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    L’Actu vue par Remaides : « Tabac & VIH : clope de fin »

    • Actualité
    • 15.11.2025

     

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    Crédit Photo : Anthony Leprince pour Studio Capuche pour Remaides.

    Par Jean-François Laforgerie

    Tabac et VIH : clope de fin !

    En 2024, une enquête initiée par Actions Traitements et ses partenaires, dont AIDES, a été menée auprès des personnes vivant avec le VIH (fumeuses ou l’ayant été) et des professionnels-les de santé qui les prennent en charge. Son objectif : « Mettre en évidence les bons leviers, les bons messages pour accompagner celles et ceux qui le souhaitent dans une démarche d’arrêt du tabac ». Précédemment, Remaides est revenue sur les résultats marquants de cette enquête et les enjeux de prise en charge (respectivement les numéros 131, printemps 2025, et 132, été 2025). Un nouveau programme d’accompagnement communautaire d’arrêt du tabac est proposé. Présentation par Ashveni Convence (Actions Traitements) et Denis Payen (AIDES, Lieu de mobilisation de Paris 19).

    Bis repetita
    En matière d’arrêt du tabac, un des préceptes tient d’un proverbe japonais : « Le succès c'est tomber sept fois, se relever huit. » De fait, dans de nombreux cas, le succès d’un arrêt de consommation tient au fait d’avoir répété et répété les tentatives ; d’avoir essayé les patchs nicotiniques, ou l’hypnose, l’auriculothérapie, ou les entretiens motivationnels, d’avoir arrêté lors de l’opération Moi(s) sans tabac en compagnie de quelques proches, voire tenter seul-e l’arrêt du jour au lendemain, ou passer à la e-cigarette (même si son usage fait encore débat), etc. Le recours réitéré autant que nécessaire à différentes méthodes est souvent la clef du succès. Mais pourquoi arrêter ? Pour des raisons de santé, bien sûr. Pour retrouver le goût et l’odorat, une meilleure respiration, réduire voire supprimer la toux, avoir une meilleure haleine, pour des raisons financières (on fait de substantielles économies, plusieurs centaines voire milliers d’euros annuels), parce que certains bénéfices en santé surviennent rapidement après l’arrêt, notamment dans le domaine cardio-vasculaire et surtout parce qu’il n’est jamais trop tard pour arrêter. À tous les âges, les tentatives valent le coup. Autrement dit, on aura un net bénéfice à l’arrêt du tabac, même après des années et des années de consommation.

    Une nouvelle offre d’accompagnement à l’arrêt
    « Aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH bénéficient de la même offre que celle qui est proposée en population générale. Elles peuvent être accompagnées par des addictologues, des tabacologues et d’autres professionnels de santé, dont le médecin généraliste ou l’infectiologue. Le souci, c’est que, si en Île-de-France, mais aussi dans les grandes villes, il est possible de trouver des tabacologues et des addictologues, c’est plus difficile dans les villes plus petites. De plus, lors des échanges avec le médecin généraliste ou l'infectiologue, l’arrêt du tabac n’est pas souvent le sujet principal de la consultation. Le sujet est peu évoqué, faute de temps ou parce que le médecin est peu à l’aise avec le sujet. Les résultats de notre enquête tabac et VIH nous l’indiquent », explique Ashveni Convence, référente Thérapeutique et Qualité de vie à Actions Traitements et en charge de la coordination du programme d’arrêt du tabac. « Ce que propose notre programme est un accompagnement au sevrage tabagique spécifique aux personnes vivant avec le VIH. Sachant que les personnes vivant avec le VIH consomment davantage de tabac que la population générale (voir Remaides N°132, été 2025), précise Ashveni Convence. Pour le moment, nous proposons des consultations avec une infirmière tabacologue en présentiel, puis des entretiens motivationnels répartis sur plusieurs mois. Des groupes de parole vont être mis en place petit à petit lorsque le nombre de participants et participantes sera plus élevé. »

    Une participation simple par étapes
    « La personne intéressée appelle AIDES ou Actions Traitements [voir visuel de la campagne ci-dessous, ndlr] pour prendre rendez-vous. Le premier rendez-vous consiste en un entretien pour faire connaissance, faire une sorte d’historique de la consommation de tabac : Depuis quand la personne fume-t-elle ? Dans quel contexte a démarré cette consommation ? Cette consommation est-elle antérieure ou postérieure au diagnostic du VIH ? », explique Denis Payen, coordinateur du lieu de mobilisation de Paris 19 de AIDES. « C’est un entretien où l’on prend vraiment le temps d’échanger. Il est centré sur le tabac, mais parfois sont évoquées d’autres consommations telles que l’alcool voire d’autres produits. Des consommations qui peuvent n’avoir jamais été évoquées et pour lesquelles on pourra proposer une orientation. Ce qui fait partie de nos missions d’accompagnement », souligne-t-il.
    « Après ce premier entretien d'accueil, on va caler un premier rendez-vous avec la tabacologue », explique Ashveni Convence. Il a lieu assez rapidement, quelques jours après l’entretien, dont l’infirmière tabacologue a pris connaissance du contenu. Cette consultation dure moins d’une demi-heure et donne lieu à une prescription de substituts nicotiniques. « Après ce premier rendez-vous avec la tabacologue, il y a toujours un appel au bout de deux à trois jours après que la personne a commencé à utiliser les substituts nicotiniques. C’est principalement pour vérifier qu'il n'y ait pas de surdosage ou de sous-dosage des substituts. Si c’est le cas, l’infirmière tabacologue leur envoie une nouvelle ordonnance permettant de rectifier le dosage afin qu’il soit adapté à la personne », précise la coordinatrice du projet. « Une fois, ces deux premières étapes franchies, sont alors proposés de nouveaux rendez-vous téléphoniques avec la tabacologue, toutes les deux semaines au début, puis chaque mois. Ces rendez-vous sont plus courts : une quinzaine de minutes environ. Et cela pendant six mois. Mais sans doute, selon les besoins, l’accompagnement pourra être plus long. »

    « Entre les rendez-vous téléphoniques avec la tabacologue, des entretiens motivationnels sont proposés selon les besoins de la personne, explique Denis Payen. C’est une façon de prendre des nouvelles au moyen d’un suivi téléphonique assuré par l'équipe du lieu de mobilisation de [AIDES], Paris 19, antenne spécialisée dans l’accueil des personnes vivant avec le VIH. On voit si la personne connaît des difficultés d’usage des substituts [non prise, problèmes de dosages, etc., ndlr], si elle a envie ou besoin qu’on la rappelle. La personne peut aussi prendre contact avec nous à tout moment pour venir ici en présentiel, discuter avec les équipes de ses difficultés, ou pas d'ailleurs. Parfois, juste pour échanger sur sa consommation, sur l'arrêt surtout et les bienfaits qu’on en retire. "J'ai retrouvé le goût, l'odorat, je respire beaucoup mieux, etc." Ou encore faire attention au fait que l'arrêt du tabac, même avec les substituts, ne soit compensé par autre chose : de la nourriture, voire de l’alcool. »

    Qui participe aujourd’hui et quels sont les objectifs du projet ?
    « Pour l'instant [en date du 16 septembre, ndlr], treize personnes font partie du programme ; principalement des hommes, explique Ashveni Convence. Pour la plupart, ce n’est pas la première tentative d’arrêt du tabac Une seule personne a expliqué, lors de son premier entretien, qu’elle avait estimé, après une très longue consommation, qu’il était mieux pour sa santé d'essayer d'arrêter pour la première fois. Pour les personnes qui ont déjà essayé de mettre fin à leur consommation, elles ont déjà fait plusieurs tentatives, mais elles n'ont pas réussi à arrêter. Souvent, elles ont fait ça, d’un coup, plutôt seules, sans être accompagnées par un professionnel de santé. Une personne a évoqué l’hypnose [dont l’efficacité dans l’arrêt du tabac n’a, à ce jour, pas été démontrée scientifiquement, ndlr], mais cela n'avait pas du tout marché sur elle. ». Les consommations sont anciennes ; la plupart sont antérieures au diagnostic de séropositivité au VIH.
    « En ce moment, des personnes viennent parce que leur infectiologue leur a parlé de notre programme », souligne Ashveni Convence. « En amont du lancement, il y a quelques mois, nous avons travaillé avec nos partenaires qui ont une file active de personnes vivant avec le VIH, avec les permanences hospitalières dans les hôpitaux parisiens et en banlieue, avec les équipes médicales. Nous avons distribué affiches et flyers pour faire connaître cette nouvelle offre », explique Denis Payen. « Il y a certains infectiologues qui jouent le jeu, constate Ashveni Convence. Du coup, on nous envoie quelques personnes. Ce qui est bien. » « Notre premier objectif est que nous nous fassions connaître beaucoup plus, explique la coordinatrice du programme. Un autre est de proposer un accompagnement bénéfique aux personnes qui rejoignent ce programme. Pour l’instant, il y a quelques personnes qui ont arrêté de fumer. Notre proposition sur le premier entretien et les premiers rendez-vous est en présentiel. Nous réfléchissons à proposer des rendez-vous en visio pour atteindre davantage de personnes qui ne peuvent pas trouver d’addictologues spécialisés dans la prise en charge du tabac. »

    Qui a monté ce projet ?
    « Ce programme d’accompagnement est une expérimentation qui fait suite à une enquête nationale Tabac et VIH [voir Remaides N°131, printemps 2025, ndlr]. Cela constitue un projet global construit et piloté par Actions Traitements », explique Denis Payen. Le projet comprend un volet « connaissance » avec les résultats de l’enquête Ipsos, l’offre d’accompagnement (conjointe par Actions Traitements et AIDES) et la réalisation d’outils modélisables pour une offre plus vaste. Le projet a été financé par Santé publique France et le Fonds de lutte contre les addictions de la caisse nationale d’Assurance Maladie.

    Comment y participer ?
    Pour obtenir plus d’informations ou prendre rendez-vous, il faut contacter Actions Traitements au 01 43 67 94 97 ou envoyer un mail à VIHtabac@actions-traitements.org. Les rendez-vous se déroulent dans les locaux de AIDES Paris au 99, rue de Meaux dans le 19ème arrondissement. Métro : ligne 5, station Laumière ou ligne 2, station Jaurès.

     

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    Crédit Photo : Anthony Leprince pour Studio Capuche pour Remaides.

    Une consommation antérieure à
    la séropositivité ou consécutive au
    diagnostic VIH ? 

    « Si on prend en compte la date de naissance et celle de la découverte du VIH, les personnes engagées dans le programme sont assez âgées. Lors des entretiens que j’ai menés, c'était souvent : "Je fume depuis que je suis ado".  En une seule occasion, on m’a parlé du stress lié au VIH comme élément déclencheur de la consommation de tabac. Je me rappelle très bien quelqu'un qui me disait : "C’est stressant. Du coup, le tabac, c'est un peu ma béquille." », explique Ashveni Convence d’Actions Traitements. « Dans l’enquête, les résultats indiquent que c’est une des idées reçues des professionnels de santé alors que les personnes vivant avec le VIH sont peu nombreuses à fumer pour "oublier le VIH et leurs traitements", environ 20 % dans notre enquête », souligne-t-elle. « Pour certaines personnes, c'est probablement cela [l’effet béquille, ndlr]. Je me demande d’ailleurs si ce n’était pas aussi ce que pensaient des professionnels de santé qui n'évoquaient pas du tout l'arrêt du tabac en consultation, notamment spécialisée VIH, parce qu'ils se disaient : "C'est bon. Les personnes ont déjà le VIH à gérer, on ne va pas en plus enlever la cigarette." Mais cette approche date d’il y a deux décennies. La plupart des médecins n’ont plus cette approche aujourd’hui. »
     

    Insister sur les bénéfices
    « Dans notre approche, on essaie toujours de parler du bénéfice lié à l'arrêt du tabac plutôt que de dire : "Ah ben voilà, vous fumez. Vous allez avoir tel ou tel problème, parce que la plupart des personnes sont déjà au courant. À quoi bon dire que le tabac n’est pas bon pour la santé ? Ce n’est pas un scoop, tout le monde est au courant », explique Ashveni Convence. « Il est préférable d’insister sur les bénéfices. On n’oublie évidemment pas d’informer quant à l’impact du tabac sur les comorbidités. Il y a tout de même davantage de risques à fumer pour une personne vivant avec le VIH. Certaines comorbidités peuvent être plus sévères, voire peuvent survenir plus tôt », mais « on met en avant les bénéfices » comme une meilleure respiration, le retour du goût et de l’odorat, une meilleure dentition, moins de toux, etc.

    Denis : "Pour moi, rechuter fait partie du processus de sevrage"

    Militant de AIDES, Denis Payen, est le coordinateur du lieu de mobilisation (LM) de AIDES dans le 19ème arrondissement de Paris ; un LM dont les activités portent principalement sur l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH. Denis vit avec le VIH. Il était fumeur et revient sur ses expériences d’arrêt du tabac.

    « Mon parcours, ce sont des tentatives d’arrêt avec de petites rechutes. Je me suis cassé le bras, il y a quelques semaines [été 2025, ndlr]. Le médecin m’avait donné six semaines d'arrêt. Au bout d'une semaine, je revoyais mon médecin. Je lui ai expliqué que côté santé mentale, je n’allais pas pouvoir rester inactif si longtemps. Le médecin m'a autorisé à recommencer à travailler, mais à mi-temps, puis j’ai enchaîné sur des congés. J'avais recommencé à fumer un peu, de temps en temps, puis je suis assez vite retombé dans mes habitudes. Pour moi, cela fait partie du processus de sevrage que de rechuter et c'est pour ça qu'il ne faut pas hésiter à en parler autour de soi, ce que j’ai fait Et là, à nouveau, j'ai arrêté de fumer.

    J’ai fait plusieurs tentatives d’arrêt. Mon plus long arrêt a duré dix ans, puis j’ai repris. On reste toujours un ancien fumeur avec parfois une possibilité de reprise. Et pourtant dix ans, c'est long. J'ai repris à un moment où c’était compliqué dans ma vie. Je savais que le sevrage pouvait être long et parfois difficile.
    Pour mon dernier arrêt en date, celui entamé en novembre, c’est l’aspect financier qui a joué : une dépense quotidienne de 12 euros [en cigarettes]. J'ai commencé avec des patchs à 25 mg de nicotine, tous les jours. Je suis descendu, entre novembre et mai, par pallier, à 21 mg et puis à 15 mg. Une fois arrivé à 15 mg, cela m’a mis en panique parce que j’ai ressenti du manque. J’ai dû reprendre le dosage à 21 mg. Et je me suis senti beaucoup mieux. Les patchs sont gratuits sur prescriptions médicales. Je pouvais en bénéficier, mais j’ai fait le choix de les payer moi-même parce que cela me motive à poursuivre. Je vais les chercher en pharmacie. J'ai le conseil du pharmacien. J'ai un très bon pharmacien qui me suit. Il me connait. Il sait que je vis avec le VIH. J’aurai d’ailleurs pu entrer moi-même dans le programme, mais je poursuis avec mon pharmacien. Il m’a donné de très bons conseils, il m’a recommandé de modifier le dosage des patchs. Il m'a aussi encouragé en me disant : « Vous avez rechuté. On va reprendre si vous le souhaitez. Il m’a proposé des alternatives aux patchs comme des gommes. Mais, je n'aime pas ça.

    Ma routine maintenant, c'est le matin, je me lève, je mets mon patch de nicotine. Et ça, il ne faut vraiment pas oublier. Il faut être super vigilant quand tu mets tes patchs. Il peut arriver que tu oublies de mettre ton patch. Et puis, tu ne t'en rends pas compte tout de suite. Tu te rends compte au cours de la journée qu’il te manque quelque chose, tu ne sais pas trop quoi, puis tu te dis : "Ah merde, j'ai envie de fumer. Bah oui, je n’ai pas mis mon patch ». Et le manque de nicotine arrive assez rapidement alors tu gères au mieux ta journée, mais ce n’est pas simple. Cela m'est arrivé à plusieurs reprises : tu résistes, tu rentres le soir, tu mets un patch. Moi, je les enlève la nuit. Même si la pose de rattrapage de fin de journée ne dure que trois heures, je l'enlève quand même avant de me coucher parce que cela me fait faire des cauchemars.
    Mon médecin infectio ne m'a jamais questionné pour savoir combien de cigarettes je fumais, si j'avais envie d'arrêter ou pas. Je n’ai pas eu d’infos non plus sur l’impact sur ma santé en tant que personne vivant avec le VIH. Je ne me rappelle pas d’avoir ce genre d’échange avec l’infectio. J’ai décidé de moi-même d’arrêter avec mon médecin de ville auquel j’ai demandé à plusieurs reprises depuis 2011 de me prescrire une radio des poumons pour avoir un contrôle régulier. Cela a fait suite au décès de mon père des suites d’un cancer des poumons qui s’est généralisé. Comme il n’y avait rien sur mes radios, cela ne me motivait pas trop à l’arrêt. C’est un peu con, mais c’est comme ça. »

    Denis a fait plusieurs tentatives d’arrêts ; la dernière principalement motivée par les économies qu’il a faites. « Au vu de ma consommation, je pense avoir économisé avec l’arrêt pas loin de 3 000 euros sur un an. »