Déploiement de la PrEP : ou comment passer des essais à la vraie vie ?
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Mercredi 20 juillet, conférence internationale sur le sida à Durban : un atelier a été consacré à la mise en œuvre de programmes de PrEP au Kenya, en Afrique du Sud et en France (3 des 6 pays ayant déjà autorisé la PrEP à ce jour), ainsi qu’en Australie, où un essai intitulé EPIC est en cours.
Car au-delà des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé, quels sont les points communs mais aussi les différences dans les stratégies nationales ? Qu’il s’agisse des modalités de recours à la PrEP, des recommandations sur les populations cibles, des schémas de prescription ou des conditions d’accompagnement des personnes, quel serait le cadre le plus efficient pour une offre de PrEP dans la vie réelle ? Telles étaient les questions auxquelles la session a tenté de répondre. Le constat étant que la courbe de l’épidémie, qu’il s’agisse du Nord ou du Sud, persiste à ne pas s’inverser. Ainsi, les outils à disposition atteignent leurs limites et nous sommes dans ce moment charnière où la PrEP est susceptible d’apporter un nouveau souffle à la riposte mondiale contre le sida.
Reconnaissance unanime du rôle central des pairs et des associations
En premier lieu, de quoi réjouir les acteurs de la recherche communautaire et militants associatifs, on relèvera le large consensus parmi les intervenants sur la nécessité d’intégrer pleinement l'accompagnement communautaire aux programmes d’accès à la PrEP. Les experts présents ont insisté sur l’apport incontournable des communautés pour informer et accompagner les utilisateurs de PrEP, afin de garantir une bonne observance et une bonne appropriation de ce nouvel outil. Loin de se réduire à une simple plus-value, la mobilisation des pairs est vue comme partie prenante de toute stratégie optimale de dispensation de PrEP. C’est donc un véritable challenge qui attend les associations pour faire face à une demande d’accompagnement qui s’annonce croissante. L'ampleur de ce challenge a d'ailleurs été soulignée à plusieurs reprises par Jean Michel Molina, investigateur d'IPERGAY, l'essai français qui a montré la très haute efficacité de la PrEP.
Cette vision d’une offre de santé transdisciplinaire, globale et communautaire aurait d’ailleurs vocation à s’inscrire dans des modèles alternatifs et innovants de prise en charge. C’est une autre ligne de partage entre la France et le Kenya, représenté par Michael KIRAGU du LVCT Health, une ONG de Nairobi portant une offre de santé sexuelle, qui en appelle par ailleurs à la simplification des parcours d’accès à la PrEP. Innovation, complémentarité, fluidité, accompagnement : telles seraient les bases d’une offre de santé adaptée aux publics les plus exposés au VIH.
Demander l'accès à la PrEP, c'est prendre soin de soi.
Résolument pro-PrEP, KIRAGU, à l’instar de la fameuse campagne « Sex positive » de Chicago, exhorte les acteurs de la lutte contre le sida à promouvoir largement et positivement la PrEP, et à cesser de l’envisager à travers le prisme de la prise de risque. Un discours totalement partagé par AIDES : l’arrivée de la PrEP doit en effet nous amener à ce changement de sémantique ; les Prepeurs ne doivent plus être considérés en tant que personnes prenant des risques mais en tant que personnes qui se protègent. On est bien dans une démarche de prendre soin de soi, dans une démarche de santé, qui doit être valorisée comme telle. « Make oral PrEP the norm » scande Michael KIRAGU, rappelant en ça que les outils biomédicaux sont appelés à devenir le nouveau socle préventif contre le VIH.
Ca c’est pour les éléments de consensus. Car évidemment, des différences existent dans les stratégies envisagées, et les principales portent sur la question des publics cibles. Si le Kenya et l’Afrique du Sud ont en commun une épidémie généralisée, en réalité de très fortes disparités régionales existent : au Kenya, 9 des 46 « cantons » concentrent à eux seuls plus de la moitié des nouveaux cas de VIH. Ce sont de véritables foyers épidémiques régionaux auxquels sont confrontés certains pays du Sud comme du Nord. Sauf que cette situation d’épidémie généralisée n’empêche pas l’existence en parallèle d’une épidémie extrêmement concentrée dans les populations dites clé. Et c’est là que la question de l’éligibilité à la PrEP se pose : si l’Australie se réfère aux recommandations internationales dans le cadre de son essai EPIC, le Kenya a quant à lui fait le choix de prioriser les Hommes ayant des rapports Sexuels avec des Hommes (HSH), les adolescentes et jeunes femmes et les couples sérodifférents, tandis que l’Afrique du Sud, elle, après avoir identifié plusieurs publics prioritaires, a finalement décidé dans un premier temps de limiter son offre de PrEP aux seules femmes travailleuses du sexe. Etonnant. Si celles-ci sont certes extrêmement exposées au risque VIH, nulle mention n’est faite des hommes qui se prostituent et les explications quant à cette priorisation font défaut. Quant à la France, si les indications de populations sont connues, force est de constater qu’à ce jour, 96,4% des prescriptions de PrEP ont concerné des HSH, confirmant les enjeux d’une promotion large et offensive de l’outil auprès de l’ensemble des populations exposées au VIH.
Au sujet du schéma de prise, les participants à cette session ont pu observer la prédominance du modèle de PrEP en continu (prise quotidienne). La France, malgré la présentation des résultats de la phase ouverte d’IPERGAY, peine encore à convaincre de l’intérêt d’une offre « à la demande » (prise avant et après une période d'activité sexuelle). Les pays du Sud présents ont clairement exprimé leur scepticisme face à ce qu’ils considèrent comme un schéma trop complexe et susceptible de brouiller les messages à délivrer. Complexe pour les acteurs ou pour les personnes ?
Un florilège d'idées reçues
Pour le reste, ce workshop aurait pu s’intituler les « 10 idées reçues sur la PrEP ». Certains échanges avec la salle ont donné lieu à un florilège des craintes les plus récurrentes autour du supposé risque de « résistances », d’augmentation des IST, d’abandon du préservatif etc. Derrière les oppositions de principe et le déni des éléments de preuve scientifiques transparaît encore une certaine forme de défiance face à une révolution préventive vécue comme une contestation des approches historiquement mises en oeuvre. Comme si la PrEP s’inscrivait en concurrence du TasP et des autres outils, alors même qu’en favorisant la connaissance de son statut sérologique, elle contribue au contraire à la prise en charge des personnes infectées, et qu’intégrée à une offre de prévention diversifiée, elle participe à rendre accessibles aux populations les plus exposées l’ensemble de la palette préventive existante.
A ce titre, nous avons pu également assister à une présentation qui cherchait à démontrer l'impact de la prise de PrEP chez un groupe de gays afro-américains. Nous savons déjà que les vulnérabilités au VIH se cumulent, mais le phénomène est encore plus prégnant aux Etats-Unis où un gay d'origine afro a 1 "chance" sur 2 de devenir séropositif au cours de sa vie, ce qui est assez terrifiant. Cette étude voulait mesurer l'impact de la prise de PrEP sur les contaminations par les autres IST. Et les résultats sont vraiment encourageants car dans cette étude le niveau d'IST n'augmente pas, sans différence avec le groupe qui ne prenait pas de PrEP. Les auteurs soulignant (et nous avec par la même occasion) que la priorité est avant tout d'avoir un bon dépistage des IST et un suivi en santé sexuelle de qualité.
Par Céline Offerlé