Synthèse des recommandations faites par AIDES aux autorités de santé et scientifiques en charge de guider la stratégie de déconfinement du gouvernement
- Actualité
- 28.04.2020
La contribution complète de l’association AIDES et l’ensemble des recommandations a été envoyée : à la Direction générale de la santé du ministère des solidarité et de la santé ; à Jean Castex, chargé par le Premier ministre de coordonner le travail de réflexion du gouvernement sur les stratégies de sortie progressive du confinement de la population française dû à la pandémie de Covid-19 ; au Conseil scientifique Covid-19 ; au Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ; au Défenseur des droits ; à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ; au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Alors que les détails du scénario de déconfinement prévu à partir du 11 mai restent flous, une chose est certaine, cette date ne signe en rien la fin de l’épidémie. La population française et mondiale devra pendant plusieurs mois, voire années, faire face au Covid-19. Les experts-es scientifiques et médicaux sont omniprésents-es depuis le début de la crise. Si leurs connaissances sont essentielles, il est impossible de faire sans les premiers-ères concernés-es : les personnes touchées, les représentants des personnes malades, les associations de patients-es et plus largement les citoyens-nes. Forte de son expérience dans le domaine de la lutte contre l’épidémie de VIH-sida, AIDES recommande une stratégie de déconfinement respectueuse des droits et des populations les plus fragiles, axée sur une approche communautaire et de réduction des risques.
Les politiques publiques de lutte contre une épidémie ne peuvent se construire à l’abri des besoins, de l’expérience, et de la parole des premiers-ères concernés-es. 35 ans de lutte contre le VIH-sida nous ont montré que l’efficacité de ces politiques ne reposait non pas sur la contrainte, la culpabilisation ou la stigmatisation, mais sur la mobilisation et le renforcement des capacités de chacun-e à agir pour sa santé.
Chaque individu est capable de prendre soin de sa santé et de celles de ses proches et de sa communauté. L’enjeu n’est pas de dicter des comportements standards uniques, mais de donner à tous et à toutes une information claire, transparente et compréhensible qui permettra à chacun-e et chacune d’agir selon sa situation. Cela suppose qu’ils-elle aient accès aux moyens de prévention, adaptés à leurs comportement et besoins, sans que ne soit juger leurs choix et pratiques individuels. Il faut mettre l’accent sur la prévention et accompagner les citoyens-nes au mieux pour qu’ils-elles aient les moyens de faire face aux risques liés à la transmission du Covid-19 pour lui-elle et ses proches. Cette logique présente un intérêt tant à l’échelle individuelle que collective, puisqu’elle permet de mobiliser la population toute entière.
AIDES recommande une stratégie de déconfinement qui s’articule autour de quatre piliers indissociables pour garantir l’acceptation sociale de cette nouvelle étape de l’épidémie et sa réussite. À savoir :
- Une stratégie plaçant au centre de toute action la garantie des droits fondamentaux ;
- Des actions de prévention et de dépistage guidées par les principes de la réduction des risques et notamment fondés sur la pédagogie plutôt que sur la contrainte ;
- Un encadrement strict de l’usage de la surveillance numérique ;
- Une stratégie d’action pour éviter les ruptures d’approvisionnement et pour prévenir les tensions et pénuries de matériels et produits de santé.
Garantir les droits fondamentaux et les libertés individuelles
L’expérience de plusieurs décennies de lutte contre le VIH-sida et les hépatites virales a montré que les interventions efficaces de maîtrise d’une épidémie supposent la prise en compte effective et pratique des droits des personnes dans la définition et la mise en œuvre des politiques.
La préservation et le renforcement des droits doivent être centraux dans la stratégie de déconfinement qui s’ouvre. Elle ne doit pas succomber à la tentation d’une approche répressive des comportements qui risquerait d’affaiblir l’impact des actions de contrôle de l’épidémie. N’ayant pas mis les moyens dans une politique d’anticipation des crises sanitaires et de prévention, le gouvernement français a jusqu’ici fondé sa gestion de la crise sanitaire actuelle autour d’une politique coercitive, afin d’agir sur la responsabilité individuelle plutôt que sur la responsabilité collective. Il s’est alors agi pour le gouvernement de contraindre les comportements individuels, identifiés comme déviants, à travers un durcissement du contrôle social qu’a représenté la création d’une infraction spécifique de non-respect des règles de confinement. L’état d’urgence sanitaire intervient dans un contexte préexistant particulier de brouillage des frontières entre santé publique et logique sécuritaire.
Or, les études en santé publique montrent que la pénalisation des comportements est vouée à l’échec. La répression n’accroit pas le respect des stratégies de prévention, et s’avère contre-productive à la fois à l’intérêt individuel et à l’intérêt général. Dans un contexte où les populations les plus fragiles sont celles qui paient le plus lourd tribut dans ce contexte de crise sanitaire, cette approche répressive renforce les inégalités, la stigmatisation des groupes les plus précaires et marginalisés, freine l’appropriation des mesures de prévention, des discours de sensibilisation, et fait obstacle à l’accès aux soins et à la santé.
La phase de déconfinement doit rompre avec une logique de pénalisation des comportements instaurée par l’état d’urgence sanitaire et garantir les droits fondamentaux et les libertés individuelles de chacun-e. Il faut assurer pour toutes et tous une égalité de traitement sous peine de conduire à des logiques discriminatoires et d’atteintes aux libertés fondamentales. Il s’agit aussi de prendre des mesures sociales fortes pour accompagner les publics les plus fragiles. En ce contexte, toute forme de pression social ou moral est à bannir puisqu’elle ne favorise pas une réelle autonomie individuelle.
Réduire les risques grâce à des actions de prévention et de dépistage fondées sur la pédagogie plutôt que sur la contrainte
Nous abordons l’étape de déconfinement dans un contexte de grandes incertitudes face à l’épidémie. En l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas si l’immunité est partielle ou totale, si l’on peut contracter plusieurs fois la maladie. Les modes de transmission ne sont pas encore complètement connus et nous ne disposons d’aucun traitement ou vaccin. Face à ces incertitudes, la prudence est de mise et nous recommandons d’adopter une approche de réduction des risques ajustable en fonction de l’évolution des connaissances.
Nous avons une expérience en matière de stratégies de prévention et de dépistage qui peut contribuer aujourd’hui à la décision publique. La lutte contre le VIH-sida a pu avancer en considérant les citoyens-nes comme des personnes responsables, capables de comprendre les informations et de saisir des enjeux sanitaires.
Le dépistage ne doit pas être contraint, ni obligatoire. Donner à celles et ceux qui le souhaitent la possibilité de se faire dépister, c’est permettre aux personnes de se protéger et de protéger les autres. Faire maintenant le pari de la transparence, de l’autonomie des personnes, de leur capacité à comprendre les stratégies proposées, sera plus gagnant qu’une santé publique autoritaire mise au service du contrôle sans discernement.
Le dépistage ne se réduit pas à un acte technique, il offre surtout la possibilité grâce à la connaissance de son statut de s’inscrire dans une démarche de santé. L’expérience de la lutte contre le VIH a montré que les bénéfices individuels et collectifs du dépistage sont augmentés si l’acte de dépistage est accompagné d’un entretien faisant le point sur les pratiques, les attentes et les connaissances des personnes et qui permet de renforcer les pratiques de prévention mais aussi l’accès effectif aux soins. L’accompagnement par les pairs ou les professionnels de santé permet de faire des choix et aussi d’échanger sur les incertitudes et les peurs.
Ce renforcement des capacités des personnes s’inscrit dans une démarche de “réduction des risques”. Dans le cas du Covid-19, et en cas de diagnostic positif, les moyens doivent être donnés à la personne de prévenir ou de faire prévenir les personnes avec lesquelles elle a été en contact. Chacun-e doit pouvoir s’exprimer sans peur d’être jugé-e. Les messages culpabilisants sont contre-productifs. Pour les personnes susceptibles d’être contagieuses et ne relevant pas de l’hospitalisation, la possibilité de s’isoler gratuitement, sans perte de revenus, et si nécessaire, de pouvoir faire garder ses enfants ou aider ses proches, est essentielle. La mise à disposition de chambres d’hôtels ou autres types d’hébergement est une piste à mettre en place d’urgence.
En l’absence de disponibilité de tests de dépistage pour tous-tes ceux-celles qui le souhaiteraient, la priorisation doit certes se faire sur des critères médicaux (risques de développer une forme grave, comorbidités, etc.) ou professionnels, mais aussi privilégier les personnes particulièrement exposées à une contamination et qui apparaissent comme éloignées du système de soins (personnes migrantes, sans domicile fixe, etc.). Celles-ci doivent être perçues non seulement comme “à risque” mais comme des potentiels-les promoteurs-trices des bonnes pratiques au sein de publics qui ne sont pas en contact avec le système de santé, en sont les plus éloignés.
Si l’obligation légale d’un dépistage systématique a été écartée, des recommandations fortes auraient des effets équivalents et conduiraient à une pression sociale pour que repose uniquement sur les plus fragiles au Covid-19 la responsabilité de lutter contre l’épidémie. Qu’il soit conseillé aux personnes atteintes de malades chroniques ou ayant plus de 65 ans de poursuivre le confinement ou d’être soumises à des contraintes beaucoup plus fortes que le reste de la population est une hypothèse qui a été soulevée. AIDES demande la plus grande vigilance sur le fait de distinguer les droits en fonction du statut sanitaire.
Les personnes fragiles au Covid-19 du fait de leur âge, de leurs comorbidités doivent pouvoir recevoir une information médicale précise et claire sur les risques qu’elles encourent. Elles doivent aussi avoir les moyens de leur prévention : si elles souhaitent poursuivre un confinement strict, le maintien de leurs revenus et, le cas échéant, de leur emploi, doit être assuré. Elles ne peuvent être soumises à un arbitrage entre leur santé et leurs ressources.
Le déconfinement ne devra pas signifier non plus que l’espace public devient de fait réservé aux personnes sans problématiques de santé et peu susceptibles de développer des formes sévères de Covid-19, excluant donc les plus fragiles. Socialement, quartier par quartier, doivent être organisés avec l’appui des acteurs-trices locaux-les, des dispositifs qui permettent à tous-tes de sortir, de préserver des liens sociaux.
Forte vigilance pour l’usage du numérique
En France ces derniers jours de nombreux débats ont émergé autour de la pertinence d’un outil numérique permettant aux personnes de savoir si elles ont été en contact avec quelqu’un-une testé-e positif-ve au Covid-19 : l’application StopCovid.
Cette question intervient dans un contexte qui voit de plus en plus la santé instrumentalisée au nom de l’impératif de sécurité. Les menaces que pourrait constituer cet outil pour nos libertés individuelles et la protection de nos données de santé ont été soulignées. Ces craintes légitimes nécessitent des garanties claires.
Si, à ce stade de développement, l’application StopCovid se veut rassurante sur plusieurs aspects (un code open source consultable, un accès fondé sur le volontariat, une anonymisation des données, la garantie de leur confidentialité et leur non conservation, l’utilisation du bluetooth comme alternative à la géolocalisation), de fortes zones d’ombre persistent.
Ce notamment sur l’hébergement des données, et donc leur souveraineté, aujourd’hui majoritairement dépendant des GAFAM, et la durée du stockage. Dans son avis publié le 26 avril, la CNIL pointe plusieurs défaillances inquiétantes et remises en cause de principes du RGPD. L’anonymat des données avec l’usage du Bluetooth ne peut être garanti. Les pseudonymes générés par l’application, censés assurer l’anonymat, pourraient être ré-identifiés. La CNIL s’interroge aussi sur la finalité de cette application car elle estime que le bienfait sanitaire de son usage n’a pas été démontré. Elle s’inquiète donc du respect du principe de proportionnalité dans l’usage des données d’autant plus que leur hébergement pose question. Majoritairement dépendant des GAFAM, le respect de la souveraineté des données demeure fragile. Enfin, le gouvernement reste flou sur la durée d’utilisation de cette application et donc par ricochet sur la durée du stockage de ces données de santé particulièrement sensibles.
Les solutions proposées aux utilisateurs-trices contaminés-es ou susceptibles de l’avoir été, ne sont aujourd’hui pas détaillées, pas plus que le contrôle de la véracité des informations entrées par les utilisateurs-trices quant à leur contamination, afin d’éviter des notifications inutilement anxiogènes, possiblement placées sous l’égide d’un-e tiers professionnel-le de santé.
Il est impératif que l’usage de cette application se fasse avec le consentement libre et éclairé de chacun-e. L’installation de l’application ne saurait valoir consentement. Or, c’est ce chemin que prend le gouvernement. Le refus ne doit pas faire l’objet d’une répression ou forme de pression sociale.
Pour les personnes en marge du numérique, comme les personnes âgées ou celles en situation de grande précarité, un effort d’accompagnement devra être réalisé pour les inclure au mieux dans le dispositif.
Aussi, cet outil ne saurait être utile que si tous les moyens humains et matériels adaptés sont mis en œuvre pour accompagner l’annonce d’une possible contamination : fourniture de tests aux personnes notifiées ; personnel-le soignant-e disponible ; équipement en masques pour compléter l’effet de l’application ; redirection vers des services adaptés ; etc.
Aucune condition de sécurité et de garanties des droits fondamentaux n’est réunie pour un usage de StopCovid. La plus grande vigilance reste de mise.
Garantir un approvisionnement sans rupture et en quantité suffisante des matériels de protection et de produits de santé
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a entraîné des tensions d’approvisionnement et des pénuries de produits de santé indispensables, et fait peser de graves risques sur l’accès universel à la santé. L’indisponibilité de médicaments essentiels en milieu hospitalier, les ruptures des chaînes d’approvisionnement, la dépendance à des centres uniques ou étrangers de production de matières premières et l’absence de coordination mondiale pour l’accès universel aux traitements sont autant de défaillances systémiques exacerbées par la crise sanitaire.
Dans l’optique d’un déconfinement progressif, l’Etat doit recourir de toute urgence à des mesures fortes (réquisitions, …) pour garantir l’accès aux dispositifs médicaux (masques, gants, respirateurs, tests, traitements, etc.) et engager dans le même temps des relocalisations de production de ces derniers afin d’endiguer les risques de pénuries. Les produits de santé doivent profiter au plus grand nombre et être distribués de façon équitable.
Pour anticiper les pénuries, le gouvernement doit informer de façon transparente sur l’état des stocks et les commandes passées pour les médicaments sous tension, a fortiori pour les médicaments essentiels et d’intérêt thérapeutique majeur.
Les associations de patients-es sont particulièrement inquiètes des risques d’interruption ou de modification de traitements, qui peuvent avoir des conséquences importantes pour les personnes atteints-es de pathologies graves ou chroniques.
En cas d’incapacité des industriels à assurer l’approvisionnement de médicaments princeps, l’Etat doit être en mesure de considérer le recours aux licences obligatoires pour produire et/ou importer ses génériques.
Une communication nationale doit être envisagée sur les critères de priorisation des patients-es dans les hôpitaux submergés et en manque de ressources, notamment concernant l’admission en soins intensifs et en réanimation. Les associations d’usagers-ères du système de santé ainsi que les instances éthiques et de démocratie sanitaire existantes dans la réflexion doivent être impliquées en amont d’une unification des règles de priorisation applicables sur le territoire. Si la priorisation devait être appliquée, cette dernière ne peut en aucun cas se faire sur des motifs économiques, raciaux, de genre, d’identité de genre, d’orientation sexuelle, de handicap ou tout autre motif discriminatoire.
Pour avoir la version complète de nos recommandations pour le déconfinement, vous pouvez télécharger le fichier pdf en haut à droite de la page.