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    L'Actu vue par Remaides : États généraux, un nom chargé d’histoire

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    © AIDES

    Par Nicolas Charpentier

    Etats généraux, un nom chargé d'histoire

    Dans ce nouveau Datascope, nous allons porter un regard sur ces événements de la lutte contre le VIH : « les États généraux ». Pour cela, alors que de nouveaux États généraux des personnes vivant avec le VIH se sont déroulés en mai 2024, nous commencerons cette exploration en partant des États généraux que chacun-e connait c’est-à-dire aux prémices de la Révolution française !

    Le terme d’États généraux nous renvoie à une pratique de l’Ancien régime et, avant, de la période féodale. Par États Généraux, il faut entendre que le roi convoquait les représentants-es des trois ordres (noblesse, clergé et tiers état) lors d’événements exceptionnels, bien souvent une crise politique ou financière. Le but pour le roi était de conforter son pouvoir. Cette pratique dura pendant plus de quatre cents ans jusqu’en 1789. À la veille de la Révolution française, les députés ne se conformèrent pas aux règles du jeu de ces États généraux et se constituèrent en Assemblée nationale, avec pour objectif de doter le pays d’une constitution. C’est-à-dire une loi fondamentale qui organise le fonctionnement d’un État. La première pierre de cet édifice a été l’écriture de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. De ces États généraux, qui finalement échouent, émerge une mobilisation qui conduira à la fin des privilèges. Déjà, dans les cahiers de doléances, qui s’écrivaient partout en France en amont des États généraux, on pouvait y lire la revendication de liberté de la part des élites bourgeoises et d’égalité de la part des classes populaires.

    États généraux et sida
    L’idée de tenir des États généraux dans la lutte contre le sida est tout à fait originale puisque l’initiative est celle des personnes concernées et non de l’autorité d’État. Le seul point commun que l’on pourrait trouver est celui que les États généraux sont organisés lorsqu’une crise est en place. Mais dans ce cas-là, la crise est celle d’un déficit démocratique, du défaut d’écoute du pouvoir (de l’État, du champ médical, économique) et du manque de reconnaissance de la parole et de l’expérience des personnes vivant avec le VIH. Ce que l’on appelle les « années sida », les années 1981-1995, traduit cette invisibilité des personnes concernées, notamment au détriment des discours d’experts-es, bien souvent médicaux-les. La prise de parole inédite de personnes vivant avec le VIH, lors des États généraux organisés au Bataclan à Paris en mars 1990, a constitué un moment de bascule. Lors de cet événement, la parole des personnes vivant avec le VIH n’était pas un simple témoignage, comme ceux qui sont recherchés pour appuyer une thèse médicale ou illustrer un sujet médiatique, mais elle a pris la consistance d’un « nous ». Ce discours en « nous » dit des choses de l’état de la société, de celle qui vit avec ce virus, mais finalement bien au-delà. Comme l’avait exprimé Michel Foucault, le philosophe et compagnon de Daniel Defert, fondateur de AIDES, ce que l’on croit à la marge de la société se construit en son centre, et que de là on arrive au cœur de la politique. Et c’est bien à la suite de ces États généraux de 1990 que se sont tenus les États généraux de la santé (en 1998) ; ils contribueront à une démocratisation sans précédent du champ de la santé avec la loi de 2002 qui consacre la démocratie sanitaire et la place des usagers-ères du système de santé.

    Des États généraux pluriels
    Si l’histoire de France a connu une trentaine d’États généraux convoqués par la monarchie en quatre siècles, la lutte contre le sida peut en revendiquer un certain nombre en vingt ans ! Ces États généraux peuvent illustrer des revendications que l’on pourrait qualifier de sectorielles, lorsqu’en 1995 et 2002 sont organisés les États généraux « Homosexualités et sida », puis, en 2006, les États généraux des gays touchés par le VIH/sida. Ces revendications portent sur la reconnaissance juridique d’une égalité des droits, sur l’émergence de la réduction des risques sexuels ou encore le concept de santé gay. En 2004, ce sont les États généraux « Femmes et sida » qui permettent l’émergence de revendications sur la place des femmes séropositives dans la recherche. En 2005, ce sont des États généraux des personnes migrantes/étrangères touchées par le VIH/sida qui viennent rappeler ce que produit l’expérience de la discrimination et les difficultés d’accès aux soins. En 2010, des États généraux sont circonscrits au territoire de l’Île-de-France alors que les soignant-es et les associations sont inquiets-ètes des projets de restructuration de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris avec des fermetures de lits et des fusions de services, et de l’implication que cela pourrait avoir sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH. C’est aussi sans compter les États généraux des usagers-ères de substances, organisés par l’association ASUD et qui en sont à leur quatorzième édition ! Ce sont enfin les États généraux des personnes vivant avec le VIH/sida de 2004 qui incarnent le pont entre le mouvement de 1990 et celui de 2024.

    Les États généraux en actes
    En actes, d’abord parce que ce qui se passe lors de ces moments de rencontres, d’échanges et d’expression, produit une mobilisation traduisant qu’un mouvement des personnes vivant avec le VIH existe et se renouvelle. Les actes qui sont posés lors de ces événements incarnent également des moments d’entraide hors normes. Enfin, c’est en acte, par la participation, que se redéfinissent des identités et mêmes des citoyennetés pour des personnes à qui l’on rappelle au quotidien leur différence et leur marginalité.

    En actes aussi, lorsque cette prise de parole s’écrit. Les États généraux donnent lieu à l’écriture de leur synthèse et de revendications. Mais c’est aussi l’écriture d’histoires, de récits, au singulier ou au pluriel, comme un livre de bord, pour donner le cap, mais aussi faire archive.

    Un témoin de 1990
    « Le look, c’est tellement important à notre époque, que pour aller à une fête, j’ai mis du fond de teint parce que j’étais anémié. Ça m’a fait un bien énorme et je suis prêt à recommencer. Les gens observent beaucoup le physique des autres, si on maigrit, si on regrossit, surtout dans le travail. J’en suis arrivé à parler de cancer, ce qui simplifie un peu les choses. Quand j’ai été trois jours à l’hôpital, j’ai dit autour de moi que j’avais besoin de repos. J’ai constaté une dégradation physique, de l’irritabilité : je deviens insolent avec les gens. J’ai des propos quelquefois cassants parce que je sais que mes jours sont comptés, qu’il faut mettre les bouchées doubles.
    Témoignage d’un homme lors des États généraux de 1990.

    Les mots de Vincent Pelletier en 2004
    « Ceux qui me connaissent le savent, je dis souvent que le virus ne rend pas plus intelligent, et je rajoute ensuite que j’en suis la preuve vivante. Pourtant, si je suis là aujourd’hui, devant vous, pour faire le compte rendu des travaux qui viennent de se dérouler dans ce lieu magnifique, ce n’est pas parce que je suis directeur de AIDES, mais bien parce que, comme vous, je vis avec le VIH. Cette légitimité étrange, presque une identité, donnée par ce vilain compagnon de route, m’a toujours questionné. Pourquoi le fait de vivre avec un virus qui circule dans notre corps et qui nous tue à petit feu donnerait-il le droit à une parole reconnue, différente de celles que tiennent ceux qui ont mieux su s’en protéger, qui sauraient donc mieux en parler puisque justement ils ont, eux, mieux su le combattre ou l’éviter. Je viens d’avoir confirmation, ce week-end, d’une des réponses. Ce qui nous différencie, c’est que le virus fait partie intégrante de notre quotidien. Que nous le voulions ou pas, il est là, insidieux, sachant se rappeler à nous dès qu’un événement heureux voudrait nous le faire oublier. Et comme dans toute guerre, puisque c’est bien d’une guerre dont il s’agit, individuelle et collective, on ne peut combattre efficacement son ennemi que si on le connait bien. »
    Introduction de la synthèse des États Généraux des personnes vivant avec le VIH/sida de 2004 par Vincent Pelletier, ancien directeur général de AIDES

    Un témoin de 2005
    « Quoi de plus naturel que de nous associer à nos propres problèmes ? Parler à la place des autres ne leur donne pas la dignité. Merci de nous avoir offert cette tribune pour nous fortifier et nous ‘conscientiser’ dans nos problèmes. Que notre partenariat soit réel, affectif, respectueux et permanent. »
    Témoignage anonyme lors des États généraux des personnes migrantes/étrangères touchées par le VIH/sida de 2005

     

    Cet article est publié dans le Remaides 128 (été 2024)

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