L'Actu vue par Remaides : « Parlez-moi d’amour… et de sexe ! »
- Actualité
- 14.08.2024
© Studio Capuche
Par Patrick Papazian
"Parlez-moi d'amour... et de sexe!"
Médecin sexologue hospitalier en maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Pitié-Salpêtrière et à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris), le Dr Patrick Papazian tient la rubrique sexo de Remaides. Il partage, dans cette rubrique, les questions qu’on lui pose le plus souvent en consultation, les pistes de réflexion et solutions qu’il a préconisées.
La pénétration me tente de moins en moins. Que dois-je en penser ?
La vie sexuelle d’un individu n’est pas un long fleuve tranquille, qu’on se le dise ; elle ne cesse d’évoluer, pour qui est à l’écoute de son corps et de ses propres désirs. Et il arrive que la pénétration (être pénétré-e, ou pénétrer) ne soit plus souhaitée. Je repense à cette patiente qui expliquait son détachement par rapport à cette pratique par un mot prononcé fort dans le box de consultation : « FLEMME ! ». Flemme que décrit très bien Ovidie dans son ouvrage « La chair est triste hélas ». Cette femme conservait une sexualité très satisfaisante avec son compagnon, faisant appel à beaucoup d’autres pratiques et me disait qu’elle n’avait plus à attendre ce tournant d’un rapport sexuel, ce « point de rupture » qui semble parfois créer un avant (le marivaudage, le câlin, l’oralité, le « soft ») et un après (la « baise », la vraie, celle des adultes, le cœur du sujet, le « hard »). En effet, la pénétration, vaginale ou anale, peut nécessiter un changement de position, de rythme, la pose d’un préservatif externe ou interne, un lavement, l’application de lubrifiant, bref, une préparation. Quand il n’y a pas de préparation, elle peut a contrario sembler brutale, sauvage, faire mal, changer le ton du dialogue sensuel entre les corps. La pénétration, c’est aussi le moment à risque de perte de l’érection pour la personne qui pénètre avec un pénis. Faire l’abstraction de la pénétration, c’est offrir aux corps la possibilité de poursuivre ce dialogue entamé sans savoir où il mène, se concentrer sur le chemin et non la destination. Vous le devinez, je vois plutôt d’un bon œil cette phase dans un parcours de vie sexuelle : une manière de « faire reset », de redémarrer son logiciel intime en mode sans échec, juste pour voir comment la machine tourne, il sera toujours temps de réinstaller l’appli Prends-moi. Évidemment, si l’arrêt de la pénétration est lié à une douleur, à une crainte voire un trauma, à la peur de contracter une infection, à un chantage sexuel (« Tant que tu n’auras pas lavé les vitres, je fais la grève du coït vaginal », si, si, ça existe...), à la peur de voir du sang ou des matières peu ragoûtantes sortir d’un orifice, ou toute autre condition désagréable subie, il faut s’informer, ou consulter, ne pas rester dans ce repli stratégique qui ne règle que provisoirement le problème de fond.
Mais dans une démarche assumée d’explorer son corps et celui des autres en faisant de ce « passage obligé » un interdit choisi, la sexualité non-pénétrative peut ouvrir beaucoup de perspectives : déjà, abolir du langage l’horrible terme « préliminaires » car ce qui s’y passe est aussi important et gratifiant que l’emboitement. Ensuite, découvrir des rythmes, des pratiques de stimulation génitale, comme le coït intercrural (frotter le pénis entre les cuisses fermées du/de la partenaire, avec du gel c’est mieux) glorifié par John Irving dans « À moi seul bien des personnages », ou l’utilisation de sextoys. Dans son ouvrage « Au-delà de la pénétration », Martin Page souligne que l’orgasme « est très différent quand il y a pénétration ou qu’il n’y a pas pénétration », différent ne signifiant pas moins bien. Les personnes ayant un vagin disent souvent que la sexualité pénétrative n’est pas la plus agréable, et qu’elles préfèrent des jeux érotiques « externes » pour avoir du plaisir. Les seniors-es me parlent souvent de sexualité non-pénétrative, avec des étoiles dans les yeux : l’impression qu’ils-elles ont été en voyage organisé pendant un demi-siècle de vie sexuelle et qu’ils-elles s’autorisent enfin de partir en mode sac-à-dos et impro.
Évidemment, l’objet n’est pas de mettre la pénétration à la poubelle, mais de changer de point de vue sur cette figure de style semblant imposée pour être « épanoui-e » dans sa sexualité. Se libérer de cet impératif pour mieux explorer le reste, vous ne le regretterez pas.
L’un de mes patients, homosexuel, m’a confié un jour en consultation : « Depuis que je ne me fais plus prendre et que je ne prends plus, j’ai le sentiment de m’être libéré de mes chaines ».
Libéré-e, délivré-e, mais pas pénétré-e !
J’ai vu/senti un truc bizarre sur les organes génitaux de mon-ma partenaire : je fais quoi ?
Avez-vous déjà réalisé que la personne la mieux placée pour examiner vos organes génitaux, votre postérieur ou pour sentir au bout du doigt les tréfonds de vos replis muqueux est un-e partenaire sexuel-le ? Ce qui confère une certaine responsabilité à cette personne : celle de vous faire remonter, ou non, l’information d’une anomalie. Certes, en pleine action, lâcher un : « Faut faire brûler tes condylomes ! » est un peu gênant, mais c’est un devoir moral d’indiquer à votre copain ou copine de jeu, même si la rencontre remonte à vingt minutes et qu’aucun mot n’a été échangé, que vous avez constaté la présence d’une masse par ci ou d’un écoulement par là. Sans alarmisme, juste donner l’information en disant : « Tu es peut-être au courant, je préfère te le dire au cas où ». C’est un peu le sujet d’un épisode de l’excellente série Sex Education dans lequel une femme indique à son partenaire qu’elle a senti une boule sur un testicule en lui prodiguant des caresses. Ce qui permet à la personne concernée de faire des examens pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un cancer. Dans les autres joyeusetés sur lesquelles vous pouvez tomber par hasard : des condylomes ou verrues génitales (petites excroissances de chair, qui peuvent être localisées n’importe où, par exemple sur la vulve, la marge anale, le pénis...) et qui seront si possible montrées à un médecin et retirées. Un écoulement douteux (par sa couleur par exemple), une éruption, mais cela peut être aussi une tâche polychrome irrégulière « mal placée », nécessitant l’avis d’un dermatologue pour éliminer le risque de mélanome, dont l’individu n’avait, pas du tout, conscience. Dans la foulée de la notification au partenaire (bonne pratique qui consiste à informer ses partenaires quand on se découvre porteur-se d’une infection sexuellement transmissible, pour favoriser le traitement et la rupture des chaines de contamination), l’information sur toute anomalie notable (pas le petit bouton sur la fesse hein, ne soyez pas indélicat) constatée chez l’autre peut être faite simplement et respectueusement, par respect pour cet être humain qui vous a donné du plaisir.
Bref, une partie de jambes en l’air, ce n’est pas jouer à Docteur Maboul. Je ne vous dis pas qu’il faut chercher ces signes (sauf si vous faites un plan « visite médicale », autant joindre l’utile à l’agréable). Mais, si vous tombez chez autrui sur « un truc chelou » (les jeunes disent-ils encore cela ? J’ai un doute), communiquez ! Vous pouvez, vraiment, sauver une vie.
Cet article est publié dans le Remaides 128 (été 2024)