L'actu vue par Remaides Prisons : la réduction des risques à la peine !
- Actualité
- 18.08.2024
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Par Jean-François Laforgerie
Prisons : la réduction
des risques à la peine !
En 2016, le Parlement inscrivait, dans la loi Santé, l’extension à la réduction des risques (RdR) du principe d’équivalence des soins entre le milieu ouvert et le milieu fermé. Huit ans plus tard, le décret d’application n’est toujours pas publié et la loi n’est toujours pas respectée. Deux sénatrices, Anne Souyris et Annick Jacquemet, se sont emparées du sujet et ont décidé de constater d’elles-mêmes la situation de la RdR en prison : l’une à Montpellier, l’autre à Besançon. La rédaction de Remaides les a rencontrées et accompagnées à l’occasion de ces visites. Première partie d’un dossier dont la suite sera à lire cet automne.
Située à 12 km de Montpellier, dans l’Hérault, la maison d’arrêt de Villeneuve-Lès-Maguelone a été inaugurée en 1990, en remplacement de l’ancienne maison d’arrêt, vétuste, située en centre-ville. L’établissement en impose par sa taille, ses bâtiments en étoile ou en épis (selon le point de vue), ses infrastructures sportives (salle de musculation, piste d’athlétisme, impeccable terrain de foot et gymnase de belle taille), sa partie administrative, ses ateliers de travail, son service de santé. C’est bien simple, on ne voit que lui dans la zone plane, entièrement dégagée, où il a été construit. L’établissement comporte différents quartiers de détention : la maison d’arrêt proprement dite dont la « capacité opérationnelle » est officiellement de 587 places. Elle accueillait 889 personnes au 1er janvier 2024 — soit une suroccupation de plus de 150 %. S’y ajoutent un quartier pour mineurs : 16 personnes pour vingt places (la suroccupation y est strictement interdite et l’encellulement individuel) ; un quartier de semi-liberté pour hommes de 24 places et une structure d’accompagnement vers la sortie de 150 places (142 occupées en janvier 2024). En mai, on dénombrait 1 094 personnes détenues dans l’établissement ; 51 d’entre elles dormaient sur un matelas au sol.
Droit de visite
C’est dans cet établissement que la sénatrice (groupe Écologiste-Solidarité et Territoire) de Paris, Anne Souyris, a choisi d’exercer son droit de visite. L'article 719 du code de procédure pénale autorise les députés-es, les sénateurs-rices et les membres du Parlement européen à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur choix. Depuis la loi du 17 avril 2015, ils-elles peuvent être accompagnés-es par des journalistes, lors de leurs visites. Ce n’est pas le premier établissement de privation de liberté que visite la parlementaire. Depuis le début de son mandat, Anne Souyris a déjà exercé son droit de visite au Centre de rétention administrative de Vincennes en région parisienne et à la maison d’arrêt de Versailles dans les Yvelines (Île-de-France). L’établissement de Versailles, construit au XVIIIème siècle, mais rénové, accueille uniquement des femmes : des prévenues en attente de jugement et des personnes condamnées. Cette seconde visite francilienne qui s’est déroulée le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, a été placée sous le thème de la santé. La sénatrice y a d’ailleurs consacré un billet de blog le 19 mars. La santé, c’est un sujet que la parlementaire connait bien (elle a été adjointe à la Santé à la mairie de Paris) et sur lequel elle a pris plusieurs initiatives, dont deux questions écrites au gouvernement : l’une sur l’accès aux soins en prison, l’autre sur la mise en place effective de la réduction des risques (RdR) en détention. Tout début mai, la visite à la maison d’arrêt de Villeneuve-Lès-Maguelone s’est, elle aussi, placée sous le thème de la santé et particulièrement de l’absence de RdR dans les établissements pénitentiaires. Un sujet sensible sur lequel le statu quo actuel ne convient pas à certains-es élus-es (dont Anne Souyris) et à une bonne partie de la société civile qui s’intéresse à ce qui se passe dans les prisons françaises.
Une histoire ancienne
En 2016, le Parlement inscrit dans la loi Santé de l’époque (la fameuse loi de modernisation de notre système de santé, qui instaure notamment l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque dites SCMR), le principe d’équivalence des soins entre le milieu ouvert et le milieu fermé à la réduction des risques (RdR). Autrement dit, après une offre de soins similaire hors et dans les prisons (qui existe déjà), il s’agit, cette fois, de mettre en place une offre de prévention en détention — dont la clef est la réduction des risques — qui soit semblable à celle qui existe déjà à l’extérieur. Cette loi est promulguée le 26 janvier 2016. Sa parution au Journal officiel est faite le lendemain ; ce qui ouvre la porte à son application. La loi constitue une forte avancée notamment sur le volet Prévention, un des axes majeurs du texte, avec l’accès aux soins et l’innovation. Le titre 1er du texte l’illustre d’ailleurs : « Renforcer la prévention et la promotion de la santé ». Le chapitre IV de cette section se veut plus explicite : « Soutenir et valoriser les initiatives des acteurs pour faciliter l’accès de chacun à la prévention et à la promotion de la santé ». Il comprend sept articles dont l’article 41 qui détaille les grands axes de la réduction des risques (à laquelle la nouvelle loi adjoint la notion de « dommages »). « La politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants », explique le texte. L’article énonce différents éléments qui y contribuent. Ils sont d’ailleurs détaillés. Ce sont, par exemple, le fait de « délivrer des informations sur les risques et les dommages associés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants » ou encore le fait de « promouvoir et superviser les comportements, les gestes et les procédures de prévention des risques. La supervision consiste à mettre en garde les usagers contre les pratiques à risques, à les accompagner et à leur prodiguer des conseils relatifs aux modalités de consommation des substances mentionnées (…) afin de prévenir ou de réduire les risques de transmission des infections et les autres complications sanitaires. Elle ne comporte aucune participation active aux gestes de consommation », etc. Et puis, il y a cette mention dans la loi : « La politique de réduction des risques et des dommages s'applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral ».
Cela sent l'embrouille
Une rédaction complexe (alambiquée ?) qui ouvre la porte aux interprétations. D’un côté, la loi décline les actions qui peuvent être menées hors et dans les prisons. C’est donc pareil puisqu’on peut théoriquement y faire la même chose. De l’autre, ce « pareil » doit se faire avec des « modalités adaptées » à la détention. Conclusion, ce n’est pas pareil ! On en est là en 2016, dans une sorte de « en même temps » avant l’heure. Les plus optimistes se disent alors que la solution viendra du futur décret d’application. C’est lui qui clarifiera ce qu’il est possible de faire en matière de RdR en détention. Une année passe, puis une autre, encore une… Huit ans plus tard, le décret n’est toujours pas publié. Pour plusieurs organisations non gouvernementales de santé et de défense des droits des personnes détenues (TRT-5 CHV, Act Up-Paris, la Fédération Addiction, Sidaction, l’Observatoire international des prisons, AIDES, le Syndicat de la magistrature, etc.), la conséquence directe est que « la loi n’est pas respectée ». Pour les ONG, la sentence est claire : « La France ne respecte ni la santé, ni les droits fondamentaux des personnes incarcérées ». Dans un argumentaire diffusé à l’occasion d’une manifestation menée en janvier 2024 devant le ministère de la Justice, exigeant la sortie d’un décret d’application (Voir Remaides N°127, printemps/mars 2024) et dans le prolongement d’une saisine du Conseil d’État visant à contraindre le gouvernement à sortir un décret sur la RdR en prisons (voir encart N°1), les associations expliquent que « la situation actuelle est une véritable urgence sanitaire ». Pour étayer leur affirmation, elles avancent des faits et des données. Il existe une « forte prévalence des addictions ». Elle est, en effet, plus importante parmi les personnes incarcérées que chez les personnes en milieu ouvert. On estime qu’un tiers des personnes qui entrent en prison présentent une problématique addictive hors tabac et que la quasi-totalité continuent à consommer d’une manière ou d’une autre, rappellent des travaux de l’Observatoire français des drogues et des conduites addictives (OFDT) de 2019 (Protais C., Morel d’Arleux J., Roustide M.-J., Usages de drogues en prison – Pratiques, conséquences et réponses, Paris, OFDT, 2019). Par ailleurs, plus de 80 % des personnes détenues consomment du tabac (données de l’étude PRODEPIST publiées en 2016 dans l’European Journal of Public Health). (Jacomet C., Guyot-Lenat A., Bonny C., Henquell C., Rude M., Dydymski S., Lesturgeon J.A., Lambert C., Pereira B., Schmidt J. Addressing the challenges of chronic viral infections and addiction in prisons: the PRODEPIST study. European Journal of Public Health, 2016, Vol. 26, n° 1, p. 122). Une enquête plus récente apporte de nouvelles données sur les prévalences d’usages de tabac, de cannabis, d’alcool et d’autres drogues en prisons. L’OFDT y a consacré un numéro complet de Tendances, une des publications régulières de l’institution, en mai dernier. Une enquête (ESSPRI pour Enquête sur la santé et les substances en prison) a permis d’interroger d’avril à juin 2023 un échantillon de 1 094 hommes détenus, représentatif de la population carcérale (voir encart N°3). Six hommes détenus sur dix déclarent fumer quotidiennement ; une personne sur quatre déclare fumer quotidiennement du cannabis. Une personne sur cinq rapporte avoir consommé de l’alcool au moins une fois depuis son incarcération. « L’usage d’une drogue illicite autre que le cannabis (cocaïne, crack, MDMA, héroïne) pendant l’incarcération concerne un détenu sur dix », explique l’OFDT. « Les détenus les plus jeunes sont plus souvent usagers de drogues en prison que leurs aînés », explique l’Observatoire.
Une urgence sanitaire
Autre preuve de l’urgence sanitaire : il existe une forte prévalence des maladies infectieuses en prisons. Dans un contexte de pratiques de consommation à risques et d’absence quasi générale de matériel de réduction des risques stérile (que ce soit pour la pratique du sniff ou celle de l’injection), la prévalence du VIH et des hépatites virales est six à dix fois plus importante que dans la population générale ; ce qu’expliquait déjà l’étude Prévacar de 2010 (C. Semaille, Y. Le Strat, E. Chiron, K. Chemlal, M.A. Valantin, P. Serre, L. Caté, C. Barbier, M. Jauffret-Roustide, The Prevacar Group. Prevalence of Human Immunodeficiency Virus and Hepatitis C Virus Among French Prison Inmates in 2010 : A Challenge for Public Health Policy, 2013) (Voir encart N° 4). Enfin, il faut mentionner un autre argument. En détention, les conditions de consommation de produits sont dégradées et posent des risques pour la santé. Les associations rappellent que l’on estime que 60 % des personnes consommatrices de produits illicites, autres que le cannabis, utilisent le sniff pour consommer, et que 30 % utilisent l’injection, selon les résultats d’une étude menée à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas (Sahajian F., Berger-Vergiat A., Pot E. (2017) Use of psychoactive substances in prison: Results of a study in the Lyon-Corbas prison, France. Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, Vol. 65, n° 5, p. 361-367). Plus récemment, l’enquête ESSPRI (mai 2024) a fait état, elle, de « quatre hommes détenus sur 100 [qui] rapportent avoir eu recours à l’injection d’une substance au moins une fois depuis leur incarcération ». Ces données balaient les idées reçues largement véhiculées sur les prisons, y compris par les pouvoirs publics, qui seraient des lieux sans produits et sans consommation. C’est tout le contraire : des produits entrent, d’ailleurs les saisies en témoignent ; la consommation a cours dans les établissements pénitentiaires, même si elle y est prohibée.
Les enjeux étant posés, que se passe-t-il sur le terrain ?
Jeudi 2 mai, à 9 heures 30, Anne Souyris se présente devant la maison d’arrêt de Villeneuve-Lès-Maguelone. Rendez-vous a été fixé avec un journaliste de France Bleu et un journaliste de Remaides sur le parking de la prison. La sénatrice de Paris est accompagnée de son assistant parlementaire. Elle se dirige vers la porte d’entrée, appuie sur l’interphone.
- Bonjour, je suis Anne Souyris, sénatrice de Paris. J’exerce mon droit de visite et je viens voir l’établissement.
Léger grésillement.
- Je ne suis pas au courant…
- Oui, je sais, c’est normal.
- Attendez un moment… s’il vous plait…
À suivre.
RdR en prisons : saisir le Conseil d’État
Tout démarre le 22 août 2022 par le dépôt d’une requête sommaire, suivie le 18 octobre de la même année par un mémoire complémentaire, au secrétariat du contentieux du Conseil d’État. Ce dernier est la juridiction suprême de l’ordre administratif. La procédure est écrite, contradictoire et inquisitoriale. L’échange d’arguments se fait essentiellement par des écrits que l’on appelle des mémoires. Le Conseil d’État recueille les arguments de toutes les personnes concernées par le litige et leur communique ceux des autres parties. Le juge organise et dirige l’instruction de la requête. Il peut demander aux parties des éclaircissements sur des points particuliers ou la production de pièces complémentaires.
En l’absence d’un décret concernant la RdR suite à l’adoption de la loi Santé en 2016, huit associations et syndicats (AIDES, la Fédération Addictions, le TRT-5 CHV, Médecins du Monde, Nouvelle Aube, l’Observatoire international des prisons, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France) ont décidé d’alerter et de lancer cette procédure. Elle vise à « annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur les demandes » adressées en avril 2022 aux ministres de la Justice [Éric Dupont-Moretti) et de la Santé (Olivier Véran). Les associations et syndicats ont demandé aux ministères de faire le décret… il n’y a jamais eu de réponse. En saisissant le Conseil d’État, associations et syndicats attendent que celui-ci enjoigne le Premier ministre et les ministres concernés à sortir un décret « dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros [de pénalité] par jour de retard ». Le 8 avril, le Conseil d’État rend sa décision (N° 466859). Il rejette le recours, estimant qu’un décret n’est pas nécessaire à l’application du volet RdR de la loi Santé de 2016.
RdR : de quoi parle-t-on ?
La réduction des risques (RdR) a été développée dans les années 1980 en réponse au VIH. Son objectif initial était de limiter les contaminations infectieuses liées aux injections de drogue. La démarche s’est ensuite élargie à tous les modes de consommation dans l’objectif d’en limiter les risques et les dommages pour les usagers-ères, leur entourage et l’ensemble de la société. On parle d’ailleurs parfois de réduction des risques et des dommages (RDRD). Pour les acteurs-rices qui la mettent en œuvre, la réduction des risques, c’est la prise en main de leur santé par les personnes usagères sans poser de préalable d’arrêt. La Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) écrit d’ailleurs sur son site : « [la RdR] reconnaît que l’arrêt de la consommation n’est pas possible pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire, et qu’il faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour améliorer leur qualité de vie ». Elle est aujourd’hui reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé, comme une intervention de santé publique « efficace ». « Elle se fonde sur des résultats scientifiques solides et participe d’un ensemble de réponses visant à prévenir les consommations, à accompagner et soigner les usagers et réduire les conséquences des usages de substances psychoactives, pour l’individu comme pour la société », souligne d’ailleurs la Mildeca. En France, la RdR est inscrite dans la loi depuis 2004. Elle a ensuite été confortée dans différentes lois sur la santé, dont la plus récente date de 2016.
RdR : ce que le décret devrait garantir
Pour les ONG qui travaillent sur le sujet : quatre conditions sont essentielles pour une stratégie de RDR efficace en milieu carcéral.
1 : Prévoir dans les textes pour les personnes incarcérées les mêmes dispositifs et outils de réduction des risques et des dommages qu’à l’extérieur de la prison (voir la Liste des matériels de prévention pour les services de réduction des risques, ministère des Solidarités et de la Santé, 2020 ; incluant les programmes d’échange de seringues), et garantir leur accès. La restriction des outils et dispositifs de RdR représente un frein important pour répondre à l’ampleur de cette crise sanitaire. Les personnes incarcérées doivent pouvoir accéder à du matériel stérile correspondant à leurs modes de consommation. Cela inclut le matériel d’inhalation, de sniff, d’injection et de prévention des risques sexuels. L’accessibilité de la vape doit également être garantie et développée car elle représente un outil utile, notamment pour atteindre des publics vulnérables, comme le précise l’avis de l’HCSP9.
2 : Garantir l’accessibilité, en toute confidentialité, à ces outils (ce qui implique de prévoir une possible utilisation en cellule, sans condition d’encellulement individuel ou d’une densité carcérale inférieure à 100%), outils qui ne sauraient être l’objet de mesures disciplinaires. L’absence de confidentialité représente un frein majeur à l’accès aux matériels de RdR, face à la crainte de la stigmatisation voire des sanctions disciplinaires qui entourent les consommations de drogues. Au-delà des sanctions pour possession de drogues, les sanctions disciplinaires liées aux outils de RdR dissuadent les personnes incarcérées de faire usage de matériel propre : elles doivent à ce titre être empêchées. Par ailleurs, l’accès à la RdR doit être adapté aux usages en détention, ce qui implique leur usage en cellule, lieu de consommation principal.
3 : Garantir l’accès aux outils et dispositifs de réduction des risques dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, sans exception. La mise en œuvre de la stratégie de réduction des risques est confiée aux unités sanitaires, en partenariat avec l’administration pénitentiaire et les différents intervenants publics et privés, dont les associations. Dans la mesure où la RdR relève de la santé publique, sa mise en œuvre opérationnelle doit être confiée aux unités sanitaires. Dans la perspective d’une stratégie de RdR qui répond à l’ampleur de la situation sanitaire, il est essentiel qu’elle soit développée dans l’ensemble des établissements, indépendamment du contexte local (taux de densité carcérale, encellulement individuel ou non, niveau de sécurité de l’établissement etc.).
4 : Garantir la participation de l’ensemble des acteurs-rices, y compris les personnes incarcérées (selon la démarche participative) à l’élaboration et à la mise en œuvre de la réduction des risques à l’échelle de l’établissement pénitentiaire. Si les politiques de RdR doivent être confiées aux USMP, nous recommandons l’implication de l’administration pénitentiaire, des différents intervenants publics et privés dont les associations, ainsi que des personnes incarcérées, pour permettre des déclinaisons de sa mise en œuvre adaptées aux réalités, aux contraintes et aux besoins à l’échelle de l’établissement pénitentiaire.
Les consommations de drogues en prisons… c’est Tendances !
Difficile d’être plus clair. Les résultats de l’enquête ESSPRI (Enquête sur la santé et les substances en prison) publiés dans la revue Tendances (N°163, mai 2024) de l’Observatoire français des drogues et des conduites addictives, témoignent d’une « exposition importante aux substances psychoactives chez les détenus hommes majeurs en France hexagonale, toutes durées de peine confondues, quel que soit le type d’établissement et le statut pénal (en attente de jugement ou condamné) ». Les consommations sont souvent antérieures à l’incarcération. Une grande majorité des détenus hommes qui ont consommé des substances psychoactives en détention déclaraient déjà des consommations importantes avant leur incarcération, expliquent les auteurs-rices de l’étude.
Les substances psychoactives en prison les plus consommées quotidiennement en 2023 étaient, par ordre décroissant, le tabac (autorisé en prisons), le cannabis et l’alcool (eux sont interdits en prison, l’alcool depuis 1995). En population générale (milieu ouvert) : l’ordre est le suivant :tabac, alcool et cannabis. En détention (chez les hommes), 63 % fument quotidiennement du tabac. Le tabagisme quotidien est environ 2,5 fois plus élevé chez les détenus que dans la population générale des hommes non incarcérés. Pour l’alcool : en 2023, 16 % des détenus déclarent avoir déjà consommé au moins une fois de l’alcool au cours de leur détention. Cette consommation reste plutôt occasionnelle : 3,7 % disent en avoir consommé au cours du mois précédant l’enquête, et 4 % en avoir consommé plusieurs fois (au moins six fois) au cours de leur détention, toutes durées effectives d’incarcération confondues. Ces consommations d’alcool sont plus marquées chez les personnes détenues de moins de 35 ans.
L’usage de cannabis est largement répandu en prison en 2023 : la moitié des détenus (49 %) déclare ainsi avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur détention, quelle que soit la durée effective de celle-ci. Concernant les fréquences d’usage, 39 % des détenus consomment du cannabis au moins une fois par mois, 34 % au moins une fois par semaine, et 26 % de manière quotidienne. Cette prévalence d’usage quotidien de cannabis est particulièrement importante, au moins huit fois plus élevée qu’en population générale, soulignent les auteurs. Là encore, la consommation quotidienne a lieu chez les hommes les plus jeunes : 35 % des 18-34 ans. Concernant ces trois produits, il en résulte une polyconsommation « tabac-cannabis » très répandue et une polyconsommation » tabac-alcool » quasi inexistante, contrairement à ce qui est observé en population générale.
D’autres produits sont également consommés. Les usages de cocaïne, de crack, de MDMA ou d’héroïne ont une diffusion plus faible en détention : 14 % des détenus déclarent avoir consommé une de ces quatre substances au moins une fois au cours de leur détention. Les prévalences d’usage au moins une fois au cours de la détention de cocaïne, de crack, de MDMA ou d’héroïne s’élèvent respectivement à 13 %, 6,2 %, 5,4 % et 5,1 %, sans différence selon la classe d’âge. Par ailleurs, 2,7 % des détenus déclarent avoir consommé de la cocaïne plusieurs fois (au moins six fois) durant leur détention. Enfin, 3,5 % des détenus déclarent avoir eu recours à l’injection d’une drogue ou d’un produit de substitution durant leur détention. S’agissant de ces substances (cocaïne, crack, MDMA, héroïne), l’enquête ne « permet pas d’observer précisément des variations dans les fréquences d’usage entre avant et pendant la détention. Elle montre une continuité des consommations : ainsi, 40 % des détenus qui avaient déjà consommé de la cocaïne avant la détention en ont consommé depuis qu’ils sont en détention. Cette proportion s’élève à 47 % pour le crack et à 39 % pour l’héroïne », expliquent les auteurs. Dans leur commentaire, les auteurs-rices expliquent que leurs « résultats interrogent une éventuelle adaptation des politiques sanitaires en matière de prévention et de traitement des addictions à la réalité des consommations observées (…) En outre, si la question des pratiques de consommation à risque comme l’injection reste présente, elle est probablement moins cruciale qu’elle ne l’était au milieu des années 1980, au moment de la montée en charge de la mortalité liée à la pandémie du sida et d’une plus forte exposition à l’injection de produits. La prévalence très élevée de l’usage quotidien du cannabis en prison nécessite de renforcer les actions de prise en charge thérapeutique de la dépendance à cette substance ». Et ces derniers-ères de conclure : « Ces niveaux de consommation en prison s’inscrivent dans un contexte plus général, marqué par des conditions de vie dégradées, une surpopulation carcérale endémique en maison d’arrêt et une santé mentale fragile pour une majorité de personnes détenues ». Le questionnaire de l’enquête ESSPRI évoque d’ailleurs les conditions de vie en détention, elles seront d’ailleurs étudiées pour comprendre les « liens entre les comportements d’usages et l’environnement des détenus ».
Données tirées de l’enquête ESSPRI conduite par Stanislas Spilka, Julien Morel d’Arleux (directeur des services pénitentiaires, directeur de l’OFDT entre 2017 et 2023) et Melchior Simioni.
La santé en prisons
Dans le discours officiel, la santé des personnes détenues est toujours présentée « comme un enjeu de santé publique important ». La forte prévalence des conduites addictives (comme on dit dans les rapports officiels), les maladies mentales, les facteurs de risque de maladies transmissibles… auxquels s’ajoutent des facteurs de vulnérabilité sociale et économique, expliquent cela. En 1994, la prise en charge sanitaire est confiée au service public hospitalier. Les hôpitaux (CHU, CHRU) créent alors au sein des établissements pénitentiaires des unités de consultations et de soins ambulatoires : les UCSA. Elles deviennent, en 2012, les USMP (unités sanitaires en milieu pénitentiaire) ; même évolution pour les SMPR (services médico-psychologiques régionaux) qui sont des unités de soins en santé mentale dans les prisons. En détention, l’organisation des soins repose sur deux dispositifs : un pour les soins somatiques (qui se rapportent au corps), l’autre pour les soins psychiatriques. Deux dispositifs et trois niveaux : les soins ambulatoires (du soin infirmier à la consultation, de la radio au fibroscan, etc.) ; les soins requérant une prise en charge à temps partiel (hôpital de jour en psychiatrie, intervention légère en bloc opératoire, etc.) ; les soins nécessitant une hospitalisation à temps complet (hôpitaux et unités de soins spécialisés).
Il existe pour ces deux dispositifs une « mission » relative à la prévention. Dans le Livre 3 sur l’organisation du dispositif sanitaire en prisons (un guide méthodo officiel du ministère de la Justice de 2019), on trouve ceci (en page 12) : « La prévention, incluant l’éducation pour la santé et la réduction des risques, fait partie intégrante des missions de l’établissement de santé signataire du protocole [entre l’établissement pénitentiaire et l’hôpital, ndlr], qu’il s’agisse de prévention primaire (environnement, conditions de vie, hygiène, éducation pour la santé, vaccinations, etc.), secondaire (dépistages) ou tertiaire (soins et éducation thérapeutique du patient) ». La RdR y est donc mentionnée… sans plus de précisions.
En juillet 2019, l’exécutif annonce, une fois de plus, sa « mobilisation » dans « la lutte contre les inégalités de santé » qui a rang de « priorité majeure ». Cette lutte a pour ambition de s’intégrer dans toutes les politiques publiques. Elle prend le tour d’un « plan interministériel » intitulé « Priorité prévention » qui cible « les publics les plus vulnérables ». Les personnes placées sous main de justice, en particulier les personnes détenues « constituent l’un de ces publics vulnérables », explique le gouvernement dans l’édito qui accompagne la publication de la « feuille de route. Santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 ». Trois ministres sont en charge de cette « feuille de route » : Nicole Belloubet (Justice), Agnès Buzyn (Solidarités et Santé) et Christelle Dubos (Solidarités et Santé). Ambitieuse, la feuille de route comporte 28 actions issues de groupes de travail interministériels. Elle dessine surtout cinq priorités « pour améliorer la santé des détenus ». Parmi elles, le fait de « développer la prévention et la promotion de la santé auprès des détenus ». La feuille de route se veut précise puisqu’il y est écrit que « le virage préventif engagé par le gouvernement depuis 2017 doit bénéficier à tous » ou encore que les « outils de prévention déployés en population générale doivent être adaptés aux populations sous main de justice ». Pour autant, lorsqu’on passe en revue les 28 actions de la feuille de route, aucune ne porte directement sur la RdR. La mention ne figure pas une seule fois dans les 62 pages du document, y compris dans les actions qui relèvent pourtant de la prévention ; un acte manqué probablement. La feuille de route a, en revanche, mis l’accent sur le renforcement des pratiques de dépistage (VIH, VHB, VHC) en détention et le fait d’y décliner « l’objectif national d’élimination du VHC à l’horizon 2025 ». Le gouvernement demande donc au Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) de réaliser « un état des lieux de la prise en charge par AAD [antiviraux à action directe] » et de « proposer des pistes d’amélioration des stratégies de dépistage ». Si la feuille de route de juillet 2019 fait cette proposition ; dans les faits, les pouvoirs publics ont anticipé. En novembre 2018, la Direction de l’administration pénitentiaire, la Direction générale de la santé et celle de l’offre de soins ont saisi le CNS à ce sujet. L’Avis suivi de recommandations sur la prévention, le dépistage et le traitement de l’hépatite C chez les personnes détenues est adopté par le CNS le 26 septembre 2019 et rendu public dans la foulée. La somme de 85 pages est particulièrement intéressante. Elle répond bien entendu à la commande officielle, mais le CNS y a vu l’occasion d’avancer des recommandations (N°8 à 12) portant sur la prévention et la RdR. Pour le CNS, il est clair que « l’offre de prévention et de réduction des risques en milieu carcéral demeure inférieure à l’offre en milieu ouvert et insuffisamment accessible ». Et l’instance de déplorer que « les actions d’éducation pour la santé et la prévention des risques infectieux en milieu pénitentiaire [soient] réduites à la portion congrue » ou que « l’offre de RdR en détention demeure incomplète, inégalement déployée et peu accessible ». Une situation qui n’est pas tenable dès lors que l’on sait que, selon des données de 2017, 64 % de la population des personnes injectrices est séropositive au VHC. Le CNS enfonce d’ailleurs le clou : « la RdR demeure le pivot de la prévention du risque d’infection comme du risque de réinfection. Dans ce contexte, l’absence d’accès effectif à certains outils essentiels de RdR apparait incohérente avec une politique de santé publique, et notamment avec l’objectif d’élimination du VHC ». Bien sûr, le CNS note qu’il y a eu des « avancées législatives » en soutien de la RdR… mais il n’en demeure pas moins « que l’accès aux outils [de RdR] liés aux pratiques d’injection et d’inhalation n’est toujours pas assurée en milieu pénitentiaire ». D’ailleurs précise l’institution : « Des freins importants à la démarche de RdR existent également parmi les professionnels de santé ».
Offre de soins VIH et hépatites : les travaux précurseurs de l’enquête Prévacar
L’enquête date, mais elle demeure néanmoins une référence. Menée en 2010 par la Direction générale de la santé avec l'Institut de veille sanitaire (devenu aujourd’hui Santé publique France), l’enquête Prévacar ciblait l’ensemble des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA). Objectif ? Comprendre l’offre de soins en milieu carcéral en France sur le VIH et les hépatites virales. À l’époque, il existait 168 UCSA ; 146 avaient répondu au questionnaire d’enquête (soit 86 %). Quels étaient les résultats ? La quasi-totalité des établissements proposait un dépistage des trois virus VIH, VHC et VHB à l'arrivée en détention, mais seulement la moitié renouvelait la proposition en cas de refus initial. Un dépistage anonyme et gratuit était disponible dans environ un tiers des établissements. Les établissements accueillant plus de 500 personnes détenues disposaient plus fréquemment d'une consultation spécialisée d'infectiologie ou d'hépatologie que ceux de plus petite capacité. Une hépatite C chronique active n'était recherchée que dans la moitié des cas de sérologies positives et l'accessibilité aux tests non invasifs de fibrose différait selon les établissements. L'accès au vaccin contre le virus de l'hépatite B ne semblait poser aucune difficulté dans les UCSA. L’enquête Prévacar montrait une forte mobilisation des équipes des UCSA sur la pratique du dépistage et de la prise en charge des infections par le VIH et les virus des hépatites, ainsi que dans la vaccination contre l’hépatite B ; les axes d’amélioration des pratiques devant alors porter, selon les auteurs-rices de l’enquête, sur le renouvellement des offres de dépistage en cours d’incarcération, la continuité des soins à la sortie et l’accès aux moyens d’évaluation des hépatites virales chroniques C (PCR et évaluation non invasive de la fibrose). Comme on le voit, l’offre de soins est jugée satisfaisante, même si elle doit être améliorée. Côté prévention et RdR, le bilan est moins favorable. « Il est difficile d’apprécier l’offre en matière d’actions d’éducation pour la santé et de prévention, mais elle est probablement modeste, notent les auteurs-rices. En effet, 75 % des équipes [des UCSA] déclarent avoir mis en place ce type d’interventions au sein de leur établissement, mais la réalisation effective d‘actions d’éducation à la santé dans les six mois précédant l’enquête ne concernerait qu’une UCSA sur trois ».
Auteurs-rices : Chemlal K, Bouscaillou J, Jauffret Roustide M, Semaille C, Barbier C, Michon C, Valantin MA, Cate L. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2012, n°. 10-11, p. 131-134.
La surpopulation carcérale bat tous les records
La surpopulation (on pourrait parler plus explicitement de suroccupation) carcérale a atteint un nouveau record en France au 1er mai 2024, avec 77 647 personnes détenues, une situation conduisant 3 405 d’entre elles à dormir sur un matelas au sol, selon des chiffres publiés, fin mai, par le ministère de la Justice. C’est le huitième mois consécutif de hausse de la population carcérale, en progression de 6,1% en un an. Aujourd’hui, ce sont donc pas moins de 3 405 personnes détenues qui sont contraintes de dormir sur un matelas posé au sol. Elles étaient 2 241 il y a un an, un chiffre en hausse de plus de 50 %. Au 1er mai, les prisons françaises comptaient 61 966 places opérationnelles. La « densité carcérale globale » s’établit ainsi à 125,3 %, mais dans les maisons d’arrêt — où sont incarcérées les personnes détenues en attente de jugement et donc présumées innocentes, et celles condamnées à de courtes peines — elle atteint 150,3 %. Elle atteint ou dépasse même les 200 % dans quatorze établissements ou quartiers de détention. Parmi les personnes incarcérées, 19 978 sont des prévenus-es, incarcérés-es dans l’attente de leur jugement. Au total, 95 205 personnes étaient placées sous écrou au 1er mai. Parmi elles, on compte 17 558 personnes non détenues faisant l’objet d’un placement sous bracelet électronique ou d’un placement à l’extérieur. Dans un communiqué, l’Observatoire international des prisons (OIP) a appelé le gouvernement « à publier les vrais chiffres de la surpopulation carcérale », lui reprochant de publier des données « sans distinction, en termes de nombre de places, entre celles dédiées aux hommes, aux femmes, aux mineurs-es et, dans certains cas, à la semi-liberté ». « En persistant à occulter les taux spécifiques des quartiers dédiés aux hommes détenus, le ministère de la Justice publie consciemment des taux d’occupation largement sous-estimés », avance l’OIP. L’ONG donne l’exemple du Centre pénitentiaire de Perpignan où « le taux d’occupation bondit de 201 à 259 % dès lors que sont exclues les données relatives aux femmes, aux enfants et à la semi-liberté », indique l’AFP. La surpopulation carcérale est un sujet brûlant pour l’exécutif. Dans un accord signé par la Chancellerie et les syndicats de surveillants-es pénitentiaires, il est prévu de mener « une large concertation pluridisciplinaire » sur cette question. Elle devait démarrer le 10 juin dernier. Des mesures ont déjà été prises pour tenter de remédier à ce problème, telles que l’interdiction des peines de prison de moins d’un mois, l’aménagement des peines ou encore le développement du travail d’intérêt général. Mais celles-ci s’avèrent insuffisantes. L’exécutif table donc sur la construction de 18 000 places de prison d’ici 2027 pour porter la capacité à 78 000 places opérationnelles. Reste que cet objectif a pris un « sérieux retard » et semble « déjà obsolète au vu de la situation », de nombreux-ses acteurs-rices et observateurs-rices estiment que cela ne résorbera pas le problème de suroccupation actuelle. De fait, toute augmentation du nombre de places s’accompagne mécaniquement d’une forte augmentation de la population carcérale.
Mi-mars, le Conseil de l’Europe a exprimé sa « profonde préoccupation » et invité les autorités françaises à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale », une idée défendue depuis longtemps par de nombreuses institutions, associations et syndicats. Fin mai, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a publié un avis dans lequel elle juge infondé le refus de l’exécutif d’introduire dans la loi ce mécanisme, qui interdirait à tout établissement pénitentiaire de dépasser un taux d’occupation de 100 %. Pour la CNCDH, les arguments du gouvernement, selon lequel « un tel mécanisme aggraverait le risque de récidive, porterait atteinte à l’indépendance des juges ou encore entrainerait une rupture du principe d’égalité entre les personnes détenues », ne sont « ni fondés juridiquement ni justifiés par la réalité de terrain », et « relèvent avant tout d’un choix politique, celui de s’inscrire dans le contexte actuel d’une surenchère sécuritaire ».
Le Rapport accablant de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté
Publié le 15 mai dernier, le rapport annuel de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, dresse, une fois encore, un tableau accablant de la situation dans les prisons et autres lieux de privation de liberté en France. Fait du hasard, le rapport a été publié au lendemain « du terrible drame qui a causé la mort de deux surveillants pénitentiaires et grièvement blessé d’autres », a indiqué Dominique Simonnot, qui a présenté « ses sincères condoléances aux familles des victimes et à l’ensemble des agents pénitentiaires ». Il n’en demeure pas moins que le rapport se veut tranchant : « Aggravation dramatique de la surpopulation carcérale », « profonde crise démographique de la psychiatrie », « carcéralisation croissante de la rétention administrative des étrangers », « atteintes aux droits persistantes en garde à vue », etc. Le rapport d’activité annuel de la CGLPL est sans appel. La surpopulation y est dénoncée : « Avec des pics à 250 % [de sur-occupation] dans certains établissements), la France atteint chaque mois de nouveaux records d’incarcérations », déplore le rapport.
La CGLPL, autorité administrative indépendante chargée de défendre les droits fondamentaux dans les prisons, mais aussi dans les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention administrative (CRA), les centres éducatifs fermés (CEF) et les locaux de garde à vue, préconise notamment « la mise en place, dans la loi, d’une régulation carcérale ». « Pas plus de prisonniers que de places. Est-ce anormal ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle réussi là où la France rate tout ? », tacle la Contrôleure.
« Les cellules individuelles n’atteignent jamais 9m2 et sont le plus souvent doublées, voire triplées. L’espace disponible par personne, une fois déduite la surface des sanitaires et du mobilier, est le plus souvent très inférieure à 3m2 », indique le rapport. « Dans plusieurs établissements, l’état des abords est épouvantable, ce qui attire rats, pigeons, mouettes et chats qui, parfois, s’introduisent jusque dans les cellules (...) Dans un établissement, les punaises de lit prolifèrent au point que les personnes détenues sont recouvertes de piqûres et que certaines en ont des cicatrices », décrit encore le rapport. « Les détenus dormant sur un matelas par terre se trouvent contraints de boucher leur nez et leurs oreilles avec du papier toilette afin d’éviter que des cafards s’y introduisent », précise le rapport. Si le sort des détenus-es est peu enviable, que dire de celui du personnel pénitentiaire qui fonctionne « avec des effectifs de plus en plus tendus », demande le rapport de la CGLPL. « Dans la plupart des prisons contrôlées » par l’organisme indépendant, « les effectifs sont en nombre cruellement insuffisant. Plusieurs établissements s’accoutument à un fonctionnement très détérioré qui finit par devenir la norme. Les professionnels sont épuisés, marqués par leur impuissance professionnelle », souligne le rapport. Dans ces conditions, les faits de violence augmentent dans certains établissements. Le rapport relate ainsi le cas d’un détenu incarcéré pour la première fois, en exécution de diverses courtes peines, qui « a subi des faits de viol et des actes de torture pendant toute une nuit au mois de janvier 2023 ». La CGLPL propose régulièrement des « recommandations » aux pouvoirs publics pour améliorer la situation dans les lieux de privation de liberté mais, au cours des six dernières années, les réponses des autorités sont restées « souvent parcellaires ». « Il est difficile de défendre les droits de ceux qu’une société n’aime pas, ne veut pas regarder et se moque bien des mauvais traitements qui leur sont infligés », déplore Dominique Simonnot. « Difficile également, de devoir répéter qu’il est inconcevable, en France, d’abandonner à un sort, souvent infect, les captifs et avec eux, ceux chargés de les garder, de les surveiller, de les soigner, de les accompagner », conclut-elle.