L’Actu vue par Remaides : « Tout le monde l’a su… même les mouches et les fourmis ont su que j’étais séropositive ! »
- Actualité
- 29.03.2025
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Par Jean-François Laforgerie
Spécial Sérophobie :
"Tout le monde l'a su... même les mouches et les fourmis ont su que j'étais séropositive !"
En juillet 2024, le groupe Bisso s’est réuni pour échanger sur la sérophobie ; un sujet de partage d’expériences, proposé par la rédaction de Remaides à l’occasion du numéro spécial consacré à la sérophobie. Le groupe Bisso existe depuis longtemps à AIDES. Il accueille à 95 % des personnes afro-caribéennes. Un des objectifs de ce groupe est de rendre plus autonome les personnes qui y participent et de leur permettre d’être actrices de leur santé globale. Durant près de quatre heures, les échanges ont été nourris à propos de la sérophobie. La rédaction de Remaides y était.
Lorsqu’on demande à Salomé si elle a connu un épisode de sérophobie lors de son parcours de vie, long, avec le VIH, elle se fait pensive et reprend le fil de son parcours. « J’étais malade, mais on n’avait pas encore détecté la maladie. Je vivais au Cameroun à ce moment-là et on n’arrivait pas à me dire ce que j’avais.
Ma fille qui vivait en France venait d’y accoucher… je viens lui rendre visite. Avant mon séjour, et durant mon séjour en France, j’avais un problème intestinal, un mal au ventre quasi constant. Je passe des examens et c’est à cette occasion que j’apprends que je suis séropositive au VIH. J’entre alors dans un parcours de soin avec infectiologue, psychologue, assistante sociale. Lorsque j’étais hospitalisée, je me rappelle d’avoir été confrontée brutalement à la réalité. C’était du fait d’une aide-soignante du service où j’étais. C’est elle qui m’a dit texto « que j’avais le sida », le médecin ne me l’avait pas encore dit. Il me l’a confirmé lors d’une visite en chambre dans le service, accompagné d’internes. « On ne guérit pas du VIH, m’a-t-il expliqué, mais vous avez 53 ans, vous pouvez vivre avec ». J’ai démarré un traitement anti-VIH ; trois mois après son démarrage, j’avais une charge virale indétectable. J’étais venue avec un visa de tourisme pour voir ma fille et son enfant, il ne restait que deux mois de validité du visa ; je n’avais pas d’argent pour payer le traitement. J’ai alors entendu parler de l’association Ikambéré que je suis allée voir. Ma situation était particulière. Je n’avais pas décidé de rester en France. Bien sûr, après la découverte de ma séropositivité et le démarrage d’un suivi, j’avais eu droit à un check up complet, ce que je n’aurais jamais eu dans mon pays. On m’a expliqué qu’en plus du VIH, j’étais co-infectée par le VHC. Pour cette maladie, le traitement n’était pas accessible pour moi au Cameroun. Je me suis dit que si je rentrais, je pouvais mourir faute de soins nécessaires, je n’avais pas d’autre choix que de rester. J’ai commencé un traitement anti-VHC… J’ai pris du temps, mais j’ai accepté la maladie. Je me bats maintenant, je continue ma vie. Je sais que ce n’est pas le sida qui me donne mal aux genoux ; c’est la vieillesse, tout simplement.
Une expérience détestable, une personne du groupe en a une en tête. Elle concerne le milieu médical. « C’est comme dans tout, il y a du hasard. Tout dépend des personnes que l’on rencontre. Une médecin qui me suivait à l’hôpital de Montfermeil [Il s’agit du groupe hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil, Seine-Saint-Denis] me fait une lettre de recommandation pour une spécialiste du VIH, réputée, qui travaille dans un important service VIH dans un établissement parisien. Je suis dans le couloir, lettre en mains. La médecin parisienne sort de son bureau. Je lui donne le courrier, qu’elle ouvre et lit : « Tu as le sida ! Tu es d’où ? ». Je réponds : « Du Cameroun ». Elle me dit : « Je connais des médecins à Douala [la capitale économique camerounaise, ndlr] qui vont très bien te suivre. Tu peux rentrer au Cameroun ; tu vas être bien là-bas ». Je n’ai pas de consultation ; je quitte le couloir, tremblante. C’est Nicole [Nicole Tsague, qui fut longtemps militante à AIDES] qui m’a fait découvrir l’association, quelques temps plus tard.
Une expérience de sérophobie dans le champ de la santé, une autre personne en a un exemple. « Je suis chez le dentiste. Mon tour arrive. J’entre dans le cabinet, donne ma carte vitale. "Pourquoi êtes-vous à 100 % ?", me demande le dentiste. Je réponds que c’est parce que je suis malade. Il me demande : de quoi ? Je réponds que je vis avec le VIH, que ma charge virale est indétectable. Changement de ton du dentiste qui m’explique qu’il ne peut plus me recevoir, et que ce serait bien que je ne me représente plus à son cabinet. C’est l’incompréhension pour moi, d’autant que c’est mon médecin traitant qui m’avait envoyé vers ce dentiste ». Cet épisode date de 2014, il y a dix ans, mais manifestement il a marqué.
Autre expérience. « Je suis venue en France en 2007 pour la première fois. Avant, je dirais vers 1999, j’avais un conjoint. Il avait eu un zona et des maladies opportunistes… Il en avait parlé. J’ai découvert ma séropositivité durant ma grossesse. Je me rappelle dde plusieurs épisodes qui traduisent la sérophobie. Une fois, j’ai surpris une de mes collègues qui fouillait dans mon sac, alors que je revenais d’une consultation à l’hôpital… comme si elle cherchait une ordonnance, des boîtes de traitement… une preuve que j’étais séropositive…
Un autre épisode, c’était à l’Église où j’allais alors… une personne m’apostrophe et me demande sur un ton de reproche : « Pourquoi vous osez mettre au monde un enfant… qui sera bientôt orphelin ?» « Être diagnostiquée pour le VIH pendant la grossesse n’a pas du tout été facile, pour moi ; la famille. Pourtant, il est important de faire un dépistage… je dis cela aussi pour donner la force à d’autres femmes d’aller vers le dépistage. » « Des informations un peu apaisantes, j’en ai eu auprès du médecin spécialiste qui m’a expliqué l’enjeu du traitement, le fait d’avoir une bonne immunité ».
Autre exemple. « J’ai eu du mal à trouver un médecin généraliste qui accepte de me suivre. Le médecin VIH m’avait fait une lettre d’adressage pour que je trouve un généraliste. Rendez-vous avec un premier médecin : refus. Le deuxième généraliste, pareil. Le troisième, même chose. Je dois bien expliquer que mon statut VIH fait partie de moi… finalement, au bout de nombreuses et longues démarches, un généraliste m’a finalement acceptée. Du côté professionnel, je n’ose pas parler de mon statut. C’est compliqué. Si je dis que je suis une personne en situation de handicap, c’est compliqué. Compliqué aussi d’expliquer qu’on préférerait avoir accès au télétravail… pour raison de santé. Finalement, au terme d’un long périple, j’ai eu gain de cause. J’ai un problème de dos… j’ai eu des difficultés pour obtenir un fauteuil ergonomique… À titre d’exemple, j’ai commencé ce travail en octobre et je n’ai eu le fauteuil adéquat à mon problème de santé qu’en mai de l’année suivante. Ce n’est qu’un siège. Imaginez un peu si, outre le problème de dos, j’avais dit que je vis aussi avec le VIH. Maintenant, je ne fais pas mention de la RQTH [reconnaissance de la qualité de travailleur-se handicapé-e, ndlr] pour que cela ne me porte pas préjudice dans ma carrière. Je cherche un poste qui collera avec mon statut, maisje sais que cette question se posera toujours. Moi, j’entends toujours rester dans la course ! » Christophe vit en région Île-de-France. Il a été diagnostiqué pour le VIH en 1993. Il a vécu avec le VHC. Il n’a été guéri de cette dernière infection qu’à la quatrième tentative de traitement. Aujourd’hui, il fait face à d’autres problèmes de santé. « Je suis un peu sourd, explique-t-il. Je suis traité pour le diabète, l’hypertension et de l’arthrose ». Il a été opéré d’une hanche : une prothèse a été posée à gauche ; à droite, ce sera pour bientôt. « J’ai une mauvaise circulation du sang et suis suivi par un urologue ; j’ai beaucoup de soins infirmiers. Je suis à peu près OK », admet-il. Résilient, il explique : « Je peux faire des choses, je peux me déplacer, mais pas trop loin [il doit s’aider de béquilles pour se déplacer]. Il faut faire avec. J’ai la chance d’être quelqu’un de très optimiste… sinon je ne serais pas là ». A-t-il été confronté à la sérophobie ? « Je n’ai jamais eu de problème au travail. Tout le monde le savait pourtant. À cette époque [il est à la retraite aujourd’hui], j’étais agent de bureau au service courrier dans une grande entreprise, avec de grandes distances à parcourir à pied. J’ai obtenu un mi-temps thérapeutique de la part du médecin du travail. L’épisode qui a été difficile pour moi, c’est le traitement de l’hépatite C. Pour le premier, j’ai été arrêté pendant plus de huit mois. C’était très difficile ; j’étais KO tout le temps. Heureusement que je pouvais compter sur l’aide de ma mère. C’est surtout cette période qui a été difficile. À mon entrée dans l’entreprise, j’étais déjà en situation de handicap ; rien à voir avec le VIH ou le VHC, j’avais subi une intervention au dos avec la pose d’une barre de fer en soutien d’une partie de la colonne vertébrale. Le VIH et le VHC sont arrivés bien après ». Rien du côté professionnel donc, mais qu’en est-il de la vie personnelle ? « J’ai connu une femme séropositive au VIH, dans ma vie, mais, pour moi, le VIH a toujours été un obstacle aux rencontres. De mon expérience, la séropositivité, ça ne plait pas.
Dans les années 90 à 2000, la méconnaissance du sujet était très forte et la question était : « Faut-il le dire ? » Autre expérience. « J’avais rencontré quelqu’un. Cela marchait entre nous. Nous avions parlé mariage. On nous avait demandé de faire chacun le test. Nous avions une relation depuis deux ans ; moi, je ne savais pas que j’étais séropo. Les parents de la personne que je voulais épouser et ma mère s’y sont opposés. Je vis avec le VIH depuis 31 ans désormais… mais je me rappelle très bien que j’avais très mal pris l’annonce, que mon père, lui aussi, avait très mal pris la nouvelle ; il ne voulait d’ailleurs pas qu’on en parle, alors que ma mère oui. Mais je n’ai plus de problèmes avec la famille à ce sujet ». C’est comme une impression lancinante pour François. « La sérophobie, c’est monnaie courante. Pour moi, dire qu’on est VIH+ revient à être, d’une façon ou d’une autre, exclu de la société. Moi aussi, j’ai eu une mauvaise expérience dans le soin. C’était également un dentiste ; il y a quelques années. Je me rends dans un cabinet dentaire. Je dis au dentiste que je vis avec le VIH, que je suis en charge virale indétectable. Il demande une« preuve » de ce que j’avance, me dit de revenir le lendemain avec un exemplaire de mon bilan. Il me reçoit finalement le lendemain ; et pourtant ce n’était pas un dentiste âgé, il devait avoir la quarantaine. Autre exemple. J’ai un médecin traitant. Il me reçoit lors d’une consultation. Il est prévu qu’il me vaccine contre la grippe. Ce jour-là, il a un jeune collègue médecin qui est en stage. Le médecin traitant explique que c’est son jeune collègue qui va pratiquer l’injection. Le jeune collègue se prépare. Il l’interrompt et lui dit : « Vous savez le monsieur est séropositif ; il serait bien de mettre des gants ». Son jeune collègue met alors des gants avant de me vacciner. Cela m’a heurté. Je voulais parler, mais j’ai gardé mon calme. Je n’ai rien fait et j’ai changé de médecin traitant. Je n’ai pas compris cette réaction, ni ne l’ait acceptée, d’autant que ce médecin savait que j’avais une charge virale indétectable.
A. est arrivée en France en 2000. Les problèmes de santé commencent en 2005. Ils conduisent à des examens, réalisés à l’hôpital. Prise de sang ; le diagnostic pour le VIH est posé. Le résultat est positif. « Je suis choquée. Une assistante sociale qui me suit propose une orientation vers Ikambéré. Je suis très abattue à ce moment-là. J’y vois d’autres femmes qui vivent avec le VIH qui vont bien ; elles ont même bonne mine.
C’est là que je me suis ressaisie. Puis, je vais voir AIDES à Nanterre [Hauts-de-Seine]. Je participe à un groupe de femmes vivant avec le VIH. Le groupe quitte Nanterre pour venir à Saint-Denis [Seine-Saint-Denis], puis arrive sur Paris, dans le 8ème arrondissement. La vie avec le VIH n’est pas toujours facile, mais quand le remède bloque le virus, ça va ». Une expérience de sérophobie ? « Oui, un souvenir de 2006. Je vais voir une très bonne copine à moi et son mari. Je voulais leur expliquer pour moi, pour le VIH, mais j’avais un doute sur le fait d’en parler. Je le fais. Je n’aurai pas dû. Ils ont fait fuiter l’information et elle a largement circulé. Tout le monde l’a su… même les mouches et les fourmis ont su que j’étais séropositive. C’était il y a longtemps, mais cela m’a marqué. Maintenant, j’ai un autre message en tête : tu dois avancer ».
Remerciements à Patrick Descamps, coordinateur du lieu de mobilisation (LM) Paris 8, et à Patrick Kazarian, animateur d’action au sein du même LM.
Qu'est-ce que le groupe Bisso à AIDES ?
Le groupe Bisso (le terme signifie : « Entre nous ») se réunit très régulièrement en alternance sur deux lieux de mobilisation de AIDES : l’un à Saint-Denis ; l’autre à Paris, dans le huitième arrondissement. Le groupe existe de longue date. Il est composé à 95 % de personnes afro-caribéennes, qui comptent parmi les plus vulnérables au VIH et aux hépatites virales, mais n’est évidemment pas fermé aux personnes d’autres origines. Les militants-es de AIDES qui l’animent cherchent à créer du lien entre les personnes vivant avec le VIH ou les hépatites virales, à rompre l’isolement, voire la précarité dans lesquels les personnes se trouvent souvent, à faire émerger les besoins et à construire collectivement des stratégies permettant d’améliorer leur qualité de vie. L’objectif est donc que les personnes aient l’envie et trouvent les moyens d’être plus autonomes et qu’elles deviennent actrices de leur santé globale. Les participants-es au groupe Bisso sont souvent rencontrés-es lors des permanences hospitalières tenues par AIDES à Paris.
Les personnes qui souhaitent participer au groupe Bisso peuvent contacter les lieux de mobilisation de Saint Denis au 01 41 83 81 60 et de Paris 8 au 09 53 16 50 25.