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    L'Actu vue par Remaides : Vieillir avec le VIH : Quels besoins dans les parcours de santé ?

    • Actualité
    • 26.04.2024

    TABLE RONDE

    © Fred Lebreton

    Par Fred Lebreton  

    Vieillir avec le VIH : Quels besoins dans les parcours de santé?

    Ces dernières années, les initiatives sur le vieillissement avec le VIH se sont multipliées. Le sujet intéresse les personnes vivant avec le VIH, les associations et les soignants-es qui les accompagnent, peu les décideurs-ses politiques. Un projet d’étude, « Vieillir avec le VIH », lancé par MoiPatient et ses partenaires, entend changer la donne. Le 9 avril dernier, un séminaire organisé à Paris était consacré à la restitution des résultats de cette étude inédite. La rédaction de Remaides y était et propose un décryptage de ces résultats en quatre articles. Premier épisode sur les besoins des PVVIH concernant leurs parcours de santé.
     

    Le VIH, une pathologie de personnes âgées?

    Mardi 9 avril, 2024, salle pleine à la Mairie du Xe arrondissement à Paris. Des acteurs-rices associatifs-ves, des soignants-es et des personnes concernées se sont réunis-es pour assister à la restitution de la première étude d’envergure française sur le vieillissement avec le VIH. Le VIH sera-t-elle une pathologie de personnes âgées en France dans les années à venir ? La question est volontairement provoc, mais en se penchant sur quelques chiffres, elle fait sens. Aujourd’hui, on estime qu’environ 175 000 personnes vivent avec le VIH en France. Chaque année, ce sont environ 5 000 nouvelles découvertes qui sont recensées. La moitié des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont aujourd’hui plus de 50 ans. Une nouvelle découverte de VIH sur cinq touche également une personne de plus de 50 ans. La question du vieillissement est donc une thématique centrale de la prise en charge du VIH. Les PVVIH dépistées et traitées aujourd’hui ont une espérance de vie équivalente à celle d’une personne séronégative et vont donc vivre longtemps, ce qui est une excellente nouvelle. Avec la prévention combinée (Prep, dépistages, Tasp), le nombre de nouvelles découvertes de VIH est censé diminuer dans les prochaines années. Même si l’objectif de zéro nouvelle transmission en 2030 semble illusoire, tout porte à croire que d’ici 10 ans, le VIH concernera de moins en moins de jeunes personnes. 

    Quid des PVVIH infectées depuis des années, voire des décennies pour certaines ? En introduction de cette journée, Jean-Luc Romero-Michel (adjoint à la Maire de Paris en charge des Droits humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations) a rappelé que même si pour lui, comme pour beaucoup de PVVIH diagnostiquées dans les années 80/90 « vieillir aussi longtemps n’aurait pas été imaginable, vieillir avec le VIH ne doit pas être une double peine ».

    Des difficultés pour voir certains-es professionnels-les de santé

    Concernant la prise en charge, 89,6 % des répondants-es ont déclaré avoir un-e médecin traitant-e/généraliste. Pour 5,6 %, c’est l’infectiologue qui est le-la médecin traitant-e/généraliste. La fréquence de consultation est d’environ tous les mois pour 16,9 % des répondants-es, environ une fois par trimestre  pour 54,2 % et environ une fois par an pour 27,2 %. L’étude révèle des difficultés exprimées par les répondants-es pour voir certains-es professionnels-les de santé, en particulier les gynécologues (36,4 %), les kinésithérapeutes (34, 2 %) et les travailleurs-ses sociaux-les (44,4 %). En ce qui concerne les liens avec les travailleurs-ses sociaux-les, 18,9 % des répondants-es déclarent rencontrer parfois un-e travailleur-se social-e, 68,7 % estiment être autonomes ou très autonomes dans leurs démarches administratives et financières en ligne. Enfin, 14,9 % ont besoin qu’on le fasse à leur place.

    Données inquiétantes : plus de 45 % des répondants-es ont déclaré ne pas voir de dentiste de façon régulière (au moins une fois par an) dont 7,5 % jamais. Parmi les raisons invoquées : 37,9 % ont répondu par manque d’argent, 13,8 % par gêne et 6,9 % par manque de temps. Pire encore pour le suivi proctologue/gastroentérologue puisque plus de 70 % des répondants-es n’ont pas de suivi régulier. Parmi les raisons invoquées : 19,2 % ne connaissent pas cette spécialité, 14,1 % n’y vont pas par gêne, 6,4 % par manque d’argent et 2,6 % par manque de temps.

    Autre sujet de préoccupation soulevé par les résultats de l’étude : 38 % des répondants-es ne font pas de bilans de synthèse annuels (BSA) et 24 % ne savent pas de quoi il s’agit.

    Des sujets jamais abordés avec certains-es professionnels-les

    Certains sujets importants dans la prise en charge globale d’une personne qui vieillit avec le VIH ne sont jamais abordés avec certains-nes professionnels-les de santé. C’est le cas des stigmatisations et discriminations (29, 7 % des répondants-es n’en parlent jamais en consultation) ; des besoins et démarches administratives (29, 6 %) ; de l’isolement (28,7 %) ; des violences sexuelles (28,2 %), de la vie sociale (27,5 %) ; des démarches pour organiser les aides à domicile (27, 2 %) ou encore de Indétectable = Intransmissible (16, 3 %). Parmi les difficultés rencontrées dans les parcours de soins des répondants-es, trois réponses sortent du lot : la difficulté à trouver un-e professionnel-le disponible (28 %) ; le manque de temps/de disponibilité des professionnels-les (23,1 %) ; le manque coordination entre professionnels-les en charge du suivi (21,4 %).

    Des préoccupations quant au départ à la retraite de leur infectiologue

    Malgré ces « trous dans la raquette » dans la prise en charge, 90,8 % des répondants-es estiment que leur prise en charge VIH améliore leur qualité de vie. Par ailleurs, les patient-es ne sont pas les seuls-es à vieillir, leurs soignant-es aussi. Parfois, un lien fort s’est créé au fil des années. Ainsi, 53,2 % des répondants-es se disent préoccupés-es par un prochain départ à la retraite de leur infectiologue et 46,6 % ne pensent pas que leur médecin généraliste pourrait à l’avenir prendre en charge tout le suivi de leur traitement VIH. Citons quelques verbatim issus des réponses concernant la prise en charge des personnes : « Très bonne dans l'ensemble ! » ; « J'ai de la chance de vivre en France, très bonne prise en charge » ; « Dans mon état qui est bon, je ne vois pas de meilleure prise en charge ». 

    En croisant ces résultants selon trois tranches d’âge (de 50 à 59 ans, de 60 à 69 ans et plus de 70 ans), l’analyse montre peu de différences en termes de professionnels-les consultés-es dans les douze derniers mois. Il est observé moins de consultations annuelles du dentiste pour les plus de 70 ans (41,3 % versus 56 % des moins de 60 ans et 58,7 % des 60-69 ans). On constate aussi moins souvent de difficultés dans les parcours de soins pour les plus de 70 ans (pas de difficultés pour 53,2 % versus 29,9 % des moins de 60 ans et 31,8 % des 60-69 ans). Enfin, d’après les résultats, on voit plus d’impact déclaré de la prise en charge VIH sur la qualité de vie pour les plus de 70 ans (98 %).

    Peu de répondants-es nés-es à l'étranger

    En conclusion de cette journée, une table ronde était organisée pour commenter ces résultats. Citons les propos de Christophe Martet (journaliste et président de Vers Paris sans sida) qui pointe un biais dans cette étude : « Je me permets juste un petit regret, c'est qu'effectivement il n'y ait pas suffisamment de répondants parmi les personnes nées à l'étranger, migrantes en particulier. C'est un peu dommage parce qu'elles représentent aujourd'hui une proportion très importante des nouvelles infections en particulier les femmes migrantes d'origine subsaharienne ». Le militant souligne l’importance de documenter le vécu de ces populations en rappelant que les PVVIH migrantes vivent avec des doubles, voire triples discriminations. Il cite notamment les hommes gays ou bisexuels nés à l’étranger qui subissent le racisme, l’homophobie et la sérophobie, mais aussi les femmes nées à l’étranger qui subissent le racisme, le sexisme et la sérophobie. Et l’ancien président d’Act Up-Paris de conclure sur une note plus optimiste : « Oui, de toute façon, la vieillesse, ça craint comme disait un copain américain « Life is a bitch and then you die », « La vie est dure et après vous mourrez », mais ce que j'ai vu [dans cette étude, ndlr] et qui m'a plutôt plu c'est que, visiblement, plus on est vieux plus, plus on est résilient. Moi, je dis souvent que la vieillesse n’est pas la pire chose qui puisse m'arriver ou qui puisse arriver aux séropos. On ne pensait pas vieillir (…) et c’est important de se souvenir d'où nous venons et aussi de tous ceux qui ne sont plus là (…) Certes, la vie c’est en dents de scie, mais pour certains d’entre nous, la vie a mal commencé donc nous avons dû mettre en place des stratégies de résistance et des stratégies de combat ».

    LIRE LE DEUXIEME EPISODE DE CE DOSSIER

    Les résultats complets de l’étude seront mis en ligne prochainement sur le site MoiPatient.

     

    Méthodologie de l’enquête

    L'étude est réalisée avec l’appui de :
    - MoiPatient. Constitué à l’initiative de Renaloo, une association de patients-es, avec le soutien des pouvoirs publics, MoiPatient garantit un haut niveau de protection quant au respect de vos données personnelles ;
    - Cemka, entreprise spécialisée dans la recherche clinique, aide à la construction du questionnaire et analyse des données pseudonymisées pour production des résultats ;
    - Le laboratoire pharmaceutique ViiV, soutien institutionnel de l'étude.

    L’étude a été co-construite avec quatorze associations qui accompagnent les PVVIH : Les Actupiennes, Actions Traitements, AIDES, le Comité des familles, Da Ti Seni, Envie, Grey Pride, La Maison de vie, Les Petits Bonheurs, Marie Madeleine, RSMS, Séropotes, Sidaction et Tempo. Éude transversale sur la base de deux questionnaires en ligne et en papier (PVVIH et professionnels-les du champ médical et social qui les accompagnent). Étude lancée le 26 septembre 2023 et clôturée le 09 février 2024. Questionnaires longs (environ 220 questions et 30 à 40 minutes pour le compléter) mais majoritairement bien remplis. Près de 15,9% des répondants-es ont bénéficié d’une aide pour remplir le questionnaire, dont la quasi-totalité (96,3 %) par une association VIH.

     

    Qui a répondu à cette enquête ?

    Au total, 433 réponses ont été collectées (77 en papier), dont huit questionnaires exclus car très incomplets soit un total de 425 personnes. Population totale PVVIH de plus de 50 ans en France : 88 460 (source : plateforme Data Ameli fournies par l’Assurance maladie en 2021). Âge moyen des répondants-es : 60,7 ans. Une population globalement conforme à celle attendue avec une surreprésentation des PVVIH de sexe masculin (72, 3 %) vivant majoritairement en région parisienne (45, 9 %). Les tranches d’âge les plus représentées sont les 50 à 59 ans (46, 9 %) et les 60 à 69 ans (41, 9 %). Seules, 11, 2 % des PVVIH de plus de 70 ans sont représentées dans cette enquête. Par ailleurs, 36 % vivent en couple et 28 % ont des enfants. Concernant l’orientation sexuelle, 61,8 % des répondants-es déclarent être homosexuels-les, 30,3 % hétérosexuels-es, 3,4 % bisexuels-les  et 2,6 % ne souhaitent pas préciser. Enfin, 81 % des répondants-es sont nés-es en France, 18 % sont nés-es à l’étranger (1 % n’a pas renseigné son pays de naissance).