L'actu vue par REMAIDES : "Un week-end santé à AIDES : du Je au Nous !"
- Actualité
- 25.03.2024
© Studio Capuche
Par Jean-François Laforgerie
Un week-end santé à AIDES : du JE au NOUS
Les WES (week-end santé) sont une des plus anciennes actions de AIDES destinées aux personnes vivant avec le VIH. Ils ont beaucoup changé au fil du temps, suivant les évolutions de la vie avec le VIH. En juin dernier, des militants-es de Nantes et d’Angers proposaient un WES pour des personnes vivant avec le VIH de leur région ; un événement co-construit avec les participants-es. Remaides y était. À la demande des participants-es, afin de préserver leur anonymat, aucun prénom n’est indiqué. Récit.
Samedi 23 septembre 2023, Angers
La voiture est chargée : table et chaises pliantes, glacière, etc. Direction : le supermarché proche du local de AIDES à Angers. Liste des courses en main, des militants-es remontent les allées du magasin : tomates cerises, salade, chips, baguettes, fromage, houmous, raisins et bonbons. La facture est à conserver pour la compta. Les bouteilles de coca et de jus d’oranges vont venir de Nantes dans la voiture qui amène les participants-es habitant la capitale de la Loire-Atlantique. Les thermos de café et d’eau chaude sont apportés par l’équipe d’Angers. Les participants-es qui y vivent vont venir par leurs propres moyens ; l’un d’eux arrive d’ailleurs en vélo. Le rendez-vous de ce pique-nique de retrouvailles — l’occasion d’un bilan du WES Angers/Nantes, trois mois après la tenue de l’événement — a été fixé à midi, à proximité du Héron Carré, la célèbre guinguette angevine. C’est à l’extérieur, non loin de l’eau, dans un joli cadre calme où l’on pratique le jogging et la marche nordique, où les chiens se baladent avec leurs propriétaires, où l’on est à la fois en ville (c’est proche du centre, desservi par le tram) et dans la nature. Douze personnes sont présentes… tout le monde n’a pas pu se libérer, du fait du boulot, d’obligations familiales.
Cette rencontre est le moment pour se remémorer quelques souvenirs et dresser un bilan individuel à distance de ce week-end de juin, de ce qu’on y a vécu… de ce qui a pu changer par la suite. Des personnes du groupe expliquent « s’être senties vivantes lors de ce week-end, qui leur a permis de couper avec le quotidien et de rencontrer de nouvelles personnes ». Certains-es participants-es disent « ressentir plus de confiance » en eux et elles-mêmes, de « confiance dans l’avenir ». Parfois, cela a permis de « relativiser des aspects de leur quotidien ». Certains-es arrivent à « penser davantage aux aspects positifs qui les entourent ». La plupart parlent de leur envie de « mettre des nouvelles choses en place dans leur vie, d’apprendre à davantage extérioriser, à parler plus simplement du VIH ». Cela a manifestement « fait diminuer certaines peurs ».
Ça, c’est aujourd’hui, mais tout a vraiment commencé trois mois plus tôt.
Samedi 24 juin 2023, La Pommeraye, le matin
Ding ! La sonnerie a lancé les échanges. Un léger brouhaha prend peu à peu le pas sur le silence. Pas trop le choix, six conversations, en face à face, se déroulent en parallèle. Dans la grande salle, dont les larges fenêtres donnent sur le parc des Jardins de l’Anjou (à La Pommeraye, dans le Maine-et-Loire), six tables ont été disposées en épi. À chacune d’elle, deux personnes sont installées : l’une en face de l’autre. La règle est simple : chaque binôme dispose de quelques minutes pour aborder une thématique tirée au sort parmi six propositions : travail ; isolement ; disance (le fait de parler publiquement de sa séropositivité au VIH, un mot créé par des femmes vivant avec le VIH lors d’un week-end organisé par AIDES, il y a quelques années), famille et relations sociales ; assurances, banques et administration ; régularisation et titres de séjour. Il est bien sûr possible d’en choisir une autre. Une personne tire donc au hasard un thème inscrit sur un papier et en parle du point de vue de son vécu personnel. Si on n’a rien à dire sur ce sujet, on choisit un autre thème. En face, l’autre personne l’écoute. Se noue alors un échange nourri des expériences respectives. La personne qui écoute, peut — si elle le veut et si elle est en mesure de le faire — lancer des pistes, partager son expérience, voire suggérer des solutions. Chaque échange dure cinq minutes. Ding ! Il est temps pour chaque binôme de permuter les rôles. Les personnes qui écoutaient tirent à leur tour un thème au sort. C’est à elles de parler maintenant. En face, ceux et celles qui parlaient, écoutent désormais. Les échanges en parallèle repartent pour cinq minutes. Le léger brouhaha, plus soutenu, reprend ses aises. Ding ! Cette fois, les personnes qui écoutaient se lèvent et s’installent à la table suivante. En face d’elle, une autre personne ; une nouvelle découverte. Les échanges repartent pour cinq minutes. Ding ! On permute de nouveau les deux rôles et c’est reparti pour un tour ; plusieurs suivront.
Ce premier temps fort du WES (week-end santé) n’est rien moins qu’un « speed dating » appliqué au partage d’expériences sur la vie avec le VIH. Comme le souligne Juliette, animatrice d’action de AIDES à Angers et co-organisatrice du WES : « L’idée de ce premier temps en démarrage est de pouvoir poser ses valises pour alléger la suite du week-end qui, à la demande des participants-es, sera plutôt axé sur le bien-être et le ressourcement ».
« Tant de choses me passent par la tête. Elles ne doivent pas y rester enfermées. C’est ce que j’ai pu faire ici »
- Poser ses valises
Poser ses valises : le besoin est réel et ce n’est pas comme si on pouvait le faire facilement dans la vie de tous les jours. Certaines semblent pleines, voire lourdes, au vu de l’énergie des échanges, de l’émotion parfois palpable sur les visages, lorsque les mots fusent. Ce procédé permet de mieux faire connaissance, de partager des expériences et de mieux comprendre quelle est la vie de l’autre avec le VIH ; parfois cela fait écho à la sienne ; d’autres fois moins. « Je me suis sentie à l’aise, explique une participante à la suite du speed dating. J’ai pu parler du problème qui me mine. J’ai pu trouver quelques éléments de réponse en discutant avec les autres ; j’ai aimé. » « J’ai apprécié de pouvoir parler à plusieurs personnes, de bénéficier de plusieurs oreilles, d’entendre plusieurs bouches. Cela m’a plu d’être écoutée tout autant que d’écouter. Il y a toujours des choses qu’on pense connaître et j’en ai découvert toute la complexité », avance une autre participante. « Tant de choses me passent par la tête. Elles ne doivent pas y rester enfermées. C’est ce que j’ai pu faire ici », résume un participant. « J’ai appris des choses et cela m’a même donné de l’espoir », avance une autre personne. Évidemment, le partage est une des clefs de la réussite d’un événement collectif. On peut y trouver du plaisir, une forme de réconfort, des conseils et des idées, s’y sentir en confiance du fait de l’attention dont on est l’objet de la part des autres, y donner de soi.
- "Vivre positivement"
L’intitulé de ce double atelier sonne comme un objectif. Dans les faits, il ne s’agit pas d’être dans l’injonction, mais plutôt de réfléchir à ce qui peut être mis en œuvre pour améliorer sa qualité de vie avec le VIH. La séquence a été pensée en deux temps distincts. Le premier porte sur la nutrition et son lien avec la santé et le bien-être ; le second va traiter de la santé mentale. Passons côté cuisine !
Pauline, animatrice d’action de AIDES à Nantes et co-organisatrice du WES, et Antoine, acteur (c’est lorsqu’une personne n’a pas encore effectué sa formation de volontaire) à Angers, animent cette première partie. « On va commencer ce temps de la façon suivante. Chacun-e d’entre vous va dessiner un animal qui représente son rapport à la nourriture », énonce Antoine. Petit moment de flottement, rires discrets… puis chacun-e se lance sur sa feuille. Quelques minutes, puis apparaissent un poisson, un bœuf, un autre poisson, un martin-pêcheur (« Parce que j’ai un appétit d’oiseau », explique un personne »), un buffle (« Car je mange gros comme ça », explique une autre), un singe, un cochon aux traits précis rehaussés de couleurs que la personne qui l’a dessiné avec soin, froisse finalement en boule, met dans sa poche en quittant la salle. Elle ne reviendra pas à l’atelier. Une fois les dessins présentés, les personnes reviennent sur la suite des consignes : donner le plat que l’on mange au quotidien, celui qu’on aime partager, celui qui fait plaisir, le plat léger… bon pour la santé. Il ne s’agit pas de partager des recettes (encore que celle du foufou banane a bien circulé. C’est une banane plantain dont la pulpe est écrasée et mélangée à de l’huile de palme, beaucoup d’autres variantes existent), mais plutôt de parler du plaisir à cuisiner, à partager les plats, à mieux manger pour pas cher et si possible plus sainement. Alors, on parle achats en fin de marché, lacto-fermentation, produits simples et bruts à décliner de différentes façons, applications comme Yuka pour mieux faire ses courses, utilisation du Nutri-score, baisse de consommation de produits ultra-transformés et intérêt du batchcooking (méthode de cuisine à domicile fondée sur la préparation, d'un seul coup, des différents plats à servir les jours suivants : on gagne du temps, on évite les pertes), etc. Puis viennent les témoignages sur des consultations avec des nutritionnistes ou des diététiciens-nes. Ce qui a pu fonctionner et les aléas de la prise en charge. « Je n’arrive pas à suivre les conseils donnés. C’est au-dessus de mes forces », explique une personne. Elle voit une nutritionniste pour reprendre du poids. Elle a oscillé entre 38 et 57 kilos, selon les périodes. « Je progresse peu et parfois le nutritionniste m’a menacé de m’imposer des sondes naso-gastriques pour m’éviter la dénutrition ». « C’est l’inverse que j’ai connu, indique un autre membre du groupe. J’ai beaucoup mangé, pris beaucoup de poids. Je suis monté jusqu’à 147 kilos, puis j’ai perdu. Maintenant, je me stabilise à 100 kilos. Pour moi, l’équilibre mental se traduit aussi dans le rapport à la nourriture ».
« J’ai beaucoup mangé, pris beaucoup de poids. Je suis monté jusqu’à 147 kilos, puis j’ai perdu. Maintenant, je me stabilise à 100 kilos. Pour moi, l’équilibre mental se traduit aussi dans le rapport à la nourriture »
- C'est dans la tête !
De santé mentale, il en est question dans l’atelier qui suit et qui clôt le samedi après-midi. Halima, volontaire de AIDES à Angers, et Juliette sont aux manettes. « Ce temps, nous allons le consacrer à la santé mentale, que nous allons d’abord définir en grand groupe. Ensuite, l’idée est de pouvoir parler de soi et voir comment chacun-e prend soin (ou pas) de sa santé mentale et ce qui motiverait à en prendre soin si ce n’est pas déjà le cas », explique Halima. Petit temps de réflexion, puis les membres du groupe lancent des mots : bien-être, équilibre, harmonie, lucidité, joie, émotions, paix, environnement, sécurité, famille, auto-bienveillance, résilience, acceptation, etc. Ça foisonne.
Ce nuage de termes sert ensuite de base à la création d’une définition commune de la santé mentale. Dans le groupe, on a créé cette version : « La santé mentale s’appuie sur les moyens qu’on met en place pour, en fonction de paramètres et de déterminants, atteindre un objectif de bien-être, d’équilibre, d’harmonie ». Une définition qui tranche de celle retenue par l’Organisation mondiale de la santé qui mentionne « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Mais revenons à la définition née lors du WES ; comment l’obtenir dans sa vie personnelle ? La question lancée au groupe ravive des souvenirs et fait entendre le présent. Mais avant les mots, il y a les images. Sur des tables, ont été déposés des piles de magazines bourrés de photos et du matériel pour dessiner, découper, peindre, coller… Bref, tout ce qui est nécessaire pour créer une affiche, réaliser un collage pour exprimer « comment chacun-e prend ou aimerait prendre soin de sa santé mentale ». Cela peut sembler une gageure, mais cela marche. Il ne faut d’ailleurs pas chômer car la création doit se faire en une demi-heure. Au final, les réalisations s’affichent ensemble sur un même mur de la salle.
Chaque personne qui le souhaite peut présenter oralement la sienne. « J’ai choisi les enfants, lance une participante. Ma santé morale tient grâce à mes enfants. Je m’y suis accrochée. Ici, je ne vis pas dans un bon environnement… je tiens grâce à mes enfants ». « Moi, je parle d’amour et de sexe. Lorsqu’on est déclaré séropo, beaucoup de choses changent : les sentiments amoureux, la sexualité, le couple… tout cela devient délicat ! », explique une personne du WES. « Pour moi, tout réside dans l’estime de soi, avance une autre. Le VIH est une partie de la vie privée dont je n’arrive pas à parler avec les autres ». Une des affiches présente un rond central sombre. « L’idée, c’est que le pire est derrière nous, explique son auteur. D’habitude sur des monuments, on trouve l’inscription : « Mort pour la France ». Moi, j’écrirai plutôt : « Mort pour rien ! » À l’extérieur, il y a un autre cercle qui symbolise le fait de rêver un futur et de le réussir. C’est jaune, couleur du soleil… C’est la couleur de la vie ». Tout est dit !
À la clôture de l’atelier, le groupe se félicite des créations. « L’activité était bien. Je l’ai même trouvée un peu régressive », s’amuse un participant ; sans doute, un effet « collage » comme on les faisait à l’école. Sur une table, Halima et Juliette ont disposé des brochures, des flyers avec des conseils, des cordonnées d’associations, des documents, des livres sur la santé mentale.
« Pour moi, tout réside dans l’estime. Le VIH est une partie de la vie privée dont je n’arrive pas à parler avec les autres »
- Côté corps
Depuis le démarrage, le WES a favorisé les échanges. On a beaucoup discuté des différents aspects de la vie avec le VIH, mais pas encore « pris soin de son corps dans le respect de ses propres limites », ce qui est pourtant un des objectifs du week-end. Eh bien, on s’y met samedi, après le diner. Pour la soirée, le programme propose une initiation au yoga, menée par Tess, qui dispense des cours de cette discipline. Elle est venue avec des tapis de sol ; certains-es participants-es aussi. Consigne a été donnée de privilégier des vêtements amples qui vont faciliter les mouvements. Chacun-e s’installe sur un tapis, un peu à distance les uns des autres. On écarte les bras… si ça touche, on bouge. Tess se lance dans une histoire, façon conte, d’une voix apaisante. Aux avancées de l’histoire, se mêlent des consignes : gestes à faire, positions à reproduire, mouvements de respiration à suivre, etc. L’ambiance est sereine, détendue, bienveillante. Cette initiation au yoga est une découverte pour nombre de participants-es. Elle fait vivre le groupe différemment, mettant à distance provisoirement les vécus, permettant à chacun-e de travailler individuellement son corps et son esprit, dans un moment partagé collectivement ; autrement dit de sentir des choses par soi-même tout en sachant que les autres, dans la pièce, vivent une expérience similaire.
Ce travail sur le corps et l’esprit, il en est question dès le lendemain matin. Alain, volontaire à Nantes, a rejoint le groupe au petit déjeuner. Il est venu animer les ateliers du dimanche matin, dont le « moment énergisant » qui démarre la journée. C’est une courte séance de Qi-Qong, une gymnastique traditionnelle chinoise qui associe mouvements lents, exercices de respiration et concentration, et qui s’appuie sur la connaissance et la maitrise du souffle. Comme il fait beau, il a proposé d’aller dehors, dans le parc, sous les arbres. Alain maitrise le Qi-Qong, auquel il s’est formé et qu’il pratique très régulièrement. Il a prévu un enchaînement d’exercices sur une demi-heure. La séquence va permettre de travailler le souffle, mais de façon très différente de la séance de yoga, la veille au soir. Cette fois encore, c’est une découverte pour une majorité de personnes. Curieusement, c’est à la fois agréable et un peu fatigant car cela nécessite pas mal de concentration pour réaliser efficacement les exercices. Cela donne de l’énergie, un sentiment de bien-être et une fatigue saine. À la pause qui suit, on parle du yoga de la veille et de ce qui vient de se produire. « Je n’en reviens pas… comment tout le monde est resté hyper concentré », explique une personne. « J’ai adoré faire ça. C’est une découverte pour moi », lance un autre participant.
Des pleurs sur le passé, un soleil pour l’avenir. Il est 13 heures, ce dimanche. L’atelier sur « l’avenir avec le VIH » prend fin. Il a démarré deux heures plus tôt.
- Alors, comment ça s’est passé ?, demande à une personne du groupe une animatrice du WES qui n’a pas assisté à l’atelier.
- Il y a des gens qui ont pleuré… Lui, là-bas, puis elle… et elle aussi, explique une participante, les désignant, de loin, du doigt.
Silence un peu interloqué… qu’a-t-il bien pu se passer ?
Lors de la préparation du WES, en partant des besoins des participants-es, il avait été décidé de consacrer le dernier atelier d’échanges du week-end au thème, désormais classique, du vieillissement avec le VIH. Des personnes, intéressées par cette thématique, qui devaient venir à l’événement, n’ont finalement pas pu. D’autres les ont remplacées. Finalement, la moyenne d’âge s’est avérée plus jeune, posant la question de la pertinence du maintien de ce sujet. Il faut reconnaître que parler des enjeux de la retraite ou s’interroger sur le lieu (Ehpad ou chez soi ?) où l’on entend finir ses jours, lorsqu’on a moins de 60 ans (cela concernait onze personnes sur douze) n’a rien d’évident. Difficile de se sentir concerné-e aujourd’hui… pour beaucoup ; on verra cela plus tard. Alain et moi animons cet atelier. Exit le terme « vieillir » et changement de pied. Nous proposons d’échanger autour de cette question : « Ma vie avec le VIH, comment je vois mon avenir ? » La question lancée, chacun-e prend quelques minutes de réflexion, histoire de poser ses idées personnelles et de choisir un mot (et un seul) qui sera inscrit sur un carton, puis placé au sol sous le regard de tous-tes. Alors, « comment je vois mon avenir ? » Au sol, apparaissent : isolement, inquiétude… Ils sont bientôt rejoints par : amour, paix et joie ; estime de soi ; un bagage léger ; confiance, courage et paix ; plein d’espoir et de succès ; minéral et serein ; la réussite pour mes enfants ; la réussite de mes différents projets ; stabilisation ; un avenir avec un traitement léger (par exemple, un vaccin thérapeutique qui serait à prendre tous les ans) ; riche d’amour (famille, amis, collègues) ; riche ; riche de tout ; apaisé ; heureux ; radieux. Sur un carton, pas de mot : un soleil a été dessiné.
Les mots ont été regroupés par sujet ou registre, puis discutés. C’est à partir d’eux que chaque personne a pu revenir sur son parcours, mais surtout raconter ses espoirs d’aujourd’hui, ses souhaits pour demain. Se projeter, même aujourd’hui, n’est pas facile lorsque durant les premières années de vie avec le VIH, on vous a fait miroiter, au mieux, quelques mois de survie. C’est l’évocation de certains souvenirs qui a pu faire pleurer (les occasions contrariées, voire ratées du fait du VIH, la crainte par rapport aux autres, l’épée de Damoclès sur la vie de famille à une certaine époque, etc.) ou la peur de l’isolement qui occupe l’esprit. Et puis, il y a ces mots qu’on entend désormais, associés à la vie avec le VIH, depuis l’avènement du Tasp : heureux, radieux, riche d’amour, de tout, etc.
Le Tasp, cette révolution dont on comprend, lors des échanges dans le groupe, qu’elle a connu des manifestations diverses chez les personnes. Pour certaines, l’information a été trop longtemps « confisquée » par les médecins, comme un secret à ne pas partager. Pour d’autres, l’information est passée, mais par d’autres biais ; souvent du fait des militants-es associatifs-ves. Mais une fois l’information connue : il y a eu, pour beaucoup, un avant et un après… Ce n’est pas un hasard si on a pu parler d’avenir, là où le terme, il y a quelques années, suscitait angoisse, colère et tristesse.
Une fois encore, les échanges collectifs permettent de mesurer les résistances qui ont empêché une meilleure connaissance du Tasp, un usage plus généralisé de cette information sur un outil dont le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), rappelait, dès avril 2009 — il y a 15 ans déjà — dans un avis, « tout l’intérêt (…) novateur » dans la lutte contre le VIH… et la vie des personnes concernées. On comprend aux discussions que l’intérêt individuel du traitement pour empêcher la transmission a souvent été escamoté, empêchant certaines personnes vivant avec le VIH de « modifier » leur perception du VIH, les privant (parfois longtemps) de ce « puissant motif de réassurance » qu’est le fait de savoir qu’avec une charge virale indétectable, on ne transmet pas le virus. C’est d’autant plus préjudiciable que cette information devait « permettre, à des degrés divers, de vivre une sexualité plus apaisée, plus épanouie », comme l’avançait alors l’avis du CNS. Alors, bien sûr, les lignes ont bougé en quinze ans. C’est aussi de cela qu’ont témoigné les participants-es… façon soleil sur un carton.
« Le Tasp doit permettre, à des degrés divers, de vivre une sexualité plus apaisée, plus épanouie »
- Bouger les lignes
C’est aussi ce qui s’est produit lors de ce WES. Retour au pique-nique, fin septembre. Le DJ du Héron Carré s’échauffe. Le déjeuner bat son plein ; les conversations aussi. Du côté des militants-es de AIDES, on a pensé le moment comme des retrouvailles et une occasion pour chaque personne qui a vécu le WES d’en mesurer l’impact (ou non) sur les pratiques : une sorte de bilan à froid. Une majorité des participants-es sont restés-es en contact à la suite du week-end. Si personne n’a complétement poursuivi la pratique du yoga, deux personnes ont décidé de se mettre à l’activité physique. Du changement aussi, dans le fait de « parler de sa maladie ». Trois membres du groupe ont ainsi indiqué qu’il leur était « plus facile désormais d’exprimer leurs émotions ou de parler du VIH… sans être trop dans l’émotion ».
Six personnes ont expliqué avoir « pris conscience de l’importance de la santé mentale » à l’occasion du WES. L’une d’elles a d’ailleurs décidé de changer de travail pour de meilleures conditions et un meilleur équilibre personnel. Une autre a repris les voyages et a retrouvé un meilleur sommeil. Une a des projets de voyage et dit se « projeter globalement plus dans son quotidien ». Sept personnes affirment avoir aujourd’hui « une vision de l’avenir plus positive qu’auparavant ». Enfin, cinq personnes envisagent de se mobiliser dans AIDES. Pas forcément tout de suite, mais l’envisagent sérieusement.
« Je me suis sentie en osmose avec le groupe, portée par lui »
Dimanche 25 juin 2023, La Pommeraye
Au programme, il est prévu un temps de clôture du WES de 15h à 16h. Nous y sommes. Il y a une forme de tristesse parce que c’est la fin et une forme de joie à savoir qu’on va retrouver, qui ses enfants, qui son chat, qui sa maison, qui ses habitudes… Du vrai en même temps !
Pour faciliter l’expression, il a été proposé de tirer des cartes au sort. Sur chacune, une phrase différente du style : « Quel moment a été précieux ? » ou « Quel moment a été sincère ? » ou encore « Quel moment a été magique ? », etc. On répond à la carte que l’on a tirée ; on peut ajouter d’autres éléments. L’idée est de poser son ressenti — pour les valises, c’est fait depuis hier. Alors, le moment précieux ? « Celui où l’on a découvert les lieux ». Sincère ? « Le moment où on a partagé des émotions ». Celui où je me suis senti-e fier-ère ? « D’avoir réussi à faire du yoga ». Celui où je me suis senti-e bien ? « Bah, tout le temps, car je me suis sentie en osmose avec le groupe, portée par lui ». Le moment magique ? « L’arrivée ici, avec le changement de paysage à tous points de vue. Cela m’a fait beaucoup de bien ». Le tour de parole s’est poursuivi.
Valises dans les coffres, sacs légers sur les sièges, échange de numéros, accolades, remerciements mutuels, souvenirs en tête, derniers sourires, saluts de la main, bruits de moteurs, sortie de parking, mains qui s’agitent une dernière fois. Fin.
À l’arrière de la voiture qui me ramène à Angers, je regarde mon carnet de notes une dernière fois avant de le ranger. « Moment où je me suis senti-e heureux-se ? » « Celui où chacun parlait de son histoire et où nous étions tous ensemble à écouter et à voir ce que nous pourrions faire ». Du je au nous !
Remerciements à Juliette, Pauline, Halima, Antoine, Alain, Tess, Marion, Fabien, aux participants-es, aux militants-es de AIDES à Angers et Nantes.
À propos du WES d’Angers et de Nantes
Ce week-end santé (WES) a été organisé en Pays de la Loire, les samedi 24 et dimanche 25 juin 2023 aux Jardins de l’Anjou à La Pommeraye (Maine-et-Loire). Sa préparation s’est faite sur plusieurs semaines. Douze personnes vivant avec le VIH y ont participé, accompagnées de sept militants-es de AIDES. Le programme (sur deux jours) a été construit avec les participants-es qui se sont rencontrés-es lors de réunions préparatoires et d’un pique-nique qui s’est tenu à Nantes, plusieurs semaines avant le WES. Les personnes venaient d’Angers et de Nantes, tout comme la quasi-totalité des militants-es qui ont préparé et animé l’événement. La majorité des participants-es étaient jeunes : neuf avaient moins de 45 ans, dont six moins de 36 ans. Le groupe s’est, de nouveau, réuni lors d’un pique-nique (à Angers) le samedi 23 septembre, soit trois mois après la tenue du WES, pour un bilan à distance. Les WES comptent parmi les actions les plus anciennes de AIDES concernant les personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Pour autant, leurs modalités et leurs contenus changent au fil du temps, à l’instar des évolutions des besoins des PVVIH. Chaque WES part des besoins respectifs de ses participants-es, qui sont recueillis en amont. Chaque WES a ses objectifs propres. Chaque programme est ainsi co-construit et adapté au plus près des envies et des centres d’intérêts du groupe concerné. Pour ce WES, l’objectif principal était de « renforcer les capacités individuelles et collectives des personnes vivant avec le VIH pour agir favorablement pour leur santé ». Il s’agissait aussi de « développer les connaissances et de partager des informations sur les thématiques de santé », de « favoriser une dynamique de soutien mutuel, leur expression et leur mobilisation », de « permettre [aux personnes, ndlr] de prendre soin de soin et des autres en fonction des besoins de chacun-e », de « repérer les situations problématiques pour élaborer des réponses en termes d’action pouvant aller jusqu’à du plaidoyer ». Pour cela, le week-end a proposé quatre ateliers d’échanges : aspects sociaux ; nutrition, santé et bien-être ; santé mentale ; vieillir, voire l’avenir avec le VIH. À ces temps, s’ajoutaient du yoga, du Qi-Qong (voir en page XX), des balades, du plein air, des jeux de société… et du repos. Un bilan était prévu trois mois plus tard sous la forme d’un pique-nique à Angers.
« J’ai appris beaucoup de choses concernant l’histoire de chacun, ça me donne beaucoup de courage »
WES : ce qu’en disent les participants-es
Si souvent la rencontre avec des militants-es de AIDES se fait, au départ, sur la base d’une demande individuelle, il est fréquent, qu’au cours de l’accompagnement qui est assuré, soient proposés des temps collectifs (groupes de paroles, groupes d’auto-support, week-ends en santé, etc.). Comme c’est le cas à chaque fois, les participants-es donnent leur avis sur ce qu’ils-elles ont vécu dans ce cadre collectif. Interrogées sur leur « sentiment d’avoir participer à l’organisation de ce WES Angers/Nantes », 85 % des personnes ont répondu : oui. « J’ai participé en donnant mon avis sur chaque thème » a indiqué une personne. « Tout ce que nous avons dit au pique-nique [de préparation] a été pris en compte », a souligné une autre. Les ateliers ont-ils répondu aux attentes ? C’est oui pour dix personnes ; « moyennement » pour deux autres. « J’ai eu plus d’informations sur ma maladie. J’ai plus de confiance et d’espoir pour la vivre plus longtemps », a expliqué une personne. Une autre question était posée : « La participation à ce WES va-t-elle modifier le quotidien ? ». près de 64 % ont répondu : oui. Comment ? Les réponses sont diverses : cela m’a permis de « changer de mentalité » ; cela m’a permis « d’être plus à l’écoute des besoins de mon corps » : « Je vais plus profiter de la vie, la vivre plus pleinement » ; « J’ai appris beaucoup de choses concernant l’histoire de chacun, ça me donne beaucoup de courage » ; « Parce que cela m’a permis d’apprendre de nouvelles choses à mettre en pratique ». Dix personnes ont fait part de leur envie de participer à un autre WES. Elles ont d’ailleurs des propositions : un WES consacré au sport et à l’activité physique, des WES ailleurs en France, un WES LGBT et chemsex (vie et gestion), des pique-niques avec des PVIVIH et leurs proches (partenaires, familles…).