit « si les lois injustes à l’encontre des femmes et des communautés marginalisées sont abrogées et si le thème de la discrimination et de la violence est pris à bras le corps ». Or, manifestement, nous n’en prenons pas le chemin. Selon les calculs de l’Onusida : 20 % des ressources allouées au VIH devraient être consacrées à la prévention du VIH pour les populations les plus touchées par le virus, mais seules 2,6 % des dépenses totales consacrées à la pandémie ont été attribuées à des interventions à destination des populations clés en 2023. Un sacré gap !
- Second obstacle : une baisse des financements dans la lutte
Et cela, un peu partout dans le monde. Cette baisse freine les progrès. Elle entraîne « même une hausse des épidémies dans certaines régions ». En 2023, les ressources totales disponibles pour la lutte contre le VIH (19,8 milliards de dollars) ont diminué de 5 % par rapport à 2022 et il manquait 9,5 milliards de dollars par rapport au montant nécessaire d’ici 2025 (29,3 milliards de dollars), souligne le rapport. Les financements nationaux dans les pays à revenu faible et intermédiaire, qui représentent 59 % des ressources totales pour le VIH, sont entravés par la crise de la dette et ont chuté pour la quatrième année consécutive, avec une baisse de 6 % de 2022 à 2023. Pour l’Onusida, une « mobilisation accrue des ressources est nécessaire, en particulier en Asie et dans le Pacifique, où le nombre de personnes vivant avec le VIH devrait presque doubler d’ici 2050, ainsi qu’en Europe de l’Est et en Asie centrale, en Amérique latine et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, des régions où les épidémies sont en plein essor, mais où le financement du VIH a considérablement diminué ». Et d’expliquer ceci : « Environ la moitié des ressources totales nécessaires d’ici 2025, et 93 % de l’écart actuel de financement du VIH, concernent des régions hors de l’Afrique subsaharienne ».
Une nouvelle fois, le travail (indispensable) de l’Onusida montre avec ce nouveau rapport « The Urgency of Now : AIDS at a Crossroads », que des décisions doivent impérativement être prises. Ce sont celles qui seront prises cette année qui détermineront « si les objectifs mondiaux seront atteints, si le sida ne représentera plus une menace de santé publique d’ici 2030 et si une riposte au VIH pérenne sera mise en place ». Alors bien sûr, Winnie Byanyima appelle à l’action ; c’est son rôle. « Le respect ou non par les dirigeants et dirigeantes de leur promesse de mettre fin au sida est un choix politique. Le moment est venu de choisir la bonne voie », explique-t-elle. Mobilisation aussi du côté d’Anthony Fauci, ancien conseiller scientifique du président américain, lui aussi présent à Munich. « Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à nous faire entendre et à être proactifs. Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer. Cela n’est pas une option (…) Je vais continuer à m’investir totalement pour m’assurer que nous mettrons effectivement fin à l’épidémie de sida et je vous implore tous et toutes d’afficher le même niveau d’engagement ». Croisons les doigts !
« Les communautés craignent que les crises mondiales ne compromettent les efforts pour mettre fin à l'épidémie de VIH »
Dans un communiqué publié à l’occasion de la conférence AIDS 2024 à Munich, Coalition PLUS alerte sur l’impact des crises mondiales dans les efforts pour mettre fin à l'épidémie de VIH. « Des droits humains au changement climatique, en passant par les conflits armés, ces crises affectent directement nos vies et celles de nos proches. Dans de nombreuses régions du monde, nous observons avec désolation l'échec à prévenir les guerres et les conflits armés. Ils représentent les pires scénarios pour lutter contre le VIH, suscitant des inquiétudes quant au véritable risque d'une épidémie incontrôlée dans plusieurs régions du monde », alerte la coalition internationale d’ONG communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales. « Ces derniers mois, divers conflits armés ont été marqués par la destruction d'infrastructures de santé, tuant de nombreux civils et empêchant efficacement l'accès aux soins pour tous. La reconstruction de ces infrastructures prendra des années, alors même que le financement de l'effort de guerre capte des ressources qui pourraient être allouées à la santé », déplore Coalition PLUS. « Nos communautés sont également préoccupées de voir que les efforts pour prévenir le changement climatique ne sont pas suffisants. Nous avons appris à nos dépens que les crises climatiques, tout en nous menaçant tous, favorisent également l'émergence de nouvelles maladies et augmentent le risque de pandémies » souligne la coalition. « Nous appelons la communauté internationale à manifester un soutien ferme aux organisations multilatérales, notamment par la mobilisation financière. Dans un contexte de reconstitution des ressources de nombreuses organisations de santé mondiale, elles sont particulièrement appelées à le faire. Nous appelons la communauté internationale à prendre des mesures immédiates pour garantir un avenir pacifique respectant le droit à la santé pour tous », a conclu Coalition PLUS.