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    L'actu vue par REMAIDES : "Prep injectable : Où en est-on ?"

    • Actualité
    • 01.07.2024

    Prep injectable

    © DR

    Par Fred Lebreton 

    Prep injectable : Où en est-on ?

    Du jamais vu : un taux d’efficacité de 100 % pour la Prep injectable à longue durée d’action tous les six mois à base de lénacapavir. L’annonce du laboratoire américain Gilead a fait le tour du monde et suscite beaucoup d’espoirs. Mais quid de son prix et de son accessibilité ? La rédaction de Remaides fait le point sur ce nouveau traitement prometteur, mais qui s’annonce très coûteux…

    Une molécule efficace pendant six mois

    Cela fait un moment que la rédaction de Remaides vous parle du lénacapavir. Commercialisée par Gilead sous le nom de Sunlenca, cette molécule est un nouvel inhibiteur de capside, soit une nouvelle cible du cycle viral du VIH. Elle a une longue demi-vie (six mois) et une forte puissance antivirale. Le lénacapavir n’a pas de résistance croisée connue avec d’autres classes d'antirétroviraux disponibles et offre donc une nouvelle option de traitement, administrable tous les six mois, aux personnes vivant avec le VIH, dont le virus n'est plus contrôlé efficacement par leur traitement. Pour les personnes vivant avec un VIH multi-résistant, elle est administrée en injection sous-cutanée, tous les six mois, associée à un traitement ARV oral (en comprimés quotidiens). La molécule est également testée en monothérapie Prep avec une injection tous les six mois.

    « Zéro infection et une efficacité de 100 % »

    Dans un communiqué publié le 20 juin dernier, la firme pharmaceutique Gilead a dévoilé les premiers résultats de l’essai de phase 3 PURPOSE 1 qui évalue le lénacapavir en Prep chez 5 300 jeunes femmes cisgenres, âgées de 16 à 25 ans, en Afrique-du-Sud et en Ouganda. 

    Étant donné qu'il n'y avait pas de groupe recevant uniquement un placebo, le nombre d'infections observées dans les trois groupes de l'étude a été comparé à ce que l'on appelle « l'incidence de fond du VIH » (bHIV). L'« incidence de fond du VIH » (bHIV) fait référence au taux d'infection par le VIH dans une population donnée sans intervention spécifique, telle que la Prep ou d'autres mesures de prévention. Elle est déterminée en observant combien de nouvelles infections au VIH surviennent naturellement dans une population similaire à celle de l'étude. Ce taux de référence permet de comparer l'efficacité des interventions dans l'essai en les mesurant par rapport à ce qui se produirait normalement dans la population locale sans ces interventions.

    Dans les résultats intermédiaires, il n'y a eu aucune nouvelle infection parmi les 2 134 femmes ayant reçu des injections de lénacapavir tous les six mois, 16 nouvelles infections sont survenues parmi les 1 068 participantes ayant pris le Truvada en comprimés quotidiens et 39 nouvelles infections parmi les 2 136 femmes ayant reçu le Descovy en comprimés quotidiens. Les trois méthodes de Prep ont généralement été bien tolérées, et aucun nouveau problème de sécurité n'a été identifié. Le communiqué de Gilead n'a pas inclus de détails sur les effets indésirables, mais dans les études sur le lénacapavir en traitement du VIH, les effets indésirables les plus courants étaient les nausées et les réactions au site d'injection telles que la douleur, la rougeur, le gonflement et les nodules. 

    « C'est ce qui se rapproche le plus d'un vaccin contre le VIH »

    L’essai a donc atteint ses principaux critères d'efficacité en démontrant la supériorité du lénacapavir en injection tous les six mois par rapport au Truvada en comprimé oral quotidien. Sur la base de ces résultats, le Comité indépendant de surveillance des données (DMC) a recommandé que Gilead arrête la phase « en aveugle » de l'essai et offre du lénacapavir en accès ouvert à toutes les participantes. « Avec zéro infection et une efficacité de 100 %, le lénacapavir semestriel a démontré son potentiel en tant que nouvel outil important pour aider à prévenir les infections par le VIH », a déclaré Merdad Parsey, directeur médical de Gilead Sciences. 

    Dans un entretien accordé à Aidsmap, le Dr Andrew Hill de l'Université de Liverpool, ne cache pas son enthousiasme : « C'est ce qui se rapproche le plus d'un vaccin contre le VIH ». En effet, dans un monde où les gens se sont habitués à des vaccinations annuelles ou bisannuelles contre la Covid-19, une injection semestrielle sous la peau pourrait sembler fonctionnellement peu différente d'un rappel Covid.

    Quatre autres études en cours dans le monde

    Avant de demander l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA), le laboratoire américain devra d’abord reproduire ces résultats. Quatre autres études similaires sont en cours dans le monde :

    • PURPOSE 2 évalue le lénacapavir en Prep chez des hommes cisgenres qui ont des rapports sexuels avec des hommes, des hommes transgenres, des femmes transgenres et des personnes non-binaires ayant des rapports sexuels avec des partenaires désignés-es comme de sexe masculin à la naissance, en Argentine, au Brésil, au Mexique, au Pérou, en Afrique du Sud, en Thaïlande et aux États-Unis.
    • PURPOSE 3 évalue le lénacapavir en Prep chez des femmes cisgenres aux États-Unis qui sont particulièrement exposées au VIH, avec un focus sur les femmes afro-américaines et les autres femmes racisées.
    • PURPOSE 4 évalue le lénacapavir en Prep chez les personnes usagères de drogue par injection aux États-Unis.
    • Enfin, PURPOSE 5 évalue le lénacapavir en Prep en France et au Royaume-Uni avec des participants-es de communautés qui sont particulièrement touchés-es par le VIH et qui sont souvent sous-représentées dans les essais cliniques. Cette étude est destinée à des personnes qui n’ont jamais pris la Prep. Si les résultats de ces essais sont positifs, la société pourrait commercialiser le lénacapavir en Prep dès fin 2025 aux États-Unis, puis dans le reste du monde.

    Dans certaines de ces études, la différence d'efficacité entre le lénacapavir et les comprimés de Prep peut ne pas être aussi marquée que dans PURPOSE 1, essai mené auprès de jeunes filles adolescentes et de jeunes femmes en Afrique du Sud et en Ouganda. En effet, les études sur la Prep ont montré à plusieurs reprises que, souvent pour des raisons liées à la stigmatisation du VIH et de la sexualité, les femmes des pays à faible revenu trouvent difficile de suivre une Prep orale quotidienne. Ces problèmes d’observance ont été observés dans une certaine mesure dans les études HPTN 083 et HPTN 084, où le cabotégravir injectable dans l'étude chez les femmes était près de 90 % plus efficace pour prévenir l'infection par le VIH, tandis que dans l'étude chez les hommes gays, il était « seulement » 70 % plus efficace. Par ailleurs, la Prep orale est déjà populaire et efficace parmi les hommes gays et bisexuels, comme en témoignent non seulement son efficacité dans les essais cliniques, mais aussi les baisses réelles de l'incidence du VIH liées à la Prep dans cette population.

    Les difficultés d’accès exacerbent les inégalités

    Mais derrière les effets d’annonce se pose la question du prix et de l’accès à cette innovation thérapeutique. Le prix actuel du lénacapavir aux États-Unis est de 40 000 $ par an, tandis que les comprimés génériques de ténofovir disoproxil/emtricitabine peuvent être obtenus pour moins de 1 % de ce prix, et pour bien moins que cela dans les programmes de Prep. Le Dr Andrew Hill de l'Université de Liverpool rappelle que le cabotégravir est inabordable même pour les pays à revenu intermédiaire supérieur, et il en va de même pour le lénacapavir : « Nous avons un moyen de prévenir l'infection par le VIH qui est complètement inabordable », déplore le médecin.

    Dans un communiqué, publié le 20 juin, le TAG (Treatment Action Group, une association américaine de lutte contre le VIH), tire la sonnette d’alarme : « Les avantages des options de Prep disponibles ne sont pas encore réalisés de manière équitable pour toutes les populations vulnérables au VIH. Les difficultés d’accès à ces nouvelles options comme le lénacapavir, exacerbent les inégalités existantes plutôt que de les résoudre », a commenté Richard Jefferys, directeur du projet de sciences fondamentales, vaccins et traitement chez TAG. La People’s Medicine’s Alliance a récemment écrit à Gilead avec le soutien de plus de 300 signataires pour demander que l'entreprise accorde d'urgence une licence pour la production générique bon marché du lénacapavir via le Medicines Patent Pool (MPP). Le MPP est une initiative issue d’Unitaid, une organisation internationale mise en place en 2006 à l’initiative de la France et de quelques autres pays, dans le but d’organiser, notamment, des achats groupés de médicaments contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Le Medicines Patent Pool a été lancé en 2010 dans le but de négocier avec les laboratoires pharmaceutiques des licences volontaires (négociées) afin de favoriser la recherche et l’accès aux traitements génériques. Les licences volontaires permettent à un-e producteur-rice de génériques de produire une version générique (et donc moins chère) d’un médicament breveté, avec l’accord du-de la producteur-rice de princeps (médicament original protégé par des brevets).

    Autre réaction de la société civile avec un communiqué du Conseil de responsabilité communautaire de la prévention des femmes africaines, de nos partenaires et des partenaires communautaires publiée le 21 juin : « Nous exhortons Gilead à agir rapidement pour garantir un accès équitable, durable et étendu, en particulier sur les marchés où le besoin est le plus grand. Cela inclut le développement d'un plan de licence robuste pour accélérer l'accès, en donnant la priorité au transfert de technologie et au renforcement des capacités dans les régions touchées. Enfin, nous appelons Gilead à mettre en œuvre des stratégies de tarification équitable qui garantissent que le lénacapavir soit accessible à tous ceux qui en ont besoin, quel que soit leur statut économique ou leur localisation géographique ». Et le communiqué de conclure : « La promesse du lénacapavir apporte de l'espoir, mais son véritable impact sera mesuré par la rapidité et l'équité avec lesquelles il parviendra à ceux qui en ont le plus besoin. Nous sommes prêts à collaborer avec Gilead pour transformer cette réussite scientifique en une victoire concrète dans la prévention du VIH ».

     

    Prep injectable tous les deux mois : avis favorable de la HAS

    Dans un avis (très attendu) mis en ligne le 27 juin 2024, la Haute autorité de santé (HAS) a rendu un avis favorable au remboursement du cabotégravir (nom commercial Apretude) en Prep injectable, tous les deux mois. La commission de la transparence de la HAS a évalué le médicament et rendu deux avis : l’un sur ce qu'on appelle le SMR (service médical rendu) l’autre sur l’ASMR (amélioration du service médical rendu). Cette évaluation ouvre alors la voie à une négociation du prix du médicament concerné entre l'industriel et le Comité économique des produits de santé (CEPS), un organe interministériel rattaché aux ministères de la Santé, de la Sécurité sociale et de l’Économie qui fixe les prix des médicaments. La définition du taux de remboursement se fait ensuite avec l'Uncam (Union nationale des caisses d'Assurance Maladie).

    Le médicament a reçu un SMR important et une ASMR mineure (niveau 4). Concrètement, un SMR important va permettre à l’industriel de fixer le taux de remboursement avec l'Uncam au minimum à 65 %. Le fait d’avoir une ASMR mineure empêche l’industriel de commercialiser son médicament à un prix trop élevé tout en gardant une petite marge de manœuvre pour les négociations. En effet, une ASMR inexistante (comparativement à ce qui existe déjà sur le marché) aurait pu bloquer les négociations.

    Dans son avis, la HAS statue que la Prep sous cabotégravir représente « une alternative supplémentaire dans le cadre des stratégies de prévention combinée » pour réduire le risque d’infection par le VIH et préconise des mesures d’implantation en vie réelle : « Des stratégies permettant d’optimiser cette observance à la Prep injectable doivent être imaginées et implémentées en pratique clinique avant la potentielle mise à disposition de la Prep injectable afin de garantir l’accessibilité aux injections tous les deux mois et à la réalisation du suivi virologique en vie réelle ».

    Si l’industriel obtient un remboursement à 100 % du cabotégravir en Prep, ce nouvel outil de prévention sera déployé en 2025 en France. Espérons qu’il sera proposé aux populations les plus exposées au VIH et éloignées de la Prep orale (notamment les personnes nées à l’étranger).