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    Malades étrangers : des linceuls pour avenir ?

    • Actualité

    De loin, l’alignement des militantes et militants, tous de noir vêtus, symbolise bien les parois d’un "couloir de la mort" ; de près… plus encore, car on voit désormais couchés au sol des corps revêtus d’un sinistre linceul. Cette image, volontairement dramatique, plusieurs associations (1) l’ont souhaitée pour dénoncer l’attitude du gouvernement français sur la question des malades étrangers. Seronet était à la manifestation organisée mardi 16 juin devant l’Assemblée Nationale. De nombreux militants ont investi, ce même jour, d’autres lieux symboliques à Nantes, Toulouse, Lyon.

    Des linceuls pour seul avenir

    La loi Besson… à l’origine des maux !

    Il faut remonter à quatre ans pour trouver les origines de la situation actuelle. Tout commence, en effet, le 16 juin 2011. Une réforme brutale du droit au séjour pour soins permet alors l'expulsion de personnes gravement malades vers des pays n'offrant aucune garantie d'accès aux soins. C’est la funeste réforme Besson, souhaitée par le gouvernement Fillon et le président Sarkozy. L’initiative politique d’alors est critiquée et combattue par les mêmes associations qui se sont mobilisées aujourd’hui. Elle l’est aussi par l’opposition de gauche de l’époque, le PS en tête. Les parlementaires socialistes n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer les effets de la loi Besson concernant les étrangers malades : cette remise en cause majeure brise l’idée même du droit au séjour pour soins.

    Hollande : une constante dégradation du droit au séjour pour soins

    Comme le rappelle l’ODSE dans un communiqué (16 juin), François Hollande, alors candidat socialiste à la présidentielle, s’engage d’ailleurs à revenir sur cette réforme au cours de son mandat. Hélas, dès mai 2012, c’est une tout autre musique qui se joue. Et les organisations non gouvernementales pointent alors une "constante dégradation des conditions d’accès au séjour pour soins" et une "accélération sans précédent des placements en rétention de malades étrangers en vue de leur expulsion". Des mesures d’expulsions d’étrangers vivant avec le VIH et les hépatites virales sont prononcées et exécutées, comme l’indique le 3e rapport  de l’Observatoire malades étrangers de Aidse qui vient de sortir.

    Une législation qui condamne les gens à mort

    "Nous parlons de personnes atteintes notamment du VIH, d'une hépatite ou d'un cancer, résidant en France parfois depuis de nombreuses années, que l'Etat décide d’expulser mettant leur vie en péril ", explique l’ODSE. "Médecins du Monde (MdM) est concernée par la santé des étrangers malades, rappelle Jean-François Corty, directeur des missions France. Ces derniers risquent de mourir si on les renvoie dans leur pays. Nous sommes là pour dénoncer cet acharnement inhumain. Nous sommes très inquiets devant le futur projet de loi Immigration qui veut transférer la gestion de ces questions de droit au séjour pour soins au ministère de l’Intérieur et non plus à la Santé. Nous dénonçons cette relégation des étrangers malades à des prérogatives purement migratoires. L'éthique médicale nous oblige à combattre cette législation qui condamne les gens à mort".

    Nous allons vers une médecine de contrôle !

    "Nous avons voulu illustrer le sort réservé aux étrangers malades. Ces linceuls blancs, ces corps allongés montrent un couloir de la mort à la française, qui renvoie les personnes dans leur pays sans savoir si elles pourront s’y soigner. Elles sont condamnées à mort par la République", confirme Adeline Toullier de Aides. Lors de son intervention au congrès de Aides, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a bien tenté d’expliquer que son ministère fixerait le cadre de travail de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) concernant les étrangers malades, mais n’a pas vraiment convaincu. "Les garanties ne sont pas suffisantes", pointe Aurélien Beaucamp, président de Aides. "Tout ce que nous voyons c’est bien un transfert des compétences des médecins des Agences régionales de santé sous tutelle du ministère de la Santé qui se fera vers des médecins d’un organisme dépendant du ministère de l’Intérieur. Même si le ministère de la Santé va travailler sur ce cadre comme cela nous a été dit, au final, nous passerons bien d’une médecine de santé publique à une médecine de contrôle. C’est de cela dont nous ne voulons pas. A Aides, nous sommes bien placés pour savoir quels sont les enjeux de santé chez les personnes migrantes et à quel point les obstacles administratifs de quelque nature qu’ils soient sont des barrières dans l’accès aux soins. Nous n’oublions pas non plus que François Hollande s’était engagé à abroger les dispositions Besson", rappelle-t-il.

    Des pratiques illégales qui se généralisent

    Ce manquement à la parole heurte d’autant plus que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait sorti assez rapidement des circulaires ministérielles rappelant que les personnes étrangères vivant avec le VIH comme celles vivant avec une hépatite virale ne pouvaient pas être expulsées ; les préfectures devant considérer que dans la plupart des pays dont sont originaires les personnes migrantes les traitements pour ces maladies sont inaccessibles. Or, ce que notent les organisations de défense des droits à la santé des étrangers, c’est que ces directives ne sont pas suivies par les administrations. Pire, les administrations n’en font même qu’à leur tête. C’est ce que dénonce encore le 3e rapport de l’Observatoire malades étrangers de Aides. Des pratiques illégales se généralisent : certains préfets court-circuitent les avis des médecins des Agences régionales de santé (ARS), certains médecins des ARS ignorent délibérément les circulaires du ministère de la Santé, etc. "Au bout de la chaine, des personnes gravement malades sont enfermées ou expulsées. Dans un contexte où les expulsions priment trop souvent sur le droit à la santé, des malades étrangers se retrouvent pris en tenaille entre des préfets exerçant des prérogatives médicales et quelques médecins d’ARS mis dans un rôle policier", dénonce l’ODSE.  "Ce que l'Etat réserve désormais à de nombreux malades étrangers, c'est bien un couloir de la mort qui ne dit pas son nom".

    Auteurs : Mathieu Brancourt et JFL
    Seronet 
    17/06/2015

    Manifestation devant l'Assemblée Nationale

    Membres de l'ODSE

     

    Les membres de l’ODSE sont : 
    Act up-Paris, l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), Aides, Arcat, le Catred, Centre Primo Levi, la Cimade, le Comede, le Comegas, Créteil-Solidarité, Dom'Asile, la Fasti, la FTCR, Gaia Paris, le Gisti, La case de la santé, La ligue des droits de l'Homme, Médecins du Monde, le Mouvement Français pour le Planning familial (MFPF), le MRAP, le Réseau Louis Guilloux, Sida Info Service (SIS), Solidarité sida, SOS hépatites.

    En 2012, Hollande dénonçait la loi Besson sur Seronet
    En mars 2012, alors en campagne présidentielle, le candidat François Hollande avait accordé une longue interview à Seronet. Nous lui avions alors posé deux questions concernant la situation des malades étrangers et ce qu’il comptait faire suite à la loi Besson.

    Seronet : Il y a plusieurs mois, différentes mesures législatives ont été prises concernant la situation des personnes étrangères et tout spécialement celles qui sont malades, qu’elles soient ou non en situation irrégulière. L’Aide Médicale d’État (AME) a été ainsi largement réformée et le droit au séjour pour soins sévèrement attaqué. Que pensez-vous de ces décisions et quelle lecture politique en faites-vous ?
    François Hollande : Ces décisions reflètent une vision déformée de la réalité. On essaie de faire croire aux Français que si la Sécurité sociale est en déficit, c’est à cause des étrangers qui viennent se faire soigner en France. Cela n’est évidemment pas le cas. Il faut revenir aux faits. L’aide médicale de l’Etat (AME), qui est le dispositif prenant en charge les soins des étrangers en situation irrégulière, ne représente que 0,4 % des dépenses de l’Assurance maladie. Quant au droit au séjour pour soins, c’est un dispositif très encadré, qui n’est accordé qu’à des étrangers très gravement malades, après un avis d’un médecin de l’administration. Avant que le gouvernement ne le remette en cause, seules 5 000 cartes de séjour étaient délivrées chaque année. Ce sont donc des sujets qui ont été montés en épingle par la majorité actuelle.

    Seronet : Si vous êtes en situation, comptez-vous revenir sur ces décisions, en rétablissant le droit au séjour pour soins, en supprimant le droit de timbre pour l’accès à l’AME ? Ou pensez-vous que l’AME doive être intégrée dans l’Assurance maladie et ne plus être un dispositif à part ?
    François Hollande : Si je suis élu, je souhaite revenir sur ces décisions. La suppression du droit de timbre de 30 euros pour l’accès à l’AME fait partie des 60 engagements de mon projet. Les politiques d’exclusion et de stigmatisation visant à réduire les dispositifs comme l’AME ne pourraient nous conduire qu’à une catastrophe sanitaire. L’AME, qui a été instaurée par le gouvernement de Lionel Jospin en même temps que la CMU, est un bon dispositif. C’est l’honneur de notre pays, ne l’oublions pas, que de garantir à toute personne, quelle que soit sa situation financière, sociale ou administrative un accès effectif aux soins. Une prise en charge sanitaire rapide est humainement, médicalement et financièrement préférable à des soins tardifs. Je prends l’engagement de revenir sur ces restrictions.Quant au droit au séjour pour soins, la modification apportée par la loi sur l’immigration du 16 juin 2011 est hypocrite. Elle laisse croire que le droit au séjour pour soins est maintenu, mais elle ne prend plus en compte l’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’origine. Si vous venez d’un pays très pauvre, mais qu’une clinique très chère donne de bons traitements au président et à ses amis, alors on considère que les soins existent dans votre pays et que l’on peut vous y renvoyer. On ne se demande plus si vous pouvez vraiment avoir accès à ces soins.