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    Levée des brevets des traitements et vaccins contre le Covid-19 : chercheurs-euses, professionnels-lles de la santé et du secteur associatif, se mobilisent pour défendre le droit universel à la santé

    • Actualité
    • 05.07.2021

    Tribune initialement parue dans Le Monde.

    Alors que plus de 2,5 milliards de doses de vaccins ont déjà été administrées dans le monde, force est de constater que des inégalités criantes dans l’accès à la vaccination persistent : au 26 juin, si 49% des habitants de l’UE ont reçu au moins une dose , seulement 2% de la population du continent africain a bénéficié d’une première injection.

    Des conséquences dramatiques au Sud

    La Covid a déjà tué 3,87 millions de personnes dans le monde mais les conséquences de la pandémie ne se limitent pas au nombre de victimes  : aggravation de la pauvreté, augmentation des violences, saturation des services de santé, fermeture des services sociaux, freins à l’éducation…  Les pays à ressources limitées, qui savent déjà devoir payer dans les prochaines années un lourd tribut aux conséquences de la crise, assistent aujourd’hui démunis à l’arrivée d’une 3ème vague sans avoir les outils pour lutter efficacement contre le virus.

    Face à l’urgence, une soixantaine de pays dont l’Inde et l’Afrique du Sud, durement touchés par l’épidémie, ont demandé à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) une dérogation au droit de propriété intellectuelle qui dispenserait les Etats de leur obligation en matière de propriété intellectuelle sur les outils de diagnostic, traitements, vaccins, composants nécessaires à leur fabrication et dispositifs médicaux indispensables à la lutte contre la Covid. Cette dérogation, qui faciliterait les transferts de technologie, est prévue par l'article IX de l'accord de Marrakech qui a fondé l'OMC. Une levée temporaire des brevets et autres barrières de propriété intellectuelle serait ainsi l’application d’un droit prévu par le cadre international qui légitimerait notamment aux pays du Sud de produire et distribuer leurs propres vaccins et traitements.

    Une position intenable

    Néanmoins l’Union Européenne se refuse encore aujourd’hui à soutenir la levée des brevets dans les négociations à l’OMC, préférant le système des licences obligatoires. Le G7 privilégie les promesses de dons de doses, retardant toujours plus la mise en place de solutions additionnelles qui permettraient d’enrayer efficacement la propagation mondiale du virus, dans une logique d’opposition entre des moyens qui sont complémentaires (dons, exportations, levée des brevets,…). La France quant à elle maintient une position ambigüe, entre les déclarations de soutien à la levée des brevets d’Emmanuel Macron et l’absence d’engagement politique clair et ferme dans les instances européennes et internationales.

    Seule une réponse mondiale coordonnée pourra mettre fin à la pandémie. La situation actuelle favorise l’émergence de variants, possiblement plus contagieux, plus mortels, voire résistants aux vaccins, retardant toujours plus une sortie de crise, y compris dans les pays du Nord.

    Un droit universel à la santé

    Au-delà du débat sur les bienfaits et limites du régime de propriété intellectuelle, nous, chercheurs, professionnels de santé et du secteur associatif, nous réunissons pour défendre un droit universel à la santé.

    En 2001, notre mobilisation a abouti à la Déclaration de Doha qui reconnaissait le caractère prioritaire des impératifs sanitaires sur les règles commerciales en cas de situation d'urgence sanitaire nationale comme le VIH-Sida, le paludisme, la tuberculose et d’« autres épidémies » favorisant ainsi l’accès aux traitements de millions de personnes. 20 ans plus tard, il est à nouveau urgent de prioriser la justice sociale et la solidarité sur la défense de la propriété intellectuelle.

    Cependant, les outils prévus par cette déclaration, comme la licence obligatoire défendue par l’UE, ne permettent pas de faire face aux défis d’aujourd’hui. Si les mécanismes des licences d’office et obligatoire ont permis de faire baisser les prix des traitements contre le VIH dans les pays du Sud, leur usage est inefficace dans le cas des vaccins dont la fabrication s’appuie sur de multiples brevets et nécessite partage de savoir-faire et transfert de technologie. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces dispositifs nécessite des mois de négociation, soit des délais incompatibles avec l’urgence actuelle. La position de l’Union Européenne est donc non seulement irresponsable mais aussi irréaliste.

    En finir avec les contradictions

    On estime à 93 milliards de dollars l’argent public investi dans le développement des vaccins. N’en déplaise aux détracteurs de la levée temporaire des brevets, dans le cas de la lutte contre la Covid, ce n’est pas le système de propriété intellectuelle qui a permis l’innovation mais bien l’engagement financier des États. De plus, ces innovations, comme les vaccins à ARNm, sont elles-mêmes basées sur des technologies développées grâce à de l’argent public, ce qui relance une nouvelle fois le débat de la transparence des investissements publics en R & D biomédicale.

    Il est temps d’en finir avec les contradictions. Comment expliquer que des pays comme l’Inde, un des leaders dans la production pharmaceutique, peine à fabriquer les vaccins qui lui permettront de faire face à la 3ème vague annoncée ? Dans un contexte de saturation des capacités de production, comment accepter que les détenteurs de brevets rejettent les propositions de producteurs se portant volontaires ? Comment tolérer les discours désobligeants sur l’incapacité supposée des pays à mettre en œuvre des capacités de production et de distribution autonomes ?

    Le 22 juin dernier a été annoncé la création en Afrique du Sud du premier centre de transfert des technologies pour les vaccins à ARNm. Créé en partenariat avec l’OMS et rendu possible notamment par le soutien des états contributeurs dont la France, cette initiative est la preuve des moyens qui peuvent être mis en œuvre quand le cadre international le permet.

    Alors que l’OMS déplore que le virus circule plus vite que les vaccins, nous, chercheurs, professionnels de la santé et du secteur associatif, engagés quotidiennement dans la lutte contre la Covid, demandons à la France de soutenir nos efforts dans cette bataille contre une épidémie qui a déjà fait trop de victimes. Nous réclamons un accès équitable pour les pays à ressources limitées et le développement de capacités régionales de production et demandons avec force que la France affirme sans ambiguïté son soutien à la proposition faite à l’OMC par l’Inde et l’Afrique du Sud sur la levée des brevets des traitements et vaccins contre la Covid et les transferts de technologies qui les complètent.

     

    Signataires :

    • Françoise Barré-Sinoussi, directrice de recherche à l'Inserm, lauréate 2008 du prix Nobel de médecine, présidente de Sidaction
    • Richard Benarous, ex-directeur du département maladies infectieuses de l’Institut Cochin
    • Henri Bergeron, directeur de recherches au CNRS au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po
    • Dominique Costagliola, directrice de Recherches à l’INSERM, Membre de l’Académie des Sciences, Membre du CA de AIDES
    • François Dabis, professeur d’épidémiologie et santé publique à l’université de Bordeaux, ex-directeur de l’ANRS
    • Eric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste, responsable du département stratégie et partenariats à l’ANRS - Maladies Infectieuses Emergentes
    • Michel Kazatchkine, médecin, immunologiste, professeur à l’université Paris V, ex-directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, envoyé spécial de l’ONU sur le VIH/Sida
    • Karine Lacombe, infectiologue, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine -    Carine Rolland, médecin généraliste et présidente de Médecins du Monde
    • Christine Rouzioux, virologue, membre de l'Académie nationale de Médecine, présidente de l’association Arcat
    • Willy Rozenbaum, co-découvreur du VIH-1, médecin spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint Louis à Paris, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie
    • Bruno Spire, directeur de Recherche à l'INSERM, président d'honneur de AIDES
    • Florence Thune, directrice de Sidaction
    • Collectif TRT-5 CHV – Acceptess-T, Actif Santé, Actions Traitements, Act Up Paris, Act Up Sud-Ouest, Aides, Arcat, Asud, Comité des Familles, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Hépatites/Sida Info Services, Sol En Si
    Sources :
    https://www.touteleurope.eu/societe/vaccination-contre-le-covid-19-en-europe-ou-en-est-on/
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/10/le-covid-19-n-est-pas-sur-le-plan-sanitaire-le-principal-probleme-de-l-afrique_6083541_3232.html
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/06/18/l-afrique-face-au-covid-19-la-troisieme-vague-prend-de-l-ampleur_6084737_3212.html
    https://www.usinenouvelle.com/article/coronavirus-l-inde-pourrait-subir-une-troisieme-vague-d-ici-octobre-selon-une-enquete-reuters.N1107864

    https://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dohaexplained_f.htm
    https://www.politico.eu/article/vaccine-producers-reject-offers-to-make-more-jabs/
    https://www.who.int/director-general/speeches/detail/director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19-14-june-2021

    Image d'illustration : Thirdman - Pexels