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    L’actu vue par REMAIDES : "J’étais d’abord connu comme le patient de Genève et j’ai décidé de sortir du bois !"

    • Actualité
    • 15.03.2024
    © Nina Zaghian

    Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton 

    Romuald : « J'étais d'abord connu comme le patient de Genève et j'ai décidé de sortir du bois ! 

    « Est-ce que j’ai le temps de changer de tenue pour la séance photo ? » nous demande Romuald en riant. Le ton est donné : jovial et espiègle, mais aussi soucieux de son image. Ce Franco-Suisse de 51 ans, qu’on connaissait jusque-là comme « le patient de Genève » en raison de son cas rare de rémission du VIH, témoigne désormais à visage découvert et avec son vrai prénom. En cette veille de 1er décembre 2023, nous rencontrons Romuald et son infirmière Sonja Vincent-Suter à l’Institut Pasteur de Paris, entre deux interviews pour France Inter et le Parisien. Avec ses grosses lunettes de soleil (Romuald est mal voyant) et sa mèche blonde, Romuald a tout d’une star. Il témoigne aujourd’hui afin de « donner de l’espoir ». 

    romuald patient geneveRemaides : Revenons en arrière. En quelle année avez-vous été diagnostiqué pour le VIH et que vous disaient vos médecins à cette époque concernant votre espérance de vie 

    Romuald : J’ai été diagnostiqué en 1990 à l’âge de 18 ans et à cette époque, tout le monde savait que l’espérance de vie avec le VIH n’était pas longue. Les médecins ne m’ont pas vraiment dit clairement : « Il vous reste tant d’années à vivre », mais c’était implicite. Il n’y avait pas de traitement efficace et beaucoup de personnes décédaient des suites du sida.

    Remaides : Comment avez-vous vécu l’annonce de votre leucémie en 2018 ?

    Romuald : Contrairement au VIH ; Là, j’ai tout de suite posé la question de mon espérance de vie aux médecins. « Si je ne me fais pas soigner, que dois-je faire ? ». Parce que je savais qu'une leucémie, c'était loin d'être anodin. Et on m'a répondu : « Si vous ne vous traitez pas, il vous reste six mois à vivre ». Là, vraiment, j'étais devant le fait accompli.

    Remaides : Pouvez-vous décrire aux lecteurs-rices de Remaides ce que représente une greffe de cellules souches ?

    Romuald : Il faut comprendre que le traitement d'une leucémie n’est pas anodin. Je suis passé par une chimiothérapie et une radiothérapie intenses, qui avaient pour but de détruire toutes les cellules atteintes par la leucémie. C'est un traitement qui est très, très, très lourd. Et cela ne fait que quelques années qu'on arrive à guérir des leucémies d’adultes. On guérissait mieux les leucémies pédiatriques que les leucémies d'adultes. Je me suis retrouvé trois mois en chambre stérile dans un endroit que je ne connaissais pas, en plus avec mon handicap. J’ai eu un décollement de la rétine en 1993, sans lien avec le VIH, et depuis je ne vois quasiment plus. Quand on est voyant, on est plus autonome, mais moi, je me suis retrouvé dans cette chambre, tout seul, comme dans une bulle. Un jour, j’avais tout un tas de tuyaux et je me lève pour aller aux toilettes qui étaient dans la chambre. Je n'avais pas vu le câble sous mon pied et en me levant, le câble s’est arraché et je me suis mis à saigner. C'était à une époque où je n'avais pas de plaquettes à cause du traitement. Je sonnais frénétiquement pour qu’on vienne m’aider. C’était vraiment dur, et parfois je me dis que si on m'avait prévenu de la lourdeur des traitements, je ne me serais peut-être pas lancé dans la bagarre. Je suis content d’être guéri de cette leucémie, bien sûr, mais cela reste un combat de tous les jours. Je continue de prendre un traitement préventif pour empêcher la leucémie de revenir avec des effets indésirables lourds, comme des douleurs neuropathiques. Ce traitement est d’ailleurs plus contraignant que mon traitement VIH.

    Sonja Vincent-Suter : C’est à cette époque qu’on s’est rencontrés avec Romuald, quand il était en chambre stérile. Je suis infirmière spécialiste clinique pour le VIH-sida aux hôpitaux universitaires de Genève et je rendais visite à Romuald tous les jours.

    Romuald : La présence de Sonja m’a apporté une écoute, une bienveillance, une attention, surtout qu'elle ne me connaissait pas. Elle a appris à me découvrir et j'ai aussi appris à la connaître. Un lien s’est créé entre nous et ensuite, après mon hospitalisation, on a continué à s'appeler, s'envoyer des WhatsApp et prendre des nouvelles l'un de l'autre. Je veux aussi remercier toutes les équipes soignantes, que ce soit dans le VIH ou la leucémie. Il y a ma combativité et les traitements bien sûr, mais l’accompagnement des médecins, des infirmières et des aides-soignants a beaucoup joué dans ma guérison.

    Remaides : En novembre 2021, il est décidé en accord avec votre équipe médicale de stopper votre traitement VIH ? Comment avez-vous vécu cet arrêt ? Avez-vous eu des craintes sur une éventuelle remontée de la charge virale ?

    Romuald : Des petites craintes, pas plus, parce que les équipes médicales m'avaient rassuré en me disant qu’il y aurait tous les mois des prises de sang pour contrôler que tout aille bien et je fais confiance à mes docteurs. Je me suis dit : « Je me lance dans la bataille, une fois de plus ». J’ai vu cela comme un challenge, un défi, pour moi, mais aussi pour les autres personnes concernées par le VIH. J’avais eu écho du patient de Berlin et du patient de Londres, mais je n’étais pas certain que cela puisse m’arriver à moi aussi. Lors de la greffe de cellules souches, il n’y avait pas cette fameuse mutation CCR5 Delta 32 [voir encart, ndlr]. Donc, on pensait tous que ça ne marcherait pas. Et cela a fonctionné tout de même. Je n’ai plus de traitement VIH depuis plus de deux ans et je suis toujours en charge virale indétectable. Il est vrai que je me sentais protégé avec mon traitement VIH et le fait de l’arrêter du jour au lendemain n’était pas anodin. C’est un sentiment ambivalent : il y avait à la fois la symbolique de se dire que j’étais débarrassé de ce traitement VIH et aussi cette crainte les premiers mois, à chaque prise de sang, de voir la charge virale remonter. Encore aujourd’hui, je suis toujours un peu anxieux quand le résultat de mon bilan VIH n'arrive pas tout de suite et j'appelle le docteur. J'ai toujours peur qu'on m'annonce que le VIH n’est plus en rémission même si je suis très confiant envers mon équipe médicale.

    Remaides : Est-ce que le fait de témoigner aujourd’hui à visage découvert crée chez vous une forme de pression ou de responsabilité d'incarner un espoir chez les personnes vivant avec le VIH ?

    Romuald : Une responsabilité, oui, mais pas pression, non ! C’est aussi pour cela que j'ai voulu montrer mon visage, je veux donner de l’espoir. Beaucoup de personnes séropositives sont toujours floutées ou cachées quand elles témoignent et je respecte le fait qu'elles ne veuillent pas se montrer. Mais à un moment, je me suis dit à moi-même : « Qu'est-ce que j'ai fait de mal dans ma vie ? ». Une fois, j'ai rencontré une personne quand j'avais 17 ans ou 18 ans et nous avons fait l’amour. Pourquoi avoir honte de ça ? Et peut-être, qu’à mon petit niveau, le fait de témoigner fera avancer les choses. J’étais d’abord connu comme le patient de Genève et j’ai décidé de sortir du bois ! Je me suis dit que je me fichais du regard des gens ou de ce qu’ils allaient penser. Le VIH ne doit plus être une maladie honteuse. Si tout le monde reste masqué, caché, on n'avancera pas ; ça sera toujours une maladie honteuse. C’est pareil dans le milieu artistique, personne n’en parle. À Genève, je suis le seul à en parler ouvertement [au cours de l’interview, Romuald a indiqué qu’il avait eu une carrière de chanteur et de mannequin, ndlr]. Si un artiste connu disait : « J’ai le VIH », on ferait un grand pas en avant. La médecine avance, les traitements avancent, mais le regard de la société sur les personnes vivant avec le VIH n’avance pas. C'est toujours tabou. Dans ma famille, le mot sida n’a jamais été prononcé, on parle de ma leucémie et de plein de choses, mais jamais du VIH/sida. C’est un sujet tabou. 

    Remaides : Que répondez-vous aux personnes qui disent que le protocole que vous avez subi pour atteindre cette rémission n’est pas transposable à large échelle ?

    Romuald : Pour l'instant, il ne l'est pas, mais peut-être plus tard, le sera-t-il. C'est là où il y a de l'espoir. Je pense que l’Institut Pasteur et tous les chercheurs à travers le monde sont justement en train d'étudier ces cas de rémissions, dont le mien. Tous ces facteurs sont liés. Il y a la greffe de moelle osseuse, la chimiothérapie, la radiothérapie, le fait que ma charge virale était indétectable pendant des années, etc. La clé de ma rémission est imbriquée avec ces facteurs. La science a fait tellement de progrès sur le VIH en quarante ans. Je connais beaucoup de personnes séropositives à Genève et j'avais des amis qui étaient vraiment en très mauvaise santé proche du stade sida et qui sont revenus à la vie grâce aux traitements. On ne parle pas assez de charge virale. Indétectable = intransmissible, je trouve ça magnifique. Quand un de ses amis me dit : « Oh, ce qui t'arrive, c'est super », je dis : « Mais toi aussi, ce qui t'arrive, c'est magnifique ! ». 

    romuald sonjaRemaides : Sonja, vous êtes investie dans la lutte contre le VIH depuis très longtemps. Est-ce que vous aviez imaginé, à un moment, qu'on pourrait se retrouver dans cette situation-là à accompagner un patient en stade de rémission ?

    Sonja Vincent-Suter : Non, jamais ! Depuis ce matin, on se dit ça avec Romuald. Au début, il n’y avait qu’un seul cas dans le monde avec le patient de Berlin [Timothy Ray Brown en 2008, ndlr]. Tout le monde en parlait. Puis après, c'est vrai que ça s'est enchaîné en même temps pour Romuald et d’autres patients. Au final, cette rémission, c’est une belle surprise. Le fait que Romuald en parle à visage découvert, c'était vraiment son choix et son équipe médicale l’a toujours accompagné dans ses choix. En cinq ans, j’ai observé une grande évolution chez Romuald. En revanche, il a toujours le même caractère [rires de Romuald et Sonja, ndlr]. Il est aussi toujours très attentionné. Même quand il va très mal, il me pose des questions pour savoir comment, moi, je vais. J’ai toujours trouvé ça incroyable. 

    Romuald : Moi, j'appelle ma rémission un cadeau bonus ! Et même aujourd’hui encore j’ai parfois du mal à y croire. J’ai vraiment pris conscience de ce qui m’arrivait un jour, quand un docteur que j'ai croisé par hasard dans un couloir à l'hôpital, m'a dit : « Vous vous rendez compte, vous avez guéri d'une maladie dont on ne guérit pas ? ». Je sais qu’il s’agit plus d’une rémission que d’une guérison, mais cela m’a fait réaliser que ce qui m’arrivait était de l’ordre de l’exceptionnel. Et cette fameuse phrase : « Le patient de Genève incarne l'espoir », j'aime beaucoup ça.

     

    ➡️ Pour suivre et communiquer avec Romuald sur sa page Instagram

    Un cas unique de rémission du VIH

    Le cas de Romuald alias le « patient de Genève » a été présenté lors de conférence IAS 2023, le 24 juillet 2023, par le Dr Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur et la professeure Alexandra Calmy, responsable de l’Unité VIH aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Romuald vit avec le VIH depuis le début des années 1990 et a toujours suivi un traitement antirétroviral. En 2018, pour traiter une forme particulièrement agressive de leucémie (cancer du sang), il a été soumis à une greffe de cellules souches. Un mois après la greffe, les tests ont montré que les cellules sanguines de Romuald avaient été entièrement remplacées par les cellules du donneur, ce qui a été accompagné par une diminution drastique des cellules qui portaient le VIH. Le traitement antirétroviral a été progressivement allégé et définitivement arrêté en novembre 2021.

    Les analyses réalisées pendant les 20 mois qui ont suivi l’arrêt du traitement n’ont détecté ni particules virales, ni réservoir viral activable, ni augmentation des réponses immunitaires contre le virus dans son organisme. Ces preuves n’excluent pas que le virus persiste encore dans l’organisme (notamment dans les fameux réservoirs), mais elles permettent à l’équipe scientifique de considérer le cas du « patient de Genève » comme un cas de rémission « profonde » de l’infection par le VIH. Il s’agit du sixième cas de rémission VIH documenté dans le monde depuis 2008. Dans tous les cas précédents, la greffe était issue d’un-e donneur-se portant la rare mutation génétique CCR5 delta 32, connue pour rendre les cellules naturellement résistantes au VIH. La particularité de Romuald, suivi à Genève (Suisse), réside dans le fait que la greffe a été issue d’un donneur non porteur de la fameuse mutation CCR5 delta 32. Ainsi, contrairement aux cellules des autres personnes considérées guéries, les cellules de cette personne restent « permissives » au VIH. Au moment de notre interview avec Romuald (décembre 2023), sa charge virale est toujours indétectable deux ans après l’interruption de son traitement antirétroviral.