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    L'Actu vue par Remaides : L’affaire « Sainte-Capote » (2003 – 2006)

    • Actualité
    • 05.07.2024

    memoires vives

     

    © DR

    Par Morgane Vanehuin

    L'affaire de la "Sainte Capote" (2003-2006)

    Dans cette rubrique sur les archives de AIDES, nous souhaitons contribuer à valoriser nos mémoires, à donner à voir l’histoire de celles et ceux qui ont vécu et qui continuent de vivre la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales. Dans cet épisode, nous vous proposons de (re)découvrir l’affaire dite de la « Sainte-Capote » ; un conflit avec une organisation chrétienne traditionaliste, proche de l’extrême droite.

    L’histoire de AIDES, de notre engagement contre le VIH/sida et pour les droits des personnes vivant avec le VIH est une série de luttes, y compris sur le plan juridique. En mars 2003, AIDES Toulouse diffusa une affiche de prévention nommée « Sainte-Capote, protège-nous ». L’affiche, qui n’était pas sans rappeler les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, représentait une religieuse maquillée, aux épaules dénudées. AIDES Haute-Garonne détournait l’iconographie catholique (auréole, coiffe, croix pectorale), et, ce, afin de souligner l’importance du préservatif dans la lutte contre la transmission du virus. En 2003, le préservatif constituait le principal moyen de protection disponible, ni le Tasp (2008, rapport Hirschel), ni la Prep (2016, autorisation en France), n’étaient connus à ce moment-là. 

    La diffusion de cette campagne déclencha une longue procédure judiciaire, opposant les militants-es de AIDES et une organisation chrétienne traditionaliste. Peu de temps après la diffusion de l’affiche, « L'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne » (AGRIF), association proche du Front national (FN), assignait en justice le président de la délégation départementale, ainsi que la coordinatrice départementale de AIDES. L’AGRIF estimait que l’affiche constituait une atteinte à l’intégrité chrétienne, une forme de « racisme anti-catholique » (AFP, 12/01/2005). 

    Le 29 avril 2004, le Tribunal correctionnel de Toulouse condamna en première instance les deux militants-es de AIDES à une peine d’amende de 1 000 euros avec sursis pour « injures publiques envers des personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée ». Pour les membres de AIDES, l’intention n’était pas d’offenser une quelconque sensibilité religieuse, mais bien de rappeler l’importance du préservatif comme principal outil de prévention à cette époque. Dans un communiqué de presse daté du 29 juin 2004 et intitulé « Le 7 juillet, les délinquants de la prévention font appel », AIDES lançait un « appel de la solidarité », exprimant notamment les risques qu’une telle décision faisait courir à l’ensemble des personnes engagées dans la lutte contre le VIH/sida : « pour nous, acteurs de AIDES, cette condamnation est tout aussi insupportable. Parce qu’elle fait planer sur toutes les personnes engagées dans l’action à AIDES, volontaires ou permanents, un risque de se voir à leur tour condamnés en raison de leur engagement dans des actions de santé publique qu’ils conduisent au nom d’un intérêt général […]. »

    Le 12 janvier 2005, la Cour d’appel de Toulouse confirma la condamnation des deux militants-es de AIDES. Le 14 février 2006, la Cour de cassation annula finalement la décision de la Cour d’appel. Ainsi, la Cour de cassation estimait que « si le tract litigieux a pu heurter la sensibilité de certains catholiques, son contenu ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression » (Cour de Cassation, Chambre criminelle du 14 février 2006, 05-81.932, Publié au bulletin). Au-delà des seuls enjeux de la lutte contre le VIH/sida, cette affaire, qui a marqué la mémoire de l’association, fait aujourd’hui partie des éléments utilisés par les tribunaux pour séparer discours de haine et blasphème (affaire Charlie Hebdo, 2007 et 2008). Quant à l’AGRIF, elle attaqua de nouveau, quelques années plus tard, un autre militant de la lutte contre le VIH/sida (Frédéric Navarro, ancien président d’Act Up-Paris), et, ce, sans succès. 

     

    Cet article est publié dans le Remaides 128 (été 2024)

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