L’Actu vue par Remaides : « Mémoires vives : un incendie volontaire de notre histoire »
- Actualité
- 15.05.2025
Image : Anthony Leprince pour Studio Capuche
Par Morgane Vanehuin
Mémoires vives : un incendie volontaire de notre histoire
Dans cette rubrique sur les archives de AIDES, nous souhaitons contribuer à valoriser nos mémoires, à donner à voir l’histoire de celles et ceux qui ont vécu et qui continuent de vivre la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales. Dans cet article, nous vous proposons de découvrir le point de vue de l’archiviste de AIDES quant à la récente attaque informatique dont a été victime l’association.
Le 13 janvier 2025, l’association AIDES a subi une cyberattaque de type « ransomware ». Cet acte malveillant avait pour objectif l’extorsion de fonds en échange de la récupération de nos données stockées dans nos boîtes mails et sur nos serveurs. Les autorités compétentes ont été saisies. Une plainte a été déposée. De nouvelles mesures de sécurité ont été adoptées. La tentative de racket a toutefois causé l’irrémédiable perte d’une partie de nos documents numériques. Elle est d’ores et déjà entrée dans l’histoire archivistique
de notre association.
La disparition soudaine d’une telle quantité d’éléments numériques, parfois créés depuis plus d’une dizaine d’années, c’est l’équivalent d’un incendie volontaire déclenché dans plusieurs caves d’archivage papier. On espère ne jamais connaître un tel événement dans une carrière d’archiviste... La récupération de données sauvegardées par ailleurs a permis la reprise d’une activité normale. Si la majorité des services de AIDES ont effectivement retrouvé la totalité de leurs documents électroniques, le constat est amer pour l’archiviste que je suis. « Avant moi, le déluge !» : il n’existe aujourd’hui quasiment plus aucune trace numérique du travail effectué par les précédentes archivistes. De même, la rédaction de Remaides a vu disparaître la totalité de ses archives numériques depuis 2007, dont les archives photographiques du journal, les anciennes maquettes ainsi qu’une partie des textes non encore publiés. Le présent numéro, également touché, a dû faire l’objet d’un minutieux travail de reconstitution.
La presse relaie régulièrement les attaques similaires qui affectent bon nombre d’organisations. Publique ou privée, aucune structure n’est définitivement épargnée. Contrairement à ce qu’on peut parfois imaginer, les grandes entreprises du secteur bancaire ne sont pas les seules à pâtir de ces événements. Hôpitaux et associations non gouvernementales de santé sont ciblés, mettant en péril la vie privée et le parcours de soin des personnes, altérant notre histoire commune.
Nous sommes donc, toutes et tous, directement concernés-es par ces enjeux. De fait, l’essor fulgurant des outils informatiques a bouleversé nos vies tant personnelles que professionnelles, apportant avec lui son lot de risques et de dangers. Le métier d’archiviste n’est pas en reste, prenant nécessairement en compte l’évolution des méthodes de conservation et d’exploitation de l’information. Le piratage dont a été victime notre association met en exergue des problématiques de conservation trop souvent méconnues. C’est à cela qu’il faut réfléchir aujourd’hui, passés la colère, le dégoût et la tristesse que nous continuons de ressentir.
Parmi les clichés les plus répandus quant à la conservation du numérique, revient l’idée que le quotidien de l’archiviste consisterait essentiellement à numériser des documents papier, permettant la conservation définitive de l’information sur support électronique.
Il n’y aurait plus qu’à détruire le document original, la copie étant plus ou moins mystérieusement conservée dans un « nuage » virtuel dont on ne comprend pas vraiment ni le fonctionnement ni les limites. Stocker des documents numérisés et « nativement numériques » sur un disque dur externe, dans une boîte mails, une clef USB, dans un cloud ou sur un serveur, ce n’est pourtant pas de l’archivage électronique.
Le stockage dans un serveur est une étape préliminaire, mais non suffisante. C’est l’équivalent physique d’entreposer ses vieux papiers dans un hangar, sur de grandes palettes en bois.
En effet, l’archivage numérique, comme physique, va plus loin quant au traitement des documents. L’archivage numérique impliquerait la mise en oeuvre d’une méthodologie spécifique et de technologies particulières, dont le déploiement d’un « système d’archivage électronique » (SAE). Archiver, c’est organiser stratégiquement la gestion de grandes quantités d’informations pour les rendre facilement exploitables sur la durée.
C’est donc documenter les choix et les décisions prises : quels documents sélectionner pour archivage, pendant combien de temps ? Est-ce qu’il existe une réglementation les concernant, des recommandations ou des obligations de conservation ? Comment s’assurer qu’ils puissent être encore lisibles d’ici quelques années, voire plusieurs décennies ? Comment garantir que leur contenu n’a pas été modifié, altéré, dégradé ou piraté ? Comment identifier avec certitude l’auteur original du document, la date de création et le contexte de production ? Comment sécuriser et vérifier les accès ? Et d’autres questions encore. Les enjeux sont tant organisationnels que politiques, financiers, juridiques et patrimoniaux. Ce travail, entamé par mes prédécesseurs- es, poursuivi depuis mon arrivée, a été attaqué, détruit pour partie. Il faut le reprendre.
Les évolutions technologiques amènent inévitablement la majorité des organisations à se poser la question de l’archivage numérique. Le piratage a créé des « trous » dans nos documents électroniques, dont ceux de Remaides, avant même qu’ils ne deviennent archives numériques, au sens professionnel du terme. Autant de potentielles sources de l’histoire de notre lutte et de nos mémoires militantes qui n’existent plus. C’est infiniment triste et dur pour Remaides et les équipes qui l’ont réalisé depuis sa création, comme pour les personnes qui ont témoigné avec confiance dans ce journal unique. Malgré un contexte politique de plus en plus incertain, nous sommes déterminés-es à poursuivre ce travail, et à participer à l’écriture de notre histoire commune.