L'actu vue par REMAIDES : "Décès de Frédéric Edelmann, journaliste et militant de la lutte contre le sida"
- Actualité
- 29.01.2024
© Frédéric Edelmann. DR
Par Fred Lebreton
Décès de Frédéric Edelmann, journaliste et militant de la lutte contre le sida
Spécialiste de l’architecture pour le journal Le Monde, Frédéric Edelmann a joué un rôle important dans la création de AIDES en 1984 aux côtés de Daniel Defert. En 1988, le journaliste est co-fondateur du Journal du sida aux côtés de Jean-Florian Mettetal pour l’association Arcat-sida. Ce pionnier de la lutte contre le sida est décédé le 25 janvier 2024, à Paris. Il avait 72 ans. Retour sur son parcours et réactions.
« Le sida prospère sur l'ignorance »
Entré au journal Le Monde à l’âge de 26 ans en 1977, Frédéric Edelmann a été chef-adjoint du service culturel de 1981 à 1984. Il fut membre de la Société des Rédacteurs du Monde à partir de1979, et a écrit principalement sur l’architecture, l’urbanisme et le patrimoine. « Son » journal, lui a rendu un vibrant hommage dans un papier publié le 26 janvier : « L’architecture, le journal Le Monde, la lutte contre le sida furent les trois grands piliers de sa vie, une vie de passion et d’engagement qui lui aura offert deux grands amours : Jean-Florian Mettetal, jeune médecin ombrageux et beau comme un dieu rencontré quand il était encore étudiant (mort du sida en 1992), et Caroline Bagros, une femme à l’esprit libre, au caractère bien trempé, qui travaillait pour la Caisse des dépôts sur le projet de la Grande Arche de la Défense lorsqu’il l’a rencontrée à la fin des années 1980 ».
En 1984, à la suite du décès de son compagnon Michel Foucault, le sociologue Daniel Defert prend l'initiative de fonder une association liée à la lutte contre le sida. Daniel Defert pose les bases de l’association AIDES dans une lettre datée du 25 septembre 1984 envoyée à quelques amis-es intellectuels-es, magistrats-es et médecins : « Nous avons à affronter et à institutionnaliser notre rapport à la maladie, à l'invalidité et à la mort. Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d'identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation, voulons-nous le créer ? ».
Frédéric Edelmann et Jean-Florian Mettetal font partie des toutes premières personnes qui répondent à l’appel de Daniel Defert. Le journaliste Éric Favereau se souvient de cette époque dans un article publié dans Libé le 27 janvier 2024 : « C’est à l’automne 1984 qu’il s’est engagé dans la lutte contre le sida. L’association AIDES débutait tout juste, après un appel de Daniel Defert lancé après la mort du sida de son compagnon, le philosophe Michel Foucault. Frédéric travaillait déjà au Monde. Personnalité étincelante, d’une grande beauté, il avait une énergie folle. Et des réseaux forts dans le milieu de la culture et de la mode. Pendant deux ans, avec Daniel Defert, ils allaient former un duo improbable mais particulièrement efficace, mêlant l’énergie inépuisable de l’un et l’intelligence novatrice de l’autre. AIDES était né, et allait devenir la plus grande association de lutte contre le sida en Europe, révolutionnant le monde de la santé ».
« En février 1985, Frédéric Edelmann propose son appartement de la rue Michel-Le Comte, qui abritera la genèse de l'association (…). C'est également chez lui que sera installée la première permanence téléphonique pour les malades, prélude de Sida Info Service, avec ce leitmoviv : « Le sida prospère sur l'ignorance ». » rappelle de son côté le journaliste Thomas Vampouille pour têtu·. Et le média LGBT+ de lui rendre hommage : « Frédéric Edelmann n'était pas qu'un militant anti-sida, mais un journaliste anti-sida. Double raison pour têtu· de saluer sa mémoire et de dire, à toutes les personnes qui l'ont connu et le pleurent aujourd'hui, nos condoléances. En rappelant les mots de Sénèque par lesquels il avait choisi d'ouvrir son hommage à Jean-Florian Mettetal : « Le souvenir de mes amis défunts m’est doux et agréable, je les avais comme si je devais les perdre un jour. Je les ai perdus et c’est comme si je les avais toujours » ».
De 1985 à 1987, Frédéric Edelmann est le secrétaire général de AIDES, assisté par Richard Descoings. Il met notamment en place le secteur prévention-information et la permanence téléphonique devenue depuis nationale. À partir de 1987, il fait partie du groupe de volontaires qui rejoignent Arcat-sida, alors présidée par Pierre Bergé. Il en est secrétaire général puis président (1996-1997). En décembre 1988, Frédéric Edelmann et Jean-Florian Mettetal lancent la revue Sida 89. Ce mensuel d’information sur le VIH est édité par Arcat-sida, il sera renommé Le Journal du sida en 1991. Si la revue n’est plus publiée en format papier depuis 2013, ses archives sont disponibles en ligne et des articles continuent à être publiés régulièrement.
Le journaliste et militant organise trois colloques sur l’information et le sida au Centre Pompidou (1988), à l’Arche de la Défense (1992) et à la Bibliothèque nationale de France (1995). Il dirige la publication de Dix clefs pour comprendre l’épidémie, ouvrage publié avec Vincent Quivy par Le Monde éditions (1996).
En 1992, Frédéric Edelmann est le cofondateur avec François Bloch-Lainé de l’association Patrimoine Sans Frontière, puis président de 1994 à 1997. L’association qui est notamment intervenu pour tenter de préserver le centre-ville de Beyrouth, le patrimoine de Croatie et de Bosnie, la photothèque de Skodra (Albanie), la transmission de techniques de construction traditionnelles au Cameroun.
En avril 2002, Frédéric Edelmann reçoit la haute distinction de Chevalier de la Légion d’Honneur par le Ministère de la Santé pour son engagement dans la lutte contre le sida. Dans la dernière partie de sa vie, le militant se consacre à sa passion pour l’architecture. De 1998 à 2008, il participe aux travaux de l’Observatoire de l’architecture contemporaine en Chine (Cité de l’architecture et du patrimoine). En 2005, il est coorganisateur du colloque franco-chinois sur la Ville, l’architecture, le patrimoine à l’Université de Tongji (Shanghai). En 2008, il est commissaire des expositions « Dans la ville Chinoise » et « Positions, une nouvelle génération d’architectes chinois » (Paris, Barcelone, Valence).
De nombreuses réactions
Le décès de Frédéric Edelmann a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux de la part de militants-es de la lutte contre le VIH mais aussi de confrères et consœurs journalistes et d’hommes-femmes politiques. Sélection non exhaustive :
- AIDES
« Nous apprenons le décès de Frédéric Edelmann. Nous saluons ce militant de la lutte contre le sida qui, en + de sa grande contribution à la fondation de AIDES & à la création d’@Arcat_et_leJDS , a œuvré pour proposer une information claire & précise autour du VIH/sida via le JDS »
- Arcat & Le Journal du sida
« C’est avec une profonde tristesse que nous apprenons la disparition de Frédéric Edelmann. Journaliste et militant de la lutte contre le VIH, il a été co-fondateur du Journal du sida aux côtés de Jean-Florian Mettetal en 1988. Toute l'équipe d’Arcat exprime sa solidarité à sa famille, ses proches, ainsi qu’à celles et ceux qui ont croisé son chemin »
- Sidaction
« Sidaction a la tristesse d'apprendre le décès de Frédéric Edelmann, l'un des premiers membres du CA de notre association en tant que président d' @Arcat_et_leJDS. Nous lui rendons hommage pour son immense engagement dans la lutte et présentons nos condoléances à ses proches »
- Christophe Martet, journaliste et président de Vers Paris sans sida (président d'Act Up-Paris de 1994 à 1997)
« C’est avec beaucoup d’émotion que nous apprenons la disparition de Frédéric Edelmann, homme de conviction et d’engagement, avec qui nous avons partagé de nombreux combats dans la lutte contre le sida. Cofondateur de AIDES, d’Arcat-sida et du Journal du sida, il a œuvré pour mettre en lumière tous les enjeux politiques de la lutte contre le vih, au-delà de la question médicale et scientifique. Il continuera de nous inspirer dans notre objectif pour atteindre la fin de l’épidémie d’ici 2030 »
- Jack Lang, président de l'Institut du Monde Arabe, Ministre de la Culture de François Mitterrand
« Passionné d'architecture et érudit polyglotte, Frédéric Edelmann s'en est allé, sans jamais avoir craint de secouer l'indifférence. Journaliste de talent, il aura été un militant, combatif et imaginatif, pionnier de la lutte contre le sida. Pensées à ses proches »
- AJL, Association des journalistes LGBTQI+
« Frédéric Edelmann, journaliste au Monde, cofondateur de AIDES et du « Journal du sida », est mort. « Le sida prospère sur l’ignorance », affirmait-il. Il voulait sortir cette question des marges où la bonne société voulait le voir cantonné »
- Andy Kerbra, Député de la 2e circonscription de Loire-Atlantique LFI
« Hommage à Frédéric Edelmann.
Il a lutté avec persévérance pour faire admettre que « le sida prospère sur l’ignorance ».
Le combat contre l’invisibilisation et pour un accès à la prévention pour tous•tes doit se poursuivre, afin que le #VIH disparaisse à jamais »
- Philippe Mangeot, président d'Act Up-Paris de 1997 à 1999
« Frédéric Edelmann vient de mourir. Je l’aimais beaucoup. Je l’admirais aussi.
Il y a 28 ans, j’ai fait de lui, avec Thomas Doustaly, un entretien fleuve dont une version écourtée et policée a paru dans ‘Le Journal du sida’.
Il m’avait interrompu : si je posais tant de questions, c’est parce qu’il allait mourir ? Tout le monde le savait très malade, il avait peu de chance d’en réchapper. Il m’a détrompé. Il est allé chercher ses bilans biologiques – avant et après l’administration des toutes premières trithérapies. En moins d’une semaine, il était passé de zéro T4 à 200. J’ai compris qu’il allait vivre – que moi aussi j’allais vivre. Il en a pris pour 28 ans. Ce n’était pas un sursis : il a appris le mandarin et s’est fait pour Le Monde le chroniqueur des mutations urbaines de la Chine du début des années 2000.
Frédéric n’était pas uniquement critique d’architecture. Il est l’un des plus grands héros de la lutte contre le sida. L’un des plus discrets aussi : il était trop orgueilleux pour se mettre en avant. Mais c’est chez lui qu’ont eu lieu les premières réunions d’AIDES en 1984-85, avec Daniel Defert. C’est lui qui a structuré l’association ; lui qui a mis en route dans son appartement de la rue Michel-le-Comte la permanence téléphonique qui deviendrait plus tard Sida-Info-Service. Il est de ceux qui ont dû tout inventer quand il n’y avait rien.
Début 1987, il rompu avec AIDES, au terme d’un conflit sur des questions stratégiques. Il a rejoint l’Arcat, qui vivotait depuis 1985, et en a fait une grande association de lutte contre le sida, autour de l’idée de coalition des savoirs : un groupe de médecins, de juristes, de sociologues, d’épidémiologistes, de travailleurs sociaux ou de journalistes, qui dressaient des ponts entre leurs disciplines respectives.
Frédéric et moi, on adorait s’engueuler. Il me disait qu’au moins, entre Act Up et l’Arcat, ça ne faisait pas « des drames qui remontaient à Dieu-le-Père ». On a bossé ensemble, on s’est beaucoup chamaillés. Et c’était parfait comme ça.
J’oubliais : je le trouvais très beau. »
- Yan Fournet, militant à AIDES
« C'était en 1994, ça faisait quelques années que j'étais parisien, et je découvrais mon homosexualité en même temps que le sida. En effet, après une relation de quatre années avec une fille, je tombais amoureux de mon premier petit copain, il était séropositif. J'étais alors militant à Amnesty International, et je décidais aussitôt d'arrêter pour rejoindre la lutte contre le VIH/sida. J'avais retenu trois assos : AIDES que j'ai rejoint depuis, Act up-Paris, et Arcat-sida.
La moins connue était la troisième, dont j'ai poussé la porte un jeudi soir lors d'une « soirée porte ouverte » pour recruter des bénévoles. C'était l'hiver, et je ne connaissais pas grand-chose du monde associatif, et encore moins du monde du VIH. Nous étions quelques-uns-es à attendre. Un gars s'est pointé, très décontracté, les cheveux en bataille, un peu débraillé avec un charisme de fou. Il nous a parlé de l'asso, de sa vie, de son engagement, de sa séropositivité... Il m'a bouleversé, emporté dans ses paroles. Je n'avais jamais entendu ça. Je me souviens que j'avais adoré. Il était exactement ce que j'avais envie d'être alors même que je débutais ma vie. Je n'avais qu'une envie, le rejoindre dans son combat.
Grâce à lui je suis devenu bénévole d'ARCAT-sida, puis salarié un an après. Je m'accomplissais tellement, c'était tellement enrichissant, épanouissant. Cette rencontre a transformé ma vie, littéralement. Je n'ai jamais regretté.
Cet homme était un grand homme, un grand militant, un humaniste. Il était très drôle, et parfois sarcastique, notamment sur la maladie. Cet homme je l'ai tellement admiré et aimé. Cet homme était Frédéric Edelmann, et je viens d'apprendre son décès.
Repose en paix Frédéric, et merci beaucoup pour tout. J'ai adoré te croiser »