L’Actu vue par Remaides : « Mémoires vives : le combat contre la sérophobie dans les archives de AIDES »
- Actualité
- 28.03.2025
« Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séro-positifs »; document extrait du journal de AIDES : "La lettre d'information, décembre 1987. N°2". Photo : Morgane Vanehuin. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.
Par Morgane Vanehuin
Spécial Sérophobie :
Mémoires vives : le combat contre
la sérophobie dans les archives
de AIDES
Dans cette rubrique sur les archives de AIDES, nous souhaitons contribuer à valoriser nos mémoires, à donner à voir l’histoire de celles et ceux qui ont vécu et qui continuent de vivre la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales. Dans cet article, nous vous proposons de (re)découvrir deux documents d’archives en lien avec la lutte contre la sérophobie.
Si la rédaction d’un article traitant de l’histoire de la lutte contre la sérophobie apparaît comme une évidence, le travail d’écriture ne l’est pas. La sérophobie constitue une thématique transversale qui nourrit l’engagement associatif et militant. Elle apparaît, parfois en creux, dans de nombreux documents produits et reçus tout au long de l’histoire de AIDES. Le présent article représente une sélection, nécessairement subjective, de deux archives que je souhaite partager.
Une remarque préliminaire s’impose. À l'instar d’autres termes tels que « homophobie » ou « transphobie », l’expression de « sérophobie » semble relativement récente. Dans les archives textuelles de AIDES datées des années 1980 jusqu’aux années 2000, est employé un champ lexical de la lutte contre les discriminations dans lequel le terme de « sérophobie » n’existe pas encore. Sauf erreur de ma part, il faut attendre la décennie 2010 pour constater son utilisation tant dans des publications de presse quotidienne nationale que dans les documents produits par AIDES. Pour autant, les enjeux d’égalité font bien partie des premières préoccupations de l’association.
Nathan Kraemer, chercheur intervenu au colloque « AIDES, 40 ans de combat au prisme des sciences sociales », a notamment indiqué que l’engagement juridique de AIDES en faveur de la lutte contre les discriminations résulte de la rencontre entre une certaine lecture des travaux de Michel Foucault et le concept internationaliste et universaliste de « Droits de l’Homme ». Cette rencontre se concrétise, entre autres, par la diffusion de la « Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séropositifs ». Écrite en partenariat avec Médecins du Monde, elle est présentée à la ministre de la Santé, Michèle Barzach, en octobre 1987. Parmi les « dix impératifs » de la Déclaration, plusieurs revendications constituent des prises de position contre tout traitement différencié ciblant spécifiquement les personnes vivant avec le VIH : « Les personnes atteintes par le virus sont protégées par la loi commune. Aucune loi d’exception ne pourra leur être appliquée » ; « Nul n’a le droit de restreindre la liberté ou les droits des personnes au seul motif qu’elles sont atteintes par le virus, quels que soient leur race, leur nationalité, leur religion, leur sexe ou leur orientation sexuelle », etc. Rappelons qu’en mai 1987, le président du Front national (FN) Jean-Marie Le Pen propose publiquement d’isoler dans des « sidatorium » toute personne vivant avec le VIH, qualifiée de « sidaïque […] contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C’est une espèce de lépreux ».
Formalisation de principes d’égalité, la Déclaration d’octobre 1987 s’inscrit dans le cadre de l’appropriation des problématiques juridiques par des volontaires de l’association. Dans les années 1980 et 1990, le droit constitue alors, comme l’a expliqué Nathan Kraemer, un levier progressivement mobilisé par une poignée de juristes engagés.
Outre le champ juridique, la question de la sérophobie apparaît également, et peut-être avant toute chose, dans les témoignages des personnes directement concernées. Les premiers États généraux des personnes vivant avec le VIH/sida sont organisés les 17 et 18 mars 1990 à Paris, au Bataclan. Dans un document préparatoire intitulé « Comment participer », le comité d’organisation des États généraux envisage la prise de parole comme un moyen de structurer des positionnements collectifs : « Nous existons, – nous avons des choses à dire (ÉCOUTEZ-NOUS !), - nous voulons nous affirmer et nous prendre en charge nous-mêmes, - nous voulons être reconnus pour nous-mêmes et non en tant que « malades » faisant partie d’une minorité honteuse, - nous ne voulons plus cacher notre sida, ne plus être des exclus moraux et physiques, - nous voulons (et pouvons) être considérés à l’égal de chacun ». Le stigmate associé au VIH/sida est renversé, retourné. Est assumée la volonté de politiser la parole, de transformer l’expérience singulière en revendications. La prise de parole devient matériau militant et ressource collective. Elle est présentée comme un préalable à une prise de pouvoir quant à son parcours de vie. Les particularismes du témoignage personnel se diluent dans une analyse générale, processus nécessaire pour formaliser des demandes politiques audibles. La publication d’un livre blanc est annoncée comme l’objectif de cette première édition des É-G, un « bien commun des participants, des associations et des institutions ». Ledit livre blanc est publié en 1992, aux Éditions du Cerf.
Pour terminer, il est possible de considérer le néologisme de « sérophobie » comme la conceptualisation des diverses expériences discriminatoires vécues par les personnes vivant avec le VIH/sida. Elle permet d’identifier et de nommer une réalité spécifique. L’étude, à travers les archives associatives de AIDES, des discriminations sérophobes et des réponses envisagées ou mises en place, pourrait inspirer d’autres projets de recherche. Se pose ainsi la question de la description archivistique, de l’indexation et du vocabulaire utilisé pour analyser les documents. À cet égard, notons la responsabilité sociale et intellectuelle des archivistes dans la potentielle (in)visibilisation ou (re)connaissance du vécu des personnes et groupes discriminés.